Recueil de poésies de Charles Baudelaire Préface

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Recueil de poésies de Charles Baudelaire Préface
Préface
Recueil de poésies de Charles
Baudelaire
En 1841, Charles Baudelaire a 20 ans, il rentre à Paris
après un voyage à Maurice et la Réunion. Son nouveau goût
pour l’exotisme l’entraîne dans une passion tumultueuse avec
une jeune femme métisse et sensuelle, Jeanne Duval.
Baudelaire lui dédie une série de poèmes dans son recueil
« les Fleurs du mal », publié seize ans plus tard, en 1857. On
peut également y retrouver d’autres cycles de poèmes,
consacrés à différentes femmes de sa vie. Notamment dans
l’ensemble « Spleen et Idéal », une des six parties des « Fleurs
du mal ». J’ai choisi cinq poèmes, les quatre premiers sont
dédiés à Jeanne Duval, le cinquième dépeint l’image d’une
inconnue. Les poèmes consacrés à Jeanne sont extraits de
« Spleen et Idéal » : l’ « Hymne à la beauté », « Le Balcon », «
Le Vampire », et « Le Chat ». Tandis que le dernier, « À une
passante » est extrait de « Tableaux Parisiens ». Ce poème est
la déclaration d’amour de Baudelaire à une inconnue. Ces cinq
poèmes ont été choisis car ils décrivent tous une femme qui
présente toujours les mêmes caractéristiques principales mais
n’est jamais tout à fait la même.
L’ « Hymne à la beauté » débute le cycle de poèmes
dédiés à Jeanne Duval, et comme son titre le laisse entendre,
peint le portrait de sa beauté idéale. En effet, Baudelaire loue
sa beauté, ainsi que sa sensualité. Mais cette femme est si
éblouissante, telle une déesse, que le poète en vient à
s’interroger sur son origine, est-elle ange ou démon ? La clarté
de cette allégorie est alors mise en doute, vient-elle du paradis
ou de l’enfer ? Apporte-t-elle le bien ou le mal aux hommes qui
l’aiment ? Ce sont autant de questions à propos de cette
beauté parfaite qui pousse l’ « Hymne à la beauté » vers la
mise en valeur d’une femme au visage double, à la fois belle et
bienfaisante, mais aussi belle et dangereuse. Pour illustrer ce
poème j’ai donc choisi « Femme à l’éventail » de Gauguin, qui
me semble offrir une image en adéquation avec l’idée de la
beauté pour Baudelaire lorsqu’ il écrit sur Jeanne Duval. La
relation entre cette femme et Baudelaire l’entraîne à mettre en
poésie ses souvenirs.
Baudelaire se remémore des moments passés avec Jeanne
Duval dans « Le Balcon ». En réalité, on ne comprend pas très
bien pourquoi il a choisi ce titre, probablement à cause d’un
souvenir particulier de Jeanne Duval. Pour lui les choses
n’apparaissent pas si simples. Jeanne est ici, présente comme
une femme protectrice, douce et mère des souvenirs. On lui
découvre une nouvelle facette, qui semble difficile à accepter
pour Baudelaire. Dans ce poème il se met en scène, se
rappelant des souvenirs avec Jeanne Duval alors qu’il est déjà
blotti dans ses genoux. Pour lui, c’est la meilleure façon de
revivre son passé. Baudelaire paraît alors incapable de profiter
du présent, et accepte difficilement l’extrême douceur de son
amante. L’exotisme de ce poème et l’idée d’une chaleur
agréable, m’ont poussée à choisir la photo d’un coucher de
soleil dans un paysage qui semble exotique. Pour moi
l’illustration de ce poème représente ce que Baudelaire aurait
pu voir du balcon ce soir là. Dans ce poème, l’image de
Jeanne Duval est celle d’une femme aimante et maternante,
qui s’oppose avec celle du poème « Le Vampire » par
exemple.
Le poème du « Vampire » exprime la douleur du poète soumis,
sous l’emprise de la femme sensuelle, mais aussi cruelle,
Jeanne Duval. Le poème parle par son titre, « Le Vampire », la
femme est montrée comme un personnage fort « forte comme
un troupeau » et habile « comme un couteau ». Elle torture le
poète et exerce une emprise sur lui supérieure à la mort, au
« glaive » et au « poison ». Telle est dépeinte la face maligne
de la femme. Ce qui lie le poète à son « vampire », est bel et
bien l’amour qu’il lui porte. Le poète supplie alors le glaive et le
poison de mettre fin à la vie de la vampire aimée. Cependant
ces derniers ne veulent pas s’en donner la peine et rétorquent
au poète que ces baisers ressusciteraient le cadavre de son
vampire. L’image de l’emprise de la femme sur Baudelaire m’a
fait penser à une chorégraphie extraite du spectacle musical
« Roméo et Juliette ». Sur cette extrait Roméo danse avec la
mort, elle semble jongler avec lui. Roméo voit qu’il s’en
approche mais voudrait se libérer de son emprise sur sa vie, de
la même façon que Baudelaire voudrait se libérer de son
vampire. Dans ce poème, bien qu’elle nuise à Baudelaire, la
femme est une figure indispensable, et l’amour qu’il lui porte
n’en apparaît que plus difficile, intense, et lié à la souffrance.
