la circulation des titres
Transcription
la circulation des titres
LA CIRCULATION DES TITRES Paul Mousel* Chargé de cours au Centre universitaire de Luxembourg Franz Fayot** Assistant au Centre universitaire de Luxembourg Introduction ........................................................................................................ 1320 A. La circulation juridique des biens ...................................................... 1320 B. La notion de titre ............................................................................... 1322 C. La classification des titres .................................................................. 1324 D. Les titres et les instruments financiers ................................................ 1326 E. La titrisation ...................................................................................... 1327 Partie I : Les opérations sur titres ........................................................................ 1328 1. Le marché primaire ................................................................................. 1328 A. Les intervenants ................................................................................. 1330 B. Les opérations préalables ................................................................... 1336 C. L’émission .......................................................................................... 1341 D. Le placement ..................................................................................... 1342 2. Le marché secondaire .............................................................................. 1345 A. La stabilisation des cours ................................................................... 1346 B. Les principales opérations sur titres ................................................... 1347 Partie II : Le transfert des titres ........................................................................... 1356 1. Le transfert physique ............................................................................... 1358 A. Les titres au porteur .......................................................................... 1358 B. Les titres à ordre ................................................................................ 1359 C. Les titres nominatifs .......................................................................... 1361 * ** Avocat aux barreaux de Luxembourg et de Bruxelles ; associé au cabinet Arendt & Medernach. Avocat au barreau de Luxembourg ; associé au cabinet Elvinger, Hoss & Prussen. 1319 LA CIRCULATION DES TITRES 2. Le transfert scriptural .............................................................................. 1363 A. Titres susceptibles d’être transférés par voie scripturale ..................... 1363 B. Le teneur de comptes ......................................................................... 1365 C. Effets du virement .............................................................................. 1367 3. Le règlement des opérations sur titres ..................................................... 1368 A. Le dénouement d’une opération ........................................................ 1369 B. Les dépositaires centraux ................................................................... 1370 C. Le caractère définitif du règlement ..................................................... 1373 Introduction A. La circulation juridique des biens 39-1. L’enseignement juridique traditionnel distingue les droits des biens. Tandis que les droits subjectifs sont des prérogatives que l’individu retire des règles de droit objectif, les biens constituent des objets de ces droits. L’illustration la plus parfaite de cette distinction est donnée par l’article 544 du Code civil : celui-ci définit le droit de propriété – le droit subjectif le plus important – comme la faculté de jouir et de disposer des choses, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Les choses apparaissent ici comme objets de droit. 39-2. D’après De Page1, tout ce qui existe, sauf l’être humain, est une chose. Toute chose devient un bien lorsqu’elle s’avère économiquement utile pour les sujets de droit qui vont s’en emparer. Les biens deviennent dès lors des choses appropriées. La même doctrine2 distingue parmi les choses (ou les biens) celles qui sont dans le commerce et celles qui ne le sont pas. Le mot « commerce » est pris, dans ce contexte, dans un sens très large visant la circulation juridique des biens. Les choses dans le commerce sont celles qui se prêtent à cette circulation. 39-3. La circulation des biens n’est pas seulement une notion juridique, mais aussi économique. Ainsi, l’essence même de l’économie est l’échange des biens, tant au sein d’une même société qu’au niveau international. Ces échanges augmentent de façon permanente en nombre et se font de plus en plus rapidement, grâce surtout aux moyens électroniques. 1 2 H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 5, 2e éd., no 531. H. DE PAGE, op. cit., no 542. 1320 LA CIRCULATION DES TITRES La circulation juridique des biens vise les actes juridiques qui sont à la base des échanges économiques. Le législateur, quant à lui, a toujours favorisé la circulation des biens, tantôt par crainte de la mainmorte3 en réglementant l’usage de certaines formes de personnes morales ou des substitutions fidéicommissaires, tantôt pour des raisons fiscales en soumettant la mutation des biens à un impôt indirect. 39-4. La circulation juridique signifie que les biens « circulent », c’est-à-dire passent d’une main dans une autre ou d’un patrimoine dans un autre. Elle implique d’abord l’existence d’un acte juridique – par exemple une vente ou un nantissement – et ensuite l’exécution des obligations découlant de cet acte – par exemple la livraison ou la dépossession. Le droit civil soumet la circulation des biens à un degré très varié de formalisme. Il y a tantôt une absence de formalisme – ainsi, la vente est conclue solo consensu –, tantôt un certain formalisme – par exemple dans les mutations d’immeubles ou les cessions de créance –, tantôt même la circulation est impossible – par exemple, la cession d’une dette. Ce formalisme est incompatible, cependant, avec les exigences de rapidité et de simplicité inhérentes aux échanges économiques. 39-5. L’essor qu’a connu le droit commercial au dix-neuvième siècle s’explique en partie par la création de modes de circulation simplifiés pour certains biens. Frederiq4 donne l’exemple du transport d’une créance de droit civil dont le cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que par les formalités de l’article 1690 du Code civil. Le droit commercial connaît un mode de transfert plus simple, s’opérant à l’égard de tous par la tradition ou l’endossement sans passer par l’article 1690 du Code civil. Et Frederiq de continuer : « Les titres à ordre ou au porteur ont été créés principalement en vue de favoriser la circulation des richesses et le crédit commercial. Certes, la forme des titres au porteur ou portant la clause à ordre peut aussi s’appliquer aux créances civiles ; mais, dans ce cas, les titres qui les représentent acquièrent le caractère commercial et leurs effets sont régis par le droit commercial. » Il résulte de ces considérations que le titre est un instrument créé par le droit commercial en vue de faciliter la circulation juridique des biens. 3 4 Pour cette notion, voy. Pand. b., v° Mainmorte, nos 1 et suiv. L. FREDERIQ, Traité de droit commercial belge, t. 1, 1946, p. 37 et 38. 1321 LA CIRCULATION DES TITRES B. La notion de titre 39-6. Il n’est pas dans l’objet de la présente étude de dresser une typologie des titres ni d’en décrire le régime. Toutefois, il faut bien cerner la matière et indiquer précisément quels sont les titres qui peuvent faire l’objet d’une circulation simplifiée. Il n’existe pas de définition légale, en droit luxembourgeois, de la notion de titre, même si ce terme est largement employé dans bon nombre de textes légaux et réglementaires5. Dans le langage juridique en général, le mot « titre » à des acceptions fort diverses : les lois et les codes ont des subdivisions qui portent le nom de « titre », on se sert du mot « titre » pour désigner une qualité sociale, il y a des occupants sans droit ni « titre » et, d’après l’article 2279 du Code civil, « en fait de meubles, la possession vaut titre »6. Le contexte dans lequel la présente étude s’intéresse à la notion de titre est celui de la circulation juridique des biens. Ici, le titre désigne un instrumentum, un support donc, dans lequel est incorporé un droit et qui peut circuler suivant l’un des modes simplifiés organisés par le droit commercial. Puisque le titre circule de manière simplifiée, le droit qui y est incorporé circule avec lui et de la même façon. Cette incorporation a d’ailleurs une autre conséquence : sans le titre, on ne peut pas faire valoir le droit qui y est incorporé. Pour Van Ryn et Heenen7, « le droit est [...] indissolublement lié au titre lui-même, au point que le transfert de l’un sans l’autre est impossible et que seul celui qui a le titre peut exercer ce droit ». Ripert et Roblot8 déclarent dans le même contexte « que le titre ne prouve pas seulement le droit, mais qu’il le représente, le matérialise, l’incarne ». La titrisation (en allemand Verbriefung et en anglais securitization) n’est donc rien d’autre qu’une incorporation d’un droit dans un titre. Deux conséquences en découlent : le droit est incarné dans le titre et ne peut être exercé sans le titre ; le droit circule comme le titre, mais ne peut circuler qu’avec le titre9. 5 Il est vrai que l’article 34-2 (i) de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier donne une définition du « titre », mais celle-ci ne s’applique qu’à certaines dispositions de ladite loi. 6 Pour une étude exhaustive de l’utilisation du mot « titre » en langage juridique, voy. Pand. b., v° Titre (En général), nos 1 et suiv. 7 J. VAN RYN et J. HEENEN, Principes de droit commercial, t. 3, 2e éd., no 79. 8 G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 2, 16e éd., nos 1728-1729. 9 L’article 965 du Code des obligations suisse définit comme papiers-valeurs « tous les titres auxquels un droit est incorporé d’une manière telle qu’il soit impossible de le faire valoir ou de le transférer indépendamment du titre ». La doctrine suisse (A. MEIER-HAYOZ et H. C. VON DER CRONE, Wertpapierrecht, 2e éd., Berne, Stängli Verlag, 2000, p. 3) en déduit que la notion de titre (Wertpapier) découle des effets juridiques de la titrisation : « Ist die Urkunde zur Übertragung und zur Geltendmachung des Rechts materiellrechtlich notwendig, so handelt es sich um ein Wertpapier. » 1322 LA CIRCULATION DES TITRES 39-7. Les titres sont des biens qui, en tant que tels, ont un propriétaire10. Par l’effet de l’incorporation d’un droit au titre, le propriétaire du titre devient en même temps le titulaire du droit incarné. Certains titres sont des meubles corporels11, d’autres sont des meubles incorporels12. 39-8. Chaque titre se caractérise par trois éléments constitutifs. a) Un instrumentum Il s’agit du support qui permet l’incarnation d’un droit. Traditionnellement, ce support était en papier13. Mais il peut aussi être purement scriptural14, voire électronique15. Le titre doit normalement se suffire à soi-même, c’est-à-dire contenir la description de tous les éléments du droit qu’il entend incorporer. Si cette affirmation est exacte pour les effets de commerce, on admet que les titres d’investissement, telles les actions ou les obligations, peuvent renvoyer à d’autres documents, tels les statuts ou les conditions de l’emprunt. b) Un droit Le principe de l’autonomie de la volonté privée combiné à celui de la liberté des formes en matière commerciale permet – sauf disposition contraire du législateur – l’incorporation de tous les droits dans un titre : droits de créance, droits réels, droits intellectuels. Il faut évidemment qu’au moment de l’incorporation, le droit ait été à la disposition du créateur du titre. L’incorporation dans un titre d’un droit d’autrui, sans le consentement de celui-ci, est nulle. 10 VAN RYN et HEENEN (op. cit., no 79, note 1) préfèrent le terme « titulaire ». La loi luxembourgeoise utilise cependant le terme « propriétaire » à plusieurs occasions : voy. l’article 40 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales ou l’article 7 (2) de la loi modifiée du 30 mars 1988 relative aux organismes de placement collectif. 11 Les titres au porteur sont des meubles corporels et soumis aux articles 528 et 2279 du Code civil (DE PAGE, op. cit., t. 5., nos 702 et 1040 ; RIPERT et ROBLOT, op. cit., no 1738. 12 Arg. article 529 du Code civil et DE PAGE, op. cit., t. 5, nos 707 et suiv. Les titres nominatifs et les titres dématérialisés pourront ainsi être qualifiés de meubles incorporels. 13 Voy. pour les actions au porteur, le manteau et les feuilles de coupons et, pour les actions nominatives, le registre des actionnaires. 14 Le support est scriptural lorsqu’il est fourni par une inscription en compte. À titre d’analogie, la « monnaie scripturale » est définie comme celle circulant par un simple jeu d’écritures (scripta). 15 Sur base de l’article 1322-2 du Code civil qui reconnaît la validité des actes sous seing privé électroniques. L’analogie avec la monnaie est de nouveau intéressante. L’article 12-10 de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier définit la « monnaie électronique » comme une « valeur monétaire représentant une créance sur l’émetteur, qui est : – stockée sur un support électronique [...] ». 1323 LA CIRCULATION DES TITRES c) Un émetteur L’émetteur est le créateur du titre, c’est celui qui incorpore un droit dans le titre. Cette création est un acte juridique unilatéral. Comme l’observent Ripert et Roblot, « le droit ne naît plus du contrat, mais d’une seule volonté créatrice. Il vaut par la confiance que l’on accorde au créateur du titre »16. Comme pour tout acte juridique, il faut une manifestation de volonté destinée à produire des effets juridiques. En matière de titres, l’effet voulu est l’incorporation d’un droit dans le titre et un engagement correspondant de l’émetteur vis-à-vis du propriétaire du titre17. Lorsqu’une personne crée un instrumentum dans le seul but de constituer la preuve ou de confirmer l’existence d’un droit, elle n’a pas émis un titre dans le sens défini ci-avant. Dans l’état actuel du droit luxembourgeois, le titre est donc un support (instrumentum) conférant à son propriétaire certains droits contre son émetteur. Mais le titre n’est pas seulement un « contenant » de droits subjectifs, il est aussi objet de droits subjectifs. Le titre est ainsi un bien, et son propriétaire exerce sur lui un droit réel, quelle que soit la nature du titre18. C. La classification des titres 39-9. Le droit commercial luxembourgeois étant d’inspiration belge, la théorie générale des titres négociables élaborée par Van Ryn et Heenen19 vaut certainement pour le Luxembourg. Van Ryn et Heenen classifient les titres d’abord suivant leur fonction économique : les effets de commerce20 sont des instruments de paiement ou de crédit, les titres concrets21 facilitent des opérations commerciales sur marchandises et les valeurs mobilières22 permettent de réaliser des placements ou investissements en capitaux. Seule cette dernière catégorie de titres fait l’objet de la présente étude. 16 RIPERT et ROBLOT, op. cit., no 1728-1729. En ce sens VAN RYN et HEENEN, op. cit., nos 79 in fine, 101 et 102. 18 Dans l’état actuel du droit luxembourgeois, il est indubitable que le titre est un bien sur lequel on exerce un droit réel. Malgré l’existence, en France, de titres exclusivement « dématérialisés » depuis 1984, la doctrine française classique continue de considérer le titre comme un bien (J.-P. BOUÈRE, Ph. DEROUIN, J.-M. DESACHE, A. DUHAMEL, E. MALINVAUD et H. DE VAUPLANE, Titres et emprunts obligataires, Banque Éditeur 1998, t. 1, nos 61 et suiv.). Voy. aussi, sur la même question, L. DABIN, « Le devenir des titres négociables. À propos d’une thèse d’agrégation récente : Wertpapierrecht als Schuldrecht ? », Mélanges J. Pardon, 1996, p. 174 et suiv. 19 VAN RYN et HEENEN, op. cit., nos 79 et suiv.. Voy., pour la situation en droit français, la thèse récente de F. NIZARD, Les titres négociables, Paris, Economica, 2003 et, pour une classification sommaire en droit luxembourgeois, D. ROUSSEAU, Des prêts commerciaux sur nantissement de valeurs mobilières, Imprimerie Schroell, Luxembourg, 1929, p. 3. 20 Il s’agit essentiellement du chèque, de la lettre de change et du billet à ordre. 21 Par exemple, le connaissement maritime et le warrant agricole. 22 Il s’agit essentiellement des actions et des obligations. 17 1324 LA CIRCULATION DES TITRES 39-10. Le deuxième critère de classification des titres imaginé par Van Ryn et Heenen est leur mode de transmission. D’après ce critère, particulièrement important dans le contexte de la circulation des titres, on distingue les titres au porteur qui se transmettent par tradition, les titres à ordre qui se transmettent par endossement et les titres nominatifs dont le transfert doit être transcrit sur le registre des propriétaires tenu par l’émetteur. À chaque mode de transmission correspond donc une catégorie de titres. Le règlement grand-ducal du 17 février 1971 concernant la circulation de valeurs mobilières23 a ajouté un quatrième mode de transmission qui est le virement du titre d’un compte à un au autre24. Il faut se demander si ce nouveau mode de transmission a créé une nouvelle catégorie de titres. La réponse semble négative dans la mesure où – d’après la loi – seuls les titres fongibles peuvent être virés de compte en compte. Or, la fongibilité n’est pas un caractère réservé aux titres, mais s’applique à tous les biens qui sont, d’après la doctrine25, soit fongibles soit non fongibles. D’un autre coté, il existe une forme récente de titres, appelés « dématérialisés »26, pour lesquels le virement de compte en compte est le seul mode de transmission concevable. 39-11. La résolution de cette antinomie consiste sans doute dans l’introduction d’un critère de classification supplémentaire des titres issu de leur support : les titres matérialisés sont ceux qui ont un support en papier alors que les titres dématérialisés ont un support autre qu’en papier, par exemple un support scriptural27. Ce dernier se définit comme une écriture (scriptum) dans un compte28. Il introduira forcément une troisième personne dans le jeu à côté de l’émetteur et du propriétaire du titre : celle du teneur de compte29. Le droit luxembourgeois reconnaît le concept du titre dématérialisé. L’article 1er de la loi du 1er août 2001 déclare que la loi en question s’applique aux titres et autres instruments financiers « qu’ils soient matérialisés ou dématérialisés ». Le concept a fait son apparition dans le règlement grand-ducal (abrogé) du 17 février 1971 lors de sa modification de 1994 en s’inspirant de la terminolo23 Ce règlement est abrogé et a été remplacé par la loi du 1er août 2001 concernant la circulation de titres et d’autres instruments fongibles (Mémorial A no 106 du 31 août 2001, p. 2180). 24 L’article 2(1) du règlement grand-ducal du 17 février 1971 dans sa dernière version modifiée est libellé comme suit : « Sont réputées fongibles les valeurs mobilières déposées auprès d’un dépositaire sans indication de numéros ou d’autres éléments d’identification individuels. Elles sont inscrites dans un compte et peuvent être virées d’un compte à un autre. » 25 J. HANSENNE, Les biens, Faculté de droit de Liège, 1996, no 11. 26 Pour ce concept et son introduction en droit français, voy. R. ROBLOT, « La dématérialisation des valeurs mobilières », A.N.S.A. ; no 185/1994, nos 1 et suiv. 27 Voy. supra, no 9. À côté d’un support scriptural, nous estimons qu’un support électronique serait concevable pour les titres. 28 Le compte est un tableau où sont inscrits des mouvements de valeurs en débit et en crédit. 29 Le teneur de comptes peut être débiteur du titulaire du compte ou détenteur de biens appartenant au titulaire. 