place de la méthode mézières dans l`anorexie mentale

Transcription

place de la méthode mézières dans l`anorexie mentale
MÉMOIRE DE FIN DE FORMATION
A LA MÉTHODE MÉZIÈRES
AMIK PROMOTION 2010-2012
LESAGE – SENECHAL Célin
PLACE DE LA MÉTHODE MÉZIÈRES
DANS
L’ANOREXIE MENTALE
AMIK PROMOTION 2010-2012
Céline LESAGE-SÉNÉCHAL
« Notre corps n’est pas seulement un espace expressif parmi tous les autres[…], il est
l’origine de tous les autres, le mouvement même d’expression, ce qui projette audehors les significations en leur donnant un lieu, ce qui fait qu’elles se mettent à
exister comme des choses, sous nos mains, sous nos yeux. »
M. MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception
REMERCIEMENTS
Je tiens tout d’abord à remercier Anaïs pour sa participation ainsi que pour
l’enrichissement professionnel et personnel que j’ai pu acquérir grâce à elle.
Je remercie également le médecin généraliste d’Anaïs qui a pris le temps de m’éclairer
sur la prise en charge de cette pathologie et qui a orienté, avec bienveillance, mes lectures de
chevet.
Je remercie mon mari pour son soutien face à mes doutes, pour sa tolérance face à mon
humeur fluctuante durant ces quelques mois de recherche, d’analyse et d’élaboration de ce
travail écrit.
Je remercie enfin la fine équipe framboisine qui, à distance, m’a accompagnée durant
cette période tumultueuse et qui m’a aidée à me surpasser pour rendre ce mémoire dans les
temps impartis.
SOMMAIRE
INTRODUCTION .................................................................................................................... 1
I- DESCRIPTION DE L’ANOREXIE MENTALE .......................................................... 2
I.1- DESCRIPTION CLINIQUE ........................................................................................ 2
I.2- DONNEES SOCIOCULTURELLES .......................................................................... 3
I.3- DONNEES THEORIQUES ......................................................................................... 3
I.4- DONNEES THERAPEUTIQUES ............................................................................... 5
II- APPROCHES THERAPEUTIQUES PSYCHOCORPORELLES ............................ 6
II.1- LES THERAPIES PSYCHOCORPORELLES .......................................................... 6
II.2- LE CHAMP PARAMEDICAL DU SOIN SOMATIQUE ......................................... 7
II.3- APPORTS DE LA METHODE MEZIERES DANS LE SOIN SOMATIQUE ......... 9
III- CAS CLINIQUE .......................................................................................................... 10
III.1- PRESENTATION DE LA PATIENTE ET DU DOSSIER MEDICAL ................. 10
III.2- BILAN MEZIERISTE INITIAL ............................................................................. 11
III.3- TRAITEMENT ........................................................................................................ 12
III.4- DISCUSSION ET INTERROGATIONS ................................................................ 16
CONCLUSION ....................................................................................................................... 19
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ............................................................................. 20
ANNEXES ............................................................................................................................... 22
INTRODUCTION
Je n’ai pas beaucoup d’expérience ni de recul quant à la pratique de la méthode
Mézières puisque je n’ai pris en soins que sept patients en un an. Je ne savais pas
véritablement quelle orientation prendrait ce travail écrit ni même quel en serait le sujet
jusqu’au moment où la relation thérapeutique instaurée avec Anaïs m’a donné envie de vous
rendre compte de cette expérience originale.
L’anorexie mentale appartient au registre des troubles des conduites alimentaires et
touche préférentiellement les adolescentes et les jeunes adultes. Elle entrave leur
épanouissement affectif et social et alerte le corps soignant ainsi que la population d’une
manière générale par l’engagement du pronostic vital du patient en raison des conséquences
de sa dénutrition. Les hypothèses de compréhension de cette pathologie nous montrent que les
interactions constantes entre les symptômes psychiques et corporels témoignent d’une atteinte
de l’unité psychosomatique du patient.
Après la description de cette pathologie et de sa prise en charge conçue actuellement
autour d’un modèle pluridisciplinaire, nous nous intéresserons aux approches thérapeutiques
psychocorporelles et nous verrons quels intérêts présente la méthode Mézières.
Enfin, à travers la prise en charge d’Anaïs, à travers son ressenti et avec les résultats
obtenus, nous verrons la dimension intéressante de la méthode Mézières comme moyen
d’accès au vécu corporel de cette patiente mais également les limites de cet abord
thérapeutique en cabinet de ville.
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I- DESCRIPTION DE L’ANOREXIE MENTALE
I.1- DESCRIPTION CLINIQUE
Au niveau symptomatique, l’anorexie mentale de la jeune fille se définit classiquement
par la triade « anorexie-amaigrissement-aménorrhée ». Le début des troubles est marqué par
une restriction alimentaire volontaire, dans un cadre de régime ou non. La perte de poids
s’accompagne d’une impression de « mieux-être », parfois d’une exaltation de l’humeur.
L’hyperactivité physique et intellectuelle renforce cette évolution qui occulte dans un premier
temps le développement d’obsessions relatives au poids, aux formes du corps et aux aliments.
La jeune femme perd très progressivement le contrôle du comportement alimentaire et la peur
de prendre du poids l’entraîne dans une restriction toujours plus sévère. Ce sont souvent les
proches ou le médecin traitant qui s’inquiètent de son amaigrissement et de l’altération de son
état général. La jeune femme, elle, présente un déni ou une dénégation du trouble et cherche à
dissimuler la perte de poids et la restriction, parfois les vomissements provoqués ou les prises
de laxatifs [1] (Tableau 1).
La dénutrition va conduire à l’aménorrhée, à la bradycardie, à l’hypothermie. La
restriction alimentaire favorisera les troubles digestifs (reflux gastro-œsophagien,
ralentissement de la vidange gastrique, ballonnements intestinaux, constipation), les troubles
du caractère (angoisse, irritabilité), les troubles du sommeil, la sensation de puissance mais
aussi le sentiment de maîtrise sans lequel l’anorexie mentale n’existe pas. La peur de grossir
pousse à l’hyperactivité physique, au trouble de l’image corporelle, aux vomissements ou aux
conduites obsessionnelles (Tableau 2). Selon le Professeur D. RIGAUD, « le manque de
confiance conduit à la poursuite d’un but de nature sensorielle, l’état de jeûne et/ou
émotionnelle, la gratification de maigrir. Le comportement se fige par sa répétition et par la
réaction de l’entourage même si les bénéfices disparaissent » [2].
La classification internationale CIM 10 (annexe 1) [3] a défini les critères diagnostiques
de l’anorexie mentale. Une synthèse des différentes études publiées ces dernières années
suggère que le sex ratio est de 95% de femmes (1 homme pour 15 femmes), que le début des
troubles se situe entre l’âge de 15 et de 24 ans et que 1% à 1,5% des femmes de cet âge sont
anorexiques. Les taux de mortalité sont classiquement compris entre 7% et 10%, ce sont les
plus élevés pour les pathologies psychiatriques [1].
