BILAN SANTé DE L`èRE SARKOZY

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BILAN SANTé DE L`èRE SARKOZY
DOSSIER
BILAN SANTé
DE L’èRE SARKOZY
La politique de santé du quinquennat qui s’achève confirme les appréhensions qu’elle avait suscitées. Le
poids des dépenses de santé sur les assurés sociaux a, comme prévu, graduellement augmenté ; la prise en
charge de l’assurance-maladie n’a cessé de diminuer au profit des complémentaires privées ; la logique de la
tarification à l’activité continue d’inciter les hôpitaux à se débarrasser de leurs services les moins rentables ;
les étrangers peinent plus que jamais à accéder aux titres de séjour pour raison médicale et à l’Aide médicale
d’Etat… Parmi les exceptions à la règle, la promesse de faire de l’éducation thérapeutique une priorité
nationale pour répondre à l’explosion des maladies chroniques à l’horizon 2020 peine malheureusement à
devenir réalité, faute de fonds pour la soutenir. C’est dans ce contexte que les auteurs du Manifeste pour une
santé égalitaire et solidaire dénoncent une « logique de déconstruction des services publics concourant à la
protection de la santé » et tentent de placer la santé au cœur du débat présidentiel.
Laetitia Darmon
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DOSSIER
Bilan santé de l’ère Sarkozy
Chronique santé du quinquennat
La bourse ou la vie
Depuis quelques années, notre protection
sociale collective est grignotée par des
mesures visant à « responsabiliser » un
patient qui serait perçu comme « consommateur abusif de soins ». Derrière ce discours, le glissement progressif vers une
prise en charge individuelle et privatisée
de la santé se profile.
N
icolas Sarkozy, 2007-2012, nous n’y survivrons
pas. » Le slogan d’Act up lors de la campagne
électorale des présidentielles 2007 redoutait l’effet des mesures annoncées dans le champ de
la santé par le futur président. Cinq ans après, les
promesses ont été tenues. De forfait en franchises,
le poids des dépenses de santé restant à charge des
patients augmente petit à petit ; la prise en charge par
l’assurance-maladie collective diminue au profit des
assurances complémentaires privées.
Un saupoudrage pesant
Dans la lignée de la franchise de 1 € sur les consultations médicales en 2004, puis de l’installation du forfait hospitalier en 2006, la politique de santé de Nicolas
Sarkozy s’est inscrite dans une logique de « responsabilisation des assurés sociaux ». Dès le 1er janvier 2008,
entrent en vigueur les franchises de 50 centimes par
boîte de médicaments et acte paramédical et de 2 €
lors d’un recours à un transport sanitaire. Le total des
franchises perçues pour un individu ne peut dépasser
le plafond de 100 € par an. Trois ans plus tard, quelles conséquences ? « Le système est d’une telle opacité que personne ne se rend compte de leur réalité »,
déplore Mady Denantes, membre du Collectif des
médecins généralistes pour l’accès aux soins (Comégas) et médecin généraliste à Paris. Car ces franchises
février
ne sont pas payées directement en pharmacie ou aux
professionnels, elles sont imputables sur des remboursements postérieurs par l’assurance-maladie.
« Prenons l’exemple d’un patient séropositif. Il vient me
voir et ne paye rien puisque je pratique le tiers payant et
qu’il est pris en charge à 100 % pour son affection longue durée (ALD). Mais il doit 1 € de franchise à la Sécurité sociale. Je l’envoie voir son médecin spécialiste, il
ne paye rien mais il doit encore 1 € de franchise. Il fait
un bilan biologique où il n’avance rien mais là encore la
franchise s’applique. Ainsi de suite, jusqu’à une visite
chez un ophtalmologiste où il avance la somme de la
consultation : la Sécurité sociale indiquera avoir prélevé 28 € sur le remboursement prévu en raison des
franchises accumulées. » Cette opacité rend l’impact
des franchises peu perceptible mais elles s’ajoutent à
d’autres mesures « qui sont présentées à chaque fois
comme bénignes, indolores mais qui, mises bout à bout,
pèsent sur les malades », souligne Mady Denantes. Le
dispositif du parcours de soins qui implique un moindre remboursement s’il n’est pas respecté ou encore
la création d’une vignette orange qui fait passer des
médicaments jusqu’alors remboursés à 35 % à 15 %
sont autant de mesures qui se sont ajoutées au reste à
charge. En 2010, le passage du forfait hospitalier de 16
à 18 € a également eu de lourdes conséquences. « Je
ne peux pas payer ce forfait hospitalier de 18 € par jour,
je suis donc obligé de limiter la durée de mon hospitalisation car j’ai déjà des dettes hospitalières. Je n’ai que
700 € de retraite. Comment puis-je payer trois semai-
2007
Le Plan Hôpital 2012 pour moderniser l’hôpital
(10 Mds d’€ en 5 ans) est présenté par Xavier Bertrand,
ministre de la Santé.