1325 LA CIRCULATION DES TITRES gie utilisée en droit français30. Un exemple concret de titres dématérialisés existe en matière de fonds communs de placement : l’article 7 (1) de la loi modifiée du 30 mars 1988 relative aux organismes de placement collectif autorise la société de gestion à émettre, à côté des certificats nominatifs et des titres au porteur, « des confirmations écrites d’inscription des parts ou de fractions de parts sans limitations de fractionnement »31. On pourrait en conclure que le principe de l’autonomie de la volonté privée devrait permettre aux parties de créer, de façon générale, des titres dématérialisés, mais que, faute de réglementation légale, les droits et obligations en découlant devraient faire l’objet de conventions particulières32. D. Les titres et les instruments financiers 39-12. Le législateur luxembourgeois n’a pas fait preuve d’une grande rigueur terminologique en parlant des titres. Suivant qu’il est intervenu en droit civil, en droit commercial ou en droit administratif, il se réfère tantôt à la notion de « valeur mobilière »33, de « titre »34 ou d’« instrument financier »35. Historiquement, le terme « valeur mobilière » fut le plus utilisé. En matière de surveillance des marchés, donc de droit administratif, la valeur mobilière a longuement été assimilée à un titre négociable « susceptible de cotation en bourse »36. Cette définition impliquait l’émission de titres en série, chacun conférant à son propriétaire des droits identiques contre l’émetteur. La notion de « titre » est apparue lors de l’élaboration du règlement grand-ducal du 18 décembre 1981 (abrogé) afin de donner un champ d’application aussi large que possible aux règles concernant le nantissement, la 30 Règlement grand-ducal du 8 juin 1994 et Doc. parl. 3880, p. 4. Le texte est repris littéralement dans l’article 8 (1) de la loi du 20 décembre 2002 concernant les organismes de placement collectif (appelé « Loi UCITS III »). En ce sens, voy. Ph. DUPONT, « La dématérialisation des titres : défi juridique et réalité incontournable », Bull. Dr. et Banque, no 27/1998, p. 12 et suiv. 32 Notons toutefois que le droit belge a introduit la forme des actions et obligations dématérialisées par une loi du 13 avril 1995. Cette réforme est demeurée lettre morte à ce jour à défaut d’arrêté royal d’exécution désignant et réglementant le fonctionnement de l’organisme de liquidation à créer pour assurer l’inscription et la circulation de ces titres (M. VAN DER HAEGEN et A. FONTAINE, « Les dispositions de la loi du 2 août 2002 en matière de compensation et de liquidation d’opérations sur instruments financiers », Dr. banc. et fin., 2003/II-III, p. 74, note 20). 33 Voy. la loi du 1er juillet 1929 concernant le nantissement des valeurs mobilières (actuellement abrogée et remplacée par les articles 112 et suivants du Code de commerce). 34 Voy. la loi du 3 septembre 1996 concernant la dépossession involontaire de titres au porteur. 35 La loi du 1er août 2001 s’applique aux titres « et autres instruments financiers ». 36 Rapport du commissaire au contrôle des banques 1945-1975, p. 44 ; voy. aussi A. BIEL et J.N. SCHAUS, Opérations sur valeurs mobilières en droit luxembourgeois, I.U.I.L. Session d’études économiques luxembourgeoises 1977/78, et C. PEROT-REBOUL, « L’exécution forcée des instruments financiers », D., 2000, Chron., 354 et la note 4. 31 1326 LA CIRCULATION DES TITRES circulation et la perte de titres37. Le terme « instrument financier », utilisé essentiellement depuis le règlement grand-ducal du 8 juin 1994 (abrogé) comme complément par rapport aux titres38 a sans doute été introduit pour tenir compte de l’apparition de nouveaux produits financiers, tels les produits dérivés39. 39-13. La loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier utilise à la fois les termes « valeur mobilière » (annexe II, section B), « instrument financier » (article 28) et « titre » (article 28-2) de sorte qu’il faut conclure que dans l’état actuel de la législation, le terme de « titre » doit être considéré comme un concept générique qui inclut les instruments financiers40 et les valeurs mobilières. Dans la pratique financière luxembourgeoise, les titres comprennent donc tous les instruments juridiques habituellement négociés sur le marché des capitaux, le marché monétaire et le marché des produits dérivés pour autant que ces produits soient titrisés. E. La titrisation 39-14. Dans un sens général, la titrisation peut être définie comme l’incorporation d’un droit dans un titre. Tous les droits subjectifs sont a priori titrisables : les droits personnels ou de créance, les droits réels et les droits intellectuels, sauf disposition contraire de la loi41. De même, toute personne peut, a priori, incorporer un droit dans un titre pourvu qu’elle ait la libre disposition de ce droit et que la loi ne le lui interdise pas. Les émetteurs de titres ne sont pas liés par une typologie quelconque ; sauf disposition contraire de la loi, ils peuvent créer des titres de leur choix42. 37 Voy. la description très large de la notion de « titre » dans les Doc. parl. 2542, p. 3. On parle généralement des « titres et instruments financiers ». 39 Voy. art. 41 (1) de la loi modifiée du 30 mars 1988 relative aux organismes de placement collectif qui permet le recours aux techniques et « instruments qui ont pour objet des valeurs mobilières ». 40 Le terme « instrument financier » se base, tout comme le titre, sur la notion d’instrumentum. Voy., pour la question de la terminologie en droit belge, R. KAISER, La fiscalité belge des titres à revenu fixe, Bruxelles, Bruylant, 1999, nos 20-23. Pour une approche récente du législateur luxembourgeois, voy. Doc. parl. no 4695, p. 6, sub article 2. 41 En ce sens VAN RYN et HEENEN, op. cit., no 80. 42 Cette affirmation doit être nuancée. Tout d’abord, les effets de commerce et les titres concrets sont limitativement énumérés par la loi. Pour les valeurs mobilières, les parties ne sont pas libres de créer des titres là où une forme est prévue par la loi (par exemple les actions). Pour les titres incorporant des droits de créance, les parties sont libres, de même que pour les parts non représentatives du capital en matière de sociétés anonymes (article 37, alinéa 2, de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales). 38 1327 LA CIRCULATION DES TITRES 39-15. Dans un sens plus particulier, le droit luxembourgeois définit la titrisation comme « l’opération par laquelle un organisme de titrisation acquiert ou assume, directement ou par l’intermédiaire d’un autre organisme, les risques liés à des créances, à d’autres biens, ou à des engagements assumés par des tiers ou inhérents à tout ou partie des activités réalisées par des tiers en émettant des valeurs mobilières dont la valeur ou le rendement dépendent de ces risques »43. Cette définition s’intègre parfaitement dans le concept général de la titrisation décrit ci-avant dont elle n’est qu’une application. Elle n’empêche pas l’incorporation de droits dans des titres en dehors du cadre de la nouvelle loi. 39-16. Après la revue de ces différents concepts de base, la présente étude analysera, dans une première partie, les actes juridiques sous-jacents à la circulation des titres. Dans une deuxième partie, elle décrira les mécanismes de transfert effectif des titres en exécution des opérations juridiques conclues entre parties. PARTIE I Les opérations sur titres 39-17. La création et la distribution du titre dans un premier temps, la circulation du titre ensuite, se font sur base d’un certain nombre d’actes juridiques consacrés ou reconnus par notre droit. Il convient d’abord d’analyser, dans le cadre de cette étude, le mécanisme d’une émission de titres en droit luxembourgeois et, à travers lui, la « naissance » juridique du titre. Cet examen suppose le dépeçage du processus complexe que constitue l’émission et la qualification de ses différentes composantes par rapport aux concepts connus par notre droit. Une fois l’opération d’émission clôturée et le titre en existence, la circulation se fera sur base d’actes juridiques qui seront analysés dans le cadre de la deuxième sous-partie de ce premier chapitre. Cette première partie sera, dès lors, divisée en deux sous-parties, l’une traitant de l’opération d’émission (le marché primaire) et la deuxième traitant plus particulièrement des actes juridiques servant de base à la circulation des titres (le marché secondaire). 1. Le marché primaire – La « naissance » du titre 39-18. L’utilisation du terme « marché primaire » situe tout naturellement l’étude de l’opération d’émission du titre dans le contexte des marchés de 43 Article 1er du projet de loi relative à la titrisation, Doc. parl. *, p. 5 1328 LA CIRCULATION DES TITRES capitaux internationaux. En effet, ce terme d’origine anglo-saxonne désigne généralement dans le jargon financier le marché des titres nouvellement émis, ainsi que les modalités de placement de ces titres. Les émissions d’actions et d’obligations (mais aussi d’autres titres) ont historiquement eu une importance certaine pour la place financière luxembourgeoise44. Sans qu’existe un important marché primaire à proprement parler luxembourgeois45, il y a néanmoins un certain nombre de critères qui ramènent des émissions de titres dans la sphère du droit luxembourgeois : – de nombreuses émissions, de toutes sortes de titres, sont cotées en Bourse de Luxembourg. La cotation entraîne l’application d’un certain nombre de textes luxembourgeois, tels que le règlement d’ordre intérieur46 (« ROI ») de la Bourse de Luxembourg (notamment pour les conditions d’admission à la cote), ainsi que le règlement grand-ducal du 28 décembre 1990 relatif aux conditions d’établissement, de contrôle et de diffusion des prospectus publiés en cas d’offre publique ou d’admission à la cote officielle de valeurs mobilières47, de même que, dans une certaine mesure, l’application de diverses dispositions de notre loi sur les sociétés commerciales concernant également les sociétés étrangères ; – l’utilisation, souvent pour des raisons fiscales, de special purpose vehicles (« SPV ») luxembourgeois pour procéder à l’émission de titres. Dans la plupart des cas, ces titres feront également l’objet d’une cotation en Bourse de Luxembourg. L’utilisation d’une société luxembourgeoise pour procéder à l’émission des titres augmente bien entendu encore l’importance du droit luxembourgeois dans de telles émissions. Les émetteurs seront, dans ces cas, assujettis à toutes les dispositions légales s’appliquant aux sociétés commerciales luxembourgeoises et aux titres émis par ces sociétés, ainsi qu’à tous les autres textes s’appliquant aux personnes juridiques luxembourgeoises. Il est à noter cependant que l’émetteur luxembourgeois pourra déroger aux dispositions des articles 86 à 94-8 de la loi du 10 août 191548 à condition de soumettre son emprunt obligataire à un droit étranger. 44 A. ELVINGER, Le régime juridique et fiscal des émissions d’actions et d’obligations au Luxembourg, dont les émissions de titres de sociétés en Europe et aux États-Unis, Presses Universitaires de Bruxelles, 1970. 45 Au sens que des entreprises locales fassent appel au marché des capitaux, par l’émission de titres de capital ou de dette, pour financer leur activité. 46 Adopté par règlement ministériel du 25 octobre 1996, tel que modifié à plusieurs reprises ; voy. le texte coordonné paru au Mémorial A, no 133 du 8 novembre 2001. 47 Ce texte ayant transposé les directives européennes en matière de prospectus d’offres et de cotations. 48 Qui organise la représentation de la masse des obligataires ainsi que les procédures de délibération. 1329 LA CIRCULATION DES TITRES 39-19. Si l’incidence du droit luxembourgeois est dès lors certaine dans de nombreux cas, elle ne doit cependant pas être surestimée. En effet, le droit applicable au contrat d’émission et aux titres sera le plus souvent un droit autre que luxembourgeois (dans la plupart des cas, la loi anglaise ou la loi de l’État de New York) et le contrat ne sera de ce fait analysé quant à sa conformité avec le droit luxembourgeois qu’à travers le filtre de l’ordre public international qui pourrait faire obstacle à son exécution au Luxembourg49. Les questions que soulève parfois la documentation relative aux émissions de titres en droit luxembourgeois seront brièvement discutées ci-dessous dans le contexte de l’analyse de la documentation juridique. La situation est, bien sûr, entièrement différente en matière d’émissions d’actions par une société luxembourgeoise, qui sont nécessairement et entièrement soumises au droit luxembourgeois. Il est à remarquer que les opérations d’émissions de titres seront traitées ici de manière générale et sans égard, sauf où cela est spécialement relevé, au type de titre en question. Il est évident qu’il existe des différences importantes entre les différents types de valeurs mobilières (par exemple les actions, titres de dette de toute nature, warrants, titres hybrides, tels que des obligations convertibles en actions, titres structurés couplés à des contrats dérivés ou s’appuyant sur un avoir sous-jacent). Cependant, il apparaît que la plupart des émissions suivent une trame assez similaire et présentent, dès lors, un certain nombre de points communs qui pourront être analysés isolément. A. Les intervenants 1. L’émetteur 39-20. Ne seront traités ici que les émetteurs spécifiquement luxembourgeois rencontrés dans l’émission de titres. En ce qui concerne les émetteurs étrangers, qu’il s’agisse de personnes juridiques de droit privé ou d’émetteurs souverains ou supranationaux, il est à remarquer seulement qu’il n’existe aucun obstacle de principe à la cotation des titres de telles entités en Bourse de Luxembourg ou à leur offre publique au Luxembourg, à condition toutefois de respecter les règles imposées à tout émetteur par les textes applicables. 39-21. Il est à n observer à cet égard que la Commission de surveillance du secteur financier (« CSSF ») n’admet la cotation en Bourse de Luxembourg des titres de fonds d’investissement étrangers ne relevant pas d’un État membre de l’Union européenne qu’à condition que ces fonds fassent l’objet d’une surveillance jugée 49 C’est-à-dire en réalité par rapport à l’effet atténué, au niveau de l’exequatur, de l’ordre public international. 1330 LA CIRCULATION DES TITRES satisfaisante dans leur État d’origine50. Lorsque la CSSF et la Bourse sont satisfaits du degré de surveillance exercé sur les fonds d’investissement d’un pays donné, les organismes en question pourront bénéficier pour les titres en question d’une reconnaissance du prospectus préparé dans leur État d’origine. a. Les special purpose vehicles 39-22. Un nombre important d’émissions obligataires est effectué par le biais de special purpose vehicles, ou « SPV », de droit luxembourgeois. Ces SPVs prennent le plus souvent la forme d’une société anonyme51 capitalisée à hauteur de 125 000 euro, qui n’a d’autre activité, dans la plupart des cas, que de procéder à l’émission de titres de dette et d’utiliser le résultat de l’émission dans le cadre de financements intragroupe. Contrairement à ce qui prévalait dans les premières émissions d’euro-obligations dans les années soixante, où les sociétés luxembourgeoises utilisées à cette fin étaient presque exclusivement des sociétés holding52, les SPV émetteurs d’obligations actuels sont avant tout des SOPARFIs53 pleinement imposables. Ceci semble lié à l’importance du jeu des conventions contre la double imposition existant entre le Luxembourg et l’État du bénéficiaire du financement avancé par le SPV. Les titres émis par ces SPV sont de différents types, bien que les obligations représentent la majorité des émissions. Les obligations émises par ces véhicules recouvrent une vaste palette, pouvant aller de simples titres de dette à intérêt fixe ou flottant, garantis par la société mère de l’émetteur, à des titres complexes et structurés adossés à des avoirs sous-jacents ou à des contrats dérivés54 ou encore des obligations convertibles ou échangeables. Les SPV luxembourgeois sont aussi parfois utilisés dans le cadre d’opérations de titrisation. Il est impératif, dans ces structures, que le capital de la société ne soit pas détenu, directement ou indirectement, par le bénéficiaire de la titrisation55, alors que cela soumettrait celui-ci à l’obligation de comptabiliser les avoirs titrisés. 50 Par analogie à l’article 70 de la loi de 1988 sur les organismes de placement collectif, qui conditionne l’offre de parts de fonds d’investissement d’un OPC étranger à une surveillance suffisante de l’organisme. L’application de ce texte à la cotation semble justifiée par le fait que la cotation en bourse augmente la proximité du titre avec le public luxembourgeois et donc également son accessibilité. 51 Les autres formes de sociétés luxembourgeoises étant peu adaptées à ce genre d’activité : les s.à r.l. notamment sont incapables, de par la loi du 10 août 1915, de procéder à des émissions d’obligations publiques. 52 A. ELVINGER, op. cit., p. 304. 53 Des sociétés pleinement imposables qui se distinguent par leur objet social, qui consiste dans la détention de participations dans d’autres sociétés et d’activités accessoires, telles que des financements. Ces sociétés peuvent également, et contrairement aux holdings, avoir une activité commerciale. Voy. L. SCHUMMER, J.-M. UEBERECKEN, « Holding de 1929 vs Soparfis », Codex, 15 novembre 1999, no 3, pp.18-27. 54 Collateralised ou asset-backed bonds, credit-linked notes et autres instruments structurés. 55 En d’autres mots, il s’agira de sociétés « orphelines ». 1331 LA CIRCULATION DES TITRES b. L’émetteur fiduciaire 39-23. Les émissions de titres fiduciaires par des établissements de crédit luxembourgeois ont également connu un succès certain sur la place luxembourgeoise56. La flexibilité de l’instrument du contrat fiduciaire et le cadre juridique créé par le règlement grand-ducal du 19 juillet 198357 pour ces opérations ont conduit à une utilisation fréquente de la fiducie luxembourgeoise pour des émissions obligataires58, mais aussi des émissions d’actions59 et des émissions hybrides représentant différents avoirs sous-jacents. Les émissions de titres fiduciaires s’apparentent à maints égards à des titrisations ou à des repackagings. En effet, dans toutes ces structures, le fiduciaire émet des titres qui donnent droit à l’investisseur de percevoir les paiements et d’exercer les droit relatifs à un prorata des avoirs fiduciaires initialement acquis par la banque fiduciaire avec le paiement initial des investisseurs, sans pour autant que l’investisseur ne dispose à aucun moment d’un recours direct contre le débiteur du fiduciaire60. Les relations entre l’investisseur et le fiduciaire sont contractuelles et sont déterminées par les termes et conditions des titres fiduciaires. Il est évidemment dans la nature de l’institution que le recours de l’investisseur fiduciant soit strictement limité aux avoirs fiduciaires et que le fiduciaire n’encoure aucune responsabilité propre, autre que pour faute lourde, en rapport avec ces avoirs. De même, le fiduciaire, à la manière d’un trustee, veillera à éviter tout pouvoir de décision discrétionnaire en rapport avec les notes ou les avoirs fiduciaires qui pourront engager sa responsabilité. L’une des caractéristiques du contrat fiduciaire étant la ségrégation des avoirs fiduciaires dans le patrimoine du fiduciaire, y compris en cas de liquidation, l’investisseur ne subit aucun risque de crédit à l’égard du fiduciaire61. 56 Voy. M.-P. GILLEN, « Les contrats fiduciaires des établissements de crédit : quelques cas particuliers d’application pratique et difficultés rencontrées », Droit bancaire et financier au Grand-Duché de Luxembourg, ALJB, Larcier, 1994, pp. 1123 et s. 57 Pour une étude détaillée de l’origine de l’institution et des caractéristiques juridiques du contrat fiduciaire, voy. P. HOSS « Le contrat fiduciaire des établissements de crédit », in Droit bancaire et financier au Grand-Duché de Luxembourg, op. cit., vol. II, pp. 1077 et s. Le contrat fiduciaire fait l’objet, au moment où ces lignes sont rédigées, d’un projet de réforme par le projet de loi 4721. Ce projet fait l’objet d’une étude détaillée de P. HOSS et P. SANTER, également publiée au présent ouvrage, auquel le lecteur voudra bien se reporter. 58 Dans ce cas, le fiduciaire prend le rôle d’établissement prêteur, chaque obligation fiduciaire représentant une partie de la créance à l’égard de l’emprunteur final. 59 On pense notamment aux Fiduciary Deposit Receipts (FDRs) représentant les actions de la Société européenne des satellites (SES). 60 Si ce n’est par le biais d’une action oblique (art. 1166 C. civ.). 61 Ce qui explique l’absence d’informations sur le fiduciaire dans les prospectus d’offre et de cotation d’instruments fiduciaires – les autorités boursières et de surveillance du marché financier acceptent cette pratique malgré le fait que le fiduciaire soit techniquement l’émetteur des titres offerts/cotés. Ceci est moins évident lorsque des autorités étrangères sont appelées à approuver la documentation. 1332 LA CIRCULATION DES TITRES Du côté du fiduciaire, les avoirs et le passif fiduciaire figurent au hors bilan et n’influencent en aucune manière le ratio de solvabilité des banques, ce qui neutralise totalement ces opérations sur le plan du coût du capital réglementaire. Toutes ces caractéristiques font du contrat fiduciaire un instrument de titrisation particulièrement intéressant62, dont la reconnaissance internationale devrait encore s’accroître avec l’adoption de la loi du 27 juillet 200363 portant ratification de la convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et la reconnaissance des trusts, qui consacre la qualification du contrat fiduciaire en tant qu’institution apparentée au trust. c. Les émetteurs « classiques » 39-24. À côté des émetteurs abordés ci-dessus existent encore ce qu’on peut qualifier d’émetteurs « classiques », c’est-à-dire des sociétés luxembourgeoises ayant une activité commerciale quelconque et procédant à des émissions d’actions ou d’obligations pour leurs besoins de financement. Cette catégorie comprend notamment les établissements de crédit qui procèdent à des émissions d’actions et d’obligations, parfois subordonnées64, que ce soit dans le cadre d’émissions isolées ou sous des programmes d’émission, ainsi que les fonds d’investissement luxembourgeois, qui sont autant d’émetteurs de titres continuels. 