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I.2- DONNEES SOCIOCULTURELLES
De nombreux travaux ont mis l’accent sur la dimension socioculturelle de cette
pathologie en indiquant la prédominance de l’anorexie mentale dans les pays occidentaux,
chez les sujets blancs de peau et dans les classes socio-économiques élevées. GUILLEMOT
et LAXENAIRE [4] proposent la thèse du « culture-bound-syndrome » pour comprendre les
troubles des conduites alimentaires. Selon ces auteurs, l’idéal de minceur des sociétés
occidentales, qui repose sur plusieurs présupposés (condition de réussite sociale, gage de
moralité, gage d’éternelle jeunesse et condition de bonne santé) s’associe à d’autres facteurs
culturels tels que la performance individuelle, la compétition. D’ailleurs, si on regarde de plus
près l’évolution de l’image du corps au cours du dernier millénaire dans nos sociétés
occidentales (annexe 2), on voit que la dictature de la minceur prend son essor dans les
années 1970 pour culminer à une promotion de la maigreur dans les médias au cours des
années 2000. Les héroïnes modernes sont des mannequins squelettiques, la minceur est un
signe de richesse, de contrôle et de performance puisqu’elle est souvent le résultat d’une saine
alimentation, de séances de gym, de loisirs et d’un certain niveau d’éducation qui vont de pair
avec le niveau de vie. Les rondeurs sont devenues synonymes de laisser-aller, de perte de
contrôle face à l’abondance alimentaire et de nourriture « bon marché ». Ces conditions
socioculturelles associées à une certaine psychopathologie font le lit des troubles des
conduites alimentaires. Ce n’est que depuis 2006, suite au décès de plusieurs mannequins qui
ne s’alimentaient presque plus que le débat international sur l’extrême maigreur des jeunes
filles dans les défilés a été lancé. Depuis des mannequins « grande taille » auxquels toutes les
femmes peuvent s’identifier déclenchent des réactions dans le monde entier (annexe 3).
I.3- DONNEES THEORIQUES
Le modèle actuellement validé quant à l’anorexie mentale est polyfactoriel [7].
I.3.a- Au niveau génétique
Les études génétiques sur l’anorexie mentale sont peu nombreuses car de larges
populations doivent être recrutées puisque la prévalence de la maladie est faible. Selon le
Professeur D. RIGAUD, l’héritabilité a été estimée à 71% dans les études familiales mais « ce
n’est pas l’anorexie mentale ou la boulimie qui est transmissible mais bien le TCA1. Lorsque
1
TCA : Trouble du Comportement Alimentaire
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ceci a été rapporté, on trouve jusqu’à 10-15% de TCA dans la famille contre 5% à 7% dans
la population générale » (annexe 4).
I.3.b- Au niveau neurobiologique
Certains auteurs ont recherché un dysfonctionnement au niveau cérébral pour expliquer
les troubles de l’image du corps. Ils se sont basés sur des études expérimentales d’autoévaluation d’image du corps chez des patientes souffrant d’anorexie mentale et dans la
population générale et ont rendu compte d’un biais de surestimation du poids et de la
silhouette avec deux hypothèses : la première est un trouble de la perception c’est-à-dire que
le corps est imaginé plus gros car il est perçu plus gros ; la structure fonctionnelle déficiente
serait le cortex pariétal droit. La deuxième hypothèse est cognitive c’est-à-dire que le corps
est imaginé plus gros car la représentation faite de celui-ci est altérée : les anomalies seraient
ici liées à des erreurs d’intégration du schéma corporel au niveau de l’hémisphère gauche.
Comme dans la plupart des maladies psychiatriques, l’anorexie semble associée à un
dysfonctionnement de neurotransmetteurs. Des études ont montré que la sérotonine joue un
rôle important dans l’alimentation. Les recherches actuelles s’orientent vers l’hypothèse
d’anomalies
neurochimiques
centrales
à
l’origine
des
troubles
hypothalamiques
(essentiellement un dysfonctionnement des systèmes sérotoninergiques [7]. La caractérisation
des mécanismes moléculaires de contrôle de la satiété au niveau du cerveau pourrait
permettre d’envisager un traitement pharmacologique pour cette pathologie [8].
I.3.c- Au niveau psychopathologique
Le développement de la jeune fille anorexique est marqué par les réponses
inappropriées de ses parents ou d’un mauvais équilibre dans le couple parental. Bien que
perçu dans son individualité, l’enfant n’est pas investi pour lui-même mais pour ce qu’il
devrait être pour satisfaire les exigences narcissiques de ses parents [9].
La compréhension de l’anorexie mentale à partir de la pensée psychanalytique est en
constant remodelage. La perspective actuelle tend à intégrer les troubles des conduites
alimentaires dans les addictions et dans la problématique adolescente. Les études soulignent
la vulnérabilité narcissique fondamentale des anorexiques en lien avec un dysfonctionnement
dans les processus de séparation-individuation et d’identification [1].
|4
I.3.d- Au niveau psychosomatique
L’anorexie est considérée par plusieurs auteurs comme une entité psychosomatique. En
effet, l’amaigrissement, corollaire de l’anorexie, n’est pas un symptôme du corps imaginaire
mais bien du corps réel. Les symptômes psychiques précèdent et accompagnent l’anorexie et
l’amaigrissement. Les signes physiques et psychiques interagissent les uns avec les autres.
I.4- DONNEES THERAPEUTIQUES
I.4.a- Traitement médicamenteux
Il n’existe pas de traitement médicamenteux efficace sur la peur de prendre du poids des
malades souffrant d’anorexie mentale. Ce sont d’éventuelles comorbidités psychiatriques qui
justifient la prescription de psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, antipsychotiques).
Les antidépresseurs de type tricyclique sont préférentiellement prescrits car non anorexigènes.
I.4.b- Une prise en charge multidisciplinaire
La prise en charge varie selon les équipes, notamment en ce qui concerne les modalités
de suivi : hospitalisation ou suivi ambulatoire, séparation ou non de la famille, instauration
d’un contrat de soin par exemple. Dans un premier temps, la surveillance médicale est assurée
par le médecin traitant. Elle repose sur le contrôle de l’IMC 2, de l’examen cardiovasculaire,
des marqueurs biologiques révélant un hypométabolisme. Le médecin oriente la prise en
charge en fonction de l’IMC de la patiente (Tableau 3). Il envisage l’hospitalisation soit en
urgence en service de médecine (mise en jeu du pronostic vital) ou comme alternative aux
soins ambulatoires (hospitalisation dans un service spécialisé). Cette dernière permet de
combiner la rééducation diététique, la normalisation du poids, l’initiation d’une thérapie
familiale et groupale et la préparation de la patiente à un travail au long cours [10].
Les connaissances actuelles nous montrent que l’anorexie mentale est une pathologie
marquée par l’interaction de symptômes physiques et psychiques et qu’elle nécessite une
prise en charge pluridisciplinaire. Les troubles de l’image du corps représentent un symptôme
cardinal de la maladie. Au-delà des thérapies cognitivo-comportementales3, nous verrons
2
IMC : Indice de Masse Corporelle
Thérapies cognitivo-comportementales (TCC) : ensemble de traitements des troubles psychiques qui partagent une
approche selon laquelle la thérapeutique doit être basée sur les connaissances issues de la psychologie scientifique et obéir à
des protocoles relativement standardisés dont la validité est dite basée sur la preuve.
3
|5
comment ce symptôme peut être pris en charge par les psychothérapies à médiation corporelle
comme la psychomotricité ou les thérapies de la conscience du corps comme la relaxation, la
fasciathérapie ou les kinésithérapies globales dans lesquelles s’inscrit la méthode Mézières.
II- APPROCHES THERAPEUTIQUES PSYCHOCORPORELLES
II.1- LES THERAPIES PSYCHOCORPORELLES
II.1.a- Naissance des thérapies psychocorporelles
Les thérapies psychocorporelles placent le corps au centre de l’acte thérapeutique pour
traiter l’esprit. Elles découlent directement des psychothérapies fondées par W. REICH4 dans
les années soixante où le corps est directement et activement impliqué. Avant son exclusion
de la société psychanalytique de Vienne, REICH avait noté qu’au cours d’une analyse
classique, lorsqu’une résistance importante apparaissait et se maintenait, simultanément des
tensions musculaires se localisaient à certains niveaux de l'organisme du sujet. Lorsque la
résistance disparaissait à la suite d'un « Insight5 », en même temps disparaissait la tension
musculaire. De ce constat, W. REICH eut l'idée d'essayer de faire disparaître la tension
musculaire par un massage localisé au groupe de muscles atteints de cette augmentation de
leur tonus de base. Il constata ainsi que la résistance psychologique tombait dans les instants
succédant au relâchement. Corroborées par ses études physiologiques, ses intuitions au sujet
du rôle fondamental du système neurovégétatif dans le blocage des émotions et le maintien de
la cuirasse caractérielle l’ont mené vers la première approche psychocorporelle de la
psychopathologie et vers la découverte de la nature du lien entre psyché et soma. Le travail
proposé est postural, respiratoire mais aussi moteur : le corps est utilisé pour apaiser les
souffrances de l’esprit en libérant les émotions refoulées.