2007
20
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2008
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nes de forfaits hospitaliers ? », questionne un patient
VHC à la permanence téléphonique du Ciss. Malgré les
conséquences sur l’accès aux soins, le discours officiel
poursuit sa croisade contre la fraude et la consommation abusive de soins. Et depuis un an, les mesures
s’accélèrent.
Glissement
En janvier 2011, les médicaments à vignette bleue
jusqu’alors remboursés à hauteur de 35 % le sont
désormais à 30 %, les dispositifs médicaux passent
d’un remboursement de 65 % à 60 %. Un mois plus
tard, en février 2011, un décret augmente le reste à
charge pour les actes médicaux coûteux. En 2006,
un premier décret installe un forfait de 18 € pour les
actes médicaux à partir de 91 €. En février dernier, ce
forfait est déclenché pour les actes à partir de 120 €.
Entre 91 € et 120 €, c’est le ticket modérateur de 20 %
qui s’applique à l’hôpital, de 30 % en ville, soit pour
un acte de 100 €, un reste à charge de 20 € à l’hôpital, de 30 € en ville. Enfin, dans le cadre du plan de
rigueur, une hausse de taxations des contrats d’assurance santé complémentaire responsables et solidaires de 3,5 % est annoncée. En deux ans, ces contrats,
qui n’étaient auparavant pas taxés, le sont désormais
à hauteur de 7 %. Cette mesure aura deux conséquences, selon Magali Leo, chargée de mission assurance-maladie au CISS. « La répercussion sur le tarif des
complémentaires sera immédiate mais dans un second
temps cela risque aussi d’avoir un impact sur la nature
des contrats ». Les contrats responsables et solidaires, taxés jusqu’alors à 3,5 % quand les autres contrats
le sont à 9 %, s’engagent à couvrir certains frais mais
pas ceux qui « responsabilisent » le patient comme les
franchises ou les consultations hors du parcours de
soins. Par ailleurs, ils proscrivent les questionnaires de
santé lors de la souscription, c’est le volet « solidaire ».
Désormais taxés à 7 %, les organismes complémentaires auront peut-être moins d’intérêt à proposer ce
type de contrat. « Ils se tourneront vers les contrats
taxés à 9 % qui ne seront plus ni solidaires, ni responsables », craint Magali Leo. Face à la hausse continue
du coût des mutuelles, ceux qui ne peuvent bénéficier
ni de la couverture maladie universelle complémen-
1er jan.
taire, ni de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire,
n’auront d’autre choix que de renoncer à une mutuelle.
Or, les mutuelles jouent un rôle de plus en plus important dans la couverture des soins. Ce poids des complémentaires dans l’accès aux soins signe également
un choix politique fort. Notre protection sociale glisse
du collectif à l’individuel, du public au privé.
Bascule
Pourtant, les chiffres de l’assurance-maladie marquent une stabilité étonnante : entre 1995 et 2009, la
part du reste à charge pour les ménages dans la structure de financement des soins reste à hauteur d’environ 9 %. La dépense de soins, couverte par la Sécurité
sociale de base, baisse légèrement passant de 77,1 %
en 1995 à 75,5 % en 2009 quand la part des organismes
complémentaires augmente dans la même période de
12,2 % à 13,8 %. Rien de révolutionnaire. Il faut creuser
ces chiffres pour percer à jour la bascule en cours.
Les ALD dans la mire
Le 24 juin 2011, l’hypertension artérielle sévère (HTA) était exclue de la
liste des affections longue durée (ALD), prises en charge à 100 % par l’assurance-maladie. Une première depuis la création de cette liste en 1945.