2. Les banques et le syndicat de placement 39-25. La raison d’être du syndicat bancaire tient dans la division des risques au niveau des banques et la division de la charge de replacement des titres dans le public. L’intervention d’un syndicat bancaire offre la garantie de l’efficacité des émissions de valeurs mobilières notamment parce qu’à travers le syndicat, l’émetteur pourra lever des fonds qui seraient trop importants pour certaines banques agissant individuellement tout en garantissant un déroulement efficace de l’opération. Le syndicat des banques est emmené par un ou plusieurs chefs de file, responsables du déroulement des opérations, qui « dirigent l’émission de bout en bout et qui prennent la responsabilité initiale d’accepter l’entrée d’un client nouveau dans le cercle fermé des émissions »65. 62 Sauf pour les émissions nécessitant que l’émetteur soit un résident luxembourgeois imposable en tant que « bénéficiaire effectif » sur les revenus perçus (p. ex. intérêts) en rapport avec les avoirs sous-jacents, afin de bénéficier du jeu des traités de double imposition – le fiduciaire, qui n’est pas imposé en rapport avec les avoirs fiduciaires, n’est pas considéré comme le bénéficiaire effectif de tels paiements. V. J. SCHAFFNER, Droit fiscal international, Promoculture, Luxembourg, 1999, p. 480. 63 Projet de loi 4721. 64 Sur ce sujet, voir S. JACOBY, M. MEHLEN, « Les clauses de subordination et de recours limité en droit luxembourgeois », cet ouvrage. 65 Ch.-A. MICHALET, « Le marché des euro obligations : un marché financier transnational », in Les euro-obligations, Litec, Paris, 1972, p. 12. 1333 LA CIRCULATION DES TITRES Le rôle du chef de file dans le contexte d’une émission « luxembourgeoise » ne présente aucune particularité par rapport à la pratique internationale. Ce rôle se situe avant tout aux quatre niveaux suivants : – préalablement au lancement, la prise de décision de soutenir et de diriger l’opération ; – la détermination, ensemble avec l’émetteur, des conditions d’émission et des modalités de l’opération, et l’établissement des documents nécessaires, notamment le prospectus d’émission et les contrats y relatifs66 ; – la mise en place et le suivi du déroulement de l’opération lancée (closing) ; – le suivi des opérations de replacement, notamment le contrôle des prix auxquels les membres du syndicat bancaire replacent des titres auprès des investisseurs et éventuellement stabilisation par achat ou vente du prix des valeurs mobilières concernées. À chacune de ces fonctions se rattache une responsabilité civile, quasi-délictuelle à l’égard des personnes auxquelles le chef de file n’est lié par aucun contrat67, contractuelle à l’égard des autres membres du syndicat. La responsabilité en matière de due diligence sera traitée plus loin, mais l’étude des autres bases de responsabilité du banquier en relation avec cette activité déborderait du cadre de la présente étude68. Le lecteur intéressé se rapportera encore à l’abondante jurisprudence française relative à la qualification juridique du syndicat bancaire de placement des titres69. 66 En vertu des recommandations de l’IPMA (International Primary Market Association) qui s’appliquent dans les relations entre chef de file et banques membres, chaque membre du syndicat recevra au moins deux jours ouvrables avant la date de la signature du contrat une copie du dernier projet du prospectus ainsi qu’une copie du projet des contrats, tous définitifs, lui permettant ainsi de revoir la documentation et de décider d’envoyer sa procuration au chef de file. 67 Essentiellement les investisseurs. 68 On se référera à cet égard utilement aux articles et ouvrages suivants : H. CABRILLAC, « La responsabilité civile des banques dans le placement et l’émission de titres à propos des obligations en francs-or ou à options de change », Rev. trim. dr. civ, 1931, pp. 313 et s. ; G. RAVARANI, « La responsabilité civile des personnes privées et publiques », Pas. lux., 2000, p.281 et s. ; Encycl. Dalloz, Rép. comm., v° Valeurs mobilières, nos 167 et s. 69 Par analogie avec le concept voisin du pool bancaire : voy. p.ex. Cass. com., 27 mars 2001, D., 2001, Jurispr., p. 1534, obs. V. AVENA-ROBARDET ; Versailles, 6 juin 1996, D., 1998, Jurispr., p. 83, note E. BERGOIN ; Paris, 21 novembre 1990, D., 1991, I.R., note M. VASSEUR au D., 1991, somm. comm., p. 36 ; Y. ZEIN, Ch. LARROUMET, Les pools bancaires : aspects juridiques, Economica, 1998 ; la qualification retenue le plus fréquemment semble être celle de société en participation (art. 1871 C. civ.). La qualification a un impact sur la représentation des autres membres du syndicat, notamment dans une action en justice (voy. Versailles, 6 juin 1996, précité) et aussi sur l’appréciation des relations entre membres du syndicat, d’une part, et entre le syndicat et l’émetteur, d’autre part. Différents types de syndicats existent, la distinction principale étant entre syndicats de prise ferme et syndicats de souscription (Encycl. Dalloz, précitée, nos 169 et s.). 1334 LA CIRCULATION DES TITRES 3. Les agents 39-26. L’agent payeur, comme son nom l’indique, est responsable de la distribution des paiements dus par l’émetteur aux détenteurs des titres70. Les modalités de sa mission sont décrites dans un contrat de services financiers et d’agent payeur71. En cas de cotation des titres en Bourse de Luxembourg, l’émetteur devra en outre mandater un agent de cotation (listing agent) qui se chargera de l’introduction de la demande de cotation auprès de la Bourse de Luxembourg, de l’instruction du dossier (lien entre la bourse et l’émetteur en ce qui concerne la transmission des commentaires sur le prospectus, négociation des commentaires) et, une fois la cotation obtenue, assistera l’émetteur dans la préparation des notices d’information devant être publiées du fait de la cotation, ainsi que dans la transmission de documents et d’informations à la bourse. Lorsque les montants payables sur les titres doivent être déterminés à chaque date de paiement par application d’une formule préétablie dans les conditions de l’émission, il est fréquent que l’émetteur mandate également un agent de calcul. Dans les cas où il y a identité entre l’agent de calcul et l’émetteur72, on a pu se demander si cela n’aboutissait pas à assortir l’émission d’une condition purement potestative, alors que les montants que va devoir payer l’émetteur aux détenteurs des titres dépendent entièrement de son calcul. Du fait de la définition très précise des modalités de calcul dans les conditions de l’émission, et, partant, de la limitation du pouvoir discrétionnaire de l’émetteur agent de calcul, on arrive cependant, dans la quasi-totalité des cas, à la conclusion que cette double capacité ne résulte pas dans une condition purement potestative73 . 70 À noter que le ROI de la Bourse de Luxembourg exige la désignation d’un agent payeur luxembourgeois dans toute émission cotée. Dans les émissions de titres dématérialisés (book-entry), de plus en plus fréquentes, où les paiements sont faits directement par l’émetteur à un agent payeur central qui en assure la distribution aux systèmes de clearing pour compte de leurs participants, la bourse accepte qu’un agent intermédiaire soit désigné au Luxembourg, auprès duquel les investisseurs pourront obtenir toutes informations et documentations utiles. L’émetteur sera néanmoins tenu de s’engager, en cas d’émission de titres physiques, à pourvoir à la nomination d’un agent payeur. 71 Fiscal agency agreement. 72 Notamment lorsque l’émetteur est une banque qui assume elle-même la fonction d’agent de calcul. 73 Le pouvoir que peut exercer l’agent de calcul se limite dans la plupart des cas à des aspects tels que le choix des banques pour la fourniture des taux de référence. La doctrine et la jurisprudence retiennent qu’il n’y a pas condition purement potestative dans les cas où la condition dépend en fait de critères objectifs prédéterminés. 1335 LA CIRCULATION DES TITRES B. Les opérations préalables à l’émission du titre 1. La due diligence 39-27. Le rôle et la nécessité de procéder à une due diligence ont été mis en lumière dans le cadre d’une affaire récente de défaillance d’un émetteur d’euroobligations74 placées en Belgique et au Luxembourg. Certains petits porteurs belges des titres subordonnés en défaut Confederation Life avaient obtenu une indemnisation de leur préjudice sur base de l’erreur pour certains, et pour défaut des banques chefs de file de les informer de manière satisfaisante lors de la vente des titres pour d’autres75. D’autres porteurs lésés, qui n’avaient pas acquis leurs titres auprès de l’un des deux lead managers, se basaient sur le défaut de due diligence indépendante, qui constituait d’après eux une faute délictuelle dans le cadre de l’article 1382 du Code civil, pour obtenir réparation. Il s’avérait que les chefs de file de cette émission d’euro-obligations subordonnées n’avaient effectivement pas procédé à leur propre due diligence, mais s’étaient fiés aux vérifications effectuées par des tiers, et notamment les agences de rating, qui attestaient toutes à l’émetteur une forte capacité de remboursement au moment de l’émission. La cour d’appel de Bruxelles constate en premier lieu, reprenant la solution des premiers juges, que : « [...] si les banques décident d’associer leur nom à une émission d’euro-obligations, les investisseurs peuvent en déduire ou pourraient en déduire que les banques concernées ne l’ont pas fait à la légère, et que les banques, chefs de file, doivent dès lors s’assurer de la fiabilité des informations communiquées par l’émetteur quant à sa situation financière lors de la phase préparatoire de l’émission. Elles engagent leur responsabilité, si elles acceptent d’être les chefs de file d’un emprunt, alors qu’elles ne peuvent ignorer que le débiteur, compte tenu de sa situation financière, sera probablement dans l’incapacité de rembourser. » 74 L’affaire Confederation Life, qui a donné lieu à des volets judiciaires en Belgique et au Luxembourg. On se rapportera, pour les détails de l’espèce, aux publications suivantes : concernant l’affaire belge : Comm. Bruxelles, 26 mars 1997, Bull. droit et banque, no 27, note J-P BUYLE, p. 55 et s. ; Bruxelles, 8 mars 2002 (dans la même affaire), Dr. banc. et fin., 2002, p. 134 ; à propos de cette affaire, l’étude de F. DE BAUW, M. DUPLAT, « Émission d’euro-obligations et devoir de due diligence du banquier chef de file. Observations à propos de l’arrêt Confederation Life », Dr. banc. et fin., 2003/II-III ; concernant l’affaire luxembourgeoise : Comm. Luxembourg, 12 décembre 1997, Bull. droit et banque, 27, p. 68. 75 Dans le cadre de l’affaire devant les juridictions belges, citées ci-dessus. Les mêmes griefs furent rejetés par le tribunal de commerce luxembourgeois dans le cadre des demandes dirigées contre un membre du syndicat luxembourgeois. 1336 LA CIRCULATION DES TITRES Cependant, la cour ajoute immédiatement que : « Aucune disposition légale ou réglementaire belge n’impose aux banques de procéder à une due diligence. [...] il n’y a pas non plus d’usage en la matière, au sens de source de droit belge. [...] En conséquence, l’intermédiaire financier pourra se fier aux données comptables vérifiées et certifiées par le réviseur, à moins qu’il n’ait connaissance du caractère inexact ou incomplet de ces données ou qu’en tant que professionnel, il n’ait dû remarquer l’existence de fautes ou de lacunes. » La cour appuie cette position en se référant à plusieurs sources, dont une Guidance Note de l’IPMA et une communication de l’Institut monétaire luxembourgeois à la banque UCL de 1996 dans laquelle l’IML constate que « la pratique sur place consiste en ce que le lead manager, qui doit fournir aux investisseurs potentiels une information aussi complète que possible sur l’émetteur, n’ajoute pas sa propre analyse à celle réalisée par les agences de notation quant à la solvabilité de l’émetteur ». Si la question n’a pas été toisée par le tribunal de commerce de Luxembourg, on peut gager cependant qu’on en serait arrivé à la même conclusion. Au Luxembourg comme en Belgique, il n’existe aucun texte de loi ou réglementation qui oblige un chef de file à effectuer une due diligence avant de décider s’il doit accorder son crédit et son nom à l’émission. On notera cependant la prise de position des commentateurs de l’arrêt Confederation Life du 8 mars 2002 qui, après une analyse des recommandations récentes de certains organismes internationaux76 et sur base de la pratique internationale des affaires qui aurait évolué sur ce point depuis 1993, date de l’émission Confederation Life, concluent à l’émergence d’un « usage international tendant à la réalisation d’une due diligence préalable à l’émission d’euroobligations »77. À vrai dire, comme le constatent d’ailleurs également les auteurs précités, la nécessité d’effectuer une due diligence se déterminera d’un cas à l’autre en fonction de la qualité de l’émetteur ou des caractéristiques des titres émis. Il est ainsi admis depuis longtemps que les émissions d’actions ou de titres convertibles fassent l’objet, dans la quasi-totalité des cas, d’une due diligence préalable. À cet égard, et au vu du caractère similaire au vu de la subordination de la créance, on pourrait s’attendre à un traitement analogue dans le cas d’emprunts subordonnés. De même, lorsque l’émetteur ou le garant présente un profil de risque important78 et/ou est issu d’un pays émergent ou actif dans un secteur économique à développement incertain, il est quasiment certain que le chef de file procédera à une due diligence préalable. 76 Dont l’OICV et le CESR. F. DE BAUW, M. DUPLAT, art.précité, nos 15 et 22. 78 Tout émetteur noté en-dessous de investment grade dans la classification des agences de notation. 77 1337 LA CIRCULATION DES TITRES La décision d’effectuer une due diligence ne manquera pas, dans ce contexte, d’être influencée par le caractère défensif de l’exercice79 : au vu de l’obligation d’information et de vérification80 (de moyens) du chef de file, sa situation sera plus favorable en cas de mise en cause de sa responsabilité s’il pourra démontrer qu’il a procédé à des vérifications raisonnables81. De plus, dans les émissions à haut risque, la due diligence permettra de déceler les points qui devront être communiqués spécialement aux investisseurs potentiels sous forme de risk warnings. 2. La documentation juridique 39-28. La documentation juridique des émissions de titres luxembourgeoises suit largement la pratique sur les marchés de capitaux internationaux et ne présente dès lors pas d’intérêt particulier. Les documents rencontrés dans la quasi-totalité des émissions sont les suivants : – prospectus d’offre ou de cotation, qui devra être conforme aux prescriptions du règlement grand-ducal du 28 décembre 1990 pour l’instrument en question ; – contrat de prise ferme ou de souscription ; – contrats d’agence de services financiers (fiscal and paying agency agreement) et, le cas échéant, contrat d’agent de calcul ; – trust deed, si l’émission est représentée par un trustee. Au vu de la reconnaissance limitée du trust en l’état actuel du droit luxembourgeois82, il est admis que des titres émis par une société luxembourgeoise peuvent valable- 79 DE BAUW, DUPLAT, nos 13, 16. « Les banques chefs de file ne peuvent se contenter de répercuter auprès de la clientèle des investisseurs les informations communiquées par l’émetteur quant à sa solvabilité, sans procéder à une vérification de ces informations », Bruxelles, 8 mars 2002, précité. Il doit en aller de même des autres informations communiquées par l’émetteur dans le prospectus. Ainsi, bien que l’émetteur assume la responsabilité primaire pour les informations fournies dans le prospectus, il appartient au chef de file de s’assurer de ce que ces informations soient correctes. Aussi, toute responsabilité pour défaut d’information dans le prospectus s’appréciera vraisemblablement au vu du critère retenu à l’article 8 du règlement grand-ducal du 28 décembre 1990 : « Le prospectus doit contenir les informations qui, au vu des caractéristiques de l’émetteur et des titres à émettre, sont nécessaires afin que les investisseurs et leurs conseils soient en mesure de procéder à une évaluation raisonnable des avoirs, de la situation financière, des résultats et des perspectives de l’émetteur ainsi que des droits attachés aux titres. » 81 « Il [le chef de file] échappe à toute poursuite si le prospectus qu’il a répandu ne renferme aucune énonciation inexacte ou téméraire sur les garanties offertes et la valeur des titres, ou si lui-même a été abusé par l’émetteur » (Civ. Seine, 5 avril 1932, S., 32, 2. 223) cité in Encycl. Dalloz, Rép. comm., op. cit., no 185. 82 P. RECKINGER, « Vers la reconnaissance du trust dans la jurisprudence luxembourgeoise », Bull. droit et banque, 1999, no 29, p. 61-68 ; P. KINSCH, « L’impossibilité de constituer un trust au Luxembourg et la reconnaissance d’un trust constitué à l’étranger » note sous Luxembourg, 22 mai 1996, Bull. droit et banque, no 26, p. 47. 80 1338 LA CIRCULATION DES TITRES ment être représentés par un trustee établi dans un État reconnaissant cette institution, sans qu’il soit possible qu’un établissement de crédit luxembourgeois assume ce rôle ; – notice légale établie conformément aux articles 33 (dans le cas des actions) et 80 (dans le cas des obligations) de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales. Une telle notice est requise dans tous les cas lors d’émissions publiques et/ou de cotations au Luxembourg d’obligations ou d’actions par des sociétés commerciales luxembourgeoises ou étrangères. Parce que la ratio legis de l’institution réside dans l’information du public du lieu où sont offerts les titres83, il faut admettre que les émissions de sociétés luxembourgeoises placées ou cotées à l’étranger échappent à la formalité. 39-29. Une question qui se pose en rapport avec la documentation est de savoir lequel de ces documents donnera juridiquement naissance aux titres. La réponse à cette question dépend évidemment du type de titre concerné : – en ce qui concerne les actions d’une société luxembourgeoise, celles-ci seront émises, conformément aux règles du droit des sociétés de droit commun, par l’acte de souscription de l’augmentation de capital et leur émission ne nécessitera, dès lors, aucune documentation particulière. En cas d’émission d’obligations convertibles, et en fonction des modalités d’exercice de la faculté de conversion, l’émetteur veillera à disposer, au moment de l’émission des obligations, d’un capital autorisé suffisant pour pouvoir satisfaire à la totalité des demandes de conversion ; – en cas d’émission par une société luxembourgeoise de titres de dette régis par le droit luxembourgeois, les titres seront créés en vertu du contrat de souscription. Dans la mesure où l’obligation représente une fraction de l’emprunt total, l’obligation ne viendra à exister qu’à partir de la remise à l’émetteur du paiement du montant de l’émission. Lorsque les obligations sont soumises à un droit étranger, la question de la naissance du titre relèvera du droit applicable à l’émission. Il en sera notamment ainsi dans les cas où les obligations sont créées sous un trust deed ou un indenture ; – dans le cadre des émissions fiduciaires, les titres seront émis lors de la remise des avoirs fiduciaires par les fiduciants au fiduciaire, c’est-à-dire par le paiement du montant de l’émission. Une question intéressante qui se pose dans ce contexte est de savoir si chaque titre fiduciaire constitue un contrat fiduciaire isolé ou si, au contraire, tous les titres fiduciaires forment collectivement le contrat fiduciaire entre l’émetteur fiduciaire et les détenteurs des titres. La réponse à cette question n’est pas dénuée de conséquences pratiques. En effet, le fait de considérer chaque titre fiduciaire comme un 83 Ch. RESTEAU, Traité des sociétés anonymes, t. 1, no 528 ; l’obligation du dépôt de la notice incombe d’ailleurs au vendeur des titres, qui peut être différent de l’émetteur. 1339 LA CIRCULATION DES TITRES contrat isolé rendra irréalisable toute modification des termes de l’émission, alors qu’il faudra obtenir pour procéder au changement en question l’assentiment de chaque détenteur, sauf à admettre que la modification ne liera que les détenteurs qui y auront consenti, les autres restant soumis aux conditions antérieures. Au vu des difficultés administratives insurmontables générées par une telle solution, il est permis de penser au contraire qu’il faut, par analogie aux émissions d’obligations, considérer que les titres fiduciaires forment ensemble un contrat fiduciaire unique, qui pourra être modifié selon les modalités de quorum et de majorité déterminées aux termes et conditions des titres. 