dp drole de drame

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dp drole de drame
AU CINEMA L’ETOILE
DIMANCHE 21 NOVEMBRE 2010
à 17h
CINECINE-CLUB DE l’ETOILE
fiche technique / synopsis / revue de presse
Drôle de Drame (1937)
FICHE TECHNIQUE
Scénario : d’après The Lunatic at Large, His First Offence de Storer Clouston.
Adaptation et dialogues : Jacques Prévert.
Images : Eugen Schüfftan assisté de Louis Page et Henri Alekan.
Assistants réalisateurs
réalisateurs : Pierre Prévert et Claude Walter.
Décors : Alexandre Trauner.
Costumes : Lou Tchimoukov.
Musique : Maurice Jaubert.
Directeur de production : Charles David.
Administrateur : Jean Lévy [Ferry].
Son : Antoine Archimbaud.
Montage : Marthe Poncin.
Interprètes
Interprètes : Françoise Rosay (Margaret Molyneux), Michel Simon (Irwin Molyneux/Félix Chapel), Louis
Jouvet (Archibald Soper, évêque de Bedford), Jean-Pierre Aumont (Billy, le laitier), Nadine Vogel (Eva), Pierre
Alcover (l’inspecteur Bray), Jean-Louis Barrault (William Kramps, le tueur de bouchers), Henri Guisol (le
journaliste Buffington), Agnès Capri (la chanteuse de rue), René Génin (le balayeur), Marcel Duhamel (le
fêtard qui aime les enterrements), Ky-Duyen (l’hôtelier chinois), Jeanne Lory (la tante Mac Pherson), Jean
Sinoël (le gardien de prison), Madeleine Suffel (Victory, gouvernante de la tante), Yves Deniaud (un policier
en civil), Max Morise (James, le valet de chambre), Fabien Loris (le policeman à l’oeil au beurre noir), Guy
Decomble (le maquereau), , Jenny Burnay (Mme Pencil), Annie Carriel (Elisabeth Soper), Claudie Carter,
Fabien Loris, Maurice Marceau, Francis Korb, Frédéric O’Brady, Margot Capelier (une cliente du salon de
thé).
Production : Édouard Corniglion-Molinier.
Tournage : mai juin 1937, studios Pathé-Cinéma (Joinville).
Distribution : Pathé puis (1951) Les Grands Films classiques.
Sortie : 20 octobre 1937, au Colisée (Paris).
Titre anglais : Bizarre, bizarre.
Durée : 105 minutes.
SYNOPSIS
Margaret Molyneux est mariée à un bourgeois un peu désargenté qui écrit des romans policiers sous le
nom de Chapelle. Ce Molyneux-Chapelle a pour cousin un évêque anglican qui ne dédaigne pas de porter
le kilt… Dans le quartier où habitent les Molyneux rode William Kramps, l’homme à casquette et à
bicyclette qui tue les bouchers par amour des moutons.
REVUE DE PRESSE
COMBAT, 11/1964 (Henry CHAPIER) Comme il nous semble sévère, agressif, ce jugement porté sur le film
par Georges Sadoul qui le considère comme un demi-échec : « fantaisie glaciale, ingénieuse et laborieuse,
où le parti pris poétique freinait le rire!… » (…) Une grâce bien française, qui a gardé aujourd’hui encore
toute sa fraîcheur : les dialogues sensibles, spontanés, ingénus n’ont absolument pas vieilli; on souhaite à
nombre de nos cinéastes actuels (je songe à Jacques Demy, mais aussi à Michel Deville) le bonheur de
manier un tel texte, et de le faire dire aux acteurs. Que l’invention, le ton, les trouvailles de Prévert aient
incité les interprètes à jouer comme au théâtre, je l’admets volontiers. Mais Françoise Rosay, comme
Michel Simon et Louis Jouvet ont conçu leur rôle sans le moindre cabotinage. Dans Drôle de Drame, Carné
n’a toléré aucune trace de vulgarité : son film tient à la fois de la comédie anglaise, et d’une sorte d’opéra
de quat’ sous revu et corrigé par une troupe berlinoise de 1930. C’est du très beau travail de mise en
scène, à une époque où l’on ne méprise pas encore le public, qu’il s’agit d’abord de conquérir et non
d’épater. Que le temps ait apporté à Drôle de Drame une dimension supplémentaire, celle du charme un
peu démodé, nul ne le conteste. Mais j’avoue n’être pas d’un âge où l’on s’attendrit sur le passé, et je n’ai
vu pour la première fois Drôle de Drame que bien après la guerre. A mon sens, cette reprise ne vise pas
seulement des vétérans ou des cinéphiles, mais aussi le grand public. (…) Il y a dans Drôle de Drame
beaucoup plus de sérieux qu’on ne serait tenté de croire. Et je suis persuadé que si l’historien Georges
Sadoul voulait revoir le film dans l’optique qui l’intéresse, il découvrirait dans Drôle de Drame, sous les
traits de cette fantaisie délurée, une prise de conscience assez nette du péril fasciste. Devant la facilité
avec laquelle on manie les foules en leur jetant indifféremment en pâture innocents ou coupables, il y a de
quoi rester songeur. Ferons-nous à Marcel Carné et Jacques Prévert l’insulte de croire qu’ils n’y ont pas
pensé en 1937 ?