Pourtant, quelques mois plus tôt, lors de la réévaluation des critères d’admission en ALD, cette pathologie avait été confirmée dans la liste. Mais
l’objectif est à l’économie à tout prix ; le coût des ALD dans le budget de
l’assurance-maladie est en augmentation constante. Désormais, l’HTA
est considérée comme « facteur de risque » ce qui lui coûte sa place dans
la liste. « C’est très inquiétant pour les personnes qui ont un diabète de
type 2, listé dans les ALD, car cela peut également être considéré comme
facteur de risque puisque liée essentiellement aux comportements individuels », analyse Magali Leo du Ciss (Collectif interassociatif sur la
santé). Autre entorse au dispositif : la réduction de la prise en charge des
frais de transport. En mars 2011, un décret prévoit que les frais de transport (auparavant couverts par l’assurance-maladie) ne seront plus pris
en charge à 100 % que pour les personnes présentant une incapacité ou
une déficience confirmée par le médecin. Celles en ALD, qui se rendaient
jusqu’alors avec leurs propres moyens vers les structures de soins, ne
pourront plus demander le remboursement de leurs frais. « Dès lors, elles
auront plutôt intérêt à demander la prescription d’un transport sanitaire
à leur médecin, avance Magali Leo. Le résultat risque donc d’être au final
M.L. ▪
bien plus coûteux pour l’assurance-maladie. » 2008
Mise en place des franchises médicales : 50 centimes d’€ sur chaque boîte
de médicaments et chaque acte paramédical ; 2 € pour chaque transport
sanitaire, dans la limite de 50 € par an et par personne.
10 avr.
2008
Présentation du rapport Larcher
sur les missions de l’hôpital.
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Bilan santé de l’ère Sarkozy
DOSSIER
Le renoncement aux soins s’amplifie
« Nous observons tous les jours des renoncements
aux soins pour des raisons financières et ces renoncements sont de plus en plus fréquents. » Mady
Denantes fait ce constat dans son cabinet de médecin. Une réalité confortée par deux études de l’Institut de recherche et documentation en économie
de la santé (IRDES) qui viennent d’être publiées.
Selon ces études, 15,4 % des personnes déclarent,
en 2008, avoir renoncé à des soins pour des raisons
financières au cours des douze derniers mois. Ce
renoncement grimpe, selon l’enquête “Santé, inégalités, ruptures sociales” (SIRS) menée dans l’agglomération parisienne en 2010, à 32,4 % pour les
bénéficiaires de la CMU-C et à 33,9 % pour les personnes couvertes par l’Aide médicale d’Etat. L’étude
relève que sans la Couverture maladie universelle,
ils seraient 40 % à déclarer renoncer aux soins. Il
n’empêche, ce fort taux de renoncement restant,
alors que la couverture est dite universelle, questionne : est-ce dû aux nombreux refus de soins auxquels sont confrontées les personnes couvertes
par la CMU ? Est-ce la barrière des dépassements
d’honoraires qui ont atteint, selon les chiffres de
(1) « Combien les Français
sont-ils prêts à consacrer aux
dépenses de santé ? », note
de veille du centre d’analyse
stratégique, n° 171, avril 2010.
© Richard Pichet
(2) Didier Tabuteau,
« L’assurance-maladie dans
la tourmente économique et
politique (2007-2011) », Les
Tribunes de la santé, 2011/3,
n°32.
22
« Cette relative stabilité masque une déformation
dans le contenu de la part financée par l’assurance-maladie, qui s’est recentrée sur l’hospitalisation et les soins
associés à des maladies graves et coûteuses », écrit SaraLou Gerber, dans une note de veille du centre d’analyse
stratégique (1). L’assurance-maladie, via les dispositifs de
franchises, déremboursement, forfaits, se désengage
petit à petit des soins courants pour se recentrer sur les
soins lourds. La Direction de la recherche, des études,
de l’évaluation et des statistiques (Drees), dans l’analyse
des comptes nationaux de la santé en 2010, soulignait :
« Une personne en ALD bénéficie d’un taux de remboursement moyen de 92 % contre 67 % pour les autres assurés ». Selon son analyse, les dépenses en ville des personnes en ALD sont couvertes par l’assurance-maladie
à hauteur de 85 % contre 55 % pour les autres assurés.