39-30. Si le droit luxembourgeois n’a souvent qu’une incidence minime dans le cadre des émissions de titres, celles-ci étant, surtout en ce qui concerne les titres de dette, souvent soumises à un droit étranger, il n’en reste pas moins que ces émissions soulèvent fréquemment des questions de compatibilité avec des dispositions relevant, ou dont on se demandera si elles relèvent de l’ordre public luxembourgeois. Comme la confrontation des dispositions contractuelles en question avec les règles impératives concernées ne se fera, par hypothèse, qu’au stade de la reconnaissance au Luxembourg de la décision rendue par le juge étranger, il s’agit, dans la plupart des cas, de déterminer si l’ordre public international luxembourgeois, dans son effet atténué, serait heurté. On mentionnera à ce titre deux questions rencontrées fréquemment : – l’anatocisme : certaines émissions obligataires prévoient la capitalisation des intérêts, en cas de défaut de paiement à l’échéance, selon des modalités différentes de celles prévues à l’article 1154 du Code civil84. Une telle capitalisation des intérêts est-elle contraire à l’ordre public international luxembourgeois, auquel cas le juge luxembourgeois pourrait faire barrage à son application au niveau de l’exequatur ? Une étude récente a fait le tour de la question85 et l’auteur en arrive à la conclusion que si l’anatocisme relève assurément de l’ordre public interne, son but premier est la protection du débiteur, considération qui ne trouve pas sa place parmi les principes visés par la notion d’ordre public international. Un arrêt de la Cour de cassation française a d’ailleurs expressément retenu la solution que « la notion d’ordre public ne peut faire échec à l’application à un contrat international d’une loi étrangère autorisant expressément la capitalisation des intérêts, serait-ce dans des conditions différentes de celles de l’article 1154 du Code civil »86 ; 84 « Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière. » 85 D. BOONE « L’anatocisme face à l’ordre public (interne et international) », Bull. droit et banque, no 32, p. 5 et s. 86 Cass. com., 20 octobre 1953, S., 1954, I, p. 12, note LESCOT. 1340 LA CIRCULATION DES TITRES – prohibition des engagements perpétuels : les émissions de titres dits « perpétuels », c’est-à-dire sans fixation d’échéance dans les termes de l’emprunt, sont admissibles à condition de prévoir une faculté de résiliation pour chacune des parties. Faute d’une telle possibilité, le titre risquerait d’être considéré comme un engagement perpétuel prohibé par notre droit87. 3. Les autorisations préalables des organes compétents de l’émetteur 39-31. L’émission d’obligations ou d’actions devra bien évidemment être approuvée par l’organe compétent de l’émetteur. Lorsqu’il s’agira d’une émission d’obligations, et lorsque l’émetteur sera une société anonyme luxembourgeoise, le conseil d’administration approuvera l’émission et la documentation y afférente. Dans le cas d’une émission d’actions, la décision relèvera au contraire de l’assemblée générale des actionnaires, à moins que l’émission n’intervienne dans le cadre du capital autorisé de la société. Ces autorisations constituent, dans la pratique des marchés des capitaux internationaux, des conditions préalables à l’émission des titres. C. L’émission des titres 39-32. Une fois les opérations préalables à l’émission complétées, l’émission pourra être « clôturée ». C’est à ce moment que l’émetteur se verra remettre les fonds de l’émission et qu’il procédera, en contrepartie, à l’émission des titres. L’émission sera le plus souvent représentée par un titre global (global note), délivré à un dépositaire commun qui le détiendra pour compte des deux systèmes de clearing internationaux, Clearstream et Euroclear. Techniquement, Clearstream et Euroclear seront crédités chacun d’une portion de l’émission totale, au prorata des participants qui détiendront des titres par l’intermédiaire de l’un ou de l’autre de ces systèmes. Les clearings, à leur tour, créditeront leurs participants et ceux-ci délivreront les titres aux investisseurs ayant souscrit à l’émission, ou encore aux banques pour compte de leurs clients. Le rôle du dépositaire commun sera, par la suite, de maintenir à jour les positions respectives des deux clearings dans le montant global de l’émission. Le certificat global représentant une émission d’obligations par une société luxembourgeoise devra par ailleurs comporter toutes les mentions imposées par l’article 84 de la loi du 10 août 1915, qu’il s’agisse de titres au porteur ou de titres nominatifs, le texte de la loi ne faisant pas de distinction à cet égard. 87 D. BOONE « La durée maximale des contrats en droit privé face à l’évolution du droit des obligations », Bull. Cercle Laurent, 2000, no IV, p. 60 et s. 1341 LA CIRCULATION DES TITRES Lorsque les titres sont au porteur, la société veillera par ailleurs à les faire exécuter conformément aux prescriptions de l’article 84, alinéas 2 et 3, de la loi sur les sociétés commerciales. Il est à noter que les titres physiques (definitive notes) sont de plus en plus rares aujourd’hui. Certains emprunts en prévoient encore l’émission dans des circonstances exceptionnelles (telles qu’en cas de fermeture pendant une période prolongée des systèmes de clearing), mais la plupart des titres sont aujourd’hui entièrement dématérialisés88 et représentés uniquement par des inscriptions en compte (book-entry) . D. Les modalités de placement des titres : offre publique et placement privé 39-33. Il n’existe aucun texte en droit luxembourgeois qui définisse les critères d’une offre publique par opposition à un placement privé. La loi n’en règle que les modalités et les conditions, et ceci d’ailleurs de manière peu satisfaisante. L’article 1er du règlement grand-ducal du 28 décembre 1990 dispose que « quiconque se propose de procéder à une offre publique de valeurs mobilières ou de faire admettre à la cote officielle de la Bourse de Luxembourg des valeurs mobilières doit en aviser la Société de la Bourse de Luxembourg au moins quinze jours à l’avance en introduisant un dossier [...] pour l’instruction du prospectus d’offre publique ou l’admission à la cote officielle ». L’alinéa final de cet article prévoit que la CSSF doit être informée de chaque avis. Les articles suivants donnent à la CSSF le pouvoir d’émettre une interdiction temporaire de procéder à l’offre publique lorsqu’elle estime que celle-ci induit en erreur les investisseurs89, respectivement d’interdire la cotation aux instances de la bourse90. Le dispositif du règlement suppose nécessairement que la demande soit traitée et instruite dans un délai de quinze jours précédant la date voulue d’effet de la cotation ou de l’offre publique. Ainsi, à condition que le dossier soumis à la bourse soit conforme aux exigences de l’annexe I du règlement et que l’émetteur réponde à toutes les demandes de correction justifiées du document d’offre ou de cotation formulées par la bourse pour obtenir le visa, et sauf objection de la part de la CSSF dans ce délai pour l’une des raisons énoncées par le règlement, la cotation ou l’offre publique devrait être approuvée et pouvoir prendre effet dans ce délai91. Ceci suppose à tout le moins que la première 88 Pour une étude de la nature juridique des titres fongibles, voy. Y. PRUSSEN, « Le régime des titres et instruments fongibles », cet ouvrage ; A. REYGROBELLET, « Le droit de propriété du titulaire d’instruments financiers dématérialisés », Rev. trim. dr. comm.,1999, p. 306 et s. 89 Article 2. 90 Article 3. 91 Sauf à vouloir priver d’effet la disposition claire de l’article 1 : « Quiconque se propose de procéder à une offre publique [...] doit en aviser la [...] Bourse en introduisant un dossier [...] ». Aucune référence n’est faite ici à une condition d’approbation de l’offre ou de la cotation. 1342 LA CIRCULATION DES TITRES relecture du prospectus d’offre ou de cotation soit achevée dans le délai imparti, ce qui est rarement le cas en pratique. L’offre publique ou la cotation ne suppose, aux termes de ces textes, qu’un simple avis, la bourse ou la CSSF ne pouvant s’opposer au projet d’offre ou de cotation que dans les cas limités prévus par le règlement. Ce mécanisme semble clairement contredit par une autre disposition, contenue, elle, dans la loi du 28 décembre 1998 relative à la surveillance des marchés d’actifs financiers. L’article 3 de ce texte, après avoir rappelé la compétence de la CSSF pour viser les prospectus d’offre publique et de la Bourse de Luxembourg pour les valeurs mobilières faisant l’objet d’une cotation ou d’une offre publique suivie d’une cotation, dit à son alinéa 3 que « toute décision concernant une offre publique ou une demande d’admission à la cote officielle est notifiée à l’émetteur dans les six mois suivant la réception de cette demande ou, si la bourse ou la Commission requiert dans ce délai des renseignements complémentaires, dans les six mois suivant la réception de ces renseignements. Il est en tout cas statué dans les douze mois de la réception de la demande ». L’alinéa suivant ajoute que l’absence de décision dans ce délai vaut rejet de la demande. Ces dispositions sont évidemment incompatibles avec celles du règlement grand-ducal de 1990, aussi bien en ce qui concerne le mécanisme d’approbation92 que pour ce qui est des délais applicables. Le texte de 1998 étant postérieur dans le temps et supérieur dans la hiérarchie des normes, il faut considérer qu’il rend inopérantes les dispositions conflictuelles du règlement. La conséquence de cette situation est une grande insécurité juridique et une incapacité des praticiens, en l’absence de toute obligation claire à charge des autorités à cet égard, à renseigner les émetteurs qui désirent procéder à une offre publique ou à une cotation de leurs titres au Luxembourg sur les délais applicables. Il est de mauvaise politique législative de laisser subsister des textes qui sont de toute évidence devenus obsolètes (le dispositif du règlement grand-ducal) et qui, de plus, contredisent des textes plus récents93 et on pourrait souhaiter une intervention du législateur pour remédier à cette situation. 39-34. Pour en revenir aux critères de l’offre publique, ceux-ci font l’objet au Luxembourg depuis plusieurs années, et avec certaines variations, d’une sorte d’accord parmi les praticiens, qui s’apparente à un usage de place. 92 Simple avis préalable dans le cadre du règlement contre exigence de décision dans la loi de 1998. Qui sont, eux aussi, très loin d’être satisfaisants. Les délais prévus dans la loi de 1998 pour les décisions concernant des demandes de cotation ou d’offres publiques (de six à douze mois) sont, au vu des impératifs de rapidité des marchés de capitaux, beaucoup trop longs et leur application rigoureuse ne manquerait pas de détourner de nombreux émetteurs vers d’autres places boursières. 93 1343 LA CIRCULATION DES TITRES On estime en effet qu’il y a offre publique lorsque deux séries de conditions sont vérifiées : – en premier lieu, l’offre doit être faite par des moyens publics, tels que des annonces dans des journaux luxembourgeois ou diffusés au Luxembourg, ou tous autres médias diffusés au Luxembourg (radio, télévision), par des réunions publiques organisées au Luxembourg (road shows), ou encore par des mailings à un nombre important et indistinct de destinataires. Les publications dans des médias étrangers qui sont distribués ou accessibles au Luxembourg ne sont en règle générale pas considérées comme constitutives d’offres publiques, à moins que la publication en question contienne des informations pertinentes pour le public luxembourgeois (par exemple en matière de fiscalité) ou indique un lieu au Luxembourg où une demande de souscription peut être déposée. En ce qui concerne les offres de valeurs mobilières conduites par Internet, il faut, à notre sens, se référer à certains indices pour décider si l’offre doit être considérée comme publique ou privée. Il s’agit notamment de la langue utilisée sur le site94, la présence d’avertissements que les résidents luxembourgeois ne sont pas autorisés à accéder au site ou l’existence de mécanismes interdisant l’accès par des Luxembourgeois et la référence à certains éléments pertinents pour des résidents luxembourgeois95 ; – la deuxième condition concerne le type de personnes sollicitées dans le cadre de l’offre. Si l’émetteur ou le placeur se bornent à n’inviter que des « investisseurs institutionnels »96 , l’offre sera considérée comme un placement privé. Si des particuliers (retail clients) sont visés, on veillera à n’approcher que des clients existants de l’émetteur ou du placeur en observant certaines précautions concernant le mode de distribution de la documentation (de préférence sous pli fermé). Le nombre des personnes approchées est à cet égard sans pertinence, seul compte le type d’investisseurs visés. Un montant d’investissement minimal élevé constituera également un argument en faveur d’une qualification comme placement privé. L’obligation de solliciter une autorisation préalable de l’offre publique de valeurs mobilières au Luxembourg s’explique évidemment par le souci de pro- 94 Une langue utilisée au Luxembourg faisant pencher la balance vers l’offre publique. Tels que le traitement fiscal applicable aux résidents luxembourgeois, un lieu de souscription et tous autres éléments rattachant l’opération au Luxembourg. 96 Il n’existe pas de définition en droit luxembourgeois de l’« investisseur institutionnel », mais on estime généralement qu’il s’agit des entités figurant dans la liste reproduite notamment à l’article 1 de la loi du 1er août 2001 relative au transfert de propriété à titre de garantie, à savoir les établissements de crédit, les autres PSF, les OPC, les sociétés de gestion de fonds communs de placement, les fonds de pension, les entreprises d’assurances ou de réassurance, les établissements commerciaux ou industriels bénéficiant d’un accès professionnel au marché financier ou encore les organismes nationaux ou internationaux à caractère public opérant dans le secteur financier. 95 1344 LA CIRCULATION DES TITRES tection de l’épargne publique. L’émetteur doit préparer un prospectus qui correspond aux exigences de contenu de l’annexe applicable du règlement grand-ducal du 28 décembre 1990. Ce prospectus devra comprendre toutes les informations nécessaires à une bonne information du public. 39-35. Comme préalablement relevé, la lecture et le contrôle du document d’offre sont effectués dans les faits par les services de la Bourse de Luxembourg sur base d’une délégation de la CSSF. La bourse est d’ailleurs compétente aux termes de la loi du 28 décembre 1998 sur la surveillance des marchés financiers pour approuver les offres publiques de valeurs mobilières qui feront par la suite l’objet d’une cotation en bourse. Il est permis de s’interroger sur le caractère approprié de cette délégation à la bourse en matière de contrôle des prospectus d’offre publique. En effet, la bourse est une société privée qui, certes sur base d’une concession publique mais néanmoins à des fins commerciales, organise et exploite une bourse de valeurs mobilières. Il est compréhensible que la bourse reçoive compétence pour vérifier la conformité des prospectus de cotation de titres qui seront inscrits à sa cote par rapport aux exigences réglementaires luxembourgeoises dérivées des directives européennes en la matière. L’appréciation d’une offre publique devrait cependant se faire dans une autre optique, à savoir dans un souci accru de protection de l’épargne publique. En effet, et bien que les exigences de contenu pour les documents d’offre soient largement identiques à celles des prospectus de cotation, la lecture d’un document peut être différente selon que l’organisme en charge de cette tâche a pour mission la sauvegarde des intérêts des épargnants ou est, au contraire, une société commerciale. En dépit des avantages évidents liés à la solution existante, ne serait-ce qu’au niveau pratique, il apparaît que l’impératif de la protection des investisseurs luxembourgeois exigerait une redéfinition des rôles respectifs de la bourse et de l’autorité de surveillance à cet égard. 2. Le marché secondaire – La circulation juridique du titre 39-36. Une fois les titres émis et placés débutera le véritable cycle de la circulation sur le marché secondaire, où les titres seront négociés, transférés pour servir de garantie à des engagements divers du détenteur, prêtés, échangés ou mis en pension. Avant d’analyser ces principales opérations sur titres en droit luxembourgeois, il s’agira de s’attarder brièvement sur un aspect particulier de la circulation des titres qui n’a pas encore été analysé du point de vue du droit luxembourgeois. 1345 LA CIRCULATION DES TITRES A. La stabilisation des cours 39-37. La stabilisation peut se définir comme « le procédé par lequel le prix d’une valeur mobilière est bloqué ou fixé dans le but précis de prévenir ou retarder une baisse de celui-ci en prévision d’une offre publique de titres ou pendant la durée de celle-ci »97. Contrairement à ce qui prévaut dans d’autres pays98, les textes luxembourgeois sont silencieux sur tout ce qui concerne la régulation des cours des titres dans le cadre du marché primaire ou dans les phases initiales du marché secondaire. Concernant les valeurs cotées en Bourse de Luxembourg, le ROI prévoit seulement que le conseil d’administration de la bourse peut suspendre la cotation lorsque le bon fonctionnement du marché n’est pas assuré temporairement ou risque de ne pas l’être ou lorsque la protection des investisseurs l’exige99. En cas de fonctionnement anormal d’un marché, pour cause de spéculation excessive par exemple, on pourrait s’imaginer que ce texte servirait de base à une suspension. Pour le reste, la stabilisation sera limitée seulement par la prohibition des manipulations de cours en ce qui concerne les titres de sociétés luxembourgeoises100 ainsi que par la limitation des rachats d’actions propres101. Cette situation sera probablement amenée à changer avec la transposition de la récente directive sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché)102. Une technique de stabilisation souvent utilisée consiste dans l’intervention du chef de file dans le cadre d’émissions initialement sursouscrites, ce qui 97 L. JOSS, J. SELIGMAN, cités par H. DE VAUPLANE ; J.-P- BORNET, « Droit des marchés financiers », 3e éd., 2001, Litec, no 1059-1. 98 Pour la Belgique, voy. G. NEJMAN, « Aspects juridiques de la régulation de cours », Rev. Banque, 4/1999, p. 123 et s. ; en France, si la stabilisation est également un concept qui n’est pas consacré par la réglementation, la loi régit néanmoins la régularisation des cours : H. DE VAUPLANE ; J.-P. BORNET, « Droit des marchés financiers », 3e éd., 2001, Litec, nos 899 et 1059 et s. 99 ROI, chapitre VI, art. 16. 100 Article 165 de la loi sur les sociétés commerciales : « Sont punis d’un emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de [4 958] euros à [123 950] euros ceux qui, par des moyens frauduleux quelconques auront opéré ou tenté d’opérer la hausse ou la baisse du prix des actions, des obligations ou des autres titres de sociétés. » 101 Article 49-2 de la loi sur les sociétés commerciales. On notera cependant, dans ce contexte, que sont exceptées de la limitation les « actions [...] acquises par des banques et d’autres établissements financiers en vertu d’un contrat de commission d’achat » (article 49-3 de la loi). 102 Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003, J.O.C.E., L 96/16 du 12 avril 2003 ; L’article 8 de la directive prévoit expressément que l’interdiction des manipulations de marché ne s’applique pas aux « mesures de stabilisation d’un instrument financier », sous réserve que l’opération de stabilisation ait lieu dans le cadre des modalités fixées par la Commission en vertu de la décision 1999/468/CE du Conseil du 28 juin 1999 ; voy. aussi H. BOLINA, « Market manipulation and insider dealing in the new market abuse directive (2003/6/EC) », Euredia, 2001-2002/4, p. 555 et s. 1346 LA CIRCULATION DES TITRES provoque dans un premier temps une hausse importante du cours puis, sous l’effet de cessions de nature spéculative profitant de cette hausse, d’une baisse du titre en deçà de ce qui serait son cours normal103. L’absence de régulation sur cette technique soulève seulement le problème de la durée de cette intervention et de ce qui va se produire après l’intervention stabilisatrice. Au cas où le cours se stabilisera à un niveau proche de celui provoqué par la stabilisation, personne ne sera lésé et l’intervention ne pourra encourir aucun reproche, alors qu’elle était clairement correctrice d’une situation anormale. Si, par contre, le cours se remettra à baisser de manière importante, et restera par la suite à ce niveau, à l’issue de la stabilisation, se poseront des questions de traitement égalitaire des investisseurs ayant souscrit dans le cadre du marché primaire ou encore pendant la phase de stabilisation. Ceci suppose, bien sûr, que le chef de file soit intervenu sur base d’un mandat avec l’émetteur. B. Les principales opérations sur titres 1. Cessions de titres 39-38. La détermination de la nature juridique des titres dématérialisés a un effet direct sur la qualification du contrat sur base duquel la cession se fera : si le titre est considéré comme un droit personnel, la cession devra suffire aux conditions de la cession de créance, alors que les règles gouvernant la vente auront vocation à s’appliquer si l’on considère le titre comme un droit réel incorporé au titre104. En ce qui concerne les cessions de titres physiques, cette question ne se posera pas et les conditions de la vente seront donc toujours d’application105. Quelle que soit sa qualification, l’opération, du moins si elle est soumise au droit luxembourgeois, devra remplir les conditions de formation communes à tous les contrats, telles qu’énumérées à l’article 1108 du Code civil : il faut un consentement entier et non vicié, un objet déterminé et une cause pour que la cession soit valable. Le défaut de l’un de ces éléments essentiels du contrat affectera même une opération ayant les apparences de la régularité et ayant fait l’objet d’une inscription en compte106 conformément aux textes régissant la dématérialisation et la circulation des valeurs mobilières prévues par le droit national. 