BEAUX ARTS, 29/10/1937 (Louis Chéronnet)
Marcel Carné a essayé, c’est visible, de transposer dans le style français cette loufoquerie arbitraire et
clownesque qui nous ravit tant dans les films américains. Il n’est parvenu qu’à une sorte de violent
vaudeville cérébral, au dessin caricaturalement stylisé et quasi surréaliste pour tout dire (il y a du René
Clair là-dedans). Tous les effets sont appuyés littérairement et plastiquement… L’absurde anglo-saxon a
quelque chose de direct et de sainement physique qui détend l’esprit. L’absurde de Marcel Carné et de
Prévert — qui a écrit le dialogue — a quelque chose de prémédité qui inquiète mentalement… Toutes ces
réserves de principe étant faites, il faut dire bien haut que ce film marque une heureuse volonté de sortir
— enfin! — de l’immonde médiocrité où patauge le film comique français…
LES NOUVELLES LITTERAIRES, 1937 (Emile Vuillermoz)
Voici une œuvre qui rend un son neuf et personnel (…). Son réalisateur Jacques Prévert (sic) nous a déjà
donné des preuves de sa vivacité et de son originalité d’esprit. Il y a dans sa technique quelque chose
d’inhabituel qui, dans l’esthétique standard de nos studios est immédiatement perceptible. Certes, on peut
reprocher à son film des longueurs et des arrêts de rythme qu’il n’aurait pas été très difficile de faire
disparaître, mais nous nous trouvons en face d’un style personnel et d’un dialogue savoureux et vivant, et
ce sont là des aubaines trop rares pour qu’on ne les recueille pas avec satisfaction.
CANDIDE, 28/10/1937 (Jean Fayard)
La stylisation anglaise fournit quelques images réussies… Le seul critérium applicable à la comédie, c’est
sa valeur comique. Et ici, il est certain que l’entassement d’absurdités et de méchantes clowneries ne nous
fait plus rire… Les exhibitions de Jouvet en jupe et de Jean-Louis Barrault tout nu ne suffisaient pas à
réchauffer l’atmosphère… Tout cela est trop compliqué, trop verbeux, trop appuyé, trop voulu.
LE POPULAIRE, 27/01/1937 (Charles Jouet)
… Tout en composant un film français par le langage, on lui a donné une allure de comique londonien de
la plus humoristique venue… Pas une faute à relever, c’est la correction même dans la fantaisie échevelée.
MARIANNE, 27/10/1937 (Marcel Achard)
Un film excellent, tué par une merveilleuse photographie… M. Shiftan (sic) a fait de son mieux — qui n’est
pas très loin de la perfection — et c’est à lui pourtant que le film devra sa demi-réussite… La photographie
de Drôle de drame confère au film une prétention, un gongorisme, un air de « vous allez voir ce que vous
allez voir! » des plus regrettables… L’invention est souvent d’un clown drôle, mais, sur l’écran, elle fait
«tentative shakespearienne» – et il n’y a pratiquement rien de pire… La loufoquerie et l’extravagance se
donnent toujours la meilleure excuse, qui est celle de l’improvisation. Pour être drôle, une extravagance
doit être improvisée… Artistiquement photographiés, les gags de Drôle de drame donnent une déplorable
impression de travail.
L’ACTION FRANÇAISE, 29/10/1937 (François Vinneuil)
La simplicité est, hélas! ce qui manque le plus à M. Jacques Prévert. Je mets son nom en avant, parce qu’il
est manifestement le premier responsable du film, celui qui l’a réellement inventé. M. Carné ne faisant que
matérialiser par les décors et les photographies cette invention… La fête tourne… à la mascarade triste, au
dîner de têtes où des invités sans fantaisie voudraient bien enlever leur fausse barbe pour déguster le
potage. Drôle de drame est… bourré de la plus vaine, de la plus facile littérature. Il faudrait bien se garder
de faire à M. Prévert l’honneur de le prendre pour un excentrique, pour un de ces francs-tireurs, tels que
jadis M. Bunuel et son Chien andalou, dont on regrette en somme qu’ils n’aient plus les moyens de
s’exprimer… Même si le film était bien bâti, il manquerait vraisemblablement son but, parce qu’il est
illusoire de prétendre créer une atmosphère d’humour britannique avec des acteurs français… Le tout est
gai comme les cabrioles d’un maboul dans une chambre mortuaire.
