Le Safir francophone

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Le Safir francophone
SUPPLÉMENT MENSUEL
PARUTION LE 1ER LUNDI DU MOIS
AVRIL 2015
LE SAFIR
FRANCOPHONE
Ambassadeur de la pensée politique et culturelle arabe
ÉDITORIAL
Talal Salman
Le Safir francophone :
Une première bougie pour Leila Barakat et son projet
L’an dernier, à la veille du quarantième anniversaire de la parution du Safir, Dr Leila Barakat créa
la surprise avec une initiative pour le moins inattendue : il était urgent selon elle de faire connaître
le Safir au lectorat francophone, arguant combien notre journal est riche en idées, novateur et
remarquable par la qualité de son service d’information.
La proposition fut alors considérée comme une délicate attention de la part d’une grande amie
que les Libanais connaissent bien par ailleurs, et dont ils apprécient hautement la culture et le
dynamisme, comme sa persévérance dans les actions où elle s’investit. Ils se souviennent de son
travail auprès de plusieurs ministres (le ministre de la Réforme administrative notamment) mais aussi
de son engagement dans les multiples activités qui ont célébré Beyrouth Capitale mondiale du Livre,
événement dont elle fut à la fois l’initiatrice et la coordinatrice, avant de s’en faire la dépositaire,
garante d’une réussite qui se confirma au-delà des prévisions les plus flatteuses. Elle est, en outre, une
écrivain reconnue, auteur de plusieurs romans en français, langue qu’elle maîtrise avec une dextérité
qui n’a d’égale que son application à interpréter les chiffres et leurs secrets les plus subtils…
Quelques jours plus tard, Dr Leila Barakat faisait irruption dans les bureaux du Safir en brandissant
le plan de son projet. Elle avait pris soin de définir le statut du nouvel organe, afin d’en garantir
l’autonomie qui permettrait de mieux concrétiser son concept, la création d’un journal regorgeant
d’idées à partir d’une formule unique en son genre. Ladite formule consiste à sélectionner chaque
mois le meilleur des articles du Safir tout en y ajoutant un supplément de matière, un enrichissement
qui allait rapidement susciter une reconnaissance de mérite et d’excellence.
À la réception du « numéro zéro », force était de constater que le produit dépassait de loin
nos attentes et nos espérances. Dr Leila Barakat avait soigneusement orchestré tous les détails : la
maquette, les polices de caractères, ainsi que les illustrations, choisies parmi les chefs-d’œuvre de
la peinture mondiale dans le but de valoriser le fond par la forme ; elle nous démontrait d’emblée
à quel point la pensée qui s’investit au service du progrès humain est, en réalité, une, tant dans ses
Salvador Dali, « Les premiers jours du printemps », 1922.
fondements que dans sa finalité, quelle que soit la langue dans laquelle elle s’exprime. Dr Barakat
avait également « imposé » à des hommes et femmes de lettres, dont d’éminents universitaires parmi
ses amis et connaissances, de collaborer au projet et de contribuer ainsi à réaliser le rêve d’un journal vibrant, flamboyant de culture et de
raffinement tant dans le texte que dans les illustrations.
Certains d’entre nous se dirent alors que c’était sans doute là une lubie passagère qui ne ferait pas long feu. D’autres jugèrent l’aventure
périlleuse et fort coûteuse, prophétisant que Dr Barakat elle-même ne manquerait pas d’y renoncer après un ou deux numéros ! Quelques
esprits hypocrites se demandèrent à qui profitait réellement cette tentative qui serait forcément combattue, et que nul ne se risquerait à
défendre. Mais voici que Le Safir francophone amorce sa deuxième année d’existence et que nous fêtons l’événement. Le journal a désormais
son public, qui apprécie l’effort fourni en vue de jeter des ponts, de rapprocher ceux que les frontières linguistiques ou la distance culturelle
maintiennent trop souvent dans un rapport de répulsion, voire d’inimitié.
Le treizième numéro du Safir francophone atteste et confirme la réussite éblouissante du Dr Leila Barakat. En transmettant la pensée
dans une langue noble confortée par un support iconographique de toute beauté, cette femme brise les obstacles, fait découvrir à des
lecteurs d’obédiences multiples qu’ils sont en vérité bien plus proches les uns des autres qu’ils ne l’imaginent, montrant ainsi
la voie de l’unité dans la diversité.
Un hommage donc à cette créatrice, capable d’accomplir par la seule force de sa volonté un exploit culturel
qui ajoute un insigne d’honneur au Safir et l’enrichit par son apport. Un hommage également à tous ceux,
écrivains, penseurs ou journalistes, qui ont contribué à la réalisation de ce rêve. Celui-ci s’inscrit dans le livre
d’or du journalisme au Liban, grâce à une pionnière qui sait abattre les murs dressés entre des hommes et des
femmes ayant en commun leurs rêves de progrès et de dépassement des différences, afin qu’ils s’unissent dans
l’affirmation de leurs valeurs et l’amour de l’élan créateur. ■
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DOSSIER DU MOIS : LES PEINTRES SYRIENS - UNE SCÈNE ARTISTIQUE EN EXIL
Ce qui se passe dans les coulisses de la presse est parfois aussi intéressant que ce qu’elle raconte
dans ses colonnes. Il y a un an, Emile Nasr, directeur de L’Agenda culturel, clamait sa joie de la
naissance du Safir francophone. « Alléluia, Le Safir francophone vient de naître », écrivait-il. Il en
soulignait l’importance : « La grande nouvelle est que nos lecteurs francophones ont, sans l’aide de la
Francophonie, un supplément libanais en langue française. L’Agenda Culturel se devait d’annoncer
l’événement, car il est de taille. Que le Safir choisisse d’avoir un supplément en français signifie que
vous et moi continuons à compter au Liban. Le Safir francophone sera d’accès gratuit, et c’est encore
une très bonne chose. Car il est faux de considérer que tous les Libanais francophones appartiennent
à la haute bourgeoisie. » Nasr invitait de son propre chef les lecteurs de L’Agenda culturel à visiter
le site web du Safir francophone, afin d’y découvrir « d’excellents articles ». De surcroît, il décidait
- seul - qu’entre médias qui signent en français, forcément, une collaboration devait s’instaurer.