103 Voy. G. NEJMAN, art. précité, p. 123. On pouvait observer ce phénomène dans le cadre de l’émission des Fiduciary Deposit Receipts de S.E.S. 104 Sur cette question de la qualification : Y. PRUSSEN, art. précité ; H. DE VAUPLANE « Le transfert de propriété des titres dématérialisés », Cahiers AEDBF, Bruylant, 2002, p. 145 et s. et les nombreuses références citées dans ces articles. 105 Encycl. Dalloz Civ., v° Vente : à savoir essentiellement l’existence d’un prix déterminé ou déterminable et d’une chose (article 1583 C. civ.). 106 Encycl. Dalloz Soc., v° Valeurs mobilières, no 186 et la jurisprudence citée. 1347 LA CIRCULATION DES TITRES Les titres dématérialisés, et bien que la loi sur la circulation des titres ne le prévoie pas expressément, devront nécessairement faire l’objet d’une inscription en compte pour être valablement cédés, ce qui constitue un aménagement de la règle de principe selon laquelle le transfert de propriété se réalise au moment de la conclusion du contrat de vente. Du point de vue du droit boursier, il est à remarquer encore que les opérations d’achat et de vente sur titres cotés ou négociés sur un marché réglementé107 peuvent être effectuées en bourse, mais également sur le marché de gré à gré, au choix des parties. Le Luxembourg n’a en effet pas transposé l’obligation de concentration prévue optionnellement dans la directive services d’investissement. Par contre, les achats ou ventes d’actions de sociétés luxembourgeoises cotées sur une ou plusieurs bourses européennes et amenant la participation d’un investisseur dans cette société au-delà ou en deçà de certains seuils, devront être déclarés à la société et à l’autorité de surveillance108. 2. Le dépôt 39-39. Les dépôts de titres (ou custody) sont régis en premier lieu par le droit commun constitué par les articles 1915 et suivants du Code civil109. Le législateur a en outre prévu un régime particulier pour les dépôts de valeurs mobilières fongibles dans le cadre de la loi du 1er août 2001 concernant la circulation de titres et d’autres instruments fongibles. Cette loi, qui sera étudiée plus en détail dans la deuxième partie de cette étude, prévoit le mode de circulation110 des titres remis en dépôt auprès d’un « dépositaire »111, la comptabilisation des titres déposés112 ainsi que l’étendue des droits des déposants en rapport avec les titres déposés113. 107 Au sens de l’article 14,3 de la directive dite « services d’investissement » 93/22/CEE du Conseil du 10 mai 1993. 108 Loi du 4 décembre 1992 sur les informations à publier lors de l’acquisition et de la cession d’une participation importante dans une société cotée en bourse : la sanction prévue par la loi consiste dans une suspension des droits de vote en rapport avec les titres faisant l’objet de la cession ou acquisition. La loi luxembourgeoise n’attache cependant à un tel franchissement de seuil, contrairement à d’autres législations, aucune obligation de lancement d’une offre publique d’acquisition ou de maintien de cours. 109 Ce qui est d’ailleurs rappelé par l’article 11 de la loi du 1er août 2001. 110 Art. 3 de la loi : par virement d’un compte à l’autre. 111 Article 2 de la loi : peuvent agir comme dépositaires au sens de la loi les établissements de crédit, les entreprises d’investissement autorisées à recevoir des dépôts et les dépositaires professionnels de titres, qu’ils soient agréés au Luxembourg ou autorisés à y opérer en libre prestation de services ou par le biais d’une succursale. 112 Article 4 de la loi : les avoirs déposés doivent être comptabilisés séparément de son patrimoine et hors bilan. On notera la similitude avec le traitement comptable des avoirs fiduciaires. 113 Section 4 de la loi traitant des « droits des déposants ». 1348 LA CIRCULATION DES TITRES On relèvera seulement, à ce stade, deux dispositions protectrices des droits des déposants de titres en compte auprès d’un dépositaire : – l’article 7 de la loi du 1er août 2001 dispose que le déposant pourra, en cas de faillite ou autre procédure d’insolvabilité commencée à l’égard du dépositaire, revendiquer ses titres conformément à l’article 567 du Code de commerce, sur l’ensemble des titres de même nature déposés chez le dépositaire ou auprès de sous-dépositaires pour son compte. Rappelons que l’article 567 du Code de commerce, dans sa nouvelle rédaction résultant de la loi du 31 mars 2000, prévoit entre autres que les avoirs consignés au failli, notamment au titre d’un dépôt, peuvent être revendiqués, à condition que les avoirs en question se retrouvent en nature au moment de l’ouverture de la procédure. En l’espèce donc, le déposant pourra récupérer son titre si celui-ci se retrouve chez le dépositaire. Ce droit sera cependant limité en cas d’insuffisance des titres à assurer l’intégralité des restitutions dues. Il sera, dans cette hypothèse, procédé à un partage au prorata des droits des différents déposants. Si le dépositaire dispose dans son patrimoine propre de titres de même nature, ceux-ci se rajouteront aux titres distribuables, ce qui améliore bien évidemment la situation des déposants ; – le droit du déposant est, aux termes de l’article 6, alinéa 2, de la loi, un « droit réel, de nature incorporelle [...] » sur les titres déposés, et le déposant « ne peut faire valoir ce droit qu’à l’égard de son dépositaire ». L’article 12 de la loi prévoit, quant à lui, que si le dépositaire peut donner des titres en dépôt auprès d’autres dépositaires, au Luxembourg ou à l’étranger, il devra les tenir séparés de ses propres titres et instruments financiers auprès de ces autres dépositaires. Cependant, dans le prolongement de la disposition de l’article 6, alinéa 2, l’article 12, dernière phrase, confirme qu’un tel sous-dépôt ne remet pas en cause la situation des titres, qui continuent d’être chez le dépositaire, ni l’application de la loi. Cette solution, qui fut déjà consacrée par le règlement grand-ducal du 17 février 1971, est considérée comme l’inspiratrice de l’approche qui sous-tend la convention de La Haye du 13 décembre 2002114, dite convention « PRIMA ». 3. Le nantissement de titres a. La législation luxembourgeoise en matière de nantissement de titres 39-40. Les opérations de nantissement de valeurs mobilières d’émetteurs luxembourgeois sont très courantes sur la place financière luxembourgeoise, et ce aussi bien dans le cadre de financements locaux qu’internationaux. Sur base de la règle de conflit de lois de la lex loci rei sitae, les dispositions luxembourgeoises en matière de gage trouveront application en rapport avec 114 Voy. infra, no 39-42 et s. 1349 LA CIRCULATION DES TITRES des avoirs situés ou réputés situés sur le territoire luxembourgeois. Les difficultés soulevées par ce principe lorsqu’on tente de l’appliquer, dans un contexte international, à des titres dématérialisés inscrits en compte seront examinées plus loin. En matière de valeurs mobilières, on retiendra pour l’heure que la situation de ces avoirs sera censée être au Luxembourg lorsque le compte auquel les titres sont crédités est ouvert auprès d’un établissement luxembourgeois, ou lorsqu’on est en présence de titres nominatifs d’une société luxembourgeoise115 ou encore, lorsque l’avoir consistera dans un titre physique, si ce titre sera physiquement détenu au Luxembourg. La loi luxembourgeoise déterminera de manière impérative les modalités de constitution, l’étendue des droits conférés par le gage et les modes de réalisation de tels avoirs. Le siège de la matière se trouve, pour les gages civils, aux articles 2071 à 2083 du Code civil et, pour les gages commerciaux, aux articles 110 à 119 du Code de commerce. Les gages sur titres étant réputés commerciaux par la loi116, ce seront les règles du Code de commerce117 qui trouveront application dans tous les cas. En matière de gage sur titres et autres instruments financiers, on tiendra encore compte des dispositions de l’article 9 de la loi du 1er août 2001 concernant la circulation de titres et d’autres instruments fongibles118. Cet article, qui prévoit des modes de constitution alternatifs pour les gages sur titres et instruments financiers et qui assouplit le mode de réalisation de ce type de gage sous certaines conditions119, contient en outre une disposition qui présume la propriété des titres donnés en gage dans le chef du constituant. D’après la règle en question, la validité du gage ne sera pas affectée par l’absence de droit de propriété du constituant sur les titres remis en gage, sauf si le bénéficiaire en a été averti au préalable et par écrit120. Si la règle renforce considérablement la sécurité juridique du gage au profit du créancier gagiste, elle fait évidemment supporter au véritable propriétaire le risque de la perte de ses titres en cas de réalisation d’un gage octroyé par le dépositaire des titres en question. Le seul recours du propriétaire sera alors d’engager la responsabilité du dépositaire. L’efficacité de 115 Le registre des actionnaires (article 39 de la loi de 1915) ou obligataires (article 84 de la loi de 1915) doit être tenu au siège de la société. 116 Article 112 Code de commerce. 117 Et, en cas de gage sur des valeurs mobilières fongibles inscrites en compte, les dispositions relevantes de la loi du 1er août 2001 sur la circulation des titres. 118 Qui a repris en cette matière les dispositions du règlement grand-ducal du 17 février 1971, tel que modifié. 119 Voy. infra. 120 Article 9, al. 2, de la loi concernant la circulation des titres. Il s’agit d’une disposition qui avait été introduite dans le règlement grand-ducal de 1971 par un règlement grand-ducal modificatif du 8 juin 1994. 1350 LA CIRCULATION DES TITRES cette disposition a été reconnue notamment par un récent arrêt de la cour d’appel d’Anvers121. Les textes régissant les gages commerciaux laissent une assez grande liberté en ce qui concerne l’aménagement des droits relatifs aux titres pendant la période d’effet du gage. L’exercice de la perception des intérêts ou dividendes est entièrement laissé à la discrétion des parties au gage. Les modes de constitution du gage, s’ils sont relativement simples, n’en sont pas moins d’ordre public et doivent, dès lors, être observés sous peine de nullité du gage. La dépossession se réalisera selon différents modes en fonction de la nature du titre : pour les titres physiques, la dépossession se fera par le transfert à titre de garantie du titre au créancier gagiste ou à un tiers convenu entre parties122, alors que pour les titres dématérialisés, la dépossession sera réalisée soit par notification à l’établissement teneur de compte ou l’acceptation par celui-ci123, qui devra alors enregistrer le gage, soit encore par inscription des titres, sans spécification de numéro, à un compte spécial ouvert auprès d’un dépositaire au nom du débiteur gagiste ou d’une personne à convenir agissant soit comme créancier gagiste, soit comme tiers détenteur124. La méthode de réalisation d’un gage sur valeurs mobilières dépendra également du type de titre concerné, bien que les critères de distinction soient ici différents de ceux prévalant en matière de constitution. Selon que l’on est en présence d’un titre négocié ou coté sur un marché réglementé ou non, ou que l’on appartient à une certaine catégorie de bénéficiaires, l’application des règles luxembourgeoises actuelles autorisera une réalisation plus ou moins efficace et rapide. Le gage commercial sur titres qui ne sont ni cotés ni négociés sur un marché réglementé ne pourra être réalisé que moyennant attribution judiciaire ou selon une procédure de vente aux enchères réglementée dans le cadre du ROI de la Bourse de Luxembourg125. Au vu de la fréquence assez faible de ces enchères publiques, et en considération de la relative incertitude du résultat, il s’agit d’un mode de réalisation lent et affecté d’une certaine lourdeur, qui le rend peu adapté aux impératifs de rapidité et de flexibilité sur les marchés de capitaux. La réalisation sera plus simple lorsque les titres gagés seront cotés ou négociés sur un marché réglementé. Le créancier gagiste pourra dans ces cas, après mise 121 Anvers, 7 novembre 2002, non publié à notre connaissance : la décision retient en outre l’absence de toute obligation de vérification de l’étendue des droit du gagiste par le créancier gagiste. L’arrêt laisse seulement entendre que la disposition pourrait ne pas jouer en cas de connaissance par le créancier gagiste de l’absence de titre de propriété dans le chef du gagiste, ce qui affaiblit la protection prévue par le texte, qui ne lève la validité du gage que dans le seul cas d’un avertissement écrit, mais qui est conforme au principe fraus omnia corrumpit. 122 Article 114 (3) (b) Code de commerce. 123 Article 114 (4) Code de commerce. 124 Article 9 de la loi concernant la circulation des titres. 125 Article 118 Code de commerce ; ROI, chapitre VIII, art.16 et s. 1351 LA CIRCULATION DES TITRES en demeure préalable mais sans autre formalité, réaliser le gage en faisant vendre les valeurs mobilières à la bourse ou au marché concerné ou en s’appropriant les valeurs en question, la vente ou l’appropriation devant se faire au prix en cours. La même possibilité existera, même sans exigence de mise en demeure, lorsque le gage portera sur des titres fongibles donnés en gage par certains types de professionnels126. 39-41. L’efficacité du gage commercial est renforcée dans la législation luxembourgeoise par la reconnaissance du principe selon lequel l’ouverture de différentes procédures d’insolvabilité ou de liquidation127 à l’égard du débiteur gagiste ne suspend pas la réalisation du gage. Ceci constitue une exception au principe de suspension de l’exécution de voies de poursuites individuelles à l’égard du failli après le commencement de la procédure d’insolvabilité. Cette règle de droit interne luxembourgeois trouve son reflet, dans une certaine mesure, dans le règlement européen en matière de faillites et dans la directive concernant les contrats de garantie financière128. b. Les difficultés, en droit international privé, liées au rattachement des titres dématérialisés à une loi nationale et la solution apportée par la convention « PRIMA »129 39-42. L’efficacité des gages sur titres dématérialisés détenus par le biais de systèmes de clearing internationaux est principalement affectée par deux types d’incertitudes130 : – il existe, d’une part, une incertitude quant à la loi applicable à la constitution de la sûreté, ce qui est dû à la coexistence de différentes règles de conflits 126 Article 9, 3e al., loi concernant la circulation des titres : il s’agit des établissements de crédit et des autres institutions que l’on considère comme des professionnels su secteur financier ou des investisseurs institutionnels. 127 Article 119 (2) Code de commerce. Le texte ne mentionne que la faillite, la liquidation, l’état de sursis ou le décès du gagiste, ce qui a soulevé la question de l’exclusion du bénéfice de cette disposition de la gestion contrôlée, qui entraîne également un sursis d’exécution à l’égard de la personne placée sous contrôle. L’analyse détaillée de cette question dépasserait le propos de cet article, mais nous estimons que différents arguments plaident en faveur de l’inclusion de la gestion contrôlée dans le champ d’application de cette disposition. 128 Article 5, règlement Faillites ; directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière, J.O.C.E. L 168/43 du 27 juin 2002 ; voy. sur ce sujet les actes de la conférence AEDBF-Europe du 12 février 2003 consacrée à cette directive, avec notamment les contributions du professeur F. T’KINT, « La directive 2002/47/CE et les principes généraux du droit des sûretés » et de P. DUPONT « L’incidence de la directive 2002/47/CE sur le droit luxembourgeois et considérations de droit international privé ». 129 Convention de La Haye du 13 décembre 2002 sur la loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire. 130 R. POTOK, « Cross-border collateralisation – Legal risk and the Hague Convention », Conférence AEDBF à Canach, Luxembourg, du 26 octobre 2001. 1352 LA CIRCULATION DES TITRES de lois en la matière, dont celle de la lex rei sitae. Dans une situation présentant des éléments d’extranéité, on peut, dès lors, aboutir à la désignation de plusieurs lois différentes en fonction de la règle de conflits de lois qu’on applique. En rapport avec les titres dématérialisés, le rattachement à la lex rei sitae est malaisé du fait de la pertinence potentielle de plusieurs registres ou comptes situés chacun dans un État différent. Un titre pourra simultanément être inscrit dans le registre des actionnaires de l’émetteur, situé dans l’État du siège social, être représenté par un certificat global détenu par un dépositaire commun, situé dans le coffre-fort de celui-ci dans un État X, être crédité à un compte d’un système de clearing établi dans l’État Y, et être représenté par une inscription en compte au profit du détenteur final auprès de sa banque (participante auprès du clearing) dans un autre État Z. Le rattachement par la règle de la lex rei sitae appliquée aux titres dématérialisés est donc en tout état de cause artificiel et aboutit à des résultats peu satisfaisants. De plus, l’application de cette règle de conflits est rendue plus difficile encore par la constatation qu’un compte, qui est le support des titres dématérialisés, n’a pas d’existence physique et ne peut dès lors pas être localisé ni rattaché à un lieu donné131 ; – mais, même à supposer que l’on puisse s’entendre sur un critère de rattachement, celui-ci pourrait rendre la constitution en gage impraticable : on pensera à la mise en gage d’un portefeuille comprenant une multitude de titres d’émetteurs de nationalités différentes. En fonction du critère de rattachement appliqué (par exemple, loi de l’émetteur), il faudra appliquer une multitude de lois différentes pour obtenir un gage efficace, ce qui rendra la sûreté impraticable parce que trop onéreuse et trop difficile à mettre en place. Ces incertitudes affectent la constitution de sûretés sur les titres dématérialisés, qui représentent souvent des avoirs importants des demandeurs de crédit, et contribuent au renchérissement des opérations de crédit et ralentissent dès lors le développement de ce type d’opérations. 39-43. Ce sont ces raisons qui ont conduit à l’élaboration de la Convention de La Haye, dite « PRIMA »132, du 13 décembre 2002 sur la loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire. Le principe sur lequel repose la Convention est que la loi applicable aux aspects de droits réels sur les titres dématérialisés133 est la loi convenue entre le déposant et sa banque comme régissant leur convention de compte ou, si la Convention désigne expressément une autre loi applicable pour tous ces aspects de 131 132 133 P. DUPONT, conférence précitée. Pour place of the relevant intermediary approach. Le domaine de la loi applicable est détaillé à l’article 2, paragraphe (1) de la Convention. 1353 LA CIRCULATION DES TITRES droits réels, cette autre loi134. Il s’agit là du rattachement principal prévu par la Convention. La Convention contient une limite à cette liberté de choix de la loi applicable sous la forme d’un test de réalité d’après lequel l’intermédiaire pertinent doit avoir, au moment de la conclusion de la convention de compte, un établissement actif dans la tenue de comptes dans l’État dont la loi a été déclarée applicable à la convention de compte135. À défaut de désignation par les parties à la convention de compte de la loi applicable, la Convention renvoie encore à certains rattachements subsidiaires : – en premier lieu, on considérera la loi du pays où est situé l’établissement avec lequel la convention de compte a été conclue. Ceci doit ressortir expressément et sans ambiguïté d’une convention de compte écrite entre parties136 ; – en second lieu, si la loi applicable ne peut être déterminée sur base du rattachement précédent, ce sera la loi régissant la constitution ou l’organisation de l’intermédiaire pertinent au moment de la conclusion de la convention qui sera retenue137 ; – en dernier recours, on se référera à la loi du principal lieu d’activité de l’intermédiaire pertinent138. On notera encore que la règle de conflits de lois de la directive sur les contrats de garantie financière, qui se réfère à la loi du pays où le compte pertinent est situé139, est obsolète en ce qu’elle n’est pas conforme au résultat final de la Convention de La Haye. Ce point a fait l’objet d’une déclaration commune des États membres de l’Union européenne140. 