L’amour douloureux apparaît également dans le poème du
« Chat ». On y devine un amour qui fait souffrir par l’opposition
entre la sensualité, la volupté du corps féminin, et le regard, le
magnétisme froid de la femme aimée. Baudelaire utilise alors
une description du corps du chat, pour créer une opposition
entre le physique, le chat et l’attitude, la femme. Dès qu’il
mentionne la ressemblance avec la femme, Baudelaire nous
décrit son agressivité et son allure glaciale. Alors que le chat
possède un pelage qui « enivre du plaisir ». Lorsqu’ il
ressemble à la femme il adopte un regard qui « coupe et fend
comme un dard ». Pourtant le poète aime. Il fréquente toujours
cette femme, il a un cœur amoureux. Pour illustrer ce poème
j’ai décidé de réaliser un montage, qui met en valeur le reflet
entre le regard de la femme et du chat par la superposition des
images car c’est l’élément le plus important dans la description
de la femme et qui créer l’analogie entre elle et le chat. Jeanne
Duval est donc ici hostile à Baudelaire qui nous la montre
agressive et pourtant, il l’aime toujours et l’appelle. Cette
femme, au visage féroce garde toute sa beauté charnelle et
paraît attirer Baudelaire par son attitude de rejet.
Dans ces poèmes l’ « Hymne à l’amour », « Le Balcon », « Le
Chat » et « Le Vampire », la femme apporte à la fois amour et
haine, bonheur et peur. Cependant elle garde toujours une
allure légère et voluptueuse. Dans le dernier poème de ce
recueil, « A une passante » Baudelaire parle d’une façon
différente, car il s’adresse à une autre femme. D’une femme à
la fois belle, aimée, cruelle et connue, on rencontre dans ce
poème une inconnue, à la fois belle, aimée et qui porte en elle-
même la douleur. Elle apparaît comme le coup de foudre du
poète pour un ange, traversant le tumulte et de la ville. Cette
inconnue sort le poète de la passivité avec laquelle il subit « la
rue assourdissante », et son regard « l’a fait soudainement
renaître ». La femme apparaît encore une fois belle,
majestueuse mais porteuse d’une souffrance causée par la
mort, elle est en deuil. Cependant elle est très peu décrite
physiquement, mais le poète admire sa jambe de statue. Les
jambes d’une femme marchant, habillée de noir, en deuil. C’est
ainsi que je l’imagine. Il associe toujours la Femme avec la
légèreté, la beauté mais aussi la souffrance. Comme si, par
tous ce qu’il vivait une souffrance revenait toujours, juste là,
présente.
Baudelaire parle de ses sentiments. D’une femme aimée
et en donne une représentation qui varie au cours du temps.
Pour lui peu importe que la femme soit une inconnue, une
femme cruelle, une femme maternante ou un idéal. Il nous
décrit toujours les femmes par leur charme, leur finesse, leur
volupté. Mais également par leur douceur, ou au contraire par
leur méchanceté. Cependant la douleur est un sentiment qui
est toujours intimement lié aux relations qu’il noue avec ces
femmes, qu’elles soient passées, présentes, futures ou
hypothétiques. Quels visages de femmes lui convient ? Aucun
d’entre eux, elles constituent chacune une parcelle de la
femme idéale.
Hymne à la beauté
Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,
Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.
Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ;
De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.
L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,
Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !
L'amoureux pantelant incliné sur sa belle
A l'air d'un moribond caressant son tombeau.
Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ?
De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène,
Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! L'univers moins hideux et les instants moins lourds ?
Le Balcon
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs !
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !
Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
Que ton sein m'était doux ! que ton coeur m'était bon !
Nous avons dit souvent d'impérissables choses
Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
Que l'espace est profond ! que le coeur est puissant !
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison !
Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.
Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton coeur si doux ?
Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses !
Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
Renaîtront-il d'un gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au ciel les soleils rajeunis
Après s'être lavés au fond des mers profondes ?
- Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis !
Le Vampire
Toi qui, comme un coup de couteau,
Dans mon coeur plaintif es entrée ;
Toi qui, forte comme un troupeau
De démons, vins, folle et parée,
De mon esprit humilié
Faire ton lit et ton domaine ;
- Infâme à qui je suis lié
Comme le forçat à la chaîne,
Comme au jeu le joueur têtu,
Comme à la bouteille l'ivrogne,
Comme aux vermines la charogne,
- Maudite, maudite sois-tu !
J'ai prié le glaive rapide
De conquérir ma liberté,
Et j'ai dit au poison perfide
De secourir ma lâcheté.
Hélas ! le poison et le glaive
M'ont pris en dédain et m'ont dit :
" Tu n'es pas digne qu'on t'enlève
A ton esclavage maudit,
Imbécile ! - de son empire
Si nos efforts te délivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire ! "
Le chat
Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d'agate.
Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s'enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,
Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,
Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.
A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !