Walhalla
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1 Walhalla Vu le 26 mai 03 sur <imperia-europa.org> Avant-propos «« Depuis deux mille ans, l'influence des religions* monothéistes issues du ProcheOrient a plus que largement dominé l'histoire du continent européen. Dans cette Méditerranée orientale, les peuples sémitiques s'étaient voués à diverses religions plus ou moins proches dont le judaïsme s'était démarqué en optant pour le monothéisme, s'identifiant à un État, le pays des Hébreux. C'est au sein de ce judaïsme qu'apparut une dissidence que l'on eût apparentée à une secte et qui fut diffusée par ceux qui se réclamaient de Jésus de Nazareth. Cette propagation donna ainsi naissance à la deuxième grande religion monothéiste, le christianisme. Finalement, quelques siècles après, un prophète fonda la troisième branche actuelle des principales religions sémitiques, l'islam. L'une des caractéristiques fondamentales des judaïsme, christianisme et islam est d'avoir systématiquement été des religions dites révélées dans lesquelles un intermédiaire quel que soit le nom qu'il faille lui donner érigeait au rang de dogme le message [N r.t : prétendument]r reçu d'une entité divine supérieure. Ces trois religions ont conditionné l'histoire européenne depuis la fin de l'Antiquité et, à maintes reprises, les tenants de telle ou telle foi se livrèrent des guerres acharnées pour le triomphe de leur religion qu'ils croyaient être la seule religion. Ce sentiment d'appartenance se justifiait certes pour les sujets du roi David ou pour ceux des califes de Bagdad, mais les peuples d'Europe croyaient, vivaient et se battaient pour des concepts qui en définitive leur étaient étrangers, car issus d'une vaste importation théologique. À la suite de certains courants philosophiques, l'athéisme, expression de la raison pure, se propagea à son tour en se présentant comme l'alternative à une religion en proie au discrédit, mais incapable de répondre aux questions les plus fondamentales liées aux besoins irrationnels de l'homme, il ressembla en définitive à une quête inaboutie. L'athéisme pur et dur fut d'ailleurs luimême de plus en plus remis en cause et nombre d'Européens ayant quitté le giron chrétien officiel se sont mis à flotter dans une insatisfaisante incertitude qui leur imposait la raison pour dogme et la foi discrète comme assurance. À une époque où le christianisme régresse de manière constante, une réflexion doit être portée sur la question de la spiritualité et, au-delà, sur l'identité profonde de l'Europe et de ses peuples. Dans cette période incertaine et pleine de dangers potentiels, par-delà une passivité sans avenir, diverses personnes ont pris le parti d'aller à la recherche d'univers différents de ceux qui leur furent inculqués. Parmi ces "explorateurs" ayant choisi la rupture avec des siècles de religion imposée et de scientisme bon teint, il convient de distinguer trois groupes principaux. Le premier est malheureusement celui de ceux qui ont été abusés par des individus peu recommandables que seul animait l'esprit de lucre. Les sectes, quelle que puisse être leur inspiration, qu'elles se réclament d'un christianisme revu et corrigé ou de philosophies orientales dévoyées, continuent d'offrir à prix fort leurs mirages et ce d'autant plus aisément que la question passe progressivement au second plan de l'actualité et que la liberté de culte poussée dans ses formes les plus extrêmes est systématiquement brandie. Elles se dotent d'une façade honorable, image couverte par une savante médiatisation d'autant plus dangereuse qu'elle est insidieuse, efficace et qu'elle banalise ces mouvements aux objectifs obscurs. Peu importe pour ces sectes de mélanger des cultes hétéroclites et d'ériger au rang de miracle intellectuel les pires syncrétismes pourvu qu'elles acquièrent l'ascendant nécessaire sur les esprits des victimes, forme de pouvoir la plus aboutie. Le deuxième groupe est celui de ceux qui ont décidé de tourner leurs regards vers les horizons lointains, comme ceux où règnent les philosophies orientales. Si beaucoup de ces dernières ont l'immense mérite de ne pas faire preuve du prosélytisme des grandes religions monothéistes, il n'en demeure pas moins que ces modes de pensée ne sont que des palliatifs qui ont été empruntés ailleurs, au sein de populations qui n'ont que peu en commun avec l'héritage multimillénaire européen. 2 Le fait même que ceux qui ont décidé de se détourner de la religion officielle aient cherché une vérité dans des dérives pseudospirituelles ou dans des écoles de pensée étrangères démontre un constat essentiel à toute réflexion sur les peuples d'Europe, à savoir leur manque de mémoire, de connaissance de leur racines véritables et surtout de curiosité vis-à-vis d'eux-mêmes. Rares semblent être ceux qui prennent conscience que leurs ancêtres, avant d'avoir été de gré ou de force convertis aux religions monothéistes, avaient une culture, une foi, un mode de pensée dont ils avaient hérités au fil des générations et qui ne devait rien à un quelconque article d'importation. C'est au sein de ces passionnés que l'on trouvera le troisième groupe, celui de ceux qui considèrent avant tout qu'une culture ne s'acquière pas comme un article de bazar ou ne se constitue pas à la carte au départ d'ingrédients que l'on combine à sa guise sans se préoccuper de la cohérence globale. En cette époque où l'Europe se trouve à la croisée de nombreux chemins tant politiques qu'intellectuels et spirituels, il importe d'éviter les écueils, de rechercher une stabilité et de retrouver une identité au cœur des braises encore lumineuses et radieuses de cet héritage, braises sur lesquelles il suffit de souffler pour les faire à nouveau rayonner et flamboyer afin de rendre à l'Europe ses repères éternels, ceux dont chacun de ses descendants est au plus profond de lui-même issu et qui, parce que l'univers mental d'un peuple est inaltérable, fournissent une voie pour entamer une ère nouvelle. Àu travers de la mythologique* germanique, c'est à un univers longtemps proscrit qui faillit disparaître à jamais que l'on fait appel pour affirmer une inébranlable foi dans le destin. C'est à ce voyage que vous invite Walhalla : présenter une vue d'ensemble des mythes anciens afin qu'aux côtés de ceux célèbres du monde gréco-romain, ils reprennent à jamais la place qui est la leur dans la véritable civilisation européenne. Peuples antiques En un instant, l'évolution des peuples d'Europe depuis le IVème Mil. AEC jusqu'au 1er siècle EC. Utilisez [sur le Net]r les boutons de commande et l'échelle du temps pour vous déplacer à travers les siècles. Si l'on excepte les communautés* issues de la préhistoire récente et quelques civilisations aux origines encore mal définies comme celle des Étrusques, les Européens sont pratiquement tous issus de l'établissement voici plusieurs millénaires des Indo-européens*, lesquels ne formaient pas une population unifiée, mais plutôt une communauté unie par un mode de vie, un groupe de langues… La désignation "Indo-européen" est préférée depuis quelques décennies au terme "Aryen" qui fut galvaudé et qui véhicule encore de nos jours des connotations erronées auprès de personnes peu informées, qu'elles soient ou non en faveur de certaines thèses. La question est en fait sans grand intérêt puisque, en schématisant à l'extrême, ces Aryens, ces Indo-européens, se scindèrent en deux groupes majeurs. L'un se dirigea vers le sud et le sous continent indien, donnant lieu à ce que l'on nomme sans vaine crainte sémantique les invasions aryennes, lesquelles conditionnèrent de manière définitive la société dans cette partie du globe. L'autre groupe se répandit au départ des steppes de Russie et occupa tout le quart sud-est du continent européen voici cinq mille ans. En plusieurs vagues successives, divers sous-groupes s'installèrent jusqu'aux finistères occidentaux de l'Europe et, de la Grèce à la Scandinavie et à la péninsule ibérique, le continent fut couvert de l'empreinte de ces cultures qui s'étaient progressivement individualisées, conservant un tronc unique largement attesté par l'étude comparée des langues ou des mythes*. Ainsi, qu'ils soient Celtes*, Latins, Germains*, Slaves, Baltes, Grecs, tous sont originaires de groupes communs qui, comme les branches des arbres, se sont séparés du tronc pour ensuite s'enchevêtrer dans le cours de l'histoire. L'Europe est similaire aux poupées russes où, d'un élément de base, le temps a fait se décliner une myriade de peuples. (Sur le Net : Dans un instant, l'arborescence des principales langues indo-européennes) La Grèce avec sa grande culture constitua une référence incontournable et s'affirma comme la première très grande civilisation en Europe forgeant son histoire et son art qui eurent tôt fait de se propager dans toutes les directions, relayés en cela par Rome. Ces grandes cultures partagent de toute évidence des racines identiques qui transparaissent au travers des structures sociales, des my- 3 thologies… Ces dernières sont d'ailleurs bien connues grâce aux témoignages qui ont été laissés tant par des écrits que par des éléments de preuve indirecte qui permettent de cerner leur univers. Cette profusion de vestiges magnifiques fait que pour beau nombre de personnes, la culture non chrétienne en Europe* se limite à cette Grèce et à cette Rome. Il serait pourtant bien faux d'admettre une telle simplification qui renverrait le reste du monde aux âges les plus noirs quand de plus en plus est entré dans les habitudes de regarder ces peuples, depuis les Celtes* à l'Ouest aux Scythes à l'Est en passant par les Germains* ou les Slaves, comme de riches civilisations dont l'étude a depuis trop longtemps été négligée au profit de ce qu'un goût antique partial considérait comme le seul domaine digne d'intérêt. Nombre de civilisations ont vu le jour concomitamment à celles de la Méditerranée centrale. Les cultures de Halstatt ou de la Tène firent de cette Europe dite "barbare" au sens étymologique* du terme un foyer important de développement et d'échanges qui produisit des articles tantôt robustes, tantôt finement ouvragés comme en témoignent les vestiges découverts dans tout l'Ancien Monde. Ce qui crée une différence fondamentale entre la Grèce ou Rome et les autres peuples d'Europe tient au fait que les premiers, au contact des grands empires méditerranéens de l'Est ou du Sud, ont développé un système sociopolitique nettement plus élaboré que ce que connaissaient les seconds qui, au sein de groupes de population moins importants exerçant leur autorité sur des aires plus réduites, perpétuaient la structure clanique directement héritée des Aryens. Il reste encore à l'heure actuelle, et malgré des siècles de changements, des traces évidentes et pourtant méconnues de cette organisation qui s'appuyait sur la famille au sens étendu du terme et sur les alliances que celle-ci pouvait conclure. Par-delà la famille, le clan*, se positionnait la tribu, ensemble plus vaste provenant de l'assentiment porté à une union plus vaste, mais encore très relative. Les tribus n'avaient pas de domaine clairement délimité et le territoire d'une tribu s'apparentait plus à un espace vague, mouvant, où s'appliquait une autorité, qu'elle émanât d'un roi ou d'une assemblée. Il va sans dire que le concept national était étranger aux Européens et c'est par abus flagrant que des images antiques furent récupérées et développées pour justifier les conflits modernes. Ainsi, si l'État romain dominait la Mare Nostrum, il était d'usage commode de dire que les Celtes occupaient le littoral atlantique et l'Europe occidentale tandis que les Germains étaient cantonnés dans le nord du continent, de la Scandinavie jusqu'à l'approche des Alpes en passant par les rives de la Baltique. Cette vision simplifiée dissimule mal qu'en réalité, chaque grand groupe de peuples et en son sein chaque tribu était en mouvement, entrant au contact des autres pour les supplanter ou se fondre à eux. De là, la distinction entre Celtes et Germains est très relative [!]r, surtout dans les territoires où ces groupes se succédèrent et une simple commodité pour l'esprit consiste à mettre les Celtes dans l'empire romain et les Germains en dehors, le limes s'appliquant moins aux peuples qu'à l'exercice de l'administration impériale. De récentes études ont d'ailleurs démontré que diverses tribus situées entre Meuse et Rhin devaient très certainement être plus germaniques que celtiques, ce type de catégorisation se révélant toujours très délicat en raison des fréquentes interpénétrations. Ce ne fut que bien plus tard que les Slaves connurent à leur tour leur expansion pour donner les trois grands sous-groupes qui les caractérisent : celui de l'Ouest, de la Baltique aux Carpates, celui du Sud, dans les Balkans et celui de l'Est, dans la grande plaine russe. Les limites entre ces grandes ethnies n'ont jamais été établies de manière concrète et ont fluctué au gré des migrations progressives de chacune des tribus les constituant. Contrairement à l'idée souvent véhiculée, la frontière de l'empire romain n'était pas qu'une "muraille infranchissable" subissant incessamment les assaut des barbares et les liens tissés à sa proximité pouvaient se révéler très fructueux pour chacun tant que l'identité et l'indépendance respectives des partenaires étaient maintenues. Cette caractéristique de la mentalité germanique avait échappé à Varus, un général romain fraîchement promu. Alors que ses prédécesseurs avaient ménagé l'orgueil des tribus, Varus considéra les peuples à l'est du Rhin comme des vassaux, si bien qu'à l'instar des Gaulois, les Germains en l'an 9 unirent leurs forces sous les ordres d'Arminius, ou Hermann, pour attirer et détruire trois légions entières dans la profonde forêt allemande de Teutoburg, mettant un terme définitif à l'expansion romaine dans cette région. La Rome païenne avait retenu la leçon essentielle qui était que l'on ne pouvait forcer les tribus à se soumettre contre leur gré si cela portait atteinte à leurs droits ou à leur culture. C'est cet 4 enseignement que ne retinrent pas les chrétiens, ce qui devait conduire à l'une des plus vastes entreprises de destruction intellectuelle et identitaire jamais connue. Rois barbares Ayant définitivement renoncé à la conquête de la Germanie, l'Empire romain se contenta de fixer ses frontières sur le Rhin et le Danube tout en fortifiant ultérieurement l'espace compris entre les deux fleuves connu sous le nom de Champs décumates [1], dans l'actuel Wurtemberg. En Europe, les yeux de Rome se portèrent dès lors vers le dernier royaume celte sur le continent, la Dacie, actuelle Transylvanie, ainsi que vers les îles britanniques où les divers "murs" concrétisèrent l'expansion romaine qui atteignit son point culminant au début du IIème siècle AEC. Pourtant, Rome était surtout occupée par ses affaires d'Orient et sa rivalité avec la Perse, si bien que la partie occidentale de l'Empire était fragilisée de manière indirecte. Durant ces décennies de relative pax romana, les peuples germaniques d'outre-Rhin poursuivirent leurs mouvements initiés dès avant le VIIIème siècle AEC. Franchissant la Baltique, les Goths et les Gépides issus de Scandinavie s'installèrent en Prusse avant de poursuivre vers l'an 150 EC leur route vers le Sud-Est et de s'établir cinquante ans plus tard sur les rives de la mer Noire, du Danube jusqu'au Dniepr, se scindant en Wisigoths à l'Ouest, dans les actuelles Valachie et Moldavie, et en Ostrogoths dans le Jédisan, autour de l'actuelle Odessa. Partout en Europe centrale, les mouvements se produisaient de façon permanente sans toujours être contenus par la frontière romaine et, dès le IIème siècle EC, les tribus germaniques qui se disloquaient pour se regrouper en de nouveaux peuples dont les noms sont restés célèbres, firent de régulières incursions dans l'Empire, attirées tout à la fois par la richesse des provinces romaines ainsi que par la disponibilité de nouvelles terres arables capables d'absorber sa population qui connaissait une importante croissance démographique. Par ailleurs, soumis à la pression des autres Germains situés plus à l'Est comme les Goths, diverses tribus répercutèrent le mouvement général sur celles situées au plus près du limes romain bien trop étendu pour être efficacement défendu. Après des périodes de flottement dans la défense de l'empire, les Romains parvinrent toujours à rétablir la situation à leur avantage, soit