4. Le transfert à titre de garantie 39-44. Le législateur luxembourgeois a introduit, par une loi du 1er août 2001141, une nouvelle sûreté par transfert de valeurs mobilières à titre de garantie. Cette loi, et le nouveau mode de circulation de titres qu’elle crée, a fait l’objet d’études auxquelles le lecteur intéressé se référera142. 134 Article 4, paragraphe (1) de la Convention. D’après les critères alternatifs prévus à l’article 4, paragraphe (1) (a) et (b) de la Convention. 136 Article 5, paragraphe (1) de la Convention. 137 Article 5, paragraphe (2) de la Convention. 138 Article 5, paragraphe (3) de la Convention. 139 Solution qui était également retenue à un moment lors de l’élaboration de la Convention de La Haye, mais qui fut abandonnée par la suite au vu des difficultés liées à la localisation d’un compte. 140 Doc. 5530/3/02 du 5 mars 2002. 141 Loi du 1er août 2001 relative au transfert de propriété à titre de garantie, Mémorial A, 2001, p. 2183. 142 S. JACOBY, « Quelques réflexions au sujet de la loi du 1er août 2001 relative au transfert de propriété à titre de garantie », Ann. dr. lux., 2000, p. 237 et s. ; P. DUPONT, « Le transfert de propriété à titre de garantie (Commentaire de la loi du 1er août 2001 relative au transfert de propriété à titre de garantie », Bull. droit et banque, 34, pp. 5 et s. 135 1354 LA CIRCULATION DES TITRES L’une des finalités principales de cette loi est de consacrer la reconnaissance en droit luxembourgeois des mécanismes de transfert de propriété sur lesquels reposent des contrats financiers internationaux143 pour garantir les obligations mutuelles des contreparties au titre de ces contrats et de créer une zone de sécurité pour ces transferts et le mode de réalisation de la sûreté144. Mais la loi permet d’autres applications et offre ainsi aux acteurs des marchés financiers une alternative intéressante au mécanisme du gage commercial, pour autant que l’opération en question tombe dans le champ d’application personnel de la loi et que l’avoir transféré suffise au critère de rattachement au Luxembourg prévus à l’article 1er de la loi. 5. Les opérations de mise en pension et les repurchase agreements, les prêts de titres, la fiducie 39-45. Le législateur luxembourgeois a, par la loi du 21 décembre 1994, créé un cadre juridique pour les opérations de mise en pension145 des établissements de crédit luxembourgeois. Les mises en pension (ou repurchase agreements) sont des opérations par lesquelles une partie (le vendeur ou repo seller) livre à une deuxième partie (l’acheteur ou repo buyer) des valeurs mobilières moyennant paiement d’un certain prix. À l’échéance de la prise en pension, l’acheteur retransfère des titres de qualité et quantité équivalentes (c’est-à-dire fongibles) avec les titres initialement pris en pension et le vendeur restitue le montant initialement perçu avec déduction d’un montant représentant la commission payée au vendeur. Ces opérations, très utilisées par les banques dans la gestion de leur trésorerie et qui permettent une optimisation des performances par la mobilisation de titres en portefeuille, s’effectuent généralement dans le cadre de contrats internationaux tels que le GMRA (Global Master Repurchase Agreement) élaboré par l’ISMA (International Securities Market Association) ou l’EMA (European Master Agreement). 39-46. L’article 3 de la loi du 21 décembre 1994, qui définit le régime juridique des mises en pension, précise en son premier alinéa que la cession et la rétrocession d’un bien dans le cadre d’une opération de mise en pension constituent des transferts effectifs de propriété et que la rétrocession ultérieure ne remet pas en question le droit de propriété du cessionnaire pendant la période de détention. Ce faisant, la loi luxembourgeoise reconnaît la qualification juridique de 143 Tels que le ISDA Credit Support Annex ou les conventions-cadres pour le securities lending (OSLA, GMSLA). 144 Voy. l’article 3 de la loi qui définit le régime juridique des transferts de propriété à transfert de garantie. 145 Ch. JUNG, « Les opérations de mise en pension en droit luxembourgeois : loi du 21 décembre 1994 relative aux opérations de mise en pension effectuées par les établissements de crédit », Cahiers de la BIL, 1/95. 1355 LA CIRCULATION DES TITRES transfert de propriété donnée aux repos dans le cadre des contrats anglosaxons du type GMRA, qualification importante à plusieurs égards dans l’économie de ces contrats. De plus, l’article 3, alinéa 2, fait échapper, à l’instar de ce qui a été fait dans d’autres domaines146, les opérations de mise en pension à l’application des règles découlant des régimes d’insolvabilité qui pourraient prévenir l’exécution des obligations sous le contrat. 147 39-47. Les opérations de prêts de titres constituent un autre mode de circulation des titres fréquemment utilisé par les professionnels de la finance au Luxembourg. Ici encore, et malgré ce que pourrait faire croire la désignation de « prêt », l’opération réalise le plus souvent un transfert de propriété. La matière du prêt de titres a fait l’objet d’une étude au précédent livre jubilaire de l’ALJB, à laquelle le lecteur intéressé est renvoyé148. 39-48. Il y a lieu de mentionner encore, pour mémoire, la fiducie, institution de droit luxembourgeois qui, en raison de sa flexibilité, autorise un nombre important d’opérations sur titres très diverses. La fiducie pourra ainsi servir de support juridique à des opérations de dépôt, de portage de titres, mais aussi à la titrisation d’un ou de plusieurs avoirs plus ou moins complexes, comme des créances ou des portefeuilles de titres. Des études ont, ici encore, été réalisées sur ce sujet dans le contexte du précédent livre jubilaire149 ainsi que dans le présent ouvrage (sur la nouvelle loi sur le contrat fiduciaire : P. HOSS et P. SANTER, art. précité.) PARTIE II Le transfert des titres 39-49. La première partie de l’étude a décrit les opérations juridiques dont les titres peuvent être l’objet. Ces opérations lient les parties qui les ont effectuées et font généralement naître dans le chef de celles-ci diverses obligations dont la plus importante est l’obligation d’une partie de transférer à l’autre le titre qui a fait l’objet de l’opération150. 146 Notamment pour les transferts à titre de garantie, cf. S. JACOBY, art. précité, nos 2, 4 et 5. Voy. Ch. JUNG, no 3.2. 148 A. ELVINGER, J. ELVINGER, « Le prêt de titres », Droit bancaire et financier au Grand-Duché de Luxembourg, ALJB, Larcier, 1994, pp. 921et s. 149 P. HOSS, M.-P. GILLEN, articles précités. 150 L’exemple le plus simple est la vente qui met à charge du vendeur l’obligation de livrer la chose (article 1604 C. civ.). 147 1356 LA CIRCULATION DES TITRES L’obligation de transférer le titre existe d’abord sur le marché primaire : dès que le titre est émis, l’émetteur a l’obligation de le transférer à son premier propriétaire, qui est généralement le souscripteur. Pour les titres matérialisés, c’est-à-dire ceux qui ont un support papier, le transfert implique d’abord la fabrication dudit support : pour les titres au porteur ou à ordre, il s’agit de l’impression des feuilles et coupons ; pour les titres nominatifs, il s’agit de l’ouverture d’un registre des propriétaires. Le véritable transfert est effectué pour les titres au porteur et à ordre par la tradition des papiers au souscripteur alors que pour les titres nominatifs, il s’agit de l’inscription dudit souscripteur dans le registre des propriétaires. Pour éviter l’obligation d’impression intégrale des titres au porteur, la pratique admet – essentiellement en matière de titres à revenu fixe – l’impression d’un ou de plusieurs certificats au porteur dits « globaux » représentatifs d’un certain nombre de titres dont les numéros se suivent151. Ces certificats sont alors déposés auprès d’un dépositaire qui – sur base de la fongibilité – inscrira les titres dans les comptes des souscripteurs qu’il tient. Les titres n’en deviennent pas pour autant dématérialisés : ils restent matérialisés, mais, grâce à la fongibilité, ils seront aptes à circuler par virement de compte en compte152. Les documents juridiques relatifs à l’émission peuvent prévoir que le propriétaire est ou non en droit de se faire délivrer un titre matérialisé153. Pour les titres dématérialisés, l’émission sera directement suivie par l’inscription des titres au crédit d’un compte du souscripteur soit tenu par l’émetteur lui-même, soit par un tiers. Pour un titre dématérialisé au sens véritable du terme, une conversion en titre matérialisé ne devrait pas être possible. Les certificats d’inscription éventuellement délivrés n’auront pas le statut d’un titre. 39-50. Le marché secondaire est celui où se négocient les titres déjà émis et souscrits154. Ces titres peuvent être vendus, soit de gré à gré155, soit en bourse ou sur un autre marché réglementé156, déposés, gagés, prêtés ou rachetés par l’émetteur. Dans tous ces cas, les titres doivent être transférés d’une partie à une telle opération à l’autre. 151 R. KAISER, op. cit., no 99. Il ne faut pas confondre dématérialisation et fongibilité. Les titres matérialisés peuvent être rendus fongibles par la volonté des parties alors que les titres dématérialisés sont nécessairement fongibles par nature. Même les titres dématérialisés peuvent être nominatifs ou au porteur : RIPERT et ROBLOT, op. cit., no 1783. 153 Ceci n’est pas possible pour les obligations linéaires émises par l’État luxembourgeois (les OLUX) : Ph. DUPONT, op. cit., p. 15 et la note 15. 154 J. ANTOINE et M.-C. CAPIAU-HUART, Titres et bourse, t. 1, 2e éd., p. 18. 155 En anglais Over the counter et en allemand Tafelgeschäft. 156 Dans ce cas, les règlements internes de ces bourses ou marchés prévoient les modalités de transfert appelées aussi « dénouement d’une opération de bourse ». 152 1357 LA CIRCULATION DES TITRES Les modalités du transfert dépendent de la nature de titre. Les titres matérialisés, qui sont en principe non fongibles, font l’objet d’un transfert physique ou à vif qui touchera le support papier. Les titres dématérialisés et les titres matérialisés rendus fongibles par la volonté des parties font l’objet d’un transfert scriptural qui impliquera des mouvements en compte. Finalement, le transfert des titres peut se faire à l’intérieur d’un système de règlement des opérations sur titres récemment créé par le législateur157 afin d’assurer la sécurité juridique du dénouement des opérations sur titres effectué à l’intérieur d’un organisme central de règlement. 1. Le transfert physique 39-51. Le transfert des titres matérialisés, appelés aussi titres vifs158, se fait physiquement, c’est-à-dire en mouvant ou en touchant le papier support qui contient le titre. Le mode de transfert physique varie cependant suivant que le titre est au porteur, à ordre ou nominatif. A. Les titres au porteur Le titre au porteur est celui qui ne mentionne pas l’identité de son propriétaire et qui n’est identifié lui-même que par un numéro159. Chaque titre comporte une feuille de coupons numérotés en vue du paiement des revenus générés par le titre ou des autres droits auxquels il peut donner lieu. Aux yeux de la collectivité et de l’émetteur, le propriétaire du titre est la personne qui en a la possession, et l’émetteur doit honorer les droits du possesseur bien qu’il ne le connaisse pas autrement et sans qu’il puisse lui demander la justification de son droit de propriété. 39-52. Les titres au porteur se transmettent sans formalités, de la main à la main : la simple tradition ou remise manuelle des titres par le possesseur à une autre personne en opère cession ou transfert. Le transfert n’a pas besoin d’être portée à la connaissance de l’émetteur puisque la seule condition exigée pour l’exercice des droits incorporés dans le titre consiste dans la production de celui-ci160. 157 Loi du 12 janvier 2001, portant transposition de la directive 98/26/CE concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres, Mémorial A no 16 du 6 février 2001, p. 681. 158 Encycl. Dalloz, Droit commercial, 1957, t. II, v° Valeurs mobilières, no 92. 159 D. ROUSSEAU, op. cit., p. 4 et Encycl. Dalloz, précitée, ibid, no 90. 160 En ce sens D. ROUSSEAU, op. cit., p. 4 1358 LA CIRCULATION DES TITRES La tradition comme mode de transfert des titres au porteur découle du fait que cette catégorie de titres sont des meubles corporels161 et que l’article 1606 du Code civil déclare que la délivrance des effets mobiliers s’opère par la tradition réelle. La tradition du titre entraîne celle des droits qu’il contient : d’après l’article 1607 du Code civil, la tradition des droits incorporels se fait par la remise des titres162. Il ne faut pas confondre la tradition comme mode de délivrance et la même tradition opérant transfert de propriété. En cas de don manuel, par exemple, la tradition se confond avec la transmission de la propriété. Dans les autres cas, au contraire, la transmission de la propriété se fait entre parties par le seul effet de la convention, solo consensu. Pour cela, il faut évidemment que les titres au porteur soient identifiés par leur numéro ou autrement individualisés163. 39-53. Lors que le titre au porteur est vendu en Bourse de Luxembourg, la livraison se fait conformément au chapitre VIII du ROI. L’article 6 dudit chapitre prévoit, dans son alinéa 2, que les contreparties peuvent s’accorder de livrer les titres par des voies ou moyens à leur convenance. Une livraison physique de titres au porteur cotés est donc parfaitement possible. 39-54. Il faut se poser, dans ce contexte, la question de la responsabilité du banquier qui manipule des titres au porteur. Ceux-ci peuvent être affectés d’un vice lorsque, par exemple, ils sont falsifiés, altérés, perdus ou volés. L’analyse de la question dépasserait le cadre de cette étude, mais il faut retenir que le banquier pourrait voir sa responsabilité engagée lorsqu’il manipule des titres viciés dans des circonstances de nature à éveiller ses soupçons164. B. Les titres à ordre 39-55. Le titre à ordre est celui qui confère des droits à une personne nommément désignée dans le titre. Il est normalement émis pour incorporer des droits de créance165 ou des droits réels sur des marchandises. Les titres à ordre doivent remplir, pour leur création, les mêmes conditions que les titres au porteur. Ils se distinguent de ces derniers par leur mode de transfert original, qui est l’endossement et qui requiert la présence, dans leur corps, 161 R.P.D.B., v° Titres au porteur, nos 1 et 106. Voy. dans le même sens de l’article 42 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales qui déclare que « la cession de l’action au porteur s’opère par la seule tradition du titre ». 163 Sur la nature et les effets de la tradition en matière de titres au porteur, voy. Encycl. Dalloz précitée, ibid., nos 409 et s. 164 Cass. fr., 25 mars 1891, D.P., 1892, I, 301. 165 Les commercial paper ont longuement été émis sous la forme de billets à ordre : R. KAISER, op. cit., nos 69 et 70. 162 1359 LA CIRCULATION DES TITRES d’une clause à ordre166. Pour pouvoir exercer les droits conférés par le titre, le porteur doit non seulement remplir les conditions requises du possesseur d’un titre au porteur, mais il doit encore justifier de sa propriété sur le titre par une chaîne ininterrompue d’endossements. L’endossement est le mode de transmission des titres à ordre. Il est réalisé par une signature apposée au dos du titre (d’où le terme « endossement ») par le propriétaire du titre, appelé l’endosseur. L’endossement est suivi de la remise effective du titre au nouveau propriétaire, appelé l’endossataire. 39-56. L’endossataire peut être nommément désigné dans l’acte d’endossement. Mais l’endossement peut aussi être au porteur ou en blanc. Si l’endossement est au porteur, le titre se transforme, dans une certaine mesure, en un titre au porteur transférable par simple tradition aussi longtemps qu’il n’a pas fait l’objet d’un nouvel endossement nominatif167. L’endossement peut aussi être en blanc. Dans ce cas, l’endossement porte la seule signature de l’endosseur sans indiquer le nom d’un endossataire ni la mention que l’endossement est fait au porteur. En pratique, les effets de l’endossement au porteur et de l’endossement en blanc sont identiques168. Le porteur d’un titre endossé en blanc a trois options : il peut remplir le blanc soit par le nom d’un tiers, soit par son propre nom. Il peut aussi endosser le titre à nouveau soit en blanc, soit à une autre personne. Finalement, il peut aussi remettre le titre simplement à un tiers sans remplir le blanc ni procéder à un nouvel endossement. 39-57. Le droit luxembourgeois ne connaît pas de réglementation générale des titres à ordre ou de l’endossement, si ce n’est dans les lois relatives à la lettre de change et au billet à ordre169 et aux chèques170. On doit admettre que ces règles s’appliquent mutatis mutandis au transfert de tous les titres à ordre171. Ces règles concernent notamment les effets de l’endossement, qui jouent tant à l’égard des endossataires que des endosseurs172. Aux premiers, il transfère la propriété du titre avec tous les droits qu’il contient. Les endossataires sont investis d’un droit propre et peuvent se prévaloir à l’encontre de l’émetteur (ou de l’obligé) et de toute personne exerçant un recours contre eux de l’inopposabilité des exceptions. Les seconds sont tenus de l’obligation de garantie, c’est-à-dire de la bonne exécution des droits que confère le titre. D’où l’intérêt de ne pas laisser figurer son nom comme endosseur sur un titre à ordre. 166 VAN RYN et HEENEN, op. cit., no 106. VAN RYN et HEENEN, op. cit., no 108. 168 J.-P. HENCKS, La lettre de change et le billet à ordre au Grand-Duché de Luxembourg, Imprimerie St. Paul, Luxembourg, 1963, p. 49. 169 Loi coordonnée du 15 décembre 1962 ; voy. en particulier les articles 11 à 20. 170 Loi coordonnée du 26 février 1967 ; voy. en particulier les articles 14 à 24. 171 Arg. VAN RYN et HEENEN, op. cit., no 108 p. 104. 172 Voy. J.-P. HENCKS, op. cit., p. 42 et s. 167 1360 LA CIRCULATION DES TITRES 39-58. À côté de l’endossement translatif qui a pour objet la transmission de la propriété du titre, l’endossement peut être « à titre de procuration » ou « pignoratif ». Dans l’endossement à titre de procuration, l’endossataire est chargé du recouvrement des droits figurant dans le titre tout comme un mandataire ordinaire. Les règles applicables sont donc essentiellement celles du mandat. La conséquence en est que l’endossataire n’acquiert pas la propriété du titre et ne peut se voir opposer que les exceptions qui pouvaient être invoquées contre l’endosseur. L’endossement pignoratif est celui qui se fait à titre de gage. L’endossataire est le créancier gagiste de l’endosseur. Celui-ci prendra soin de marquer dans la formule de l’endossement que le titre est une « valeur en garantie » ou une « valeur en gage »173. C. Les titres nominatifs 39-59. Le titre nominatif consiste dans une inscription portée, au nom du propriétaire, dans un registre tenu par l’émetteur ou un tiers. Le support du titre nominatif reste en papier, mais il n’est plus une feuille « volante » transmissible en tant que telle, mais un livret174 contenant des feuilles reliées et non détachables sur lesquelles sont inscrits les noms des propriétaires des titres175. Les titres nominatifs sont des titres négociables dans le plein sens du terme. Ceci explique que certains titres, appelés improprement « nominatifs », ne tombent pas dans le champ d’application de la définition donnée aux titres dans la présente étude176. 39-60. Le transfert du titre nominatif s’opère par une transcription dans le registre des propriétaires. En pratique, il s’agit de substituer à l’inscription existant au nom d’une personne une nouvelle inscription au nom d’une autre personne. À défaut de réglementation générale des titres nominatifs en droit luxembourgeois, il faut appliquer mutatis mutandis les règles contenues dans les articles 39 et 40 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales et relatives aux actions nominatives des sociétés anonymes177. En 173 J.-P. HENCKS, op. cit., p. 50-52 On parle souvent du « livre des actionnaires ». 175 On peut imaginer que ce registre soit tenu électroniquement, quitte à ce que la liste des propriétaires des titres puisse à tout moment être imprimée et signée par l’émetteur ou le teneur du registre. 176 Il en va ainsi du chèque nominatif ou de certaines parts sociales pour lesquelles le législateur règle le mode de transmission et écarte leur négociabilité (voy., par exemple, les articles 189 et 190 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales et VAN RYN et HEENEN, op. cit., no 112). 177 Pour les obligations, l’article 84 de la loi modifiée du 10 août 1915 se borne à signaler l’existence d’obligations nominatives. 