DRÔLE DE DRAME (1937)
Bibliotheque des Classiques du Cinema – Ed.Balland 1974
Interview de Marcel Carné
(Le nom du journaliste
journaliste est malheureusement inconnu).
Comment est né le «tandem» Carné-Prévert?
C’est en 1936 que j’ai réalisé mon premier film, Jenny. Il s’agissait d’un film sur un scénario quelque peu
imposé: un «gros mélo» adapté d’un roman intitulé Prison de velours, c’est tout dire… Je travaillais avec
Jacques Constant à l’adaptation et j’ai demandé au producteur d’engager Jacques Prévert comme coscénariste. Pourquoi Prévert?
Prévert C’est très simple. Quelques années auparavant, j’avais beaucoup admiré sa
«bataille de Fontenoy». Il faut ajouter que j’étais un peu frondeur à l’époque, un peu anarchisant. J’avais
gardé en mémoire, cette phrase fameuse: «Soldats de Fontenoy, vous n’êtes pas tombés dans l’oreille d’un
sourd». Aussi, quand j’ai préparé Jenny, j’ai eu très envie de travailler avec lui. Je m’attendais à ce que le
producteur refuse, car il passait pour un farouche trotskiste. Mais à mon grand étonnement, il m’a déclaré
que Prévert était un ami de la maison. J’ai aussitôt appelé Jacques qui m’a proposé de le rencontrer à une
projection privée du Crime de Monsieur Lange qu’il venait de terminer avec Renoir.
Renoir J’ai donc vu Le Crime
de M. Lange en la seule présence de Renoir et de Prévert.
Prévert Inutile de vous dire que cela n’a fait que
renforcer mon désir de travailler avec lui. Nous avons écrit le scénario et Gaumont devait distribuer le film.
Nous avons appris, alors, que la censure s’opposait à certaines scènes qui se déroulaient dans un magasin
de lingerie féminine. La réaction de Prévert,
Prévert dont chacun connaît le caractère, ne s’est pas faite attendre :
«Vous me faites tous chier, je m’en vais aux Baléares». Après avoir arrangé un peu le scénario avec
Constant,
Constant j’ai tourné le film, puis Jacques est revenu. A la projection, il a été très surpris de ce qu’il
appelait «la qualité du boulot».
Comment avez-vous été amené à tourner Drôle de drame ?
Nous avions Prévert et moi, un ami commun, l’aviateur CorniglionCorniglion-Molinier.
Molinier Il avait acheté les droits de
deux romans, Les Jumeaux de Brighton et His First Offence de Storer Clouston.
Clouston Il m’a proposé d’en adapter
un au cinéma et de le produire. J’ai choisi His First Offence et nous nous sommes remis au travail avec
Prévert.
Prévert Voilà comment est né Drôle de drame. C’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance de
Trauner,
Trauner de Lou Bonin,
Bonin et de Jaubert dont j’avais beaucoup aimé la musique pour Quatorze Juillet de René
Clair.
Clair
Comment travaillez-vous à l’écriture d’un scénario?
C’est un travail de collaboration réelle, une aventure collective qui exige une présence constante,
quotidienne de plusieurs mois. Lorsque nous adaptons un roman, ou que nous écrivons un scénario
original, que ce soit avec Prévert,
Prévert Jeanson ou un autre, nous disons toujours tout ce qui nous passe par la
tête. Neuf fois sur dix, c’est une sottise, mais une idée en amène une autre qui sera peut-être la bonne…
Travaillez-vous de façon précise ou plutôt en improvisant?
Je conçois, j’écris entièrement le découpage technique – deux cent cinquante pages -, aussi quand
j’aborde le tournage, j’ai tout le film en tête. Je n’irai pas jusqu’à dire que je connais par coeur tout le
dialogue, mais je possède bien le film. Je sais d’avance que dans tel décor, je vais faire telle chose. Bien
sûr, dans Drôle de drame nous avons parfois improvisé, parce que j’avais des acteurs prodigieux. Mais, il
faut se méfier de l’improvisation. Sur le moment, on peut trouver une idée qui paraît très bonne sur le plan
comique ou sur le plan dramatique, puis on finit par s’apercevoir qu’elle entraîne des changements
considérables dans la suite de l’histoire. Je ne vais pas jusqu’à tourner de façon, disons mécanique comme
René Clair,
Clair par exemple. Je tourne plutôt à la manière de Feyder,
Feyder bien que je me soucie d’avantage que lui
de la technique. Trois choses comptaient pour Feyder : les acteurs, faire jouer sa scène comme il
l’entendait et l’emplacement de la caméra. Il se souciait peu de l’alternance des plans et du montage.