en refoulant les groupes de guerriers, soit en traitant avec les populations désireuses de s'installer durablement dans l'Empire, si bien que de plus en plus fréquemment, Rome accorda à ces Germains le statut de "fédérés" qui leur conférait le droit de s'établir sur le glacis des conquêtes des Césars. Heureux de disposer de nouvelles terres, les Germains fournissaient en contrepartie la garantie de protéger le limes contre tout peuple venant de l'Est, y compris d'autres Germains, et de fournir à l'armée des contingents de mercenaires dont le besoin se faisait cruellement sentir au terme de guerres d'usure menées en Asie et en Afrique. À la fin du IVème siècle, le bas-empire était structurellement affaibli, soumis à des luttes de pouvoir et à la rivalité entre les cultes anciens et le christianisme, créant autant de lignes de fracture qui l'empêchèrent de résister à toute invasion. Or, en 375, les Goths subirent de plein fouet l'invasion des Huns, ce qui contraignit les Germains à se décaler vers les Balkans où ils furent admis l'année suivante avant de se soulever en 378 et d'écraser les Romains à la bataille d'Andrinople : les Ostrogoths furent installés par traité en Pannonie tandis que les Wisigoths s'établirent un temps en Macédoine. Plus à l'Ouest, les Francs, les Alamans et les Burgondes occupèrent progressivement des terri1 Note R&T : Décumates, territoires dans lesquels Rome perçoit la dîme… N r.t 5 toires toujours plus importants dans les provinces gauloises, belges et germaniques de l'empire qui n'avait plus la force de maintenir un semblant d'unité. En 395, l'empire romain disparaissait au profit de deux États, l'un d'Occident dont la capitale quitta rapidement Rome et celui d'Orient avec pour siège Constantinople, mais toutes les tentatives de réforme échouèrent tandis que les Germains subissaient avec toujours plus d'intensité la pression des tribus hunniques et turco-mongoles qui envahissaient les plaines d'Europe orientale. Au début du Vème siècle, le mouvement de translation des Germains vers l'Ouest s'amplifia : les Ostrogoths menèrent de nouvelles opérations dans les Balkans tandis que les Wisigoths qui mirent Rome à sac en 410 poursuivirent leur route vers l'immense espace allant de la rive sud de la Loire jusqu'à l'extrêmité méridionale de l'Ibérie ; les Vandales qui laissèrent à la langue moderne un nom éloquent mais aussi le nom de l'Andalousie, abandonnèrent la Silésie et la rive droite de l'Oder, traversèrent l'Europe et s'établirent dans le sud de l'Espagne pour ensuite franchir les [dites]r colonnes d'Hercule et s'établir en Afrique du Nord ainsi que dans les îles de la Méditerranée occidentale ; venus des rives de l'Elbe et de l'Oder, les Suèves créèrent un royaume en Galice et au Portugal ; à partir de l'an 450, Angles, Jutes et Saxons débarquèrent dans les îles britanniques et repoussèrent vers les confins atlantiques les Celtes que l'autorité défaillante de Rome ne pouvait plus couvrir ; sur la rive gauche du Rhin, Francs, Burgondes et dans une moindre mesure Alamans avancèrent, fondant de nouveaux royaumes dits "barbares" ou "romano-germaniques" dont l'allégeance originelle à l'empire n'était plus qu'une illusion. Pourtant, au cœur de ce vaste mouvement de peuples, Gallo-romains et Germains savaient que le pire danger qu'ils devaient affronter en commun était constitué par les Huns dont la poussée irrésistible se fit sentir jusqu'à la Meuse et à la Seine. Sous le commandement officiel du Romain Aetieus, la coalition battit finalement les hordes d'Attila aux Champs catalauniques, près de l'actuelle Reims, en 451. Entre temps, les Huns avaient anéanti le premier royaume des Burgondes qui, établis sur le Rhin, avaient développé un embryon de civilisation romano-germanique. Le choc de la disparition du trône de Worms fut tel qu'il resta longtemps gravé dans l'inconscient collectif des peuples, inspirant par la suite le célèbre Nibelugenlied, le chant des Nibelungen, où histoire et légende ne font plus qu'un dans le tumulte des événements. Contraints de refluer, les Burgondes s'établirent définitivement entre la Saône et la Loire, donnant leur nom à un nouveau pays, la Bourgogne. Chaque royaume germanique ainsi constitué disposait de sa zone d'influence propre et l'empire romain d'Occident n'était plus qu'une fiction à la tête de laquelle chacun entendait placer son favori. Vingt-cinq ans seulement après la victoire sur les Huns, le dernier souverain du trône de la louve, Romulus Augustule, fut déposé par le mercenaire Odoacre qui périt peu après sous les coups des Ostrogoths pénétrant en Italie. En cette année 476, l'empire romain était mort et l'Europe entrait dans le Moyen Âge. Convertis parmi les derniers au christianisme, les Francs optèrent pour le catholicisme qui avait pris le pas sur toutes les autres obédiences comme l'arianisme qui s'était diffusé chez les peuples ayant plus anciennement changé de religion. Bénéficiant du commandement de chefs ambitieux, les Francs s'imposèrent à leurs voisins, détruisant les derniers vestiges des petits États romains et annexant les territoires des autres royaumes germaniques comme l'Alamanie, la Burgondie ou le nord du pays des Wisigoths [Languedoc]r, lesquels durent se replier sur leurs possessions ibériques. Ainsi, en quelques décennies, l'empire romain fut remplacé par un royaume franc appuyé par l'Église* catholique et qui allait se muer en un empire carolingien, prétendant à l'universalité de son lointain ancêtre romain. Les royaumes vandale et wisigoth disparurent pour leur part sous les coups de boutoir successifs infligés par les Byzantins, héritiers déclarés de la tradition impériale romaine, et par les musulmans qui allaient porter la “guerre sainte” jusque dans le pays des Francs. Les "invasions germaniques" ne furent en aucun cas un déferlement, les Germains ne représentant en définitive que cinq pour cents de la population des Gaules, et les causes les ayant engendrées sont au moins autant à déceler dans l'état de l'empire romain que dans les conditions précaires des tribus d'outre-Rhin soumises elles-mêmes à des pressions externes et à une croissance interne. Quand les peuples se stabilisèrent au terme de ces vastes migrations que clôturèrent l'arrivée tardive des Lombards en Italie du Nord et l'installation des Bavarois sur leurs terres actuelles, ce fut au tour des Slaves de connaître leur expansion qui se fit tout à la fois vers l'Ouest, où 6 les Germains avaient laissé des terres vacantes, vers le Sud où le royaume des Huns avaient été définitivement balayé par les Gépides, et vers l'Est où les attendaient les vastes plaines de ce qui allait devenir la Russie. Ainsi s'acheva le haut Moyen Âge que deux grands phénomènes allaient encore bouleverser : les invasions hongroises et celles des Vikings. Expansion chrétienne Venue d'Orient, la foi des chrétiens s'était répandue dans tout l'empire romain que minait la perspective du déclin. Dès qu'au sein de celui-ci, l'équilibre des forces fut renversé en sa faveur, l'Église* qui se structurait progressivement n'eut de cesse d'accroître son pouvoir spirituel, puis temporel. En son propre sein, la foi chrétienne se livrait à une lutte intestine acharnée entre ses diverses obédiences dont il ne faut pas minimiser l'impact historique ainsi qu'en atteste l'abolition de l'arianisme au profit du catholicisme, permettant l'émergence de la puissance franque fraîchement convertie aux dépens de tous les autres royaumes romano-germaniques. Or, pour se maintenir là où l'empire avait disparu, le pouvoir des souverains germaniques eut à s'appuyer sur l'élite issue de la structure romaine déjà convertie au christianisme. Le développement de la puissance de l'Église n'a donc nullement été ralenti par l'instauration des royaumes romano-germaniques, tant par phénomène d'intégration à la population de base que par opportunisme politique des chefs, la conversion s'étendit des peuples inclus dans les frontières de l'empire à ceux qui autrefois vivaient au-delà du limes et qui s'étaient déplacés en son sein. Le haut Moyen Âge était un magma issu de l'Antiquité qui allait se figer en des États qui perdureraient des siècles durant, engendrant une différenciation progressive des peuples pour aboutir à un concept inconnu alors, celui de l'État-nation. Tout au long de leur christianisation, les Germains firent preuve d'une tolérance religieuse marquée, pour autant que le prosélytisme des prêtres ne menaçât pas les fondements de leur mythologie* et de leur civilisation. Ainsi, quand des missionnaires venaient les entretenir du Christ, les Germains estimèrent qu'il s'agissait là d'une entité similaire à leurs propres divinités, si bien qu'ils l'intégrèrent progressivement à leur panthéon, à côté de tous les dieux traditionnels. Cette attitude n'est pas sans rappeler dans un contexte plus martial l'habitude des Romains d'intégrer à leur panthéon l'ensemble des divinités des provinces qu'ils annexaient à l'empire, dans ce cas en signe d'appropriation et de possession. La brève coexistence religieuse explique les quelques éléments chrétiens qui furent incorporés dans les mythes* germaniques, mais le paganisme* polythéiste était condamné par un christianisme théoriquement monothéiste ne pouvant admettre des écarts si importants vis-à-vis du dogme. 