Il n’empêche, même si la couverture est plus large pour
les plus malades, leur reste à charge demeure supé-
t. 2008
l’assurance-maladie, le record historique en 2010,
de 2,5 milliards d’euros ? L’IRDES s’attarde sur
des facteurs multiples dans une approche socioanthropologique : « le renoncement aux soins prend
deux formes principales : le renoncement-barrière
et le renoncement-refus. Dans le premier cas,
l’individu fait face à un environnement de contraintes, le plus souvent budgétaires, qui ne lui permet
pas d’accéder au soin désiré. Le second cas est
l’expression d’un refus qui porte soit sur des soins
spécifiques, soit, plus radicalement, sur le fait
même de se soigner. » En revanche, une étude du
Fonds CMU, publié en septembre dernier, souligne
que « les soins ou produits non remboursés et la
demande d’une participation financière sont les
principaux motifs de renoncement » pour les personnes couvertes par la CMU-C, notamment sur
les soins dentaires, les médicaments, l’optique
et les consultations de spécialistes. L’enquête SIRS
révèle également que 20,6 % des personnes bénéficiaires de l’AME renonçaient, en 2010, à des
consultations chez des spécialistes et à des médicaM.L. ▪
ments. rieur à celui des autres assurés. En moyenne, 600 €
par an, 200 € de plus que les non ALD. Reste que cette
concentration des financements de la Sécurité sociale
sur les pathologies lourdes est également un choix politique. « Ces mesures (franchises et autres) réduisent, de
facto, la solidarité entre les bien portants et les malades
qui est le ressort fondamental de l’assurance-maladie,
en diminuant la part des dépenses mutualisées par la
collectivité », écrit Didier Tabuteau (2). Sara-Lou Gerber
complète : « Ce changement interroge la légitimité politique de l’ensemble du système d’assurance-maladie ;
il questionne notamment l’adhésion et le consentement au financement des jeunes générations. Le dispositif des ALD, bien que très légitime, est susceptible de
nourrir chez certains publics un sentiment de désengagement croissant de l’assurance-maladie, au risque de
fragiliser le pacte de solidarité à l’origine du système. »
Marianne Langlet ▪
2008
22 sep
22 oct.
En déplacement dans un hôpital en province, Nicolas Sarkozy
endosse le projet de réforme Larcher. Il déclare : « Je souhaite
que l’assurance-maladie revienne à l’équilibre en 2011. »
Présentation, en Conseil des ministres,
du projet de loi portant réforme de l’hôpital et
relatif aux patients, à la santé et aux territoires.
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trois questions à...
Cécile Lhuillier, d’Act up
Sylvie Fondacci-Monteiro © ACT-UP
« Alors que Nicolas Sarkozy avait promis en
2007 une augmentation de l’allocation adulte
handicapé (AAH) de 25 % durant cinq ans,
différentes mesures se chargent de réduire
l’assiette des bénéficiaires. » Le collectif
(imp)Patients, chroniques et associés dénonce
un nouveau décret, adopté au cœur de l’été,
applicable au 1er septembre. Il modifie les
conditions d’attribution de l’AAH pour les
personnes dont le taux d’incapacité est compris
entre 50 % et 79 %. Le 17 octobre dernier,
Act up a déposé un recours juridique contre
ce décret auprès du Conseil d’Etat.
“Un imbroglio administratif sans fin”
La promesse de l’augmentation de l’allocation
adulte handicapé (AAH) est-elle tenue ?
Oui. Nous pourrons comptabiliser, en 2012, 25 % d’augmentation depuis 2007. Mais cette augmentation n’est
rien au regard de la réalité des personnes bénéficiaires
de l’AAH, dont le montant maximum était au 1er septembre de 743,62 euros. Il faut la mettre en parallèle avec
l’augmentation du cours de la vie, d’une part, et, d’autre
part, l’augmentation du reste à charge pour les soins.
En quoi le nouveau décret sur l’AAH du 16 août 2011
concerne particulièrement les personnes vivant
avec le VIH ?
Ce décret s’applique lorsque le taux d’incapacité permanente est compris entre 50 % et 79 %. Les personnes
séropositives entrent souvent dans cette tranche-là. Il
redéfinit la notion de restriction substantielle et durable
à l’emploi qui ouvre droit au versement de l’allocation
adulte handicapé. En 2009, la condition d’une année
sans avoir travaillé pour bénéficier de l’allocation était
supprimée. Un point positif pour de nombreuses personnes en maladie chronique dont les parcours fluctuent
entre des temps d’emploi et des temps d’arrêt maladie.
Aujourd’hui, le nouveau décret restreint l’attribution de
l’AAH aux personnes qui pourront justifier d’une restriction durable à l’emploi mais durant l’année à venir. Il faut
donc que le médecin, lorsqu’il remplit la partie médicale
du dossier, regarde dans sa boule de cristal et dise pendant
combien de temps la personne ne va pas pouvoir travailler !
C’est ubuesque, il est impossible de connaître à l’avance la
situation sur douze mois.