II.1.b- La psychomotricité
Le concept même de psychomotricité rend compte de la liaison entre le corps et le
psychisme alors que ces deux entités ont souvent été pensées séparément. Le milieu pour
l'être humain comporte une dimension physique (le monde des objets) et une dimension
4
5
REICH Wilhelm (1897-1957) : Psychanalyste autrichien disciple de Freud à l’origine de la végétothérapie.
Insight : compréhension brusque d'une chose refoulée ou d'une résistance psychologique.
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sociale (le monde des sujets). Le terme de psychomotricité évoque donc cette interdépendance
constante entre le sujet et le monde.
Les troubles psychomoteurs se manifestent par un déséquilibre des fonctions
psychomotrices qui retentit sur le comportement, les conduites et les compétences. En
psychomotricité, le corps n’est plus un instrument à ajuster, à réparer ou à régler mais il est
« porteur d’être ». Mettre le sujet en mouvement c’est aussi le mobiliser sur le plan psychique,
l’aider à construire et à structurer la relation. Pour cela, le psychomotricien utilise différents
outils qui sont par exemple l’expression corporelle, le jeu, le sport ou les techniques de
relaxation.
II.2- LE CHAMP PARAMEDICAL DU SOIN SOMATIQUE
De plus en plus de professionnels de santé paramédicaux sont activement impliqués
dans la prise en charge des patients souffrant d’anorexie mentale en agissant sur la
composante perceptive de l’image corporelle, c’est-à-dire sur le schéma corporel et la
proprioception.
II.2.a- Les relaxations
La première technique de relaxation développée en 1912 est le training autogène de
SCHULTZ. Il explore la possibilité d’induire un état psychique en créant un état
neurovégétatif particulier (parasympathicotonie6) à partir de suggestions qui sont les images
sensorielles des effets végétatifs de relâchement musculaire (lourdeur, chaleur etc). Il
véhicule également la notion d’un état somatique propice à un travail émotionnel.
Ensuite vient la relaxation progressive de JACOBSON (1928) qui fait travailler ses
patients à partir d’alternances contractions/relâchements. Cette technique vise à permettre au
patient de réaliser des actions avec une tension minimale par la recherche d’une eutonie7.
Ce mécanisme incite à focaliser son attention sur une image mentale (un lieu calme) et
des sensations corporelles (chaud, tendu) et de mettre à distance l’émotion perturbatrice.
6
Parasympathicotonie : Ensemble de perturbations liées au système nerveux autonome, régulé par le nerf vague, dont les
rameaux nerveux se terminent au niveau du cou, du thorax et de l'abdomen.
7
Eutonie : (du grec eu = bien, harmonie, juste et tonos = tonus, tension) : a été créé par Gerda Alexander en 1957 pour
traduire l’idée d’une « tonicité harmonieusement équilibrée et en adéquation constante, en rapport juste avec la situation ou
avec l’action à vivre ».
|7
II.2.b- Les gymnastiques sensorielles
La gymnastique sensorielle (Eutonie, Feldenkrais), propose un travail en conscience sur
les postures, gestes et attitudes. L’objectif est de libérer les tensions physiques pour résoudre
les problèmes psychiques. La technique Feldenkrais repose sur la prise de conscience du
corps par le mouvement, l’Eutonie de Gerda Alexander mise quant à elle sur l’harmonisation
de l’homme avec son environnement à travers des enchaînements précis de mouvements.
L’approche d’Ida ROLPH s’appuie sur des liens existants entre les structures du corps,
les fascias. Elle analyse le corps et ses déformations à partir de la « mémoire » que constituent
les relations fasciales. En 1977, elle affirme clairement l’intrication psychosomatique en
posant l’hypothèse que le corps n’est pas l’expression de la personnalité mais « qu’il est en
soi la personnalité ». « Modifier la structure corporelle, ce n’est donc pas libérer
l’instrument d’expression d’un individu mais changer son expression et par conséquent l’être
lui-même » [11]. La Fasciathérapie de Danis Bois est pratiquée à l’hôpital par nombre de
thérapeutes ; elle a pour objectifs de soulager les tensions et d’améliorer la conscience qu’a le
patient de son propre corps. « Se voir mentalement en train de faire et de comprendre le
mouvement réunifie le vécu corporel à partir d’une action ». Cet investissement du corps
vécu peut devenir un savoir grâce à une pratique réglée de ces exercices [11].
II.2.c- La méthode Mézières et les kinésithérapies globales
Depuis 1949, après la publication d’un article intitulé « Révolution en gymnastique
orthopédique » , Françoise MEZIERES, a contribué à révolutionner l’approche classique
morcelant le corps et à faire des ponts entre le corps anatomique et le psychisme. En se
référant à une vision globale de l’appareil locomoteur, elle a généré de nouvelles techniques
thérapeutiques dont le concept de chaînes musculaires qui a été développé par plusieurs
auteurs. En 1984, elle publie « Originalité de la méthode Mézières » et énonce les six lois qui
expliquent l’observation princeps de 1947 (Tableau 4).
Par la suite, G. DENYS STRUYF a également développé une systématique du corps qui
débouche sur une thérapie manuelle aussi bien que sur une approche du mouvement ou une
psychomotricité. L’auteur considère que le corps est travaillé par l’intentionnalité. Tout part
d’une attitude physique face aux évènements : allers vers ou se rétracter, s’offrir ou se
soustraire, s’imposer, recevoir, percevoir etc. Le corps s’adapte et se sculpte sur la base de ces
structures anatomofonctionnelles.. Depuis les années 1980, L. BUSQUET, ostéopathe a
|8
également développé le concept de chaînes musculaires qui ont en charge l’organisation du
corps afin d’assurer la statique, l’équilibre, les mouvements et l’adaptation aux contraintes.
II.3- APPORTS DE LA METHODE MEZIERES DANS LE SOIN SOMATIQUE
La philosophie de la méthode Mézières donne une place capitale à la participation
active du patient dans la thérapie. Ce n’est pas un énième soin qu’il va « subir » puisque ˝le
patient agit à son corps participant et non pas défendant ˝ (J. PATTE). Dans la mesure où le
patient porte une attention soutenue à son corps, il peut devenir réceptif à ses sensations et à
ses émotions. La méthode Mézières guide le patient vers une prise en charge de lui-même,
elle le responsabilise.
Selon F. MEZIERES, ˝le mal n’est jamais là où il se manifeste˝ [12] c’est-à dire que le
motif de consultation est une conséquence d’un problème autre, occulté inconsciemment par
le corps qui a créé une chaîne de compensations pour masquer le problème initial. En agissant
sur la globalité du corps et en le libérant de ses compensations diverses, la méthode Mézières
permet une réharmonisation, une rééquilibration du corps qui n’est possible qu’avec une
conscience du patient de son schéma corporel. ˝C’est toute l’identité d’une personne qui est
redéfinie au cours d’un contact corporel˝ [13]. En aidant le patient à porter une attention
soutenue à sa sensorialité, on peut l’aider à changer ses représentations et ses comportements,
sa façon d’être en relation avec le monde. La proprioception du patient est mobilisée en partie
grâce au toucher thérapeutique (mouvement des mains du thérapeute qui permettent au
cerveau du patient d’intégrer de nouvelles informations sensitives et motrices) et grâce à
l’utilisation d’objets (balles, bâtons etc.) qui permettent au patient d’affiner ses perceptions et
à son cerveau d’enregistrer ces nouveaux stimuli et de réorganiser ses connections sensitives.
Cette approche corporelle est donc complètement adaptée dans la prise en charge de patients
où le vécu corporel et où la relation au corps sont perturbés.
La méthode Mézières prend en compte la dimension physique mais également
psychique du patient. En effet, elle s’adresse principalement au système nerveux végétatif qui
se compose du cerveau « reptilien » et de deux chaînes nerveuses principales et antagonistes,
le sympathique et le parasympathique qui se ramifient sur les viscères, les vaisseaux et les
glandes. Situées de part et d’autre de la colonne vertébrale, ces chaînes nerveuses comportent
des fascias nerveux et des petits ganglions disséminés dans les viscères et le long des chaînes,
notamment à proximité immédiate de la chaîne musculaire postérieure. Pour comprendre
|9
l’effet de la méthode sur le système végétatif, on peut imaginer les muscles paravertébraux en
état de tension permanente ; cette dernière perturbe l’action des ganglions sympathiques et
des filets nerveux situés dans leur environnement. La normalisation de ces ganglions par
l’action sur les chaînes musculaires entraîne un « lâcher-prise » émotionnel bénéfique.
De la même façon, la libération de la respiration est prépondérante chez tout individu
car elle est responsable de son équilibre physique, psychique et émotionnel. Sur le plan
physique, le diaphragme représente l’attitude de défense ou de compensation ultime qui va
empêcher le travail correct de libération des tensions musculaires. Sur le plan psychique, le
diaphragme est « la boîte de Pandore » du corps humain dans laquelle est contenue tout le
stress émotionnel de l’individu. Avec la libération de la respiration et la normalisation du
diaphragme, le patient accède à un lâcher prise tant émotionnel que physique et une
réharmonisation globale du corps.
La méthode Mézières peut particulièrement s’adresser aux patients souffrant de troubles
psychosomatiques qui sont considérés comme les symptômes physiques de troubles
psychiques. ˝Notre approche globale du corps peut aider ces patients à leur faire prendre
conscience de somatisations, tout en leur permettant de s’en libérer progressivement˝ [14].
III- CAS CLINIQUE
III.1- PRESENTATION DE LA PATIENTE ET DU DOSSIER MEDICAL
III.1.a- Etat civil et mode de vie
Anaïs a 17 ans, elle sera scolarisée en classe de seconde générale à la rentrée ; elle
espère qu’elle aura une place en internat. Elle a redoublé sa classe de cinquième en raison du
divorce parental entraînant un changement de région et d’établissement en cours d’année (elle
a quitté Paris avec sa maman pour le Lot-et-Garonne). Elle a également redoublé sa classe de
troisième en raison de deux hospitalisations consécutives en service d’endocrinologie pour
dénutrition suivies d’une hospitalisation en service de psychiatrie.
Elle a une petite sœur de 5 ans et vit avec sa mère qui élève seule ses deux filles. Son
père est remarié depuis trois ans et habite toujours Paris ; il a deux autres filles âgées de 3 ans
et de 18 mois. Anaïs ne voit son père que deux ou trois fois par an.
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Anaïs a une pratique intense de la danse, c’est d’ailleurs son professeur qui l’a encline à
consulter un kinésithérapeute méziériste. Alors qu’elle a une prescription de séances de
kinésithérapie pour la région lombaire, Anaïs me révèle qu’en fait elle « souffre de
partout » depuis plusieurs mois : lombalgie, dorsalgie, cervicalgie et parfois même douleurs
dans les articulations, ce qui la gêne parfois dans sa pratique sportive. Elle ajoute qu’elle n’a
jamais fait de séances de kinésithérapie car elle redoute le contact corporel, elle-même évite
de toucher sa propre peau et elle ne supporte pas le contact corporel de sa mère.
III.1.b- Antécédents
Anaïs présente une anorexie mentale de type restrictif depuis deux ans. Elle est
maintenant suivie en ambulatoire par un des psychiatres du centre de consultation de l’hôpital
et en concertation avec son médecin traitant. Elle mesure 1,69 mètres et pèse 49 kilos ; son
indice de masse corporelle est à 17,2. Anaïs laisse apparaître des manifestations anxieuses
importantes qui se traduisent par une difficulté à rester assise ou à maintenir une attention
continue ou par une onychophagie8.Elle me décrit des manifestations viscérales fréquentes :
oppression thoracique, besoin de respirer amplement pour reprendre sa respiration, sensation
d’être serrée à l’intérieur d’elle-même dans la sphère digestive, reflux gastro-œsophagien
douloureux. Elle n’a pas d’antécédents traumatiques ou chirurgicaux.
Anaïs est suivie par une psychologue clinicienne depuis un an, qu’elle voit en
consultation une fois par semaine et par un psychiatre qu’elle voit une fois par mois.
III.2- BILAN MEZIERISTE INITIAL
III.2.a- Debout, en attitude spontanée
De face, la jeune femme apparaît maigre mais bien proportionnée, stable, en équilibre
plus marqué à droite, avec un polygone de sustentation étroit. De bas en haut, les pieds sont
en appui interne avec des orteils en griffe, les tibias apparaissent en rotation interne, on note
un genuvalgum plus marqué à droite et les fémurs sont en rotation interne. Le bassin semble
horizontal, l’espace thoraco-brachial est plus fermé à droite et l’épaule droite est plus basse et
plus enroulée que la gauche. Le diaphragme est bloqué en position inspiratoire. De dos, les
omoplates sont très décollées.
8
Onychophagie : acte de se ronger les ongles.
|11
De profil, les genoux sont en hyperextension, le bassin est en antéversion et Anaïs
présente une hyperlordose lombaire. Le thorax et l’abdomen sont projetés en avant de l’axe
du corps. La colonne cervicale est en hyperextension et la tête en antépulsion.
III.2.b- Debout, pieds joints
Anaïs se sent stable pieds joints. On peut noter une augmentation de la griffe des orteils,
de la rotation interne et du valgum des genoux. Les condyles fémoraux ne se touchent pas. Le
sacrum et le sternum apparaissent horizontaux. La tête est en antépulsion.
III.2.c- Test du pencher avant
En pencher avant, les angles tibio-tarsiens s’ouvrent, le récurvatum des genoux est
augmenté et les tibias reculent. La lordose lombaire reste fixée en L4-L5 avec une cuvette
lombo-sacrée. On n’observe pas réellement de cyphose dorsale et la colonne cervicale reste
raide Toute la colonne vertébrale donne la sensation d’être figée comme une « carapace ». On
n’observe pas de ballant des membres supérieurs.
III.2.d- Attitude en décubitus dorsal et tests de mise en tension
Anaïs ferme les yeux en position allongée sur le dos : l’exposition de son corps la gêne.
Sa respiration est abdominale, le sternum est horizontal avec un angle de Charpy augmenté.
Les pieds sont en supination (davantage à droite qu’à gauche), les membres inférieurs en
rotation latérale. Anaïs compense l’élévation du membre inférieur par une élévation du bassin
et l’épaule compense la supination de l’avant-bras et la flexion dorsale du poignet. Anaïs a les
muscles qui réagissent douloureusement à la pression et à l’étirement.
III.3- TRAITEMENT
III.3.a- Approche thérapeutique et objectifs de rééducation
Le jour et l’heure de chaque séance sont fixes de manière à instaurer un cadre à Anaïs,
chaque séance dure 45 minutes environ. Le cadre thérapeutique est aménagé pour limiter les
stimulations sensorielles extérieures.
|12
Les objectifs de la rééducation sont de :
-
Soulager les tensions dans les muscles de la chaîne postérieure (membres inférieurs
et tronc) et dans les muscles du cou (scalènes et sterno-cleïdo-mastoïdiens),
-
Libérer la respiration et favoriser le travail expiratoire,
-
Gérer la détente globale de la patiente et la rendre consciente de ses sensations et de
ses émotions.
III.3.b- Moyens mis en œuvre
-
Les postures d’étirement
Les postures d’étirement utilisées s’accompagnent toujours d’un travail respiratoire
(expiration), ce qui permet d’utiliser le diaphragme comme élément moteur de l’étirement des
chaînes pour effectuer un ajustement postural. ˝Faire souffler lors des étirements évite le
renvoi des tensions des autres muscles dans le diaphragme qui est une véritable gare de
stockage des tensions et aussi des émotions˝ [15]. Elles concernent le corps dans sa totalité et
visent à étirer la chaîne postérieure tout en empêchant les compensations apparaissant en
réaction.
J’ai d’abord utilisé les postures debout, en fente avant, en carré et en quadrupédie de
manière à faciliter la participation d’Anaïs, à éviter la gêne occasionnée par la position sur le
dos et à favoriser le travail sur la rotation externe des genoux. Puis j’ai progressivement
intégré les postures en décubitus dorsal avec élévation d’un ou de deux membres inférieurs
ainsi que les postures spiroïdes afin de retrouver une liberté corporelle et respiratoire
favorisant la gestion de l’anxiété et la prise de conscience des somatisations permettant ainsi à
la patiente de les neutraliser au mieux (J. PATTE).
A partir de la cinquième séance, j’ai également intégré les postures pour désenrouler les
épaules (étirement du petit pectoral) et pour ouvrir le thorax (étirement du grand dorsal et du
grand pectoral) ainsi que le contracté-relâché des membres supérieurs et l’assouplissement de
la région inter-scapulaire en décubitus dorsal.
-
La respiration
Le relâchement diaphragmatique permet la détente et l’étirement des chaînes
musculaires et favorise la mise en posture. De plus, Anaïs est en blocage inspiratoire et
l’immobilité de son diaphragme entraîne l’immobilité de son thorax et de l’abdomen. J’ai
donc essayé de faire retrouver à Anaïs une liberté respiratoire en réveillant les zones
hypomobiles, en libérant les zones rétractées et en lui faisant prendre conscience du bon
|13
mouvement de la respiration physiologique. En position debout et en fente, j’ai accompagné
la descente du sternum et des basses côtes lors du temps expiratoire. J’ai utilisé les traits tirés
au niveau de la rampe chondrale, le massage du thorax et les tapotements au niveau des os
pour faciliter la prise de conscience du sternum. De même, au cours de chaque séance, il y a
toujours eu un temps de dynamisation du thorax (prise de conscience du mouvement du dos
lors de la respiration, prise de conscience du mouvement respiratoire antérolatéral) et de
travail actif pour donner du mouvement au thorax.
-
Les massages
J’ai beaucoup utilisé les massages avec Anaïs mais pas de prime abord puisqu’elle
m’avait dit « redouter le contact corporel ». Je ne les ai intégrés qu’à partir de la fin de la
troisième séance, lorsqu’elle était en position de germe, pour détendre les paravertébraux et
favoriser la respiration dans le dos. Dès lors, le massage a fait partie intégrante des séances,
massage partiel des membres inférieurs et supérieurs dans le sens des torsions physiologiques
lors des postures ou du travail actif, massage-modelage du thorax, massages de la voûte
plantaire, ponçages lents et traits tirés entre les postures en décubitus dorsal et lors du temps
de repos de la patiente. Le toucher et le masser participent du même sens. ˝Si le massage avec
ses techniques gestuelles variées opère une conversion du malade afin de lui faire quitter le
chemin qui le liait au traumatisme, la main qui le touche lui offre alors la paix et le repos˝
[16]. La dernière séance a été consacrée à une séance de massage californien9 qui est un
massage global, relaxant qui enveloppe et modèle le corps. Il a été codifié par M. ELKE à la
fin des années soixante et vise à redonner au patient toutes ses sensations : physiques,
émotionnelles, psychiques et énergétiques.
-
La proprioception
Je me suis servie de petits matériels pour aider Anaïs d’une part, à améliorer la
sensation du mouvement demandé ou la sensation du meilleur geste et d’autre part, afin de
permettre la prise de conscience de son schéma corporel. J’ai utilisé par exemple un bâton
positionné dans le dos de la patiente pour la recherche des bonnes courbures vertébrales, pour
redonner une cyphose dorsale et diminuer la lordose lombaire. En position debout également,
j’ai utilisé une baguette positionnée dans l’axe du pied permettant la prise de conscience des
9
Massage californien = Sensitive Gestalt Massage (SGM) aujourd’hui reconnu par l’association internationale de
somatothérapie. Il est aussi appelé massage sensitif ou psycho-sensoriel.
|14
appuis plantaires par rapport à l’axe du pied et ensuite le travail de repositionnement du pied
pour obtenir de bons appuis. Une fois le pied bien placé, nous avons pu travailler ensemble le
réaxage du genou sans permettre au pied de lâcher ses bons appuis. J’ai également utilisé des
balles et ballons en mousse pour favoriser l’éveil de la respiration dans le dos (en position de
germe notamment). Enfin, ces outils accessibles dans n’importe quel commerce ont permis à
Anaïs d’effectuer le travail proprioceptif chez elle en complément des séances.
III.3.c- Bilan méziériste final
En l’absence de photos prises lors du bilan initial, il est compliqué de véritablement
quantifier les différences (améliorations ou non) posturales d’Anaïs et les modifications de sa
statique. Globalement, Anaïs a la sensation d’avoir un corps (alors qu’elle apparaissait coupée
de son ressenti corporel), sa respiration est plus libre et elle ne ressent plus cette oppression
thoracique qu’elle me décrivait. Elle a donc appris à se relâcher et à entretenir ce relâchement.
Elle ressent une sensation de légèreté globale qu’elle n’avait pas auparavant et d’une manière
générale, c’est une jeune fille plus posée (beaucoup moins dans l’expectative aussi !) qui
vient aux séances de kinésithérapie.
-
Debout, en attitude spontanée
De face, Anaïs paraît stable, les pieds parallèles avec un polygone de sustentation étroit.
De bas en haut, les pieds sont en appui interne, les orteils sont allongés sur le sol, les tibias
apparaissent en rotation interne, les genoux sont déverrouillés avec un genuvalgum plus
marqué à droite. Le bassin semble horizontal, l’espace thoraco-brachial est plus fermé à droite
et l’épaule droite est plus basse que la gauche. De dos, les omoplates sont très décollées.
De profil, le bassin est en antéversion, Anaïs présente une lordose lombaire et une début
de cyphose dorsale qui s’esquisse. Le thorax et l’abdomen sont projetés en avant de l’axe du
corps. La colonne cervicale est en rectitude.
-
Debout, pieds joints
Anaïs se sent stable pieds joints. On peut noter une augmentation de la rotation interne
et du valgum des genoux par rapport à l’habitus spontané. Le sacrum et le sternum
apparaissent horizontaux. Sans faire apparaître de lordose vraie, la colonne cervicale est en
rectitude et la tête n’est plus antépulsée.
|15
III.4- DISCUSSION ET INTERROGATIONS
III.4.a- Ressenti et évolution d’Anaïs
Au début de la prise en charge, Anaïs m’apparaît physiquement avec des douleurs
lombaires et des tensions dans les épaules. Elle s’avère peu loquace, plutôt discrète même et
évoque sa maladie et le fait qu’elle soit suivie psychologiquement avec un certain
détachement. Elle est peu attentive, a beaucoup de difficultés à se concentrer lors des postures
et n’arrive pas véritablement à ressentir ses appuis, qu’ils soient bons ou mauvais. Elle
exprime une sensation de mal-être au toucher de son ventre qu’elle trouve ˝tendu et
proéminent˝ alors qu’il est tendu certes, mais plutôt creux. Elle a peur de ne pas ˝contrôler sa
respiration˝ et ne sait pas véritablement pourquoi elle est là si ce n’est parce que son
professeur de danse lui a dit que ˝ça lui ferait du bien˝.
Je suis d’abord surprise qu’elle ne rate aucun rendez-vous puisqu’à chaque séance elle
est ponctuelle et passe chaque début de séance à énumérer les douleurs qu’elle a ressenties
après la séance précédente.