7 Repoussant sans cesse les limites de l'espace chrétien au moyen de la politique expansionniste du royaume des Francs et de ses satellites, l'Église mena de vastes campagnes d'évangélisation qui étaient relayées avec une sinistre efficacité par la force armée. Ainsi, quand Charlemagne° et ses troupes envahissaient des territoires non chrétiens, ils détruisaient les lieux de culte, abattant entre autres des bois entiers qui représentaient pour les Germains autant d'endroits où s'exprimait le mieux le lien entre le concret et l'immatériel. La campagne contre les Saxons païens débuta par l'épisode de la destruction en 772 du majestueux tronc de l'Irminsul*, symbolisation de l'arbre servant d'axe et de colonne à l'univers. Dès lors, nombre de Saxons de la noblesse firent allégeance aux Francs bien que Widukind, l'un des ducs, c'est-à-dire un chef de guerre dirigeant une tribu, décidât de poursuivre la lutte jusqu'à ce qu'il fût contraint de déposer les armes à son tour en 785. Entretemps, il fut exigé de tous les Saxons qu'ils abjurassent leur foi dans les Dieux* et qu'ils se convertissent au christianisme, ce qui eût à la fois été le symbole de la puissance spirituelle de Rome et une garantie de soumission politique pour les chefs francs. Comme nombre de ceux que l'on considérait avec mépris comme des païens idolâtrant un panthéon insoutenable aux yeux du pape refusèrent de trahir leur héritage culturel, ils furent exécutés, comme lors de la tristement célèbre Journée de Verden durant laquelle Charlemagne fit décapiter quatre mille cinq cents païens, hommes, femmes et enfants qui refusaient le baptême. Eût-il même dix mille épées qu'elles n'eussent pu trancher cent mille têtes. Cependant, durant tout le Moyen Âge, les religions dites "païennes*", mot qui conserve dans la bouche de beaucoup une exécrable connotation péjorative, n'eurent d'autre possibilité que de reculer face à l'application et à l'acharnement dont firent preuve leurs ennemis afin de les annihiler. La christianisation de l'Europe jusqu'à l'Elbe s'achevait donc. Avec la division de l'empire carolingien et la période incertaine qui entraîna le rattachement de la Lotharingie au pays des Francs de l'Est, c'est à un phénomène essentiel de l'histoire de l'Europe que l'on est confronté : l'apparition de deux nations en gestation, la France et l'Allemagne à laquelle échut la dignité impériale, héritière de la tradition romaine. Si les relations entre ce qui allait devenir en 962 l'empire germanique et la papauté furent par la suite très complexes et troublées, le thème de la religion* permettait de retrouver un sujet d'entente, ce qui se fit aux dépens cette fois des Slaves qui, après les invasions barbares avaient occupé les terres orientales délaissées par les Germains. Ainsi commença le Drang nach Osten. Une fois encore, il s'agissait pour le pouvoir temporel d'étendre ses domaines vers des terres susceptibles d'être colonisées tandis que les autorités spirituelles y voyaient le moyen de poursuivre l'évangélisation, la Bible dans une main et l'épée dans l'autre. Plusieurs croisades furent menées, contre les Obodrites, les Wilzes, les Wendes [ou Vénètes slovènes]t, les Borusses -dont est issu le nom de la Prusse- et jusque dans les pays baltes. Chez les Scandinaves, la christianisation ne s'accompagna pas des mêmes objectifs territoriaux, d'où une apparente transition moins violente, exception faite du Danemark. Entre l'expansion carolingienne et la conversion des Scandinaves d'Islande ne s'écoulèrent que deux siècles qui suffirent à précipiter les dieux anciens dans le domaine du Mal, suivant les canons de la nouvelle religion officielle. Quant aux Slaves, soumis à la double pression des catholiques à l'Ouest et des orthodoxes à l'Est, il ne résistèrent pas beaucoup plus longtemps. Les Baltes et en particulier les Lituaniens qui avaient fondé une puissante principauté de la Baltique à la mer Noire furent les derniers à se convertir en 1386, soit près de quatre siècles après les Scandinaves. Le paganisme ne subsistait plus que dans quelques territoires reculés, inhospitaliers et très peu peuplés. La suite ne fut dès lors qu'une formalité. Phénomène viking Au cœur de l'inexorable progression chrétienne, un épisode qui connut sa plus grande ampleur aux IXème et Xème siècles marqua et continue de marquer les esprits, à tel point que dans l'inconscient collectif, germanisme, monde scandinave et autres traits de l'univers du Nord lui sont indéfectiblement associés : les Vikings. La croissance démographique, le désir de s'installer dans des contrées plus accueillantes tout comme la recherche de nouveaux marchés commerciaux et la convoitise des richesses des pays carolingiens affaiblis par des crises internes poussèrent les Vikings, Germains du Nord demeurés sur leurs terres scandinaves, à se lancer dans une vaste campagne d'expansion, et il est un fait certain que 8 le culte du dieu Odin, le Wotan* nordique, inspirateur de la guerre, avait vu son importance croître en même temps que s'amplifiait le concept de la Destinée des Dieux réinterprété par la suite en Crépuscule des Dieux. L'étude des divinités germaniques démontre sans ambiguïté qu'un autre dieu avait la guerre classique pour attribution, à savoir Tyr-Tiwaz, mais Odin-Wotan avait progressivement réuni diverses prérogatives et tout comme Arès était le dieu grec de la guerre, Athéna représentait l'ardeur belliqueuse sous sa forme savante. Venus de Scandinavie et de la péninsule du Jutland, les fameux bateaux des hommes du Nord longèrent les côtes et s'insinuèrent grâce au réseau fluvial jusqu'au cœur du continent. Les attaques étaient limitées à des opérations tout à fait ponctuelles et les Vikings, effectuant des raids fulgurants, se retiraient aussi rapidement qu'ils étaient arrivés, laissant les massives mais lentes armées franques dans l'incapacité de réagir efficacement. Par convention, on fait débuter l'ère viking en 793 par le sac de l'abbaye de Lindisfarne, en Écosse. En effet, à l'époque, une part majeure des richesses était déjà concentrée entre les mains du clergé dont les établissements avaient la particularité d'être particulièrement mal défendus, ce qui en faisait des cibles de choix, même si ensuite les Vikings s'attaquèrent à des villes entières comme le démontrent les fameux sièges de Hambourg ou de Paris en 885. Les Vikings ne se risquèrent que très exceptionnellement à de véritables batailles rangées dans lesquelles ils furent généralement défaits, se présentant à leur adversaire en infériorité numérique et stratégique. Schématiquement, trois aires d'action s'offrirent aux hommes du Nord. À l'Ouest, les Norvégiens longèrent les côtes des îles britanniques, le littoral atlantique de la Francie, poussèrent jusqu'à Lisbonne et, par delà, atteignirent la Méditerranée pour écumer les côtes d'Afrique du Nord et remonter le Rhône. Quant aux Danois, ils employèrent les divers fleuves débouchant sur la mer du Nord, Elbe, Rhin, Meuse, Tamise, Seine, Loire, pour effectuer des razzias de l'ouest de l'Angleterre au cœur de l'Allemagne en passant par la moitié nord de la France. Finalement, les Suédois prirent une voie