Aujourd’hui, alors que Le Safir francophone fête sa première année d’existence, nous avons reçu un
cadeau d’anniversaire plutôt insolite : un dossier inédit monté par L’Agenda culturel, qui rejoint les
préoccupations et centres d’intérêt de notre supplément. Il semble que les journaux et revues peuvent
aussi avoir du cœur, et une âme en partage…
Les peintres syriens : une scène artistique en exil
Dossier élaboré par l’équipe de l’
Emile Nasr
Il est difficile de dire si les artistes syriens réfugiés au Liban se comptent par centaines ou par milliers
d’individus. D’autant qu’il est peu approprié de parler de « réfugiés » lorsqu’il s’agit de peintres, de
musiciens, de chanteurs ou de danseurs… Ces femmes et ces hommes font leur travail, seuls dans un
local qu’ils osent à peine appeler leur atelier, dans une salle de répétition qui remplace celle qu’ils ont
quittée contraints et forcés, ne rêvant bien souvent que de regagner Damas, Alep ou Deir Ez Zor. Qui
oserait dire à un peintre qu’il n’a plus à manier ses pinceaux, parce qu’il a dû changer d’atelier ?
Le secteur culturel libanais a toujours accueilli en son sein un grand nombre d’artistes, migrants
ou exilés fuyant la guerre et la dépossession, Arméniens, Irakiens ou Palestiniens, des artistes qui
font aujourd’hui partie intégrante de la scène culturelle libanaise. Beyrouth n’a jamais failli à son
rôle attractif dans la région, un rôle qu’elle manifeste en termes d’ouverture culturelle, d’échanges
artistiques, s’imposant comme cette scène unique dans le monde arabe, où l’on jouit d’une grande
liberté d’expression dans toutes les disciplines de l’art.
Déplacés de guerre en conséquence d’un conflit qui dure depuis quatre ans maintenant, les artistes
syriens, qu’ils soient en transit ou plus ou moins établis au Liban, participent pleinement à la vie
culturelle de notre capitale ; ils y évoluent et y poursuivent leurs travaux, exposent ici leurs œuvres,
contribuant, pour une part non négligeable, au dynamisme de la vie culturelle libanaise. Ces acteurs
d’un monde culturel en exil ont enrichi le secteur artistique au Liban ; malgré les réticences, les
critiques et les peurs de certains, ceux qui les accueillent et les exposent l’ont bien compris, décelant en
eux cet afflux d’inspirations nouvelles capable d’irriguer un marché demandeur. ■
Sara Shamma.
Emile Nasr est le directeur de l’Agenda Culturel.
A.S., peintre syrien :
« Vous me demandez de peindre ce que j’ai fui… »
« C’est incroyable ce que vous les Libanais pouvez être politisés : avec mon
jeune frère nous nous sommes réfugiés au Liban pour fuir la guerre en Syrie. Mon
métier, ma vie ont toujours été la peinture. A Deraa, je peignais des paysages et
des portraits de paysans dans les champs, ici vous me demandez tous de peindre
ce que j’ai fui, la guerre, le sang, les destructions… Et je dois deviner à Beyrouth
à qui j’ai affaire : telle galerie du port n’aime que les tableaux qui racontent la
guerre et la destruction, telle autre à Achrafieh préfère la nature et ne m’a parlé
qu’en français. Je dois peindre sur commande, tout le monde se fout de ce que je
veux exprimer. Nous avons un oncle en Suède, et notre rêve est de le rejoindre,
mais ma famille est coincée à Deraa où les bombardements continuent. Ma sœur a
rejoint notre tante qui est à Damas car les cas de viol se sont multipliés dans notre
village. Malgré tout, je ne me plains pas, j’ai réussi hier à vendre un tableau à une
dame pour trois cents dollars. C’était une peinture à l’huile grande comme ça, elle
ne m’a rien demandé, sauf si je pouvais lui peindre un autre tableau dans des tons
de bleu, car dans son salon ses canapés sont de cette couleur… Et vous, de quelle
couleur sont vos canapés ? » ■
Peintures d’Ahmed Kleig, de Mohammad Labash, Sara Shamma, Rabee Kiwan et Maher Al Baroudi, artistes syriens résidant au Liban.
DOSSIER ÉLABORÉ PAR L'AGENDA CULTUREL
SUPPLÉMENT MENSUEL - AVRIL 2015
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En interrogeant divers professionnels du secteur, L’Agenda Culturel a tenté de faire le point, sur la situation des artistes peintres syriens résidant actuellement au
Liban et actifs sur la scène culturelle locale.
L’Agenda Culturel
Moussa Kobeissi, galeriste et collectionneur passionné, propriétaire de la galerie Zamaan :
« Regarder au-delà des frontières est devenu un exercice
naturel »
■ Quelles sont les différences entre les écoles de
peinture libanaise et syrienne ?
La caractéristique de base de ces deux écoles est
la touche locale, le caractère. Jusqu’aux années 1970,
il y avait beaucoup de points communs entre bon
nombre d’artistes, syriens et libanais. Mais avec le
temps la peinture libanaise est devenue très proche des
écoles occidentales. C’est pourquoi les étrangers de
passage à Beyrouth ont toujours eu un faible pour les
peintres syriens. Ils leur trouvent plus d’exotisme…
Cela dit, depuis les années 2000 les Syriens ont à leur
tour entamé leur occidentalisation. Aujourd’hui, les
deux sources artistiques se rejoignent à nouveau dans
leurs tendances.