174 1361 LA CIRCULATION DES TITRES paraphrasant ces règles, on doit constater d’abord que la propriété d’un titre nominatif s’établit par une inscription sur le registre des propriétaires. Il s’agit d’une règle de preuve alors que le transfert de propriété s’opère par la voie contractuelle entre parties et solo consensu. Le transfert physique se fait par une déclaration inscrite dans le registre, datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou leurs mandataires. Il est loisible à l’émetteur ou au teneur du registre d’accepter et d’inscrire sur le registre un transfert qui serait constaté par la correspondance ou d’autres documents établissant l’accord du cédant et du cessionnaire. En principe, le consentement de l’émetteur n’est pas requis lors du transfert ; ce dernier se borne à enregistrer les actes juridiques relatifs aux titres posés par les parties. La loi prévoit que des certificats concernant les inscriptions peuvent être délivrés aux propriétaires. Ceux-ci ne sont pas, cependant, des titres tels que définir ci-avant et ne sont pas négociables178. 39-61. Le transfert est un acte détaché de l’acte juridique de base ayant frappé le titre. En principe, il n’est donc pas touché par le vice affectant l’opération de base, et l’émetteur ne peut considérer comme propriétaire du titre que la personne inscrite dans le registre179. Dans ce contexte, il faut se poser la question de savoir si l’émetteur ou le teneur du registre sont obligés de procéder à la transcription sur le registre sur base des informations données par les parties. La réponse doit être affirmative, en principe, étant donné que l’émetteur ou le teneur du registre ne peuvent être l’arbitre des conventions entre parties. Ils doivent cependant refuser ou, du moins, suspendre la transcription lorsque les documents présentés montrent un vice apparent ou lorsque les documents d’émission du titre contiennent des clauses d’agrément ou de préemption qui n’ont pas été observées. 39-62. La pratique luxembourgeoise des affaires admet que le propriétaire d’un titre nominatif se fasse inscrire dans le registre des titres par l’intermédiaire d’un prête-nom (en anglais nominee). Cette pratique se rencontre notamment en matière d’organismes de placement collectif180. Le nominee (qui peut être un professionnel du secteur financier) fait figurer son nom dans le registre comme s’il agissait en son nom alors que, en réalité, il agit pour le compte du véritable propriétaire sans que l’émetteur ou le teneur du registre n’aient connaissance du phénomène. Juridiquement, le nominee peut être considéré soit comme un mandataire assumant personnellement les engagements résultant du mandat vis-à-vis des tiers, soit comme un fiduciaire, soit un comme 178 R. KAISER, op. cit., no 85. Voy. aussi VAN RYN et HEENEN, op. cit., no 114. 180 J.-C. WOLTER, « The investment funds regulations in Luxembourg », Les fonds d’investissement, Séminaire des 24 et 25 novembre 1988, A.L.J.B./I.U.I.L., p. 90. 179 1362 LA CIRCULATION DES TITRES simple prestataire de services. Le procédé doit être considéré comme licite aux termes de l’article 162 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, étant donné que, par hypothèse, le véritable propriétaire a autorisé le prête-nom à agir pour lui. En revanche, l’identité du véritable propriétaire doit être connue là où s’appliquent les obligations professionnelles dans le secteur financier 181. 2. Le transfert scriptural 39-63. Le transfert scriptural est celui qui se réalise par le virement des titres d’un compte à un autre182. Ce mode de transfert ne peut s’appliquer, on l’a vu, à tous les titres, mais seulement à ceux qui sont dématérialisés ou, matérialisés, mais rendus fongibles par la volonté des parties. Il met en cause un ou plusieurs teneurs de comptes que le législateur continue d’appeler « dépositaires »183 et auxquels ce même législateur impose des obligations vis-à-vis des propriétaires de titres, appelés « déposants ». Le virement est un mode de livraison de titres, mais il n’a pas nécessairement un effet translatif de propriété. A. Titres susceptibles d’être transférés par voie scripturale 39-64. L’analyse de cette question se confond avec celle du champ d’application de la loi du 1er août 2001 concernant la circulation de titres et d’autres instruments fongibles. Le mot clé dans ce contexte est la notion de fongibilité reprise dans l’intitulé même de la loi. L’article 1er de la loi en étend le champ d’application « aux titres et autres instruments financiers au sens le plus large qui sont reçus en dépôt ou tenus en compte par un dépositaire et qui sont ou sont déclarés fongibles ». L’alinéa 2 du même article ajoute que « sont réputés fongibles les titres et autres instruments financiers reçus en dépôt ou tenus en compte auprès d’un dépositaire sans indication de numéros ou d’autres éléments d’identification individuels ». 39-65. La fongibilité est la caractéristique des biens qui sont remplaçables par d’autres de même nature. Les titres et les instruments financiers ne sont pas fongibles par nature, mais ne le deviennent que dans la mesure où la loi ou une convention particulière les rend tels184. Le législateur luxembourgeois a laissé le 181 Voy. notamment l’article 39 de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier. Article 3 de la loi du 1er août 2001 concernant la circulation de titres et d’autres instruments fongibles. 183 Article 2 de la prédite loi du 1er août 2001. 184 R. KAISER, op. cit., no 105. 182 1363 LA CIRCULATION DES TITRES choix de la fongibilité aux parties. Dans les travaux parlementaires précédant la prise du règlement grand-ducal (abrogé) du 17 février 1971 concernant la circulation de valeurs mobilières185, le commentaire des articles déclare que la possibilité d’ouvrir des comptes courants de valeurs mobilières implique nécessairement la fongibilité des titres inscrits en compte. Cette fongibilité « est toutefois subordonnée à la demande du déposant sans laquelle le droit commun reste applicable ». Cette idée n’a pas changé sous la législation de 2001186. La fongibilité peut ainsi résulter d’une convention entre le propriétaire du titre et le dépositaire (sans que l’émetteur ne le sache ni, a fortiori, n’ait à l’approuver), mais aussi des documents d’émission dans lesquels l’émetteur peut stipuler que les titres à émettre seront fongibles. 39-66. La loi du 1er août 2001 permet de rendre fongibles tous les titres, « qu’ils soient matérialisés ou dématérialisés, au porteur, à ordre ou nominatifs ». Dans ce contexte, il faut de nouveau insister sur le fait que « dématérialisation » et « fongibilité » ne sont pas la même chose. S’il est vrai qu’un titre dématérialisé ne peut être transféré que par la voie scripturale, il est parfaitement concevable de virer d’un compte à un autre des titres numérotés ou individualisés (donc non fongibles). Pour les titres à ordre, leur fongibilité ne peut être atteinte que par un endossement en blanc ou au porteur. Quant aux titres nominatifs, la fongibilité ne se conçoit qu’en combinaison avec la pratique du nominee187 : le dépositaire se fait inscrire comme propriétaire des titres dans le registre de l’émetteur et inscrit ces titres dans les comptes des déposants dont il est le teneur. Même des titres « étrangers », c’est-à-dire émis suivant un droit autre que luxembourgeois, peuvent être rendus fongibles pour les besoins de la loi du 1er août 2001, et ceci quelle que soit la forme sous laquelle ils ont été émis selon la loi qui les régit. On voit ici une application de l’article 3, alinéa 2, du Code civil (lex rei sitae ou lex situs) qui implique évidemment que le titre se trouve à Luxembourg au moment où il est rendu fongible. 39-67. Il ne faut pas confondre « fongibilité » et « consomptibilité »188. Les titres et instruments financiers sont, par leur nature, des biens non consomptibles qui ne se détruisent pas par l’usage qu’on en fait. Le fait de rendre un titre fongible ne le rend pas pour autant – sauf volonté expresse des parties – consomptible. Ceci signifie que le dépôt d’un titre en régime fongible ne rend pas le dépositaire propriétaire du titre ni ne lui confère aucun droit d’usage sur celui-ci189. L’article 6 de 185 186 187 188 189 Doc. parl. no 1475, p. 3. Doc. parl. no 4695, p. 6 sub article 1er. Voy. supra, no 59. R. KAISER, op. cit., 107 Par exemple, le dépositaire ne peut pas – sauf accord du déposant –prêter le titre à un tiers. 1364 LA CIRCULATION DES TITRES la loi du 1er août 2001 a tenu à spécifier que, sauf les dispositions légales en sens contraire, « le déposant a les mêmes droits que si les titres ou autres instruments financiers étaient restés entre ses mains ». En d’autres termes, le déposant garde sur le titre son droit de propriété exclusif, qui lui permet de jouir et de disposer de son bien à l’exclusion de toute autre personne190. B. Le teneur de comptes 39-68. Le transfert scriptural a été défini comme virement de compte à compte. Ce compte doit être « tenu » par une personne qui inscrit, le cas échéant, le titre au crédit d’un compte ouvert dans ses livres par et au nom d’une autre personne. A priori, l’inscription en compte pourrait représenter une « dette de titres »191 du teneur de comptes vis-à-vis du titulaire du compte. En cas de « retrait » des titres, le compte serait débité et le teneur serait obligé de restituer des titres physiques. 39-69. En théorie, le teneur du compte pourrait être soit l’émetteur192, soit un tiers, généralement un intermédiaire financier. La loi du 1er août 2001 a opté pour cette deuxième possibilité en appelant le teneur de comptes « dépositaire » et en exigeant qu’il soit une banque, une entreprise d’investissement ou un autre professionnel du secteur financier autorisé à recevoir en dépôt des titres ou autres instruments financiers ou un organisme public national ou international opérant dans le secteur financier193. Le législateur luxembourgeois a donc clairement estimé que le transfert scriptural de titres devrait être précédé d’un dépôt de ces titres en régime fongible et que les personnes recevant un tel dépôt devraient être agréées conformément à la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier194. Ceci n’empêche pas que le teneur de comptes soit l’émetteur de titres dématérialisés. Dans ce contexte, le transfert ne serait pas précédé d’un dépôt et le virement de compte à compte ne serait pas une activité du secteur financier alors qu’il concerne uniquement une relation interne (et conventionnelle) entre l’émetteur et les propriétaires de titres. La loi du 1er août 2001 ne s’appliquerait pas a priori, à moins qu’un propriétaire de titre ne dépose celui-ci en régime fongible auprès d’un dépositaire. 190 Voy. le commentaire relatif à l’article 7 dans les Doc. parl. no 4695, p. 7. Sic R. KAISER, op. cit., no 101. 192 C. KARYOTIS, Circulation internationale des valeurs mobilières, Banque Éditeur 1994, p. 83. 193 Article 2 de la loi du 1er août 2001. 194 Sauf les organismes nationaux et internationaux mentionnés à l’article 2 de la loi du 1er août 2001 qui visent essentiellement les banques centrales. 191 1365 LA CIRCULATION DES TITRES 39-70. En droit luxembourgeois, le teneur de comptes est qualifié juridiquement de « dépositaire ». La relation entre le propriétaire du titre et le teneur de comptes est donc un contrat de dépôt sous réserve des dérogations apportées à ce régime par la loi du 1er août 2001 et la nature des titres déposés195. En déposant ses titres en régime fongible auprès du dépositaire, le déposant ne perd pas son droit de propriété sur le titre et le dépositaire ne l’acquiert pas. Seulement, les titres déposés entrent dans la masse des titres de même nature196 reçus en dépôt ou tenus en compte par le même dépositaire, de sorte que le droit de propriété du déposant s’exerce dorénavant à titre indivis sur l’ensemble des titres de même nature. Tant que dure le dépôt en régime fongible, le déposant n’a plus un droit réel de nature corporelle sur un titre physique individuel, mais un droit réel de nature incorporelle sur un ensemble de titres indivis197. Vis-à-vis du dépositaire, le déposant dispose d’un droit de revendication, mais le dépositaire se libère valablement de son obligation corrélative de restitution en livrant des titres de même nature sans concordance de numéros ou d’autres éléments d’identification individuels198. Ce mécanisme confirme que, dans l’état actuel du droit luxembourgeois, les titres sont des biens sur lesquels s’exercent des droits réels et non des droits personnels ou de créance qui s’exerceraient contre le teneur de comptes199. Certes, le dépositaire a des obligations vis-à-vis du déposant et celui-ci a des droits corrélatifs à l’égard du dépositaire. Mais ces droits n’existent que pour assurer le droit réel que le déposant maintient sur son titre. 39-71. La notion de dépôt se concilie mal avec celle de titre dématérialisé alors que la doctrine classique200 affirme que seuls les meubles corporels peuvent faire l’objet d’un dépôt. Le législateur luxembourgeois a senti ce problème en déclarant, à l’article 11 de la loi du 1er août 2001, que les dispositions du Code civil relatives aux obligations du dépositaire ne s’appliquent que sous réserve des dérogations résultant de la nature du titre. Il ne faut pas en conclure, cependant, qu’en raison de l’inapplicabilité de certaines dispositions relatives au contrat de dépôt, le propriétaire d’un titre dématérialisé n’aurait pas un droit réel sur son titre. Ce droit réel existe201 et les obligations du dépositaire en 195 Voy. l’article 11 de la loi du 1er août 2001 et le commentaire relatif à l’Article 12 dans les Doc. parl. no 4695, p. 8. 196 C’est-à-dire des titres du même émetteur et de la même série conférant des droits rigoureusement identiques. 197 Article 2 de la loi du 1er août 2001. 198 Article 5 de la loi du 1er août 2001. Il s’agit d’une dérogation à l’article 1932 du Code civil. 199 Voy. supra, no 9. Ceci explique aussi que le dépôt de titres en régime fongible sous la loi du 1er août 2001 n’est pas un dépôt irrégulier dans lequel le déposant devient un simple créancier du dépositaire. 200 J. Cl. Civil, v° Dépôt, fasc. 10, no 23 et les références. 201 L’article 6, alinéa 2, de la loi du 1er août 2001 s’applique à tous les titres définis à l’article 1er et n’exclue pas les titres dématérialisés. 1366 LA CIRCULATION DES TITRES vertu de la loi du 1er août 2001 s’appliquent indistinctement aux titres matérialisés et dématérialisés, sauf que, pour ces derniers, le déposant ne peut pas exiger une livraison physique202. 39-72. L’article 12 de la loi du 1er août 2001 autorise expressément le sous-dépôt. Ceci permet le dépôt « en chaîne », « en cascade » ou à plusieurs niveaux des titres, dans lequel le déposant dépose d’abord son titre auprès de son banquier qui le redépose auprès d’un « dépositaire central »203 ou d’un opérateur de système de règlement des opérations sur titres204 qui, à son tour, dépose le titre auprès d’un de ses sous-dépositaires205. Le législateur luxembourgeois a pris soin cependant de tenir le déposant à l’écart des sous-dépositaires : sauf en cas de procédure d’insolvabilité frappant le dépositaire initial, le déposant ne peut faire valoir ses droits issus de la loi du 1er août 2001 qu’à l’égard de ce dernier206. C. Effets du virement 39-73. L’article 3 de la loi du 1er août 2001 institue le virement comme mode de transfert scriptural des titres. Par analogie avec le virement de fonds, le virement de titres peut être défini comme l’opération par laquelle un teneur de comptes207 débite, à l’invitation de son client, le compte de celui-ci d’un certain nombre de titres en vue d’en créditer un autre compte. Il s’agit d’un simple jeu d’écritures comptables : il suffit, en effet, d’une double passation d’écritures pour dépouiller celui qui a donné l’ordre de virement de ses droits sur un certain nombre de titres et pour investir du même coup le bénéficiaire du virement des droits sur ces titres. Frédéric Nizard208 se pose dans ce contexte et dans l’environnement du droit français la question de savoir si le virement ne devrait pas être considéré comme une forme moderne et abstraite de la remise d’une chose. En droit luxembourgeois, le législateur a rendu la situation plus claire : d’après l’article 6, alinéa 2, de la loi du 1er août 2001, le « déposant bénéficie, à concurrence du nombre de titres [...] inscrits en son compte d’un droit réel, de nature incorporelle, sur 202 Il y a une dérogation ici à l’article 5 de la loi du 1er août 2001. Central Securities Depository (CSD) ou International Central Securities Depository (ICSD) 204 Article 28-2 de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier. 205 Pour une description des dépôts de titres à plusieurs niveaux et des problèmes de droit international privé en résultant, voy. R. GUYNN et N. MARCHAND, « Transfer or pledge of securities held through depositories », in The law of cross-border securities transactions, London, Sweet & Maxwell, 1999, p. 47 et s. 206 Article 6 alinéa 3 de la loi du 1er août 2001. 207 C’est-à-dire, en droit luxembourgeois, un dépositaire au sens de la loi du 1er août 2001. 208 F. NIZARD, op. cit., nos 603 et s.. L’éminent auteur arrive à la conclusion que l’article 2279 du Code civil ne devrait pas s’appliquer aux titres dématérialisés. 203 1367 LA CIRCULATION DES TITRES l’ensemble des titres [...] de même nature reçus en dépôt ou tenus en compte par son dépositaire ». L’effet d’un virement de titres aura donc comme seule conséquence d’augmenter ou de diminuer l’étendue du droit réel de l’originateur ou du bénéficiaire du virement sur l’ensemble des titres de même nature détenus par leurs dépositaires respectifs. Juridiquement, il y a une forte analogie avec la cession d’une part de copropriété ou d’indivision : lorsque, par exemple, le virement s’opère entre deux comptes tenus par le même dépositaire, la personne dont le compte est débité cède une part de sa copropriété dans les titres de même nature à la personne dont le compte est crédité209. 39-74. À l’instar des registres tenus par les émetteurs de titres nominatifs, les mentions de la comptabilité des dépositaires valent, sauf erreur ou omission, comme preuve de la propriété des titres inscrits en compte210 . La preuve contraire est évidemment possible. Le virement n’opère donc pas, à lui seul, transfert de propriété qui reste réservé au consentement des parties. Ceci est corroboré par le libellé de l’article 9 de la loi du 1er août 2001, qui permet de réaliser la dépossession en matière de nantissement de titres par le virement de ces titres au créancier gagiste ou à un tiers détenteur de gage. Ce virement pignoratif n’opère pas transfert de propriété. 39-75. La responsabilité des dépositaires relative à l’exactitude de leur comptabilité titres est importante. Contrairement à la monnaie, qui peut être créée par voie scripturale, la création de titres est rigoureusement défendue et juridiquement inconcevable. La comptabilité des dépositaires ne peut, à aucun moment, renseigner un nombre de titres plus élevé que le nombre originairement créé par les émetteurs211. 3. Le règlement des opérations sur titres 39-76. Comme il a été montré ci-avant, les titres peuvent donner lieu à une multitude d’opérations juridiques, appelées en langage financier « négociations » (en anglais trading). Celles-ci se font sur une bourse ou un autre marché réglementé ou simplement de gré à gré. Elles peuvent être purement nationales, lorsqu’il s’agit d’une opération sur un titre luxembourgeois effectuée sur le marché luxembourgeois, ou internationales lorsqu’il s’agit d’une opération sur un titre étranger ou effectuée sur un marché étranger. Les négociations mettent 209 En ce sens, voy. le commentaire relatif à l’article 7 dans les Doc. parl. no 4695, p. 7. Doc. parl. no 4695, sub Article 7, p. 7 211 L. DABIN, op. cit., no 13, p. 187. Voy. cependant l’article 18 de la loi du 1er août 2001 qui permet, dans certaines circonstances, l’inscription en compte de titres sur base d’un engagement irrévocable et inconditionnel de livrer ces titres et R. KAISER, op. cit., no 171 i.f.. 210 1368 LA CIRCULATION DES TITRES en cause d’abord les parties elles-mêmes, mais aussi de nombreux intermédiaires financiers, tels les banques, agents de changes, courtiers, commissionnaires et opérateurs de plates-formes de négociations. Dans tous les cas cependant, la négociation, à supposer qu’elle aboutisse, donne naissance à un contrat entre les parties (appelées souvent les « contreparties »)212 mettant à charge de cellesci des obligations réciproques consistant, le plus souvent, en une obligation de livrer un titre et une obligation corrélative d’en payer le prix. La détermination et l’exécution de ces obligations s’appellent le dénouement d’une opération sur titres. Ce dénouement peut se faire par les contreparties elles-mêmes ou leurs intermédiaires financiers, mais, le plus souvent, il se fait de nos jours à l’intérieur d’un système de règlement des opérations sur titres qui offre des garanties juridiques particulières. A. Le dénouement d’une opération sur titres 39-77. D’une manière générale, le dénouement d’une opération sur titres est l’exécution des obligations – souvent réciproques – qui découlent de cette opération. Lorsque l’opération consiste dans une vente, le dénouement implique la livraison du titre et le paiement du prix (c’est-à-dire le transfert des espèces monétaires). Le dénouement est composé de deux phases, la liquidation ( en anglais, clearing) et le règlement (en anglais, settlement). Il est précédé d’une phase préliminaire appelée le rapprochement (en anglais, matching). Le rapprochement se fait d’abord au niveau des instructions : lorsqu’un investisseur a transmis un ordre d’achat ou de vente, le négociateur en confirmera, le cas échéant, l’exécution. Il s’agit à ce niveau d’ajuster l’ordre et son exécution : c’est le rapprochement des instructions213. Celui-ci se fait par les deux contreparties, chacune avec son négociateur. 