orientale qui leur permit d'établir de solides voies commerciales vers Byzance qu'ils n'hésitèrent pas à assiéger à plusieurs reprises et à laquelle ils firent payer tribut. Le livre de prière des Anglais comportait cette phrase révélatrice : "Libère-nous, ô Seigneur, de la fureur des hommes du Nord !". Telle fut l'image des Vikings, à savoir celle de guerriers impitoyables partis à l'assaut du monde grâce à leurs célèbres navires. Relayée et amplifiée par l'Église, elle devint bien après la fin des invasions un dogme intangible nourri de clichés parfois folkloriques. Sans être totalement erronés, ces poncifs étaient réducteurs, car ils occultaient toutes les autres facettes de ces peuples qui étaient avant tout composés d'agriculteurs, d'artisans et de marchands. À côté des rafles et des razzias, l'invasion viking prit progressivement un autre visage, celui d'une colonisation où les quelques têtes de ponts à but purement militaire devinrent de petits centres urbains au départ desquels s'organisèrent des communautés s'affranchissant à terme de la tutelle du royaume d'origine. Le meilleur exemple est fourni par un territoire sur la rive sud de la Manche, région essentielle, car contrôlant l'embouchure de la Seine. Afin d'écarter la menace danoise, les Francs avaient précédemment tenté d'acheter la paix, ce qui permit de différer le problème sans le résoudre comme en témoigne le siège de Paris. Finalement, le roi des Francs occidentaux adopta la seule attitude capable de garantir à long terme la stabilité de la région, donnant sa fille en mariage au chef viking Rollon qui reçut l'investiture pour le domaine qu'il contrôlait : le duché de Normandie était né. Devenus vassaux du roi des Francs avec obligation de défendre leur fief contre tout agresseur, les Scandinaves entraient de plain pied dans le système féodal. Dans les îles britanniques, la situation fut bien plus confuse, Norvégiens et Danois se succédant pour occuper de larges portions du pays. Profitant des rivalités entre les divers peuples vikings, les royaumes celtiques d'Irlande et anglo-saxons d'Angleterre reprirent régulièrement l'initiative pour s'affranchir de la tutelle scandinave. Toute l'histoire britannique entre les VIIIème et XIème siècles ne fut qu'une longue suite d'instaurations d'États vikings et de retour des royaumes anglo-saxons. L'instabilité généralisée comme l'absence de structure politique solide capable de soustendre un véritable État firent que les acquis de grands chefs scandinaves comme le Danois Knut le Grand disparurent généralement à leur mort. Ce fut en ce XIème siècle qui marqua la fin de l'âge viking qu'histoire de France et d'Angleterre se rejoignirent : suite à une querelle de succession pour le trône britannique, Guillaume, duc de Normandie, débarqua à la tête d'une puissante armée et vainquit les Anglo-Saxons à Hastings en 1066. Ironie du sort, le roi Harold d'Angleterre qui mourut à cette occasion venait juste de défaire les Norvégiens dans le nord du pays. En 1069, Guillaume, devenu "le Conquérant", battit une ultime 9 fois les Norvégiens de son royaume et le rideau tomba sur une époque qui ne cessa tout à la fois d'horrifier et de fasciner. À l'est du continent européen, les Suédois appelés Varègues utilisèrent l'exceptionnel réseau fluvial pour établir de solides liens commerciaux de la Baltique à la mer Noire, vers l'empire byzantin et le monde arabe. Sur leur trajet, les Suédois effectuèrent également des pillages, mais un phénomène tout à fait particulier se produisit rapidement. Tandis que l'Occident était organisé en royaumes structurés, Finnois, Baltes et Slaves de la grande plaine étaient incapables de faire évoluer leur système politique, si bien qu'ils invitèrent ces Germains venus d'au-delà de la Baltique à former de premiers royaumes dans les régions de Kiev et de Novgorod. Dans la mesure où les Finlandais appelaient les Varègues ruotsi, c'est-à-dire "ceux qui rament" et comme les Slaves avaient vaguement intégré ce terme à leur vocabulaire, ces nouveaux États formèrent ce qui fut considéré comme le pays des Rus, le Rußland allemand, c'est-àdire la Russie. Très rapidement, les Germains implantés dans cette partie de l'Europe s'intégrèrent à la population slave locale, d'où le fait que l'on considère que la première dynastie historique russe était celle des Riourikides, issue du chef germain Riourik. Les États vikings qui se créèrent et se défirent au cours de ces invasions reproduisirent à la longue le schéma intégrateur qu'avait connu l'empire romain lors des invasions germaniques. Ainsi les Vikings se fixèrent-ils et adoptèrent-ils les habitudes, y compris religieuses, des contrées dans lesquelles ils s'établissaient. Inversement, les populations déjà présentes assimilèrent toute une série d'apports des hommes du Nord, et pas uniquement dans les domaines de la guerre ou de la navigation dans lesquels les Vikings excellaient. En effet, y compris en matière religieuse, une influence certaine du paganisme se fit ressentir, essentiellement dans les îles britanniques où l'imposition du christianisme fut moins acharnée et rigoureuse que sur le continent. Nombre de sites et de vestiges combinèrent ainsi des symboles issus parfois de trois cultures s'étant successivement surimposées : celle des Celtes, celle des Germains continentaux et celle des Scandinaves. Il est toujours d'usage de toucher un mot d'une aventure maritime tout à fait particulière et dont on dispose à présent de suffisamment de preuves pour affirmer qu'elle relève bien de l'histoire et non du mythe. Vers l'an 815, des Féringiens mirent le cap au Nord-Est et s'établirent en Islande, mais suite à l'afflux de nouveaux arrivants et à la forte croissance de la population, les ressources de l'île devinrent insuffisantes si bien qu'en 986, Éric le Rouge, banni, fit route à l'Ouest et découvrit un pays alors vert, le Grœnland. Ayant attiré avec lui des Islandais candidats au départ, de petits établissements furent créés sur la gigantesque île. Pourtant, une fois encore, les matières premières manquèrent, obligeant le fils d'Éric, Leifr Ericsson à partir à son tour, toujours plus à l'Ouest, pour trouver ce qui faisait si cruellement défaut à son peuple. Il atteignit le Labrador glacé, poursuivit vers le Sud, découvrit de vastes forêts qui lui semblaient d'une grande utilité et appela cette région le Markland. Poursuivant sa route, il rallia une région plus hospitalière et verdoyante, l'actuelle Terre-Neuve, qui reçut alors le nom de Vinland. Dans les années qui suivirent, quelques groupes vikings tentèrent de s'y installer, mais comme ceux du Groenland, les établissements du Vinland disparurent rapidement : vers 1020-1025, en plein crépuscule de l'âge viking, les Scandinaves se replièrent sur leurs domaines anciens. Durant des siècles, ce mythique Vinland a aiguisé la curiosité de ceux qui voulaient savoir si quelque chose existait par-delà l'Atlantique. On sait aujourd'hui qu'exactement un demi-millénaire avant Christophe Colomb, les Européens avaient déjà posé le pied sur ce qui allait devenir le Nouveau Monde. Chaque découverte engendre de nouvelles interrogations et le mystère continue de planer sur de nombreux détails. Ainsi, quand les Espagnols atteignirent les Antilles, ils furent accueillis comme des dieux en particulier en raison… de leur barbe. Diverses explications furent avancées et certaines laissent place au merveilleux : était-ce un souvenir inconscient et collectif chez les Indiens d'avoir été en contact, autrefois, avec d'autres Européens ? Et ces Européens étaient-ils des Vikings ou éventuellement des Templiers ayant recueilli des informations suffisamment précises pour tenter une grande aventure ? Récemment, des momies furent découvertes dans les Andes, ne présentant nullement les caractéristiques morphologiques d'Améridiens, mais bien celles d'Européens. Quelle explication pourrait être fournie ? La recherche est loin d'être terminée : elle ne fait que se perpétuer en elle-même. 10 Oubli et renaissance Là où le christianisme s'implanta que ce fût par consentement ou… par force, il ne parvint jamais à changer brusquement les croyances des peuples et encore moins leurs coutumes et habitudes. Aussi l'Église se livra-t-elle