■ Que pensez-vous de l’afflux récent de
peintres syriens ?
En ce qui concerne la galerie Zamaan, nous
n’avons pas remarqué un afflux syrien récent notable.
Nous avons toujours reçu des artistes syriens,
exposants ou visiteurs.
■ Que représente cet afflux du point de vue du
marché de l’art libanais ?
Aussi bien les Syriens que les artistes de toutes
origines sont les bienvenus. Nous les accueillons au
Liban de la même façon que nous souhaitons que nos
artistes soient chaleureusement accueillis en dehors du
Liban. A mon avis, les Syriens représentent simplement
une concurrence comparable à celle des artistes
français aux États-Unis ou des Italiens en France !
■ A quoi attribuez-vous l’engouement pour les
artistes syriens ? Au prix, à la simple curiosité ou
à la réelle qualité de leur peinture ?
La réponse n’est-elle pas incluse dans la
question ? A chacun son paramètre. Parfois, ce sont
les trois conditions réunies ! Il n’empêche qu’au
niveau artistique, le collectionneur libanais n’a pas
l’air de souffrir d’un sentiment raciste ! J’espère que
cette mode ne sera pas passagère en ce qui concerne
les artistes qui apportent un parfum supplémentaire
dans le jardin libanais.
■ On dit que les meilleurs peintres syriens ont
déjà quitté le Liban. Est-ce votre impression ?
Les meilleurs peintres, c’est une exagération
syntaxique ! Un bon nombre d’artistes ont quitté la
région et un bon nombre cherchent à quitter, aussi
bien le Liban que la Syrie.
■ Pouvons-nous parler « d’exploitation » des
peintres syriens « réfugiés » au Liban ?
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une exploitation
exclusive visant les artistes syriens. Selon les lois
de la jungle, chacun essaie de tirer la couverture à
soi. Les galeries n’ont jamais été nulle part des
associations caritatives.
■ A combien estimez-vous le nombre de
peintres syriens résidant actuellement au Liban ?
Il s’agit d’une approximation plutôt que d’une
estimation. Ce nombre ne dépasserait pas la petite
centaine, toutes régions confondues. ■
Ziad Zakkari.
Elias Dib, président de l’Association des peintres et sculpteurs libanais (LAAPS) :
« El frangé bringé »
« Le Liban a toujours été une terre d’asile
ainsi qu’une plaque tournante pour la culture au
Moyen-Orient. Les artistes étrangers y sont souvent
accueillis comme des héros. El frangé bringé (Gloire
à l’étranger) : cela finit par devenir une devise…
L’Association des peintres et sculpteurs libanais
confirme la présence d’artistes syriens sur le
territoire national. Elle considère ceux-ci comme
une richesse pour la diversité de notre création ; le
danger vient uniquement de ceux qui les exploitent,
sans que les responsables et autorités compétentes
ne réagissent.
Bien sûr les professionnels du secteur gardent
le souci de préserver les intérêts nationaux.
L’Association a ses valeurs et ses intérêts propres
à défendre, mais ça ne l’empêche pas de se montrer
généreuse envers les artistes syriens. Le problème,
c’est que les galeries et les salles d’exposition ne
suffisent plus. Un musée d’art contemporain serait
nécessaire, ainsi que des centres d’art et des centres
culturels dans d’autres villes que Beyrouth. De
tels projets ne peuvent se faire qu’à l’initiative
de l’Etat, mais ils constitueraient une garantie, ils
rassureraient ceux qui voient comme un danger
la présence pourtant si enrichissante des peintres
syriens dans notre pays. » ■
Ali Al-Kafri.
La Syrie d’antan, thème privilégié des artistes syriens.
C.H., peintre syrien :
« J’attends encore… »
« Un de mes professeurs des Beaux-Arts de Damas est venu me rendre visite à
Beyrouth l’année dernière. Nous sommes allés voir dans une galerie l’exposition
d’un ami, et nous avons fait la connaissance de l’un des responsables du lieu.
Comme il nous interrogeait sur notre activité, mon professeur, qui avait apporté
de Damas quelques-uns de ses croquis, a promis de revenir le lendemain pour
les montrer.
Nous sommes revenus avec près de soixante-dix croquis ; j’avais apporté les
miens, pensant en tirer un bon prix. Le galeriste semblait conquis, il affirma qu’il
pouvait les vendre à une clientèle fidèle, amatrice de ce genre de travail. Quelques
semaines plus tard, il regrettait de n’avoir pas encore vu venir cette clientèle,
mais confirmait avec véhémence qu’elle ne tarderait pas et qu’il m’appellerait
très bientôt. Malheureusement la fois suivante l’ancien responsable avait été
remplacé par un autre, et il me devint impossible de récupérer mes croquis. J’eus
beau multiplier les visites et les demandes, je ne pus recevoir aucune réponse, ni
du directeur de la galerie, ni de l’ancien responsable. En vérité, j’attends encore,
et je ne suis pas le seul artiste dans ce cas… » ■
4
DOSSIER DU MOIS : LES PEINTRES SYRIENS - UNE SCÈNE ARTISTIQUE EN EXIL
Les artistes syriens font-il de l’ombre aux libanais ?
Depuis le début du conflit dans leur pays, en mars 2011, les artistes syriens sont nombreux
dans les galeries beyrouthines. Le marché de l’art libanais, traversé ainsi par une nouvelle
vague de peinture contemporaine, ne s’en trouve pas pour autant bouleversé…
Elham Jabbour.