Petit à petit, sans s’en rendre compte, elle abandonne le contrôle sur elle-même et
verbalise la gravité de sa maladie, le manque de confiance en elle, le rapport qu’elle a avec
son corps lorsqu’elle danse et les souffrances qu’elle lui inflige, les échanges avec sa
psychologue qui l’amènent à faire des choix au niveau de son orientation scolaire avec un
éloignement de sa mère. Elle verbalise aussi parfois son état dépressif, le fait qu’elle n’ait pas
d’amis et qu’elle se sente seule en cette période de vacances scolaires où elle a moins de
cours de danse que d’ordinaire.
Au niveau ressenti corporel, elle expérimente de nouvelles sensations et évoque au
cours des séances une tension musculaire, une sensation de chaleur ou de libération des
viscères, notamment de l’estomac qui retrouve sa mobilité et qu’elle décrit ˝moins crispé˝.
Elle a moins de tensions, se dit ˝plus à l’aise dans son corps˝, et sans se sentir totalement
physiquement bien, les sensations ressenties amènent des émotions qu’elle met en lien ou non
avec son histoire. Son corps n’est plus vécu comme douloureux, il est plus libre et d’une
manière générale, Anaïs apparaît plus détendue, plus sereine, peut-être même plus confiante.
|16
Elle ressent un mieux-être corporel, ce qui l’a incitée à s’inscrire à des séances de groupe de
Danse-Thérapie10 qu’elle commencera à Paris à la rentrée scolaire.
III.4.b- Dimension relationnelle de la thérapie
Il me semble que la dimension relationnelle du soin est essentielle à prendre en compte.
Le kinésithérapeute prend une position active car il est engagé physiquement dans la relation :
son propre corps et celui du patient sont mis en interaction par le biais de la méthode
Mézières mais le corps du thérapeute est aussi le médiateur de la relation à l’autre. Au fur et à
mesure de la construction de la relation thérapeutique, un ressenti émerge lors des séances (en
images, en émotions, en réactions neurovégétatives) ou à distance des séances (lors de rêves
par exemple). Cette réflexion sur l’aspect relationnel est développé dans les thérapies
psychocorporelles où est souligné ˝l’importance d’une réflexion et d’un travail sur le propre
vécu corporel du thérapeute, afin de permettre une implication et une distanciation entre son
propre corps (ses sensations, ses affects) et son savoir-faire avec ce corps, dans la relation
thérapeutique. S’il existe une réciprocité d’échanges dans une interaction patient-thérapeute,
il ne faut pas oublier que l’un est demandeur d’aide˝ [17]. Il est donc essentiel que le
thérapeute garde la distance thérapeutique et il n’est pas aisé, lorsqu’on travaille seul en
cabinet de ville, d’analyser chaque composante de séance d’un patient et de se remettre en
cause par rapport à ces notions. L’analyse du transfert et du contre-transfert par exemple n’est
pas facile à effectuer même si elle est importante à considérer dans la prise en charge.
III.4.c- Intérêt d’une méthode très structurée
L’approche très structurée de la méthode Mézières, le fait de donner de bons repères au
patient en prenant soin d’indiquer la bonne information, le bon geste afin que les mouvements
et postures soient exécutés avec justesse est intéressante dans cette pathologie en particulier
car les patientes anorexiques présentent une dimension obsessionnelle. En effet, elles se
réfèrent sans cesse aux livres ou à internet pour avoir des connaissances diététiques ou
physiologiques dans le but de maîtriser leur corps. Le fait que la méthode soit globale et que
la physiologie soit utilisée comme point d’appui dans la rééducation, donne un sens et se
révèle rassurant pour aborder le travail sur le vécu corporel.
10
Danse-Thérapie : utilise le mouvement et la danse dans une visée psychothérapeutique qui permet à la personne de
s’engager de façon créative dans un processus favorisant son intégration émotionnelle, cognitive, psychique et sociale.
|17
De la même façon, le contact corporel est problématique chez les patientes anorexiques
en raison de leur rapport au corps. Le fait que le cadre thérapeutique soit structuré et que
l’organisation des séances prenne son point d’appui dans l’anatomie et la physiologie permet
à la patiente d’accepter plus facilement la composante du toucher corporel dans la
rééducation.
III.4.d- Limites de la pratique en ville
Cette approche corporelle se veut complémentaire d’une prise en charge multimodale :
la thérapeutique psychocorporelle doit s’avérer complémentaire de la psychothérapeutique
individuelle en créant des liens dynamiques, en favorisant des associations entre un vécu
corporel ressenti (en Mézières) et un élément élaboré en psychothérapie individuelle. Le fait
de ne pas travailler en institution et donc de ne pas avoir de contact avec l’équipe
pluridisciplinaire, ramène ces associations au seul ressenti de la patiente, ressenti qui est
parfois altéré voire adapté en fonction de la situation. Ce manque d’échanges entre soignants
est très frustrant et nous empêche, d’une part d’adapter notre soin en fonction de l’évolution
psychologique et médical de la patiente, et d’autre part de prendre toute la mesure de notre
intervention dans la prise en charge de cette pathologie.
|18
CONCLUSION
L’expérience menée avec Anaïs m’est apparue très intéressante même si j’ai peu de
recul étant donné ma très faible expérience non seulement en tant que kinésithérapeute
méziériste mais aussi dans la prise en charge de cette pathologie qu’est l’anorexie mentale. Il
m’a semblé que l’approche psychocorporelle par l’intermédiaire de la méthode Mézières a
trouvé une place dans la prise en charge globale de cette patiente qui lui a permis de vivre une
relation attentive et bienveillante avec son corps. Elle apparaît plus sereine, elle a des projets
et elle a repris du poids (2 kilos, portant son IMC à 17,9), ce qui ne semble pas la perturber,
mais au contraire presque la réjouir. Son médecin traitant a d’ailleurs diminué son dosage
d’anxiolytiques.
Cependant, la prise en charge ne me paraît pas aboutie dans la mesure où il n’y a pas eu
d’échanges ni avec son psychiatre, ni avec sa psychologue or les interactions entre le psyché
et le soma sont essentielles dans le traitement de cette pathologie. Les moments de doute que
j’ai ressentis pendant la prise en charge, accompagnés parfois de frustration ont été nombreux
et j’aurais aimé pouvoir m’appuyer sur un échange tangible avec un de ces soignants, ce qui
m’aurait certainement rassurée et aurait peut-être orienté différemment ma pratique. Les
interventions du médecin généraliste concernant la pathologie et les conseils de mes confrères
et consœurs méziéristes ont été une bénédiction mais il m’a manqué l’échange et le ressenti
du point de vue du spécialiste qui connaît la patiente (Anaïs est suivie depuis 2 ans par le
psychiatre et 4 ans par la psychologue).
Enfin, Anaïs est une adolescente et elle est soumise à l’ambivalence habituelle qui
concerne cette période de la vie or seul son ressenti est retranscrit ici. Alors comment savoir
si la méthode Mézières permet d’induire un changement durable dans son schéma corporel
induisant une modification dans sa prise en charge de sa maladie ou si ce changement n’est
pas au contraire provisoire tout comme l’exaltation temporaire qui caractérise souvent la
période de l’adolescence ?
|19
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] LEONARD T., FOULON C., GUELFI JD. Troubles du comportement alimentaire chez
l’adulte. Encyclopédie Médico-Chirurgicale, Psychiatrie 2005 : 96-127.
[2] www.anorexie-et-boulimie.fr
[3] CIM 10 Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du
comportement. Critères diagnostiques pour la recherche. Organisation mondiale de la Santé.
Traduction de l’anglais par PULL CB., 1994.
[4] GUILLEMOT A., LAXENAIRE M. Anorexie mentale et boulimie, le poids de la culture.
Paris : Masson, 1995.
[5] FIRENZUOLA A. Discours sur la beauté des Dames in Œuvres galantes des conteurs
italiens (XVe et XVIe siècles), p.373. Florence : Mercure de France, 1926.