à une opération savante et systématique de détournement des rites et des lieux païens pour les replacer dans un contexte chrétien. Les menhirs qui remontaient à une époque préceltique furent régulièrement retaillés jusqu'au XIXème siècle afin d'imposer l'image de la croix; un lieu aussi célèbre que le Mont-SaintMichel était à l'origine un site consacré au dieu celtique de la lumière ; près de la célèbre Teutoburger Wald se dressent les Externsteine, impressionnant site germanique de colonnes rocheuses que le soleil traverse de part en part à l'aube du solstice d'été et où les chrétiens tentèrent de surimposer sans succès leurs propres symboles : À côté de ce processus de substitution existèrent des imbrications qui furent légions et dont on trouve de superbes exemples comme avec ces croix de cimetière arborant le traditionnel symbole* solaire celtique récupéré au profit de l'image du Christ sous lequel sont représentées des scènes de mythes germano-scandinaves, démontrant comment, par un détournement d'éléments culturels, architecturaux et ornementaux, l'Église* a su, malgré les croyances préexistantes ou le retour ultérieur 11 de motifs païens, maintenir son emprise sur la religion en s'accomodant temporairement des détails pour asseoir l'essentiel. Au-delà, dans la vie quotidienne, d'autres manifestations du paganisme* ont soit été détournées de leurs origines, soit ont perdu leur connotation de base. Le meilleur exemple de ces récupérations se rencontre dans le choix de la date des fêtes chrétiennes qui coïncident avec celles des païens. Il en est ainsi de Noël* qui remplace le solstice d'hiver, moment où la lumière du jour l'emporte sur l'obscurité de la nuit, de la Saint-Jean qui se surimpose au solstice d'été où le soleil brille le plus longtemps ou encore de l'Assomption qui correspond aux fêtes* des moissons. La liste est ainsi très longue. Par ailleurs, peu de personnes font encore réellement attention au sens très simple des noms de jours qui se réfèrent aux dieux romains dans les langues latines, aux dieux germaniques dans les langues du Nord. C'est ainsi que le jour de Wotan* a donné le Wednesday anglais, le woensdag néerlandais et le Wotanstag allemand remplacé par un Mittwoch plus en rapport avec le semainier chrétien. Si les autorités religieuses tolérèrent un temps les manifestations hybrides dans lesquelles des rites* païens demeuraient, il convient de bien voir que l'assimilation a presque totalement abouti au terme de quelques générations, si bien que le Moyen Âge était devenu presque exclusivement chrétien. Pourtant, la mémoire inconsciente subsistait. Avec la Renaissance et l'âge classique, une recherche de la raison et un développement philosophique conduisirent à exhumer la culture gréco-latine et, avec elle, tout le panthéon associé. S'il n'était évidemment pas question de lui donner une autre dimension que celle qui lui était attribuée dans les arts, il s'agissait d'un premier pas vers une redécouverte de l'héritage authentiquement européen. Pourtant, la réapparition des autres religions dites païennes se produisit nettement plus tard et répondait à des motivations bien différentes. En effet, avec la fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème apparut le mouvement romantique* qui dans un premier temps continua d'employer les thèmes fournis par la Grèce et Rome. Quand le romantisme entra dans sa seconde phase, celle de l'affirmation des nationalismes, il fut indispensable de se tourner vers de nouvelles références, plus en adéquation avec le contexte géographique des revendications. Ainsi, les luttes diverses connues au XIXème siècle s'appuyèrent largement sur la recherche de racines culturelles qui les légitimaient. Quand le Kalevala ressurgit de l'ombre, que Gallen-Kalela en fit la base de son œuvre picturale et que Sibelius fut érigé en chantre des vieilles légendes, il s'agissait bel et bien de créer un ciment pour émanciper la Finlande de la tutelle russe orthodoxe et quand, suivant les traces de Rikkard Nordraak, Edvard Grieg s'inspirait de la musique folklorique, une recherche du passé historique de la Norvège se dessinait avec clarté. L'Allemagne connut elle aussi son regain d'intérêt pour le monde de l'Antique Germanie avec les figures emblématiques d'Arminius et de Widukind, les célèbres chefs germains qui, avec des succès divers, s'opposèrent à la soumission vis-à-vis des Rome impériale ou papale. Si les États allemands qui prenaient le chemin de l'unification exaltèrent ces figures historiques pour galvaniser les mouvements nationaux dès les guerres de libération de 1813-1814, il ne convenait évidemment pas de pousser plus loin la réflexion, que ce fût dans la très catholique Bavière ou dans une Prusse qui prônait les vertus protestantes. Du point de vue politique, la redécouverte du passé païen n'avait donc pour but que de donner une dimension épique à un combat éminemment prosaïque. Au demeurant, divers autres pays agirent de même en récupérant l'image des Gaulois ou de l'empire romain pour cautionner une politique qui partout se voulait nationaliste et expansionniste. Comme on le constate, la redécouverte du passé non chrétien de l'Europe demeurait partielle et partiale, bien qu'un processus plus subtil et nettement moins agressif se fît jour, proposant au départ de l'art un voyage culturel plus durable. La Scandinavie, plus ouverte, l'avait fait concomitamment à son affirmation nationale. En Allemagne, ce fut avec l'œuvre de Richard Wagner que ressurgit toute une mythologie alors inconnue de la majorité de l'Europe. La musique et la dramaturgie servant de support à la vision revisitée de la religion germanique, cette dernière eut tôt fait de se répandre et de susciter un intérêt qui fit sortir de l'ombre divers ouvrages anciens qui étaient les seules traces encore existantes de ce que l'Église avait mis des siècles à mettre à bas. Ce faisant, la voie était ouverte pour que la matière soit étudiée de manière sérieuse et fît l'objet d'une reconnaissance à part entière dans l'univers de la compréhension des peuples européens. 12 Actuellement, alors que le choix de confession n'est plus une question saugrenue, les mythes anciens retrouvent une place dans la culture européenne, permettant ainsi à chacun de retrouver l'origine profonde de son peuple. Cette affirmation de la foi ou la référence à l'une ou l'autre de ces religions antiques prend diverses formes dont certaines visent à reconstituer un univers mental alors que d'autres ne sont pas toujours du meilleur goût et tiennent plus d'un folklore confinant au ridicule que d'une véritable quête intellectuelle et spirituelle. Les sectes n'ont pas non plus épargné les anciennes religions européennes et il convient de les combattre avec la même vigueur que celle apportée à la lutte contre les suspects groupuscules chrétiens. Ceci étant, qu'il s'agisse de croire foncièrement et sincèrement dans les dieux de l'Antique Germanie ou de considérer que la mythologie est avant tout et de manière essentielle un legs issu des ancêtres, il convient de ne jamais perdre de vue que le but essentiel à poursuivre est de réaffirmer une appartenance à la culture de ceux qui, voici des millénaires, peuplèrent une Europe devenue maison commune, maison qui comporte diverses salles s'axant toutes autour d'un même et unique tronc. Sources Il n'est pas toujours très aisé de brosser un tableau complet et totalement avéré de la mythologie germanique, essentiellement parce que les sources fiables sont extrêmement rares. Si les Grecs ou les Romains ont laissé nombre de documents, œuvres et études attestant de leur habitudes et de leurs croyances, il n'en alla pas de même dans le reste de l'Europe. Tandis que l'écriture*était un impératif pour de grands ensembles politiques structurés afin de garantir l'administration ou le commerce, l'organisation des Celtes, des Germains ou des Slaves demeurait beaucoup plus simple et ne requérrait pas l'emploi régulier d'un langage écrit. En outre, pour tout ce qui avait trait au domaine des mythes*, la transmission se faisait de manière exclusivement orale [et symbolique]r, de génération en génération, soit au sein de l'exercice de la religion domestique, soit pour certains au travers de castes dépositaires de ces thèmes hérités et transmis des anciens prêtres* vers les nouveaux au terme d'années d'initiation et d'apprentissage. L'exemple le plus connu en est d'ailleurs fourni par la caste druidique des Celtes*. Les divers peuples développèrent cependant des langages écrits, mais l'absence de support commode pour y reporter les caractères comme l'aspect sacré de l'écriture* ont limité tout à la fois leur diffusion dans la population et la multiplication des documents utilisables. En outre, le support habituel des inscriptions étant le bois, il n'est pas étonnant que peu de traces soient parvenues jusqu'à l'époque actuelle. Les deux écritures les plus connues sont celles dites ogamiques et runiques. L'écriture ogamique pratiquée par les Celtes consistait à dessiner sur les arêtes de morceaux de bois ou de roche des encoches dont le nombre et la répartition sur l'une ou l'autre face donnait une suite compréhensible de sons. Il est évident que ce système d'écriture empêchait la rédaction de textes longs. Les runes, moins encombrantes, procèdaient d'un principe graphique différent qui en faisait le pendant germanique de l'alphabet. Tant la nature des messages que leur support ont cantonné [?]r l'écriture runique* à l'art divinatoire et aux seuls monuments importants, comme des stèles funéraires de pierre. Il en ressort que les messages étaient toujours brefs et relatifs au défunt concerné. De là, peu d'information peut être retirée de ces stèles et bien souvent, ce sont plus les motifs ornementaux qui renseignent sur les mythes de l'ancienne Europe, ces derniers évoquant fréquemment tel ou tel passage d'un récit qui était alors naturellement compréhensible par le plus grand nombre, lequel avait connaissance des tenants et aboutissants du concept décrit. Ainsi, le peu d'information écrite disponible a été compilé par des lettrés qui regardaient les croyances et le mode de vie des Germains avec un œil extérieur, parfois neutre et descriptif comme pour certains historiens gréco-latins dont Tacite ou Suétone, soit avec l'intention de présenter les peuples païens sous un jour pouvant servir des objectifs précis ainsi que ce fut le cas des moines médiévaux. 13 Où que l'on se trouve à cet époque, l'écriture et par conséquent la transmission du savoir ne résidait qu'entre les mains de quelques privilégiés que seule formait l'Église*, laquelle était évidemment peu encline à fournir des récits ethnographiques exacts et dénués d'arrière-pensée : il importait pour elle de consolider le christianisme et de détacher les populations européennes de tout doute quant au caractère barbare de ce qui n'était pas issu de la Rome papale. Pour cette raison, nombre de documents médiévaux sont entachés d'un doute légitime quant à l'authenticité des faits présentés et ils doivent être plus particulièrement regardés sous un angle sociopolitique. Ce n'est qu'en demeurant critique vis-à-vis des documents écrits que l'on rendra le mieux hommage au travail des copistes qui, sans le savoir, préservaient sur leurs parchemins des fragments des civilisations qu'ils avaient voulu enfouir. Ceci étant, si l'écriture était un bien rare, il se trouva quelques lettrés qui prirent le parti de transmettre sous une forme plus exacte les anciens mythes en en faisant des récits cohérents plus conformes à la réalité légendaire. Ne pouvant évidemment les présenter comme des œuvres entretenant le souvenir des religions païennes, ils firent ce qu'ont toujours fait ceux qui craignaient la censure, à savoir resituer le récit interdit dans un contexte différent et maquiller par un écran de fumée les propos litigieux,… Ainsi, il n'était pas rare de voir tel ou tel poète* transposer les mythes* des dieux* germaniques* dans le cadre d'histoires relatives à des rois anciens très peu historiques ou même d'expliquer les légendes en paraissant les tourner en dérision, ce qui rendait le contenu de l'œuvre acceptable par l'Église tout en maintenant des traces de l'héritage. Le plus connu de ces auteurs fut Snorri Sturluson, grand personnage de l'histoire scandinave et plus particulièrement islandaise. Envoyé chez un puissant et éclairé seigneur de l'île, il y apprit l'écriture ainsi que toutes les disciplines alors enseignées et s'intéressa à l'art poétique, ce qui lui permit de voyager en particulier en Norvège où il demeura quelques temps à la cour des rois. Puis revenu dans son île natale, il y occupa d'insignes fonctions avant d'être victime d'un complot au cours duquel il devait périr. N'ayant jamais oublié qu'une culture propre avait existé avant la conversion au christianisme, il entreprit une compilation de nombreux mythes germaniques. Il est clair que Snorri fut confronté à divers problèmes liés en particulier au fait que l'Islande avait été christianisée plus de deux siècles avant sa naissance, ce qui ne laissait pas entrevoir la garantie intégrale de recueillir un matériau totalement fiable et pur, si bien que l'un ou l'autre motif évoquant certains aspects du christianisme avait visiblement eu le temps de se greffer sur l'ensemble, mais le lecteur ayant connaissance de ce fait peut déceler sans trop de difficulté les éléments allogènes. Indépendamment de la question de la qualité de la transmission des récits, les mythes étaient vivants, évoluaient et s'enrichissaient perpétuellement, accompagnant les mutations des peuples pour se faire l'écho des transformations de leur conditions de vie, de leur structure sociale et de leurs aspirations profondes. Le meilleure exemple en est fourni par le transfert d'importance qui s'était effectué dans les derniers siècles de l'époque païenne depuis les figures de Donner et de Tiwaz vers celle de Wotan, preuve que la mythologie germanique n'était pas figée dans un dogme et que société et croyances se transformaient de concert. Le travail réalisé par les compilateurs était donc très ardu et assimilable à la reconstitution d'un ancien puzzle dont on savait qu'il manquait bien des pièces, obligeant afin d'offrir une vision globale à recréer certains liens manquants, parfois au prix d'un contresens, approximation ou simplification. Néanmoins, les œuvres comme celles de Snorri Sturluson demeurent des références incontestables sur l'univers mental des Germains. Il existe ainsi toute une série de documents épars, rédigés par des auteurs divers à des époques différentes. À côté des Heimskringla et Ynglingasaga, histoires des rois de Norvège et de Suède, on retient de Snorri, primus inter pares, son Edda en prose composée de la Gylfaginning (fascination de Gylfi) qui est à elle seule un précis de mythologie, le Hattamal (dénombrement des mètres) et le Skaldskaparmal qui se veulent avant tout des guides d'initiation à la poésie scaldique. Divers autres poèmes existent, tantôt longs, tantôt brefs, parfois clairs ou totalement obscurs en fonction de la capacité des exégètes à replacer les récits dans leur contexte. Pour ne citer que quelques poèmes principaux de l'Edda, on pointera du doigt les Fafnismal (dits de Fafner), Grimnismal (dits de Griminir), Havamal (dits du Très-haut), Lokasenna (esclandre de Loge), Vafthrudnismal (dits de Vafthrudnir) ou Völuspa (prédictions de la prophétesse). 