« C’est amusant, je n’avais pas mis
les pieds à Beyrouth depuis trois ans,
raconte Delphine Leccas, commissaire
indépendante. Le Liban ne portait
alors aucun intérêt aux artistes syriens,
en dehors de quelques pionniers de
l’art contemporain. Or aujourd’hui
l’engouement à leur égard est tel que l’on
pourrait se demander si être Syrien n’est
pas devenu une condition sine qua non
pour exposer à Beyrouth ! »
Depuis le début du soulèvement syrien,
le nombre de galeries dans la capitale
libanaise a augmenté à mesure qu’affluaient
les artistes fuyant les violences de la
guerre. En moins de trois ans, « les centres
artistiques ont bourgeonné et tous présentent
des artistes syriens », confirme l’ancienne
responsable de la programmation culturelle
à l’Institut français de Damas. Parmi eux,
citons Ayyam, qui a su exporter le modèle
de sa galerie damascène à Londres, Dubaï,
Djeddah et, bien entendu, au Liban, ou
encore l’espace culturel Artheum, spécialisé
dans l’organisation de salons d’art et de
design. Depuis son ouverture en 2012,
la galerie du quartier de la Quarantaine a
présenté la première édition de son salon
d’art syrien, introduisant auprès des amateurs
d’art libanais plus de cinquante artistes
originaires du pays de Sham. « Cela a été
un succès, tant au niveau de la fréquentation
ou de la couverture médiatique, qu’en
matière de ventes », confirme Nino Azzi,
le fondateur d’Artheum. D’après lui, ces
peintres nouvellement arrivés à Beyrouth
n’empiètent pas sur la clientèle des artistes
libanais, car ils proposent une technique
et un style profondément différents, ainsi
qu’une tout autre gamme de prix. « Certains
disent qu’ils perturbent le marché mais ce
n’est pas nécessairement vrai, explique-t-il.
Les chalands achètent ce qu’ils aiment au
prix qu’ils peuvent payer. Il s’agit des règles
élémentaires de la régulation de marché. »
Delphine Leccas rejoint l’opinion du
directeur de galerie. Elle estime que l’afflux
des artistes syriens s’est accompagné de
l’émergence d’une nouvelle clientèle,
étrangère au marché de l’art avant la crise
syrienne. De toutes façons, la question d’une
perturbation ne se pose qu’à court terme : « la
majorité de ces artistes considèrent Beyrouth
comme une étape avant de partir ailleurs ». ■
Un marché de l’art à la fois ébranlé et remis sur pied
Raouf Rifai, artiste peintre libanais, nous confie ses réflexions quant aux répercussions de cette migration syrienne sur le marché de l’art au Liban.
■ L’afflux récent de peintres syriens au Liban représente-t-il une menace
pour le marché de l’art libanais ou au contraire, l’opportunité de le vivifier ?
Nous devons savoir à quels peintres syriens nous faisons référence. On compte
environ cinq peintres syriens connus résidant au Liban, une cinquantaine d’artistes
émergents, et plus d’une centaine qui n’ont pas encore d’expérience professionnelle.
Les grands peintres syriens de renom ne présentent pas de « menace » pour le
marché libanais : ils conservent leur réputation et le prix de leurs œuvres n’a pas
varié. Ce sont plutôt ces centaines de jeunes, nouveaux dans le secteur, qui créent
quelques perturbations. Ils représentent un gain facile pour les galeries, produisant des
tableaux valables pour une contrepartie minime. Ils ont déclenché une effervescence
sur le marché de l’art local, et leur offre massive force les artistes locaux et les
galeries à baisser leurs prix. Le marché en est si agité qu’on ne différencie plus les
bons des mauvais artistes.
Mario Mouselli.
Mais il faut reconnaître par ailleurs que
cela est favorable à la stabilisation du marché
de l’art libanais, car nous stagnons dans un
climat où les copieurs prospèrent et où les
œuvres souvent banales sont surévaluées.
La quantité toujours croissante d’œuvres et
d’artistes force les galeries à redevenir plus
critiques, à aiguiser leur regard. En outre, cela
provoque aussi le retour de certains peintres
libanais vivant à l’étranger, comme s’ils
voulaient participer à cette réévaluation, à ce
climat plus franc et prometteur, pour défendre
et raviver l’art libanais.
■ Pouvons-nous parler « d’exploitation »
des peintres syriens ?
Le terme d’exploitation est fort. Mais il
est vrai que certaines galeries profitent du fait
que les Syriens se trouvent dans une situation
précaire pour leur extraire un grand nombre
d’œuvres à des prix dérisoires. Ces artistes
réfugiés n’ont pas vraiment le choix : la plupart désirent accumuler le plus possible
de liquidités et ce très rapidement, pour pouvoir atteindre la terre promise de l’Europe
ou d’ailleurs ; pour eux le Liban n’est qu’un lieu de transit. Certains disent aussi
que ce sont les Syriens qui ont quelque peu exploité les galeries libanaises. Nous
avons entendu de fâcheuses histoires racontant comment des artistes syriens ont
mis le cap vers l’Europe à la première opportunité, en négligeant leur engagement
professionnel avec leur galerie.
■ Il semble qu’un nombre considérable de peintres syriens aient déjà
quitté le Liban, est-ce votre sentiment ?
Oui, à moins qu’ils n’y soient jamais venus. Les grands maîtres sont partis vers
l’Europe ou vers Dubaï bien avant de songer à s’établir au Liban. Les peintres qui ont
dû y faire escale se sont rués sur certaines ambassades pour se procurer un visa de sortie.
■ La technique de la peinture enseignée en Syrie se distingue-t-elle de la
nôtre ?
La technique apprise dans les écoles d’art en Syrie semble plus rigoureuse
que celle qui est enseignée dans les écoles libanaises. D’ailleurs, il y a bien plus
de maîtres syriens dans les musées que de libanais. En revanche, étant donné la
difficulté pour beaucoup de nos voisins à voyager à l’étranger, ils ont une vision
restrictive du monde. Si leur technique classique est très valable, leur esprit créatif
l’est moins. Leurs œuvres se ressemblent, comme si elles suivaient toutes une
même ligne directrice. Chez nous, l’État n’applique pas ouvertement une censure
sur la production artistique. De plus, les Libanais émigrent et voyagent beaucoup,
développant souvent leur art par eux-mêmes bien plus qu’à l’université. La peinture
des artistes libanais est donc généralement plus libre, plus créative et plus subjective.