[6] ANDRIEU B., BOETSCH G. Dictionnaire du corps dans les sciences sociales. Paris :
CNRS Eds, 2008.
[7] CORCOS M., AGMAN G., BOCHEREAU D., CHAMBRY J., JEAMMET P. Les
troubles des conduites alimentaires à l’adolescence. Encyclopédie Médico-Chirurgicale,
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 2002 : 37-215.
[8]
http://www.frm.org/nos-dossiers/recherches-financees/anorexie-mentale-un-espoir-de-
traitement-medicamenteux.htm
[9] DODIN V., TESTART M. L. Comprendre l’anorexie. Paris : Seuils, 2004.
[10] ALVIN P. Anorexies et boulimies à l’adolescence. Paris : Doin, 2007.
[11] NOEL A. La gymnastique sensorielle selon la méthode Danis Bois. Paris : Points
d’Appui, 2000.
[12] NISAND M., GEISMAR S. La Méthode Mézières – Un concept révolutionnaire. Paris :
J.Lyon, 2008.
|20
[13] BESSOU G. ˝Méthode Mézières : voyage au pays de la proprioception˝ ; XIIIème
congrès international de l’AMIK, 2010.
[14] PATTE J. La Méthode Mézières – Une approche globale du corps. Paris : Chiron, 2009.
[15] PATTE J. ˝Postures Mézières – Définitions, Indications, Originalités˝, Xème congrès
international de l’AMIK, 2004.
[16] DOLTO J. B. Le corps entre les mains. Paris : Vuibert, 2006.
[17] RAYNAUD J.P., DANNER C., INIGO J.P. ˝Psychothérapies et thérapies
psychomotrices avec des enfants et des adolescents : indications, spécificités, différences˝,
Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2007.
|21
ANNEXES
Annexe 1 : CIM 10
Annexe 2 : Image du corps de la Préhistoire au XXème siècle
Annexe 3 : Image du corps au XXème siècle
Annexe 4 : Facteurs génétiques de l’anorexie mentale
|22
Annexe 1 : CIM 10 (Classification internationale des troubles mentaux et des
troubles du comportement) [3]
Dans la classification internationale des maladies mentales CIM 10 (1992), l’anorexie
mentale est décrite par l’association des items suivants :
-
Un poids corporel maintenu inférieur à la normale de 15% (perte de poids ou perte de
poids jamais atteint) ou un IMC inférieur ou égal à 17,5. Chez les patients pré pubères,
une prise de poids inférieure à celle escomptée pendant la période de croissance.
-
Une perte de poids maintenue par le sujet par le biais d’un évitement des aliments qui
font grossir. Au moins l’une des manifestations suivantes est fréquemment associée :
vomissements provoqués, utilisation de laxatifs, pratique excessive d’exercices
physiques, utilisation de coupe-faim, utilisation de diurétiques.
-
Une psychopathologie spécifique consistant en une perturbation de l’image du corps,
associée à l’intrusion d’une idée surinvestie : la peur de grossir. Le sujet s’impose une
limite de poids inférieure à la normale à ne pas dépasser.
-
La présence d’un trouble endocrinien diffus de l’axe hypothalamus-hypophysegonadique avec chez la femme une aménorrhée et chez l’homme une perte de l’intérêt
sexuel et une impuissance. Le trouble peut également s’accompagner d’un taux élevé
d’hormone de croissance ou de cortisol, de modification du métabolisme périphérique
de l’hormone thyroïdienne et d’anomalies de la sécrétion d’insuline.
-
Quand le trouble débute avant la puberté, les manifestations de celle-ci sont stoppées.
|23
Annexe 2 : IMAGE DU CORPS DE LA PREHISTOIRE AU XXè siècle
Les rares représentations du corps féminin durant la Préhistoire montrent des silhouettes
épanouies symbolisant une nourriture profuse et une promesse de fécondité, les deux étant
liées.
Vénus de Willendorf
Vénus de Willendorf
Vénus de Lespugue
Vénus de Lespugue
(vers 24 000–22 000 av JC)
Durant l’Antiquité, les femmes sont
harmonieusement proportionnées : les statues
antiques nous les montrent élancées,
sportives, avec des fesses rondes et une
poitrine en proportion. Leurs hanches larges
marquent leur fécondité qui ne se traduit pas
par un excès pondéral. La Vénus de Milo
(vers 130-100 avant JC) est l’effigie de la
beauté du corps féminin. Elle représentait la
déesse de l’amour Aphrodite.
Vénus de Milo
Le Moyen-âge voit un revirement de
situation : les privations alimentaires
accompagnent la spiritualité et s’opposent à
la peur de l’enfer. Les représentations en
miniature de Van der Goes (ci-contre)
montrent des corps féminins effilés, émaciés,
désincarnés et sans grande vie réelle.
Certaines saintes étaient de grandes
anorexiques dont la célèbre Catherine de
Sienne.
|24
A la Renaissance, les règles théologiques
s’assouplissent et la philosophie antique
revient à l’honneur. Les canons de beauté
du corps féminin évoluent parallèlement :
la femme doit être jeune, belle et saine
pour pourvoir aux besoins de fécondité et
de perpétuation de l’espèce. Le visage y a
donc un ovale parfait et une couleur de
rose ou de lys, la gorge n’est pas trop
lourde
mais
censée
souligner
l’amincissement vers le bas, les mains
peuvent être épaisses ou minces, longues
ou courtes. La peau doit être blanche car le
bronzage est une caractéristique associée
aux pauvres travaillant en plein air.
Diane de Poitiers
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les rondeurs
sont à la mode . Rubens et Girodet aiment
à peindre des femmes épanouies aux
attitudes sensuelles. Les trois grâces de
Rubens
(ci-contre)
illustrent
cette
représentation du corps féminin.
Les trois Grâces
La fin du XVIIIe siècle voit l’apparition de l’engouement pour l’efficacité des corps et du
renforcement des santés : marches de plein air, bain de mer, valorisation progressive de la
gymnastique.
Au XIXe siècle, les critères de la beauté
féminine s’alignent autour de la silhouette
du corps en entier dont courbes et carrures
doivent dévoiler la féminité. Ainsi les
vêtements doivent mettre en valeur les
fesses et les seins en estompant le ventre,
le corset étant conçu pour jouer ce rôle. On
retrouve ces femmes corsetées dans la
peinture de Toulouse-Lautrec.
|25
Annexe 3 : IMAGE DU CORPS AU XXè siècle
Les représentations changent au XXe
siècle : les « garçonnes » posent les jalons
de l’affranchissement de la femme et
l’androgynie est de mise dans les années
1920. Le corset disparaît, le corps se libère
et c’est toute une esthétique du corps qui
évolue avec l’apparition des vacances. Les
privations subies pendant la seconde
guerre mondiale laissent place au retour de
la chair. Les années 50 vantent les formes
des seins, la grâce, la chair. Marylin
Monroe est alors une icône. Elle s’habillait
en taille 42.
La dictature de la minceur prend
son essor dans les années 70. Les
silhouettes féminines véhiculées dans les
médias sont celles de femmes grandes,
minces, sportives. Déjà à la fin des années
60, le célèbre mannequin Twiggy Lawson
(ci-contre) annonçait cette évolution alors
que les mannequins étaient plutôt des
femmes charnues aux coupes de cheveux
classiques. Twiggy la brindille, repérée en
1967, devient la figure androgyne
emblématique du « swinging London ».
Elle ne pesait que 41 kilos. Un véritable
phénomène de starisation des mannequins
arrive dans les années 90 : Claudia
Schiffer, Naomi Campbell et Cyndi
Crawford en sont les égéries. Il s’agit de
femmes grandes, minces et gardant des
formes marquées.