39-78. La liquidation d’une opération sur titres est la détermination exacte des obligations de chacune des contreparties. Dans une opération de vente, par exemple, il s’agit pour la partie venderesse de savoir combien de titres il faut livrer, avec quels coupons attachés, et pour la partie qui achète de connaître le montant exact du prix à payer. C’est à ce niveau qu’a lieu un deuxième rapprochement, cette fois entre les obligations déterminées par les contreparties : lorsque l’obligation de livrer et l’obligation de payer concordent (en anglais, match), l’opération est prête pour l’exécution. 212 Sauf si l’opération est faite dans un marché sur lequel existe une « contrepartie centrale ». Pour une définition de celle-ci dans le contexte du règlement d’opérations sur titres, voy. l’article 34-2 de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier. 213 C. KARYOTIS, op. cit., p. 85 1369 LA CIRCULATION DES TITRES 39-79. Le règlement d’une opération sur titres est l’exécution des obligations qui en découlent : l’une des contreparties doit livrer les titres et l’autre doit en payer le prix. Bien que la loi ne l’impose pas, les parties ont un intérêt évident à ce que l’exécution des obligations réciproques se fasse simultanément. Il faut éviter, en effet, le « risque de contrepartie » qui consiste dans le fait qu’ou bien, la conclusion de l’opération a déjà fait passer la propriété et le risque à l’autre partie sans que les obligations réciproques aient été exécutées214, ou bien l’une des parties a exécuté son obligation alors que l’autre partie n’a pas encore exécuté la sienne. Ceci explique que le règlement se fait le plus souvent « livraison contre paiement »215, c’est-à-dire le transfert du titre se fait concomitamment avec le paiement des espèces. 39-80. En principe, lorsqu’une opération sur titres est faite par les parties de gré à gré sans l’intervention d’intermédiaires financiers, c’est à elles de déterminer conventionnellement le délai dans lequel elles doivent exécuter leurs obligations réciproques. Ce délai est normalement de quelques jours216. Lorsque le règlement n’a pas été effectué dans le délai imparti, il y a inexécution d’une obligation (en anglais, default) et la partie créancière peut demander la résolution de l’opération sur base de l’article 1184 du Code civil. 39-81. Lorsque l’opération sur titres a été faite en Bourse de Luxembourg, le règlement se fait conformément au chapitre VIII du ROI. Celui-ci prévoit une procédure de rapprochement (article 4), l’obligation de livrer contre paiement (article 5), la possibilité de liquidation par l’intermédiaire d’un système reconnu (article 6) et une procédure de rachat ou de revente forcés en cas de défaut de règlement (article 15). Lorsque la liquidation et le règlement se font à travers un système reconnu, les dispositions internes promulguées par cet organisme s’appliquent aux contreparties217. B. Les dépositaires centraux 39-82. Contrairement aux législateurs des pays limitrophes, le législateur luxembourgeois n’a pas mis en place un dépositaire central de titres218 lors de l’élaboration du règlement grand-ducal (abrogé) du 17 février 1971 concernant 214 C’est le cas du droit luxembourgeois : voy. les articles 1138 et 1583 du Code civil. Ceux-ci ne sont pas d’ordre public cependant et les parties peuvent y déroger. 215 En abrégé « LCP » et en anglais delivery versus payment (en abrégé « DVP ») ; voy. R. KAISER, op. cit., no 139. 216 On parle de « T+12 » ou T+3 » pour indiquer combien de jours se situent entre la négociation (trade) et le règlement. 217 Voy. la mesure d’exécution no 1 d’ordre général de la Bourse de Luxembourg, chapitre IV. 218 En anglais Central Securities Depository ou « CSD ». Pour des exemples historiques, voy. la SICOVAM en France, le KASSENVEREIN en Allemagne et la CIK en Belgique. Lorsqu’un 1370 LA CIRCULATION DES TITRES la circulation des valeurs mobilières219. Il a plutôt opté pour la possibilité de permettre à tout établissement de crédit ou professionnel du secteur financier spécialement agréé de devenir « dépositaire » au sens la loi du 1er août 2001 et a laissé la création éventuelle d’un « dépositaire central » à l’initiative privée. C’est dans ce contexte que fut constituée le 28 septembre 1970220 la « Centrale de livraison de valeurs mobilières, Luxembourg », en abrégé « CEDEL »221, qui, dès le début, opérait à un niveau transfrontalier comme dépositaire central international (ICSD). En 1998 fut créé un CSD luxembourgeois dénommé « LuxClear » afin de relier la Banque centrale du Luxembourg (« BCL ») aux banques luxembourgeoises et étrangères dans le cadre du CCBM222. LuxClear n’est pas une entité juridique autonome, mais est opérée par et à l’intérieur de Clearstream Banking. 39-83. Clearstream Banking (en abrégé « CBL »)223 a mis en place à Luxembourg un système de liquidation et de règlement transfrontalier d’opérations sur titres appelé « Système Clearstream » ou « Système CBL ». La relation entre CBL et ses clients est une relation contractuelle, régie par les « Documents directeurs » qui sont les « Clauses et conditions générales » et le « Manuel du client » et soumise au droit luxembourgeois. Les clients de CBL sont les personnes ou entités juridiques, publiques ou privées, agréées par CBL en tant que client. Le droit de CBL d’agréer un client est purement discrétionnaire, mais il est exercé en pratique suivant un nombre de critères objectifs fixés en interne. De façon générale, CBL n’agrée comme clients que des banques, d’autres professionnels du secteur financier et des sociétés commerciales ou industrielles ayant un accès professionnel aux marchés financiers. Les particuliers ne sont pas acceptés comme clients. En réalité, CBL agit comme un « banquier des banques ». dépositaire central opère à un niveau transfrontalier, on parle de International Central Securities Depository ou « ICSD ». Les deux grands ICSDs européens sont Clearstream Banking à Luxembourg et Euroclear Bank à Bruxelles. 219 Voy. les commentaires à ce sujet dans les Doc. parl. no 4695, p. 5. 220 Mémorial C no 208 du 16 décembre 1970. 221 La dénomination fut changée en 1975 en « Cedel Bank » puis, en 2000, en « Clearstream Banking ». Il s’agit d’une société anonyme agréée comme établissement de crédit au sens de l’article 1er de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier. 222 Correspondent Central Banking Model. Il s’agit d’un mécanisme établi par le Système européen des banques centrales pour permettre aux contre-parties de transférer des titres comme sûreté dans un contexte transfrontalier. Dans le CCBM, les banques centrales nationales agissent réciproquement comme dépositaires les unes des autres. 223 On utilise « Clearstream Banking, Luxembourg » par opposition à « Clearstream Banking, Frankfurt » (« CBF »). CBF appartient, tout comme CBL, au groupe « Clearstream International » et s’appelait jusqu’en 2000 « Deutsche Börse Clearing ». CBF est le CSD allemand et le successeur juridique du Kassenverein. En 2002, le groupe Clearstream International fut repris par Deutsche Börse AG. 1371 LA CIRCULATION DES TITRES Les titres admis dans le système Clearstream sont les certificats de dépôt, actions, billets et, en général, tout instrument attestant l’existence de droits de propriété ou de créance, qu’ils soient au porteur ou nominatifs, endossables ou non, et tout instrument – y compris un droit non représenté par écrit – que CBL estime, à sa discrétion, être une valeur mobilière. D’après l’article 7 des Clauses et conditions générales, toutes les valeurs mobilières reçues dans le système Clearstream sont traitées comme fongibles. CBL ouvre pour ses clients deux catégories de comptes : des comptes titres et des comptes espèces (appelés dans le langage interne de CBL « comptes de caisse »). En principe, ces comptes doivent toujours présenter un solde créditeur en faveur du client. Les transferts de valeurs entre les comptes ne s’effectuent que sous forme d’écritures comptables et par la technique du virement. Ce système permet le dénouement simultané – livraison contre paiement – des opérations sur titres. Lorsqu’une contrepartie A doit livrer X titres à une contrepartie B pour un montant Y, le compte titres de A est débité de X titres au même moment que le compte titres de B en est crédité ; simultanément, le compte espèces de B est débité de Y au même moment que le compte espèces de A en est crédité. Les ordres de virement des clients, sont donnés par des « instructions » qui, à partir d’un certain moment, deviennent irrévocables224. Les écritures comptables effectuées suite à ces instructions opèrent un transfert de droits entre les clients et CBL. Entre les clients, elles opèrent un transfert de possession, mais pas nécessairement un transfert de propriété225. On appelle « règlement » (en anglais, settlement) l’accomplissement du processus de règlement c’est-à-dire l’inscription de titres ou d’espèces au crédit d’un compte titres ou d’un compte espèces. Cette inscription entraîne le caractère définitif (en anglais, finality) des règlements, ce qui signifie qu’en principe les inscriptions ne peuvent plus être renversées ou contre-passées226. 39-84. Le règlement des opérations sur titres se fait à l’intérieur du système Clearstream à l’état brut (en anglais, gross settlement), c’est-à-dire « opération par opération »227. Il y a deux cycles de règlement : le système de jour (day time processing) opéré de manière continue et le système de nuit (night time 224 Article 33 des Clauses et conditions générales. En raison du principe du consensualisme applicable dans certains droits, le transfert de propriété peut déjà avoir eu lieu avant le virement des titres qui n’a qu’un effet de livraison. D’un autre côté, un virement de titres peut avoir lieu aussi sur base d’un contrat de nantissement ou de prêt pour lesquels un transfert de propriété n’a pas lieu. 226 Voy. la section 3.2 du Manuel ducClient (v° Settlement finality) et infra nos 83 et suiv. 227 Par opposition à un règlement à l’état net (net settlement) dans lequel le système de règlement opère d’abord une compensation (netting) entre les positions des différentes contreparties. Le droit luxembourgeois permettrait un tel système sur base de l’article 61-1 de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier. 225 1372 LA CIRCULATION DES TITRES processing) opéré en plusieurs blocs (batches) successifs. Le règlement se fait soit en interne (les deux contreparties ont leurs comptes auprès de CBL), soit over the bridge (l’une des contreparties a ses comptes auprès de l’autre ICSD, Euroclear Bank), soit en externe (l’une des contreparties a ses comptes auprès d’un dépositaire local, normalement un CSD). Pour les règlements en externe, CBL a établi des liens privilégiés (domestic links) avec des correspondants locaux. 39-85. Les règlements over the bridge228se font entre CBL et Euroclear Bank sur base d’un contrat sophistiqué appelé Bridge Agreement, soumis au droit luxembourgeois et entièrement renégocié et resigné le 29 juillet 2003229. Le contrat prévoit des processus de règlement de nuit et de jour entre les systèmes Clearstream et Euroclear et contient notamment des dispositions détaillées relatives au caractère définitif (finality) des règlements (pour le compte de leurs clients respectifs) entre les deux systèmes. En pratique, CBL et Euroclear Bank ont chacun des comptes titres et des comptes espèces l’un auprès de l’autre sans devenir pour autant, juridiquement, client (participant) l’un de l’autre. Les règlements se font, comme en interne, par écritures comptables. C. Le caractère définitif du règlement 39-86. Au courant de la dernière décennie, les opérations sur titres sont devenues de plus en plus nombreuses et importantes. À cela s’ajoutait le caractère systémique des opérations : dans la plupart des cas, le bon dénouement d’une opération sur titres est la condition préalable du bon dénouement d’une opération subséquente. Très souvent, les titres sont utilisés comme sûreté (collateral) dans des opérations de prêt ou de crédit ou de refinancement auprès des banques centrales. Il est donc indispensable que la livraison de titres une fois effectuée ne puisse pas être mise en cause ou renversée pour des causes juridiques liées à la situation des contreparties. En d’autres termes, il faut que le règlement, une fois intervenu, soit définitivement acquis. Le caractère définitif (finality) des règlements d’opérations sur titres était initialement réglé par les documents contractuels des systèmes de règlement et variait de pays en pays. Qui plus est, ces règles risquaient d’être mises en causes par les dispositions d’ordre public des législations relatives aux faillites et autres régimes d’insolvabilité qui pouvaient frapper les contreparties et les opérateurs de systèmes de règlement d’opérations sur titres. L’Union européenne a dès lors 228 Le terme over the bridge provient historiquement des livraisons physiques des titres entre CEDEL et EUROCLEAR. Pour effectuer ces livraisons, un camion devait traverser le pont Adolphe à Luxembourg pour acheminer les titres du sous-dépositaire luxembourgeois de CEDEL vers le sous-dépositaire luxembourgeois de EUROCLEAR et vice-versa. 229 Ce nouveau contrat remplace les contrats précédents des 1er décembre 1980 et 6 mars 1992. 1373 LA CIRCULATION DES TITRES décidé – aussi dans le cadre de la mise en place de l’union monétaire et du système européen des banques centrales – d’élaborer une directive concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres230 (« directive 98/26/CE »). Celle-ci fut transposée en droit luxembourgeois par la loi du 12 janvier 2001231. Dans le même contexte et afin d’assurer en droit luxembourgeois une sécurité juridique plus complète encore que la directive 98/26/CE, le législateur a inclus dans la loi du 1er août 2001 concernant la circulation de titres et d’autres instruments fongibles une section spéciale232 contenant des règles applicables aux seuls dépositaires opérant à titre principal un système de règlement des opérations sur titres. 39-87. La loi du 12 janvier 2001 concerne à la fois les systèmes de paiement et les systèmes de règlement des opérations sur titres. Seuls ces derniers sont visés par la présente étude. Les nouvelles règles concernant le caractère définitif du règlement d’opérations sur titres ne s’appliquent qu’à des systèmes de règlement agréés ou considérés comme agréés en vertu de l’article 34-3 de la loi modifiée du 5 avril 1993233. Conformément à l’article 28-2 de ladite loi, tout accord formel valant système de règlement doit désigner un opérateur qui doit être agréé comme professionnel du secteur financier et qui tombe sous la surveillance prudentielle de la Commission de surveillance du secteur financier234. Le caractère définitif du règlement d’une opération sur titres est obtenu grâce à une série de dispositions de droit matériel qui peuvent être résumées comme suit. a) Irrévocabilité des ordres de transfert Un ordre de transfert (une « instruction » dans le langage de CBL) ne peut plus être révoqué ou remis en cause par un participant au système ou par un tiers à partir du moment de son introduction dans ledit système. Ce moment est déterminé par les règles de fonctionnement internes. L’irrévocabilité joue également en cas de procédure d’insolvabilité ouverte à l’encontre d’un participant au système235. 230 Directive 98/26/CE du Parlement et du Conseil du 19 mai 1998, J.O.C.E. no L 166 du 11 juin 1998, p. 45 et s. 231 Mémorial A no 16 du 6 février 2001, p. 681 et s. et Doc. parl. no 4611. 232 Il s’agit de la Section 6 de la loi du 1er août 2001 avec les articles 14 à 18. 233 Pour une étude exhaustive de la loi du 12 février 2001, voy. la publication « La protection des systèmes de paiement et de règlement-titres. Analyse de la directive 98/26/CE et de sa transposition en droit luxembourgeois », parue au Bulletin 2001/2 de la Banque centrale du Luxembourg, p. 53 et s. 234 Doc. parl. no 4611, p. 11 sub I (A). 235 Article 61-2 (1) et (2) de la loi modifiée du 5 avril 1993. 1374 LA CIRCULATION DES TITRES b) Affirmation de la validité des compensations Les compensations (en anglais, netting) opérées grâce aux ordres de transfert introduits dans le système ne peuvent plus être mises en cause à partir du moment de l’entrée desdits ordres dans le système, nonobstant toute disposition légale ou stipulation contractuelle en sens contraire. Il en va de même en cas de procédure d’insolvabilité ouverte à l’encontre d’un participant au système236. La validité des compensations est particulièrement importante dans les systèmes de règlement à l’état net (net settlement). c) Non-rétroactivité des procédures d’insolvabilité L’article 61-2 (3) de la loi modifiée du 5 avril 1993 abolit la règle dite de l’« heure zéro ». Les procédures d’insolvabilité ne commencent donc plus à zéro heure le jour de leur prononcé, mais au moment précisé dans le jugement. Ce moment ne peut être fixé rétroactivement. d) Insaisissabilité des comptes L’article 61-2 (5) de la loi modifiée du 5 avril 1993 dispose que tout compte de règlement – que ce soit un compte titres ou un compte espèces – ne peut être saisi, mis sous séquestre ou bloqué d’une manière quelconque par un participant, une contrepartie ou un tiers. Il s’agit en l’occurrence d’une véritable isolation (en anglais, ring-fencing) des avoirs introduits dans le système de règlement. L’article 15 de la loi du 1er août 2001 concernant la circulation de titres et d’autres instruments fongibles organise pareillement – mais avec certaines exceptions – l’insaisissabilité des titres et autres instruments financiers déposés en régime fongible auprès d’un dépositaire opérant à titre principal un système de règlement237. L’article 61-2 (5) de la loi modifiée du 5 avril 1993 doit être considérée comme lex specialis par rapport audit article 15 alors qu’il ne vise que les « comptes de règlement » définis à l’article 34-2 (n) de la loi de 1993. 39-88. La nature définitive du règlement d’une opération sur titres est acquise si et lorsque le jeu des écritures comptables qui meut les titres et les espèces ne peut plus être renversé ou autrement mis en cause. La loi luxembourgeoise arrive à ce stade d’abord par l’irrévocabilité des instructions et des compensations dès l’entrée des ordres dans le système. Les procédures d’insolvabilité ne peuvent affecter ni les ordres ni les compensations. Les avoirs sur les comptes de règlement servent uniquement aux règlements en cours et ne peuvent être saisis de l’extérieur. Par conséquent, les contreparties ont l’assurance que les 236 237 Article 61-2 (1) et (2) de la loi modifiée du 5 avril 1993. Doc. parl. no 4695, p. 9 sub article 15. 1375 LA CIRCULATION DES TITRES ordres de transfert donnés seront effectivement exécutés, et ceci de façon irréversible. La législation luxembourgeoise répond parfaitement aux exigences du marché en ce qui concerne la sécurité des règlements des opérations sur titres238. Dans sa recommandation no 11, le Groupe des Trente s’est exprimé comme suit : Providers of securities settlement services should reduce to the lowest possible level the credit risk created if securities or cash are delivered without receipt of corresponding assets, by linking securities transfers to fund transfers in a way that achieves effective delivery versus payment (DvP) and by making transparent the point at which finality of transfer is achieved. Once finality of transfer is fully assured, the rules should enable a receiver to re-use securities and cash without further delay. Cette recommandation est transposée par les dispositions légales en vigueur et les règles de fonctionnement interne de l’opérateur luxembourgeois le plus important, CBL. Afin de donner, dans ce contexte, tout l’effet voulu à la réglementation luxembourgeoise, l’article 61-4 (1) de la loi modifiée du 5 avril 1993 prescrit l’application de la loi du système en cas de défaillance d’un participant à un système de règlement luxembourgeois. Pareillement, l’article 12 de la loi du 1er août 2001 applique la loi du dépositaire aux titres reçus en dépôt dans son système, quelle que soit la situation effective desdits titres. Pour les titres inscrits en compte, il s’agit en réalité de la loi du lieu de la situation du teneur de comptes239. 238 239 Group of Thirty, « Global Clearing and Settlement : a Plan of Action », 2003. Voy. aussi supra, nos 42 et s. 1376