Où s’arrête le travail de Prévert
Prévert?
Il venait très souvent au tournage et il lui arrivait même de faire certaines remarques s’il pensait que je
m’engageais sur une mauvaise voie: «Moi, je voyais le personnage un peu différemment, il appuie trop» ou
«Il n’appuie pas assez». Mais, ça ne dépassait pas cela. Il ne se mêlait jamais de la prise de vue ni du
montage. Je dois d’ailleurs dire que très souvent, il n’était pas là pour le tournage. Il a énormément voyagé
entre 1936 et 1939. Mais dès qu’il rentrait, il téléphonait à la production pour demander à voir les rushes
du film. Ça l’intéressait prodigieusement.
Comment s’est déroulé le tournage?
Drôle de drame a été tourné très rapidement, en 23 jours. L’équipe d’acteurs que j’avais constituée n’avait
pas besoin de répéter beaucoup. J’avais eu beaucoup de mal à obtenir une telle distribution, car Charles
David,
David le directeur de production de CorniglionCorniglion-Molinier la trouvait trop chère. Mais tout a fini par
s’arranger. Françoise Rosay a été horrifiée quand nous avons tourné la scène où Barrault est complètement
nu au bord du bassin. Elle m’a déclaré après la prise de vue que j’aurais pu lui éviter ce spectacle. Puis, elle
est montée, furieuse, dans sa loge. C’était le dernier tour de manivelle. Elle n’a pas voulu venir boire le
champagne avec nous. Elle était jusqu’au bout imprégnée du personnage de Margarett Molyneux.
Molyneux Jouvet
n’appréciait pas beaucoup son rôle, l’esprit, le caractère de son personnage. Il trouvait un peu abusif
qu’on le déguise en Ecossais. Mais il était avant tout un comédien extrêmement consciencieux. Comme
Barrault et Jean Vilar avec qui j’ai fait Les Portes de la nuit. Ce sont tous trois de grands hommes de
théâtre et je n’ai jamais eu de pensionnaires plus souples. Ils se confiaient entièrement à moi et jouaient
avec tout leur talent. Barrault a mis dans le tournage de Drôle de drame une ambiance extraordinaire. Il
était ravi et se comportait comme un gosse. Jouvet et Simon ne s’aimaient pas beaucoup. Il y avait entre
eux une brouille qui remontait au temps où ils avaient joué ensemble à la Comédie des Champs-Elysées.
Mais ils n’en ont jamais rien laissé paraître. Ils s’étaient quand même mis dans la tête de se soûler
mutuellement au cours du fameux repas. Ils étaient en effet tous deux ivres après le tournage de cette
scène. Le soir, Jouvet devait jouer dans une pièce de Giraudoux;
Giraudoux il est tout de même parti très droit. Michel
Simon,
Simon lui, marchait un peu de travers. Alcover était très malade. Plus tard, quand j’ai fait un essai avec lui
pour remplacer Le Vigan dans Les Enfants du Paradis, il n’a pas pu prononcer trois mots. Dans Drôle de
drame il avait parfois un trou de mémoire, mais heureusement ses répliques n’étaient pas très longues. Il
n’y a pas eu au cours de ce tournage ce que l’on peut appeler de gros problèmes. Cependant, je me suis
un peu fâché avec Trauner au sujet d’un décor, celui de la rue pour lequel il avait pris un plateau trop petit.
D’après lui, nous n’avions pas pu en obtenir d’autre. Evidemment, la découverte de la rue, fait un peu toile
peinte et on me l’a d’ailleurs reproché. Il est vrai que j’avais ma part de responsabilité. J’aurais dû
employer un autre objectif, une plus courte focale pour prolonger la rue; mais je n’avais pas beaucoup de
métier derrière moi. Cela dit, comme il ne s’agissait pas d’un film réaliste, ça ne pouvait qu’accentuer son
côté baroque. Les costumes étaient extravagants et les éclairages de Shüfftan
Shüfftan fortement expressionnistes.
Ils préfiguraient déjà ceux de Quai des brumes.
Le film a été plutôt mal accueilli ?