Depuis le nouveau millénaire, les tendances vont vers la promotion de la maigreur dans les
médias. Les héroïnes modernes sont des mannequins squelettiques comme en témoignent les
propos de Karl Lagerfeld dans la version en ligne du magazine Focus : « le cops mode
aujourd’hui c’est une silhouette faite au moule, d’une étroitesse incroyable, avec des bras et
des jambes interminables, un cou très long et une petite tête. Il ne faut pas avoir d’os trop
larges. Il y a des choses qu’on ne peut pas raboter ». Aujourd’hui, le modèle dominant est
celui de la femme sportive, active et ultramince. La minceur est un signe de richesse, de
contrôle et de performance puisqu’elle est souvent le résultat d’une saine alimentation,
de séances de gym, de loisirs et d’un certain niveau d’éducation qui vont de pair avec le
|26
niveau de vie. Les rondeurs sont devenues synonymes de laisser-aller, de perte de
contrôle face à l’abondance alimentaire et de nourriture « bon marché ». La
consommation débridée de nourriture n’est plus, comme auparavant ou ailleurs, un
signe de bien-être social mais un stigmate du mal-être.
Cette dérive de l’esthétique de minceur vers celle de la maigreur soulève des réactions dans
l’univers de la mode, des célébrités et concourt à promouvoir plus de diversité.
Le débat international sur l’extrême maigreur des jeunes filles et jeunes hommes dans les
défilés a été lancé après le décès en 2006 de plusieurs mannequins qui ne s’alimentaient
quasiment plus dont le jeune mannequin brésilien Ana Carolina Reston le 14 novembre 2006,
à Sao Paulo, alors âgée de 18 ans.
A l’initiative des mannequins, ce mouvement dans le monde de la mode est relayé sous
l’encouragement de la presse féminine, en témoignent plusieurs numéros de Elle, Biba ou
Marie-Claire de l’année 2010.
Crystal Renn11 est le plus célèbre des
mannequins « grande taille » (elle fait une
taille 42) qui est sortie de la spirale
infernale de l’anorexie (elle pesait alors 40
kgs pour 1,75m). En 2006, elle défile pour
Jean-Paul Gaultier et pose pour Dolce &
Gabbana tandis que Mango en fait une
égérie en 2007.
Elle a publié avec grand bruit son
autobiographie en septembre 2009,
« Hungry », dans laquelle elle dénonce
« les images dangereuses et contre-nature
véhiculées par la mode » et raconte
comment elle s’est affamée pour
correspondre aux tailles des podiums.
Lizzie Miller, mannequin de 20 ans (1,80 m
pour 79 kilos), a également déclenché des
réactions dans le monde entier lors de la
parution de clichés nus dans un article
intitulé « Se sentir bien dans sa peau » de
la version américaine du
magazine
Glamour de septembre 2009. Elle est
depuis devenue une icône à laquelle toutes
les femmes peuvent s’identifier.
11
RENN Crystal : Célèbre mannequin « grande taille »
de l’agence Ford, le plus coté du monde.
|27
Annexe 4 : FACTEURS GENETIQUES DE L’ANOREXIE MENTALE [2]
Différentes études scientifiques ont clairement impliqué le chromosome 1. D’autres
chromosomes pourraient cependant être également en cause : les chromosomes 3 et 4 ; peutêtre le chromosome 10 pour les formes boulimiques. Ces études sont intéressantes, dans la
mesure où ces chromosomes portent beaucoup d’informations concernant la régulation de la
prise alimentaire et du bilan énergétique (opioïdes, leptine, ghréline), qu’ils portent les gènes
des systèmes sérotonine et dopamine, mais aussi des peptides régulateurs des fonctions
« psychiques » tel que le facteur neurotropique cérébral.
Un lien semble bien établi entre anorexie mentale et les polymorphismes génétiques
suivants :
1. Le gène de la sérotonine dite « HTR1D » et celui du récepteur delta 1 aux opioïdes
(OPRD1) : Brown et al ont trouvé une association avec ces 2 gènes chez 226 AN, par
rapport à 678 contrôles.
2. Le gène du récepteur de la sérotonine 5-HT2A et celui du transporteur de la sérotonine
(5-HTTLPR) : Rybakowski et al ont trouvé cette association chez 132 AN, par rapport
à 93 contrôles. Ricca et al ont trouvé l’association avec le gène du récepteur 5-HT2A
chez 148 TCA, par rapport à 89 contrôles (polymorphisme sur le –1438G/A (AA
génotype). De même, Matsushita et al ont noté l’association entre le polymorphisme du
5-HTTLPR chez 195 AN, par rapport à 290 contrôles. Concernant toujours la
sérotonine, Gorwood et al ont trouvé un lien entre le gène du récepteur de la sérotonine
5-HTT encodé par le gène SLC6A4 (allèles S et L) et l’AN chez 43 AN, 102 trios
(malade, père, mère), par rapport à 98 contrôles, puis chez 304 AN et 225 trios.
3. Le récepteur de la dopamine (DRD2) : Bergen et al ont trouvé une mutation chez 191
AN et 457 parents, par rapport à 98 contrôles.
4. Le récepteur du facteur neurotrophique cérébral (brain-derived neurotropic factor,
BDNF), récepteur NTRK2 : Ribases et al ont noté l’association chez 124 AN et
boulimiques vs 121 contrôles, vis à vis de certains haplotypes (variant Met66). Or le
BDNF induit une restriction alimentaire chez le rat et une perte de poids. Les auteurs
ont confirmé ces résultats chez 453 trios : transmission préférentielle du variant Met66
et de l’haplotype 270C/Met66.
|28
5. D’autres liaisons ont été trouvées, mais les résultats de ces travaux divergent encore :
ainsi un lien a-t-il été décrit avec le Neuropeptide AgRP (Agouti Related Protein), la
ghréline (Cellini et al., in press), le COMT (Catechol-O methyl transférase), le
Récepteur delta opioïde (OPRD1) (gène situé sur chromosome 1p33-36), le
Transporteur de la NA. On trouvera une revue générale de ces travaux dans la revue de
Klump (3).
6. Le polymorphisme du gène du récepteur des cannabinoïdes CNR1 a été également
incriminé. Dans le même ordre d’idée, le gène de l’enzyme catéchol-Ométhyltransférase clé du métabolisme de la dopamine a été mis en cause.
Le rôle de facteurs génétiques dans la genèse de l’anorexie mentale est établi sans
discussion par les études de familles ainsi que par celles de jumeaux homo- et hétérozygotes.
Dans les études familiales, l’héritabilité a été estimée à 0,71. Dans les études de jumeaux, elle
a été calculée à 0,55-0,76. Ceci revient à dire que la fréquence « génétique vraie » d’anorexie
mentale dans la famille d’un malade atteint d’anorexie mentale est au moins le double, sinon le
triple de ce qu’elle est dans la population générale : 4 à 7 % de cas, contre 1 à 1,5 % dans la
population générale. Fait à noter, ce ne semble pas être l’anorexie mentale ou la boulimie qui
est transmissible, mais bien le TCA. Lorsque ceci a été rapporté, on trouve jusqu’à 10-15 % de
TCA dans la famille, contre au maximum 5 à 7 % dans la population générale. Le plus difficile
est d’identifier le gène responsable. Les études, nombreuses, ne mettent pas en évidence le
même gène. Donc, nous pouvons affirmer que l’anorexie mentale et les TCA plus
généralement, sont des affections polygéniques et non le fait d’un seul gène.
Une des raisons à ceci est sans nul doute que l’anorexie mentale est un syndrome bien
défini, mais dont les mécanismes déterminants sont multiples : tendance à l’addiction, à la
dépression, aux idées obsessionnelles, à l’angoisse. En d’autres termes, ce n’est peut-être pas
l’anorexie mentale ou le TCA qui sont « trouvés » dans ces études génétiques, mais un facteur
de susceptibilité aux TCA. Parmi les gènes responsables, ceux qui ont été le plus souvent
étudiés sont les gènes codant pour le système « sérotonine » et « dopamine », que ce soit leurs
récepteurs, leurs transporteurs ou les gènes qui en assurent l’efficacité.
D’après le Pr RIGAUD, publié en 2006.
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