■ A quoi attribuez-vous l’engouement pour la peinture syrienne ? Est-ce
une tendance passagère ?
Quand les peintres syriens sont arrivés, les amateurs d’art ont préféré leurs
tableaux parce qu’ils se marient bien à leur environnement, à l’ambiance dans
laquelle ils évoluent. Ils les ont trouvés plus « arabes », plus adaptés à leur goût,
plus exotiques peut-être. Mais maintenant la vague est un peu passée. Je reste
donc confiant : la demande concernant l’art local ne devrait pas s’éroder, d’autant
que celui-ci s’est enrichi suite à ces remises en question, déclenchées par les
bouleversements dans la région. ■
SUPPLÉMENT MENSUEL - AVRIL 2015
DOSSIER ÉLABORÉ PAR L'AGENDA CULTUREL
5
M. S., peintre libanais :
« La concurrence existe… »
« Plus d’une centaine d’artistes syriens sont arrivés au Liban. C’est une richesse
mais en même temps, la concurrence existe. Un artiste syrien aujourd’hui est prêt
à vendre ses toiles à la moitié de leur prix. Il veut survivre. Un artiste libanais est
obligé de suivre, car son galeriste lui dira probablement que tous les artistes sont
en train d’opérer le même choix. Il peut juste refuser ou accepter. L’offre s’est
certes diversifiée, mais le pouvoir d’achat des amateurs d’art est resté le même.
Une concurrence accrue s’en fait ressentir. Les artistes libanais doivent faire face.
Le fait qu’aucune véritable politique ne soit mise en place pour protéger le marché
de l’art local provoque ce genre de phénomène. L’artiste syrien ne paie pas de taxe
sur ce qu’il touche par exemple. Mais seuls priment les enjeux financiers. » ■
I.H., peintre libanais :
« Ils ont le droit d’exprimer leur art… »
« Je connais beaucoup de peintres syriens, ce sont souvent des amis, ils ont le droit
d’exprimer leur art, même s’ils sont provisoirement réfugiés chez nous. En aucun
cas ces peintres ne représentent une menace. Leur style différent, quoique souvent
plus élaboré que le nôtre, ne fait pas d’eux des concurrents. C’est vrai qu’ils vendent
leurs œuvres à meilleur prix, mais c’est peut-être une bonne chose. Par ailleurs, je
vends moi-même dans les pays arabes, y compris en Syrie avant la guerre, alors je
ne considère pas qu’il y ait un problème si des peintres syriens souvent talentueux
viennent enrichir le marché de l’art à Beyrouth, qui en a bien besoin. » ■
Le pari réussi de la résidence artistique d’Aley
Lors de son ouverture en mai 2012, la résidence d’Aley avait pour vocation d’offrir un refuge aux artistes syriens. Trois ans plus tard, l’ancienne bâtisse d’architecture
ottomane s’impose progressivement comme un pôle international de la culture syrienne.
Le défi était audacieux mais Raghad Mardini peut se féliciter de l’avoir
relevé avec succès. En mai 2012, après avoir passé un an à rénover un ancien
garage à calèches dans les montagnes du sud-est de Beyrouth, cette ingénieure
civile de formation décide d’ouvrir les portes de sa vaste bâtisse aux artistes
syriens qui ont fui leur pays en guerre. « L’idée m’est venue spontanément à la
vue de leur situation, explique-t-elle. La majorité d’entre eux arrivent à Beyrouth
puis travaillent sur les chantiers ou dans les restaurants, loin de toute activité
artistique. » Pour les encourager à renouer avec la création, Raghad Mardini,
originaire de Damas, propose à ces artistes le matériel et l’espace nécessaires à
leur travail, de l’argent de poche et un mois d’hébergement au sein de la résidence.
« J’essaie également de promouvoir leurs productions en les postant sur Internet,
sur les réseaux sociaux, et en organisant des expositions au Liban et à l’étranger. »
Résultat : les artistes d’Aley développent rapidement un nouveau réseau
professionnel et se font repérer à l’extérieur des frontières du Proche-Orient.
« Ils arrivent épuisés, mais avec le soutien psychologique, la solidarité et l’esprit
communautaire de la résidence, ils reprennent rapidement confiance en eux et
en leur travail », commente la gérante des lieux. Parmi les quarante-trois artistes
qu’elle a accueillis depuis mai 2012, le peintre Rabee Kiwan, originaire de Suweida,
située à une centaine de kilomètres au sud de Damas, a décroché un contrat avec la
galerie d’art beyrouthine Mark Hachem. Lors de son séjour, l’artiste a été séduit et
apaisé par le cadre et l’architecture des lieux. « J’ai été coupé du stress de Beyrouth,
précise-t-il. Au milieu de la nature, sous de magnifiques arcades, il était plus facile
de travailler. » Son expérience à Aley, en juillet 2012, trois mois après son arrivée
au Liban, l’a conduit à exposer ses peintures à Amman en Jordanie, au Koweït, en
Italie et à Washington, aux États-Unis. « C’est important, en tant qu’artiste, d’avoir
un retour, de savoir ce que les gens pensent de votre travail », souligne-t-il.