En effet. Nous pensions que le public allait s’amuser autant que nous. En réalité, non seulement il ne
s’amusait pas, mais il était furieux. On a été jusqu’à casser des fauteuils au Colisée. Il faut dire que les
spectateurs du Colisée ont toujours bien accueilli les films qu’on leur proposait, à l’exception de trois :
L’Atalante, Drôle de drame et La Règle du jeu… Quand Drôle de drame est ressorti quelques années plus
tard dans cette salle, il a fait une brillante exclusivité. Mais en 1937, nous pensions Prévert et moi, ne plus
jamais faire de cinéma. Les producteurs nous accusaient d’avoir gaspillé l’argent d’un brave homme,
d’avoir abusé de sa confiance. En fait, CorniglionCorniglion-Molinier était ravi d’avoir produit ce film.
Malgré cela, vous avez continué à faire du cinéma, et Prévert aussi bien sûr, mais vous n’avez plus jamais
abordé, disons, le burlesque.
J’aimerais beaucoup réaliser un film comique. Seulement, imaginez une seconde, que je me présente avec
un scénario aussi farfelu à un producteur. J’aurais énormément de mal à le faire accepter, à moins
évidemment qu’il n’intéresse de très grandes vedettes. Aujourd’hui pas plus de quatre ou cinq artistes
garantissent le succès d’un film. On est loin de la richesse d’acteurs d’autrefois et il est devenu impossible
de réunir une équipe comparable à celle de Drôle de drame. Et puis, j’ai fait ce film avec Prévert.
Prévert Pensezvous qu’il existe aujourd’hui un auteur de son envergure?
De plus, pour les producteurs, je suis un «réaliste», et j’ai énormément de mal à sortir de ce cadre étroit.
DRÔLE DE DRAME (1937) Bibliothèque des Classiques du Cinema – Ed.Balland
Ed.Balland 1974
Interview de Michel Simon
(Le nom du journaliste est malheureusement inconnu).
Il faut vraiment rendre hommage à Carné,
Carné Drôle de drame est incontestablement l’oeuvre d’un grand
metteur en scène. Il a su réunir des acteurs qui ont tous du talent, du génie. Ils sont exactement choisis en
fonction du rôle à interpréter et d’ailleurs on ne peut imaginer Drôle de drame avec une interprétation
différente. Pourtant, vous savez quelle catastrophe ça a été.
Pour moi, ce n’était pas la première puisque Boudu sauvé des eaux, L’Atalante et La Chienne, films qui
figurent dans les cinémathèques et sont parmi les meilleurs du cinéma français, ont été accueillis par des
hurlements, par des manifestations. Pour Boudu, la police devait intervenir pour expulser les perturbateurs
qui arrachaient les fauteuils et poussaient des hurlements parce que j’attrapais des sardines à l’huile dans
une boîte avec les mains. Ce que venait voir le public au Paramount, c’était l’élégance, les femmes dans
des robes de grands couturiers et des jeunes premiers pommadés…
L’erreur, c’est la distribution, l’exploitation dont je pâtis depuis que je fais du cinéma, c’est faire la fortune
d’imbéciles qui vous pompent le sang, des vampires du cinéma!
Il y a une victime de ces aventures tragiques, dont on ne parle pas, celui qui a financé Drôle de drame.
C’était un aviateur, CorniglionCorniglion-Molinier,
Molinier un homme intelligent, cultivé. Il aurait pu faire une carrière de
producteur merveilleuse. On aurait fait des chefs-d’oeuvre avec un tel homme. C’est lui qui a trouvé le
roman His First Offence et l’a proposé à Carné.
Carné On peut le considérer comme un des auteurs du film. Il a
perdu tout ce qu’il avait mis dans le film. La critique a été d’une méchanceté incroyable quand il est sorti.
Quinze ans après, elle était excellente.
J’ai interprété des rôles très différents: des voyous, des avocats, des évêques, un curé, etc. L’enfant de
choeur, c’est encore à venir, je ne désespère pas. Je ne pense pas que Prévert ait écrit spécialement pour
moi le rôle de Molyneux-Chapel.
Je n’ai jamais choisi mes rôles. Ma seule préoccupation était de savoir si le chèque était approvisionné ou
non. Bien sûr, j’ai fait Boudu pour mon plaisir personnel puisque j’en étais coproducteur. Ça m’a d’ailleurs
ruiné et obligé de faire du théâtre pour payer mes dettes. De même pour L’Atalante ou La Chienne, j’ai
essayé d’apporter le plus de moi-même. Mais d’échec en interdiction, j’ai fini par me désintéresser des
films que je tournais et j’ai décidé de ne plus prendre aucune initiative, de ne plus me mêler de produire
ou de faire de la mise en scène comme pour Jean de la Lune. «Louons nos bras, c’est tout!»
Voilà comment j’ai fait ma carrière, commencée tout de même sous de favorables auspices, puisque ces
films sont maintenant consacrés dans le monde entier. Je me suis toujours également gardé d’intervenir
pendant le tournage, même lorsque j’étais victime d’une erreur de distribution. Je savais que l’on allait
plus ou moins à un désastre, mais je subissais sans rien dire mon triste sort de comédien disponible,
engagé et payé. Je n’ai jamais touché un texte. Je considère que le travail de l’auteur est sacré. Du moment
qu’on a choisi de l’interpréter on n’a pas à intervenir.
J’étais très demandé en 1937-1938. Je tournais une douzaine de films dans l’année. Je pouvais me
permettre d’avoir des exigences. Je n’acceptais de tourner que lorsque toutes les pages du scénario étaient
signées par l’auteur, le réalisateur, le producteur et son agent qui s’engageaient à ne pas déplacer une
virgule. Mais avec Carné,
Carné il n’y avait rien à craindre. Il n’était pas nécessaire d’improviser.
Prévert assistait au tournage. Il venait en amateur, en spectateur. Ça l’amusait cinq minutes, puis il
repartait.
DRÔLE DE DRAME (1937) Bibliothèque des Classiques du Cinema
Cinema – Ed.Balland 1974
Interview de Pierre Prévert
(Le nom du journaliste est malheureusement inconnu).
Comment s’est passé le tournage de Drôle de drame pour Pierre Prévert?
Et bien, je vais peut-être vous étonner, mais en ce qui me concerne ça s’est très mal passé, je ne me suis
absolument pas entendu avec Marcel Carné.
Carné C’était son premier film important, la première fois qu’il
travaillait avec autant de grandes vedettes.
Il était très nerveux, si bien que nos relations qui avaient toujours été très bonnes, se sont détériorées.
Une espèce d’incompatibilité d’humeur s’est installée entre nous et je suis «resté dans mon coin». Il faut
dire que Carné devait affronter une situation délicate. Pour la première fois, Jouvet et Simon se
retrouvaient face à face. Ils étaient fâchés depuis qu’ils avaient travaillé ensemble à la Comédie des
Champs-Elysées. Les premiers jours ont été difficiles. Dès leur première rencontre Jouvet a ouvert les
hostilités. A Michel Simon qui lui disait : «Votre rôle est admirable», Jouvet a répondu qu’en effet il l’était,
mais que les producteurs lui avaient d’abord proposé le rôle de Molyneux-Chapel que Michel Simon
incarnait, ce qui d’ailleurs était vrai. Bien entendu ça n’a n’a pas plu à Michel Simon.
Simon L’atmosphère était
tendue et Marcel Carné,
Carné un peu affolé, s’en est pris à ses collaborateurs, c’est-à-dire à moi, à un autre
assistant qui s’appelait Walter et à Nadine Vogel.
Vogel Il a été très dur avec elle. Elle était terrorisée.
Mon rôle dans ce film, que j’aime énormément, je tiens à le dire, a surtout été de créer une ambiance, avec
mon vieux copain Lou chargé, lui plus particulièrement, des costumes. Au point de vue technique, Marcel
Carné n’avait besoin de conseils de personne, il connaissait admirablement son métier. Il l’a prouvé,
surtout avec Les Enfants du Paradis qui est pour moi le plus grand film de l’équipe CarnéCarné-Prévert.
Prévert Ma
collaboration a donc été extrêmement réduite.
Je me suis beaucoup amusé avec Michel Simon et pas très bien entendu avec Jouvet.
Jouvet C’était un monsieur
qui méprisait le cinéma et du reste, il le disait. J’étais plus proche d’esprit de Michel Simon que je
considère comme un des comédiens les plus intelligents que j’ai rencontré.
C’est difficile de diriger des acteurs comme Michel Simon,
Simon comme Jouvet.
Jouvet Il faut simplement les laisser
faire, parfois les retenir ou les pousser un peu, leur dire avec quelle scène se raccorde ce qu’ils vont
tourner, leur expliquer que ça vient après ce qu’ils ont tourné il y a huit jours ou avant ce qu’ils tourneront
dans quinze.
Les acteurs répétaient seulement une fois ou deux, pour les éclairages, pour le caméraman et on tournait.
En cela, Carné est très différent de Jean Renoir,
Renoir par exemple. Jean Renoir,
Renoir travaillait le dialogue avec les
comédiens, puis réglait la mise en scène sur le plateau. Carné arrivait chaque jour sur le plateau en
sachant très précisément ce qu’il allait faire.