Ce décret réduit, pour cette catégorie de personnes, à
un ou deux ans maximum la durée de l’attribution de
l’AAH contre cinq ans auparavant, quelles vont en être
les conséquences ?
Cette réduction marque un recul sans précédent. Cette
décision fait preuve d’une méconnaissance de la réalité des
modalités d’attribution de l’AAH. Dans les textes, la durée
de traitement du dossier est de deux fois deux mois : deux
mois pour la Commission des droits et de l’autonomie des
personnes handicapées (CDAPH) qui étudie et donne son
accord, puis deux mois d’instruction par la CAF qui finance
l’allocation. En réalité, la durée de traitement pour obtenir
l’allocation va de 9 à 18 mois. Si la durée d’attribution passe
à deux ans maximum, la personne sera dans l’obligation de
refaire sans cesse son dossier. C’est un imbroglio administratif sans fin. Propos recueillis par Marianne Langlet ▪
008
5 nov. 2
Les présidents de comités consultatifs médicaux (CCM) des hôpitaux de l’AP-HP adressent à la ministre de la Santé
une lettre ouverte Sauver l’hôpital public. Ils dénoncent des « restrictions budgétaires sans objectifs médicaux ni de
santé publique clairement identifiés » et les « économies à très court terme et à tout prix ».
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DOSSIER
Bilan santé de l’ère Sarkozy
Financement de la Sécurité sociale
La rigueur
Le projet de loi portant financement de la Sécurité sociale pour 2012 a été élaboré
dans un contexte de crise : soumis à de nombreux allers retours entre un Sénat
ancré à gauche et une Assemblée nationale de droite, il souffre de l’air du temps
de la rigueur.
L
‘austérité a régné sur l’examen du projet de
loi portant financement de la Sécurité sociale
2012 (PLFSS) : les prévisions de croissance
étant revues à la baisse (de 1,75 % à 1 %), la progression de l’Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance-maladie) a été priée de passer de 2,8 % à 2,5 %.
Objectif : réduire le déficit du régime général par rapport aux années précédentes, à hauteur de 13,9 Mds
d’€ l’an prochain, contre 18,2 Mds d’€ en 2011 et
23,9 Mds d’€ en 2010. Revue des mesures qui vont
affecter les patients.
Nouvelles recettes…
Pour financer la Sécu, certaines dispositions ont été
adoptées dans le cadre du plan antidéficit, de la loi
de finances et du PLFSS (1). Si la réduction des niches
fiscales et sociales semble équitable, les dispositions tapant au porte-monnaie des plus précaires sont
plus discutables. Ainsi, le doublement de la taxe sur
les complémentaires santé (de 3,5 à 7 %) affecterait
les patients dès la répercussion de la hausse, estimée à 4,7 % par la Mutualité française (2). Cette dernière a lancé un appel aux parlementaires, dénonçant
le caractère injuste de la mesure : « injuste, parce que
le choix politique d’alourdir la pression fiscale sur les
contrats santé va renchérir le coût des complémentaires et risque de conduire les populations fragilisées à
renoncer à la couverture complémentaire… autrement
dit à se priver de soins, car les complémentaires remboursent plus de 50 % des soins de ville. » Une mesure
censée rapporter 1,1 Md d’€.
Outre l’augmentation des droits sur les alcools forts
(de +18°) et l’augmentation du prix du tabac (+12 % en
un an), contraignant le plus les ménages défavorisés,
la taxe sur les sodas a été adoptée dans une relative
cacophonie, mêlant arguments de santé publique et
lobbying de Coca-Cola. Tout le monde paiera environ
deux centimes par cannette, ce qui devrait rapporter
280 M d’€.
Vieilles chansons
La lutte contre les fraudes, vieille antienne du gouvernement Sarkozy, a repris du service à l’occasion de la
9
2009
24
2009
200
28 avril
14 mai
Manifestation de médecins et de personnels
hospitaliers à Paris contre la loi sur la réforme
de l’hôpital.
Des syndicats de médecins libéraux
défilent à côté de praticiens hospitaliers
pour dénoncer la loi HPST.
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Allers-retours législatifs
▪ 2 novembre : L’Assemblée vote le PLFSS
en première lecture.
▪ 7 novembre : François Fillon présente
les nouvelles mesures d’austérité.
▪ 15 novembre : Le Sénat vote à son tour
le PLFSS en modifiant l’essentiel de ses
dispositions.