A son image, de nombreux locataires de la résidence artistique se sont envolés
vers de nouveaux horizons. La liste ne saurait être exhaustive mais le jeune Syrien
Adel Daoud, originaire de Qameshli, s’est établi à Vienne, en Autriche, le peintre
et plasticien Khaled al-Boushi a quant à lui posé ses valises à Berlin, et Sari Kiwan
a quitté le sud de Damas pour partir étudier en Allemagne. Satisfaite d’avoir
transformé Aley en un vivier d’artistes syriens, Raghad Mardini ambitionne
aujourd’hui d’élargir les supports artistiques qu’elle promeut, de la vidéo au
théâtre, en passant par la poésie et toutes les formes de l’écriture. Si, de son aveu,
le chemin reste encore long, cette passionnée d’art syrien se réjouit d’ores et déjà
d’avoir atteint son premier objectif : aider les artistes victimes de la guerre. « Je
crois profondément en la vertu de l’art. Il est nécessaire de protéger les artistes car
un jour, c’est eux qui nous sauveront. » ■
Elle et lui…
Elle est Libanaise, il est Syrien. Ce n’est pas une histoire d’amour, mais celle
d’une collaboration artistique, d’une amitié, d’un échange. Deux artistes plasticiens
qui ont décidé de louer ensemble un atelier dans le quartier de Mar Mikhael.
Des projets, des idées, des expositions… Cela fait deux ans maintenant qu’elle
et lui partagent leurs talents, mais aussi leur quotidien, qu’ils se soutiennent, se
conseillent, et font avancer leur carrière pas à pas. ■
Zuheir Hadramout.
6
POLITIQUE
Haro sur le racisme !
Talal Salman
Le racisme serait-il inopinément apparu dans
la culture libanaise, dans un pays dont l’hospitalité
légendaire fait la fierté des responsables et de leurs
ouailles ? Ceux-ci se targuent d’ouvrir grand leurs
portes à tout quémandeur de bonnes vacances ou
de bonnes affaires ; ils s’empressent de mettre à la
disposition de tout pays frère, à condition toutefois
qu’il soit riche en pétrole et en gaz, des compétences
exceptionnelles... à des fins lucratives bien entendu.
Le racisme serait à présent un pilier de la
souveraineté et du libre arbitre... Un racisme qui
ne concerne toutefois jamais ces « messieurs » qui
affluent de l’étranger et sont l’objet d’une grande
sollicitude voire de grands honneurs, et bénéficient de
toutes sortes de facilités de la part des autorités et, en
partie, de la société civile. En matière d’hospitalité,
la place d’honneur revient en général à l’Américain,
l’accueil chaleureux au Français ou au Britannique,
et tout Européen, quel qu’il soit, est toujours le
bienvenu. L’accueil réservé à l’Arabe demeure quant
à lui largement tributaire de son compte bancaire
et de sa position sociale. En effet, une hiérarchie
s’établit : les magnats du pétrole arrivent en tête,
directement suivis par ceux du gaz. Puis viennent les
dilapideurs des richesses de leur pays, toujours reçus
à bras ouverts, d’autant plus s’ils ont quitté le pouvoir
et n’ont plus à répondre directement de leurs faits
et gestes. C’est alors que ces ex-responsables font
appel aux compétences libanaises d’exception, car
la tradition libanaise n’a pas sa pareille pour passer
sous silence les malversations et fraudes fiscales,
dissimuler les preuves ou camoufler des traces de
crime. N’oublions pas à ce propos que le pouvoir
libanais et ses sbires n’ont pas hésité à octroyer la
nationalité libanaise aux grosses fortunes, nantis et
hommes d’affaires en question, avec des privilèges
spéciaux dont ils bénéficient jusqu’à ce jour.
Nous savons que la tragédie syrienne est bien trop
lourde pour être prise en charge par le seul Liban.
Nous affirmons toutefois, en toute connaissance de
cause, que le Liban est en mesure d’assumer certains
aspects du drame syrien, notamment en ne rejetant
pas ces femmes et ces hommes que la guerre ouverte,
en Syrie et contre elle, a contraints à quitter maison
et travail pour mettre leur famille à l’abri et qui se
retrouvent en errance vers le refuge le plus proche,
Bassam Jbeili.
« La Syrie vous accueille » : tel est le titre de ce tableau peint par l’artiste syrien Turki Mahmoud Beik.
un pays où il leur est possible de trouver quelque
vague connaissance.
Nous savons que les instances internationales et
arabes, qui ne manquent pourtant pas de moyens,
ont fait preuve de grande parcimonie à l’égard du
Liban. Elles n’ont pas offert d’aide notable sous
prétexte qu’il faut expressément sanctionner le
régime syrien, conscientes pourtant qu’une telle
attitude va à l’encontre des principes les plus
élémentaires de la fraternité, et qu’elle sanctionne
en réalité, tant les déplacés syriens eux-mêmes
que le Liban et les Libanais, mais en aucun cas le
régime en question.
L’objet de la plus grande réprobation reste
cependant les nombreuses déclarations enflammées,
d’un racisme provocateur dépourvu d’un minimum
d’humanité et d’éthique, assénées par des responsables
d’État libanais, parmi lesquels des ministres dont les
partis isolationnistes ou nationalistes revendiquaient
hier encore une union confédérée avec la Syrie.
Certes l’Etat libanais a le droit de tenter de
mettre un frein à « l’invasion » des fugitifs syriens
rescapés de l’enfer. Il pourrait le cas échéant
être contraint de recourir à des mesures strictes
pour canaliser le flux des migrants et gérer plus
efficacement les points d’entrée, afin d’éviter
le chaos et d’empêcher l’infiltration d’éléments
soupçonnés d’appartenir à « Daech » ou au Front
« Al-Nosra », qui ne manqueraient pas d’introduire
le conflit syrien chez son voisin, si vulnérable pour
les raisons que l’on connaît.
L’État libanais a réussi jusqu’ici dans une
grande mesure à maîtriser la situation. Les instances
concernées ont fourni des efforts excédant largement
leurs capacités, ce dont elles doivent être remerciées
compte tenu de la rupture consommée entre les
deux Etats, rupture sans laquelle certains incidents
sécuritaires auraient pu se résoudre. Car c’est bien
l’État libanais qui boycotte l’État syrien en prétendant
à la neutralité, à l’observance d’une stricte politique
de distanciation. La réalité du terrain montre que cette
politique est une utopie, et la déferlante migratoire se
poursuit sans que rien puisse l’endiguer à ce jour.
Peut-on oublier les bienfaits des Syriens ?
Contrôlons donc les frontières et adoptons une
position distanciée, si tel est notre choix. Mais
n’infligeons pas aux Libanais l’accusation de
racisme et de mépris, à travers ces
discours sur les déplacés syriens !
Les Libanais n’ont-ils pas connu
eux-mêmes l’amère épreuve du
déplacement ? N’ont-ils pas été lors
de leurs interminables guerres civiles,
et avant même la guerre israélienne
de 2006, accueillis en nombre et
par vagues, toutes confessions
et
appartenances
politiques
confondues, par les Syriens leurs
voisins, et traités par eux comme des
frères en difficulté, sans que leur soit
adressée la moindre parole raciste ?
Haro donc sur le racisme ! Il
porte préjudice autant aux Libanais
qu’aux Syriens ! Ces derniers sont et
demeurent, même aux pires heures de
l’épreuve sanglante qu’ils subissent,
des frères avec qui nous avons un
Le vieux Damas peint par Mansour Al Hanawi. destin en partage. ■
LITTÉRATURE
SUPPLÉMENT MENSUEL - AVRIL 2015
7
Dernière sélection du prix littéraire arabe de fiction 2015 – le Booker arabe
Présentation des six romans de la liste
L’ardent désir du Derviche
99ème étage
de Hammour Ziada
de Jana Elhassan
Situé au Soudan, au XIXème siècle, au
moment de la chute de l’Etat religieux établi
par le Madhi, L’ardent désir du Derviche
évoque le destin de Bakhi Mindeel, un
ancien esclave récemment sorti de prison
et cherchant à se venger de sa captivité. Sa
libération coïncide avec la fin de la guerre
mahdiste, au moment où le Madhi et ses
partisans étaient battus et obligés de fuir. Cette
guerre coloniale britannique opposa l’Egypte
et une partie de la société soudanaise qui
cherchait son indépendance sous la conduite
du Madhi, chef religieux charismatique. L’ardent désir du Derviche apporte une
lecture du conflit culturel entre les chrétiens européens et les soufis musulmans,
explorant des notions comme l’amour, la religion, la lutte politique et la trahison. ■
New York, années 2000. Majd est un jeune
palestinien qui porte la cicatrice des massacres de
Sabra et Chatila, en 1982 au Liban. Il tombe amoureux
d’Hilda, jeune danseuse, originaire elle aussi du Liban
mais dont la riche famille de la montagne doit sa
prospérité au pouvoir de la droite chrétienne libanaise,
impliquée dans ces massacres. Aussi, lorsque Hilda
décide de partir à la découverte de ses racines, le jeune
homme est déchiré entre sa crainte de la perdre et les
fantômes de son histoire familiale. Du haut de son
bureau, à New York, au 99ème étage d’un building, Majd
songe à ses parents, sa mère, enceinte, qui perdra la vie
à Sabra et Chatila, et son père, brisé, exilé, qui d’enseignant à Beyrouth deviendra vendeur de
roses dans les rues de Harlem. Avec ce roman, la jeune génération libanaise de l’après-guerre
civile regarde le passé droit dans les yeux. ■
Hammour Ziada est un écrivain et journaliste, né à Khartoum en 1977. Il a dirigé les pages
culturelles du quotidien soudanais Al Akhbar. L’ardent désir du Derviche, son second roman,
a reçu en 2014 la médaille Mahfouz de littérature.
Jana Elhassan est une romancière et journaliste libanaise née en 1985. Son premier roman,
Désirs interdits, a remporté le prix Simon Hayek. Moi, elle et les autres femmes a été
sélectionné pour le Prix International de la Fiction arabe en 2013.
Publié chez Dar Al Ain, maison d’édition égyptienne.
Co-édité par les éditions El-Ikhtilef (Alger) et Difaf (Beyrouth).
Une vie suspendue
Des diamants et des femmes
de Atif Abou Seif
de Lina Huyan Elhassan
Une vie suspendue se passe dans le
camp de réfugiés de Gaza. Naïm fait tourner
l’unique – petite – imprimerie du camp, où
il réalise des affiches à l’effigie des martyrs
de la communauté. Quand il est lui-même
abattu par l’armée, sa mort bouleverse le
quotidien de la communauté installée à la
lisière du camp, cette communauté où se
trouvait la maison de Naïm, perchée sur une
petite colline. Cet endroit précis acquiert une
importance symbolique pour les résidents
et quand le gouvernement décide qu’un
commissariat et une mosquée vont remplacer la maison de Naïm, cela conduit à
des affrontements entre les habitants et la police. ■
Des diamants et des femmes décrit deux
générations d’exilés arabes et montre leur
influence sur leurs villes d’élection, qu’il
s’agisse de Paris, de Sao Paulo ou de Damas.
Le roman met l’accent sur les migrants syriens
vivant à Paris et à Sao Paulo, du début du
XXème siècle aux années 1980. L’héroïne du
roman, Almaz, observe et rend compte des faits
marquants de l’histoire sociale et politique arabe
contemporaine. ■
Atif Abou Seif est un écrivain palestinien né à Gaza en 1973. Il enseigne les sciences politiques
à l’Université Al Ahzar de Gaza et est rédacteur en chef du magazine “Siyasat”, édité par
l’Institut de politique publique de Ramallah.
Publié chez Dar Al Ahlia, maison d’édition jordanienne.
Allée des saules
de Ahmed al Madini
Allée des saules, c’est l’histoire d’une
ville marocaine animée, riche de son histoire,
dissimulant aussi ses nombreux secrets, petits
et grands. Ses habitants, à la merci de quelques
despotes arrogants, luttent pour vivre en paix.
Détaillant l’antagonisme qui se développe entre
le gardien d’un immeuble en construction et
des gens qui, pour survivre, s’accrochent à leur
terre, ce roman explore ce que devient le droit
de chacun à vivre dignement dans un pays où il
pèse peu au regard du droit des plus forts et des
puissants à exploiter les plus vulnérables. ■
Ahmed al Madini est un écrivain marocain né en 1947. Titulaire d’un doctorat obtenu à la
Sorbonne, il est l’auteur de romans et de recueils de nouvelles. Il a remporté le Prix de
critique littéraire marocaine en 2006 et le Prix marocain pour la nouvelle en 2009.
Publié aux éditions du Centre culturel arabe, éditeur établi au Maroc et au Liban.
Lina Huyan Elhassan est une romancière syrienne née en
1975. Diplômée en philosophie, elle vit actuellement au Liban où elle travaille comme journaliste.
Elle a publié neuf ouvrages, des romans mais aussi de la poésie ou encore des essais.
Publié par Dar al Adab, éditeur à Beyrouth.
L’Italien
de Choukri al-Mabkhout
Où il est question des mystérieuses motivations
d’Abdel Nasser (surnommé « l’Italien ») lorsqu’il
agresse l’imam, par ailleurs son voisin, au cours de
la procession funéraire de son père. Le narrateur
du livre tente de comprendre ce qu’il y a derrière
cette agression, reconstruisant la troublante
histoire de son ami Nasser depuis son enfance.
On retrouve Nasser en étudiant progressiste à
l’Université de Tunis, à la fin de l’ère Bourghiba
et au début du règne de Ben Ali, jusqu’à la période
des changements radicaux qui ont secoué la
Tunisie, lorsque les rêves d’une génération ont été déchirés par la lutte impitoyable
entre les islamistes et la gauche. Le roman dissèque les mécanismes de censure et
de manipulation par les médias, tout en restant au plus proche de la perception de la
fragilité des êtres, de leurs histoires secrètes et de leurs blessures enfouies. ■
Choukri al-Mabkhout est né à Tunis en 1962. Titulaire d’un doctorat en littérature, il est à
la tête de l’Université de la Manouba. Membre du comité de rédaction de plusieurs revues
scientifiques, il est l’auteur de plusieurs ouvrages de critique littéraire.
Publié par Dar Attanweer, structure éditoriale de coopération entre trois éditeurs arabes,
implantés à Tunis, Le Caire et Beyrouth.
Le Safir francophone souffle sa première bougie
« L’Orient est l’Orient,
l’Occident est l’Occident et,
jamais, ces deux mondes ne
parviendront à se rencontrer. »
(Rudyard Kipling)
En s’érigeant porte-parole
des Arabes tout en ouvrant
ses colonnes aux Occidentaux,
Le Safir francophone a
tenté l’aventure folle de les
rapprocher.
« Les esprits d’élite
discutent des idées, les
esprits moyens discutent
des événements, les esprits
médiocres discutent des
personnes », écrivait
Jules Romains. Le Safir
francophone s’attache à la
mise en valeur des idées
brillantes et des analyses
politiques les plus profondes.
Le Safir francophone, un rempart contre les
stéréotypes et les idées reçues
As-Safir est aujourd’hui le seul quotidien libanais doté
d’un supplément d’âme en langue française. Il s’est
teint d’une francophonie originale et… essentielle :
elle ne brade pas l’identité arabe et ne trouve jamais
les causes justes démodées, elle prouve qu’on peut
être à la fois francophone et pro-Palestinien, et, enfin,
elle entend restaurer l’écriture dans sa mission la
plus noble.
Dîtes-le avec de l’art…
Le Safir francophone est
un éventail de réflexions
stratégiques émaillées par
un choix de peintures et une
iconographie qui ne doivent
rien au hasard. Plaisir
des yeux et éveilleur de la
conscience, l’art fait bien
plus qu’illustrer, car « une
image vaut dix mille mots ».
Le Safir francophone ou le choix de
l’excellence
La fine fleur du journalisme s’est invitée
dans nos pages, éclairant les domaines
de la culture, de l’art, de la politique ou
de l’économie… La pensée arabe dans
ce qu’elle a de plus accompli, traduite
en langue française ou exprimée
directement en français, avec une porte
ouverte à l’éclosion de jeunes plumes
douées.
Un mariage réussi entre
littérature et politique
Le Safir francophone associe
littérature et politique.
Soucieux que l’écrit soit
un écrin pour la pensée, il
prend soin du verbe et jongle
avec les mots ; il cherche
aussi à éclairer notre
présent par les citations des
grands penseurs du passé.
Si près des tabous
« Il est absurde d'avoir une règle rigoureuse sur ce
qu'on doit lire ou pas. Plus de la moitié de la culture
intellectuelle moderne dépend de ce qu'on ne devrait pas
lire. » (Oscar Wilde)
Le Safir francophone vainc les tabous. Il ose expliquer, par
exemple, dans un dossier de plusieurs pages, les dangers
d’un concept comme le judaïsme d’Etat, et ce au moment
où la presse mondiale et libanaise a presque passé
outre. Il ose se démarquer du discours mondialisé et des
puissances qui le forgent.
Un supplément engagé
« Le monde ne sera pas détruit par
ceux qui font le mal, mais par ceux qui
les regardent sans rien faire. » (Albert
Einstein)
Le Safir francophone dénonce et ne transige
pas. Dans un monde submergé par la
succession des événements et l’anarchie
des dépêches qui les commentent, Le
Safir francophone, soucieux de vérité et de
justice, épure l’information.
Nous ne sommes pas un journal
Nous ne sommes pas un journal et
nous sommes plus qu’un supplément,
nous sommes un point de rencontre
et de convergence entre la discipline
rigoureuse de l’Occident et la folie
indomptable de l’Orient. Ici se donne
à lire une des langues majeures de
l’Europe, passionnément investie par
une pensée arabe en pleine possession
d’elle-même.

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