14 L'Edda est avant tout une œuvre poétique due au talent des scaldes, ces bardes germaniques qui perpétuèrent longtemps la geste traditionnelle dont la forme littéraire répondait à un agencement rigoureux et faisait fréquemment appel à des formules dont il faut connaître l'existence et qui portent les noms de heiti et de kenningar. Sans s'appesantir sur le sujet, il convient de savoir que les heiti (cf. heißen en allemand) sont les noms donnés à un dieu, sortes de surnoms destinés à fournir une description indirecte des caractéristiques et prérogatives de la divinité tout en insistant sur ces dernières dans le contexte du récit. Ainsi Wotan* est-il également appelé Valfadr (père des occis), Hangagud (dieu des pendus), Hrafnagud (dieu aux corbeaux), Helblindi (borgne), Herian (commandeur des armées), Sigfadr (père de la victoire), Allfadr (père de tous; cf. la réutilisation dans le cadre du christianisme),… Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d'autres et les Dieux sont plus souvent qu'à leur tour évoqués par ces heiti. Assez similaires, les kenningar 2 (cf. kennen en allemand) sont des périphrases qui servent à désigner un personnage, un lieu, un objet par une expression construite rattachant le sujet visé à un mythe dans lequel il joue un rôle fondamental. Pour l'homme contemporain qui se contente de parler de l'or, des expressions comme "farine de Frodi" ou "tribu de la loutre" semblent dénuées de sens, mais pour tous ceux qui connaîssent les légendes, elles deviennent aussi limpides que pour les auditeurs de l'époque païenne. La compilation était donc un travail de première importance, même réalisé a posteriori et entaché des doutes que laisse planer la transmission chaotique des récits. Mais un autre problème réside également dans la manière dont ces œuvres sont parvenues jusqu'à l'époque actuelle. Durant très longtemps, le seul moyen de diffusion résida dans la copie manuelle des ouvrages, ce qui tout à la fois induisait un faible nombre d'exemplaires ainsi que le risque de voir dénaturer le document originel soit de manière involontaire, par distraction, par erreur de copie, soit sciemment en réorganisant, amputant ou enrichissant les textes originaux que ce fût dans une perspective littéraire, politique ou religieuse. Le manuscrit de l'Edda en prose est ainsi parvenu sous quatre formes principales jusqu'à l'époque moderne et un travail d'interprétation supplémentaire est donc nécessaire pour déterminer au travers des diverses versions laquelle a le plus de probabilité de s'approcher de l'original, sans jamais en avoir la certitude absolue. Les croyances des Germains et leur évolution peuvent aussi être déduite au départ de preuves indirectes, comme l'ensemble des stèles, objets, bijoux et ustensiles divers laissés à la postérité. Ces témoins matériels muets auxquels les archéologues tentent de faire livrer leurs secrets peuvent soit nourrir des spéculations, soit renforcer telle ou telle théorie ou encore combler des lacunes. Une aide ultime peut finalement être fournie par la technique éprouvée de comparaison des civilisations, laquelle se justifie d'autant mieux dans le cas de l'Europe où, à quelques rares exceptions près, la population est issue d'une souche commune indo-européenne. Runes* Bien qu'elles ne jouent généralement qu'un rôle secondaire dans la compréhension de la majeure partie des mythes*, il est utile d'évoquer sommairement les célèbres runes, cette écriture spécifique aux Germains*. Certains exégètes rapprochent le mot "rune" d'une racine ayant donné en allemand moderne le terme raunen qui signifie "murmurer". Ce rapprochement n'est nullement abusif quand on sait que les runes sont à la base même du seid, l'art secret de la magie* et de la divination. Les runes, raconte la légende, furent créées par Wotan lui-même quand il se pendit aux branches de l'arbre Yggdrasil durant neuf jours et neuf nuits afin d'arriver aux portes de la mort et de ressusciter en ayant acquis un savoir ultime. Intimement liées au cycle de la vie et de la mort, à la magie et à tout ce qui a trait à l'univers des Dieux, les runes recèlent une immense part de mystère qui continue de fasciner comme elle le faisait autrefois, même si certaines pratiques à caractère initiatique* peuvent être mises en doute. À la fin du XIXèm siècle, quand Jules Verne – dont on connaît les liens avec diverses sociétés ésotériques – a rédigé son Voyage au centre de la terre, donc au cœur de l'univers enfoui de la connaissance propre, il a largement utilisé le thème des runes qui permirent à son savant médiéval islandais de laisser une mince piste pour que sa quête pût un jour être poursuivie par ceux qui mettraient leurs pas dans les siens. 2 Kenningar : (pluriel de Kenning), métaphore poétique nordique à récurrences culturelles… 15 Ce qui ne fait l'objet d'aucun débat est l'aspect sacré* de ces caractères runiques que seuls pouvaient employer les Dieux*, les personnes occupant des fonctions définies dans l'exercice des rites* et celles étant douées de l'art de la prédiction. Ces dernières étaient d'ailleurs très régulièrement des femmes éminemment respectées auxquelles on recourrait pour recueillir quelque révélation sur le futur. Pour ce faire, la Dise disposait de baguettes de bois sur lesquelles étaient gravées les runes (qui semblent pour leur part avoir progressivement remplacé les idéogrammes). De là, il n'est pas difficile d'imaginer que les caractères runiques ont pris la valeur symbolique de ces idéogrammes originels dont on ne dispose malheureusement d'aucune trace. Les runes qui sont parvenues jusqu'à l'ère moderne ont été transmises par quelques manuscrits comme des versions de l'Edda dont l'une, du XVIIIème siècle, est connue de tous les amateurs de mythologie. Très importants sont également les objets divers, bijoux en or, boîtes en ivoire (supra) qui portent des inscriptions runiques sensées éclairer le motif ou la scène mythologique représentée. Finalement, le témoignage le plus impressionnant réside dans les grandes pierres sculptées ou gravées, souvent des monuments funéraires, que l'on trouve à travers le monde germanique et surtout nordique. Au point de vue graphique, les runes sont des caractères très intéressants en ce sens qu'il existe une filiation évidente entre eux et l'alphabet qui, sous une forme ou sous une autre, est parvenu dans les régions d'Europe centrale où vivaient les Germains. Cette influence n'est nullement surprenante étant donné que, contrairement à une idée fausse communément répandue, les échanges entre les mondes méditerranéens et extraméditérranéens se sont toujours révélés particulièrement intenses. Hormis cette similitude avec l'alphabet, l'absence totale de traits horizontaux est l'un des éléments les plus frappants de l'écriture runique. De fait, l'emploi du bois comme matériau de base pour l'écriture a conditionné la forme des caractères, puisque ces derniers étant gravés, il était difficile de former les caractères en creusant perpendiculairement au sens des fibres, si bien que bien les traits horizontaux ou courbes de l'alphabet gréco-latin ont été remplacés (?)n par des obliques. Les runes ne connurent en outre aucune adaptation en écriture cursive, ce qui est justifié par son usage presque exclusivement épigraphique. Il est un fait acquis que les runes apparurent quelque part dans le bassin du Danube [3]r , aux environs de l'actuelle Autriche, avant de se répandre dans toute l'aire d'influence des peuplades germaniques en utilisant en particulier les voies habituelles de communications qu'étaient les cours d'eau. Ainsi que la succession du A (alpha) et du B (bêta) a donné naissance au terme "alphabet", on ne parle pas d'alphabet runique, mais bien de Futhark en raison de la séquence des premiers caractères de cette écriture*. Pour l'essentiel, deux futharks ont vu le jour. Le premier comportait vingt-quatre caractères qui permettaient de couvrir l'ensemble des sons du langage de l'époque. En vigueur jusqu'au IXème siècle de l'ère chrétienne, il fut remplacé par le second futhark, à seize signes, issu directement de la simplification du premier qui comportait des caractères ne correspondant plus qu'à des sons ayant disparu de la langue courante. Le second futhark qui apparut à la fin du VIIIème siècle disparut 3 point de vue “universitaire” (bien pensant ?) contredit à R&T : cf. notre article Écriture*… 16 progressivement avec l'introduction de l'alphabet latin qui accompagna le développement du christianisme. Le premier futhark se composait ainsi des caractères suivants : [cf. art. r.t Écritures*] (Sur le Net : Pour télécharger la police des caractères runiques, cliquez ici et ajoutez-la à votre habituel dossiers de polices de caractères) Il est évident que si l'écriture runique a évolué dans le temps, elle a également fait l'objet d'adaptations aux langues de ceux qui les employaient, si bien que le futhark en vigueur en Allemagne différait de celui de Scandinavie, des îles britanniques ou d'Islande, les divers idiomes ayant affirmé depuis déjà plusieurs siècles leurs spécificités propres.»» [cf. ≠ / art. r.t Écritures*] -----------------------------------[…]r = Notes de <racines.traditions.free.fr> …* = titre d’un article sur ce sujet, dans notre site