Un drôle de petit incident nous est arrivé: en répétant la fameuse scène du repas, Simon et Jouvet avaient
dévoré les deux canards à l’orange prévus pour les répétitions et le tournage. Le malheureux accessoiriste
était au bord de la dépression. Alors, avec Lou,
Lou nous avons arrangé les restes de façon à ce qu’ils soient
présentables. Heureusement, Simon et Jouvet avaient tellement mangé qu’ils n’avaient plus très faim pour
le tournage.
Je voudrais ajouter ceci: c’est grâce à Drôle de drame que s’est formée l’équipe Gabin,
Gabin Carné,
Carné Prévert.
Prévert
Quand le film est sorti au Colisée, ça a très mal marché. La presse a été vraiment très sévère. Gabin qui
était à l’apogée de sa carrière a déclaré: «Ce film me plaît beaucoup, je veux travailler avec ces gens-là».
C’est ainsi qu’il a rencontré Carné et Jacques et qu’ils ont fait ensemble Quai des brumes et Le Jour se lève.
texte de JeanJean-Louis Barrault (in.Balland.1974)
DRÔLE DE DRAME (1937) Bibliothèque
Bibliothèque des Classiques du Cinema – Ed.Balland 1974
Le texte de présentation de JeanJean-Louis Barrault
«Drôle de drame» me paraît être l’exemple typique du film qu’on pourrait appeler d’avant-garde. En
général, le mot avant-garde est un mot qu’on ne comprend pas très bien, et d’ailleurs, a-t-il une
signification? Il en a quelquefois dans la mesure où il est le signe d’un rendez-vous manqué. Quand Drôle
de drame a été présenté, je crois en 1937, les poètes, acteurs, techniciens, metteurs en scène qui avaient
créé ce film étaient en avance au rendez-vous du public. Il y a donc eu une espèce d’incompréhension. Le
contact ne s’est pas fait. Drôle de drame a été au départ un demi-échec, ou plutôt un demi-succès
d’estime; mais il a fallu les années de guerre pour que l’évolution se fasse dans l’esprit du public de
cinéma, pour que l’Histoire aide à cette évolution, pour que Drôle de drame trouve enfin son public. Il
sortait après la guerre, alors qu’il avait été tourné avant. Un rendez-vous manqué, cela me paraît être la
définition de l’avant-garde. En général, les pièces d’avant-garde deviennent des classiques.
Ce qui me paraît avoir été le signe principal de cette distance entre l’offre de l’équipe du film et la
réception du public, c’est le style de la poésie absurde. Il me semble qu’à cette époque, le film aurait eu
plus de succès en Angleterre. Il y avait une poésie, un humour, une espèce de folie, de gaieté anarchistes.
Nous étions ravis par le sujet et par la manière dont Jacques Prévert et Carné l’avaient traité, et surpris de
voir que le contact ne se faisait pas.
Le film a été réalisé en équipe. La distribution réunissait des acteurs de génie, comme Michel Simon,
Simon
Jouvet,
Jouvet des femmes extraordinaires d’autorité et d’intelligence comme Françoise Rosay,
Rosay des jeunes gens
merveilleux comme JeanJean-Pierre Aumont ou Nadine Vogel,
Vogel des opérateurs de talent également. Carné était
en pleine forme, Prévert était au maximum de ses moyens. CorniglionCorniglion-Molinier était un homme étonnant
d’intelligence et de sensibilité. C’est lui qui a imposé partout Drôle de drame et je crois qu’il y a laissé pas
mal de plumes.
C’était une époque d’insouciance de gaieté, était-ce une prémonition?… On se ruait vers le plaisir et le
bonheur, vers la liberté d’esprit, la liberté d’expression, comportement qui était sans doute la
conséquence du Front populaire. Il y avait une espèce de floraison des esprits, les derniers échos de la
grande époque surréaliste. Tout ça fait que Drôle de drame a peut-être été surprenant pour le public de
cinéma. Il y avait cette atmosphère qui choquait sans vouloir être choquante, comme à son époque le
surréalisme choquait sans vouloir être choquant, il existait. Mais depuis, le surréalisme a été accepté par le
plus grand nombre, s’est imposé.
Nous vivions tous ensemble, nous allions rue Jacob chez Chérami,
Chérami au Grenier des Augustins, nous nous
rencontrions tous les jours, toutes les nuits, nous vivions comme une espèce de tribu, c’était, avec un
esprit très bon enfant, déjà une communauté. Si bien que l’atmosphère du film dégage cette intimité
d’équipe, de camaraderie qu’il y avait à cette époque-là à Saint-Germain-des-Prés.
Nous interprétions, Michel Simon et moi, la scène où il disait : «… moi j’aurais voulu qu’on m’aime.» Je lui
apprends que je suis tueur de bouchers, je lui présente le couteau et il m’offre à boire. La technique était
très simple : un plan sur Michel Simon,
Simon un plan sur moi et un plan américain. On tournait quatre fois
chaque plan. On avait dans chaque plan une bouteille de whisky à vider, c’était en fait de l’eau et du thé.
Quatre fois une bouteille «sur» Michel Simon,
Simon quatre fois une bouteille «sur» moi et quatre fois «sur» le
plan américain, au total douze bouteilles de whisky-eau-teintée, si bien qu’entre chaque plan on allait
pisser. Dans cette scène, Michel Simon était tellement drôle que j’en ai perdu mon personnage. Je me suis
mis dos à la caméra pour rire et c’est resté dans le film, mais moi, je sais qu’à ce moment-là, le public m’a
vu de dos non pas pour les besoins du film, mais parce que Michel Simon m’avait fait éclater de rire.
Jouvet et lui ne s’entendaient pas très bien. C’était une vieille querelle du temps où Michel Simon jouait
pour Jouvet à la Comédie des Champs-Elysées. Jouvet qui était beaucoup moins arrogant qu’on ne croit et
beaucoup plus timide qu’on imagine, était très énervé de jouer avec Michel Simon parce qu’il était
conscient de son oeil critique. Par contre Michel Simon était sûr de lui, il pouvait bafouiller, c’était dans
son accent, tandis que le ton très particulier de Jouvet ne lui permettait aucun bafouillage d’autant qu’il
était professeur au Conservatoire. A un moment donné, Jouvet bafouille. «Coupez» crie Carné et pendant
qu’on recharge la bobine et qu’on met un petit peu d’ordre dans le décor on entend dans un silence Michel
Simon
Simon dire à Jouvet : «Vous vous êtes trompé… !» Cette sortie a provoqué chez Jouvet une rage
épouvantable, il ne voulait plus tourner.
Autre anecdote charmante : nous tournions la séquence de la piscine dans le jardin d’hiver. J’ai passé deux
jours dans cette piscine d’eau croupie car Carné avait le sens du réalisme, il y avait mis des grenouilles et
des nénuphars. Comme l’eau était trop froide on l’avait fait tiédir, les nénuphars pourrissaient et les
grenouilles crevaient. Moi j’étais au milieu de tout ça. Si bien qu’en quarante-huit heures j’ai attrapé la
maladie des champignons. J’en avais entre les doigts de pied, ce qui m’a fait beaucoup souffrir et c’est
ainsi que j’ai tourné Le Puritain le mois suivant. C’est peut-être cette souffrance des champignons entre
les doigts de pied qui m’a aidé à interpréter Le Puritain. Donc, il y avait ce plan où j’étais de dos à la
caméra et Françoise Rosay arrivait face à moi. Je devais plonger dans la piscine. Pendant les répétitions
j’avais un petit slip et au moment de tourner Carné m’a demandé d’accepter de jouer nu. Ce que je fis
volontiers. Personne n’avait prévenu Françoise Rosay et, quand elle est arrivée et m’a vu complètement nu,
elle a poussé un cri «naturel» ce qui a été excellent pour son interprétation.
Bref, il me paraît, à trente-sept ans de distance, que l’originalité profonde de Drôle de drame a été
caractérisée par une liberté totale d’expression et la synthèse de l’humour et de la poésie. Et c’est peutêtre cela qui a surpris le public, mais c’est grâce à ce film que Prévert et Carné ont imposé au monde du
cinéma la poésie burlesque, la qualité du verbe poétique, l’humour et la liberté totale dans les associations
d’idées du montage. C’est ce qui me semble donner toute sa valeur moderne et future à Drôle de drame.
JeanJean-Louis BARRAULT – 1974
le numéro de l’Avantl’Avant-Scène Cinema (mars 1969)
DRÔLE DE DRAME (1937)
AvantAvant-Scene Cinema n°90 – 1969
Ce numéro de l’Avant-Scene Cinema est bien évidemment épuisé.
Louis Jouvet
Jean-Louis Barrault
Michel Simon
Michel Aumont
On a la surprise de trouver dans ce numéro cette photo rare de Marcel Carné sur le tournage de Drôle de
Drame.
Ce qui rend les numéros de l’Avant-Scene Cinema si précieux ce sont également les indications de scènes
tournées et coupées au montage comme celle-ci.
ou bien cet autre assez longue. La question est donc : est-ce que ces scènes coupées ont été conservés
quelque part et les verra-t-on un jour ?

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