▪ 21 novembre : Seconde lecture du PLFSS
à l’Assemblée : révision des mesures prises
par le Sénat et révision du projet de loi
en fonction des mesures d’austérité.
▪ 23 novembre : Rejet par le Sénat du PLFSS.
▪ 29 novembre : Le PLFSS est adopté
à l’Assemblée.
▪ 6 décembre : Les élus socialistes défèrent
le budget de la Sécurité sociale devant
le Conseil constitutionnel.
rigueur. La fraude sociale, « la plus terrible et la plus
insidieuse des trahisons » selon le président de la République (3) est estimée par le député UMP Dominique
Tian (4) à 20 Mds d’€ par an, toutes fraudes confondues.
Un chiffre contesté, mais qui justifie une nouvelle salve
contre les malades et les allocataires sociaux, considérés comme des fraudeurs en puissance.
Ont ainsi été débattues l’augmentation des délais de
carence des salariés du privé à quatre jours (avant
l’adoption d’une baisse des indemnités pour les salariés rémunérées au-dessus de 1,8 fois le Smic), la mise
en place d’un délai de carence dans la fonction publique
et la lutte contre les arrêts maladie de complaisance,
via des amendes. Une mesure qui a fait bondir la Fédération nationale des accidentés de la vie (Fnath) : « Si
pénalités il doit y avoir, ce sont les médecins traitants
qui doivent les subir. Ce n’est pas à la personne en arrêt
de faire les frais d’une approche différente entre deux
médecins sur l’opportunité et la durée de leur arrêt. »
Enfin, ont été évoquées la possibilité de consulter les
relevés bancaires d’un allocataire, la suppression des
13 juin
2009
Nouvelle manifestation nationale
contre la loi HPST, « pour l’hôpital
public et la Sécurité sociale ».
prestations sociales en cas de fraude aux documents
d’identité, et la création d’un Répertoire national commun de la protection sociale.
Les autres victimes
Les industries du médicament sont également mises
à contribution : les baisses de prix des médicaments
sous brevet, génériques et dispositifs médicaux, représenteraient 670 M d’€, les autres mesures environ
100 M d’€ (marge des grossistes, déremboursement
des médicaments à service médical rendu insuffisant).
Les hôpitaux participent à l’effort : la rationalisation
des achats hospitaliers doit procurer 145 M d’€ en
2012, la convergence tarifaire ciblée entre les hôpitaux
publics et les cliniques rapportera 100 M d’€.
▪
Christelle Destombes
(1) www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/plfss_2012.
asp#ETAPE276087
(2) www.iledefrance.mutualite.fr/Actualites/Appel-de-la-Mutualite
-Francaise-Ile-de-France-aux-parlementaires
(3) En déplacement à Bordeaux, le 15 novembre 2011.
(4) www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3603.asp
et 2009
21 juill
Promulgation de la loi n° 2009-879 portant réforme de l’hôpital
et relative aux patients, à la santé et aux territoires (JO du 22 juillet),
dont l’objectif est de moderniser l’ensemble du système de santé.
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DOSSIER
Bilan santé de l’ère Sarkozy
Budgets
la rentabilité à tout prix Si peu de services hospitaliers VIH ont fermé, la pression financière qui s’exerce
sur les hôpitaux et les réseaux ne s’en fait pas moins sentir, mettant parfois en
péril l’accès aux soins des patients les plus précaires.
A
l’automne 2008, les patients de l’hôpital parisien Saint-Joseph apprenaient la fermeture
prochaine de leur service VIH. Depuis, leur
prise en charge est un vrai feuilleton. Recueillis à l’hôpital Necker en juillet 2009, ils découvrent que l’Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP) a un projet
d’immense consultation ambulatoire VIH dans les
locaux décatis de l’Hôtel-Dieu. 5 000 patients au total
doivent s’y retrouver : ceux des hôpitaux Saint-Joseph,
Necker, Cochin, Pompidou ainsi qu’une part de la file
active de Tenon et de l’hôpital Henri Mondor à Créteil.
Le tout pour le mois de septembre, alors que rien n’était
prêt. « Les professionnels de l’Hôtel-Dieu ne savaient
pas que chaque consultation supposait un prélèvement
préalable », se souvient le président du Comité pour les
patients citoyens (Copaci), José Puig. L’ouverture est
finalement repoussée au mois de janvier et la file active
réduite aux patients de Saint-Joseph, de Necker, ainsi
qu’à une partie de ceux d’Henri Mondor et de Tenon.
Dégradation
« L’accueil s’est avéré catastrophique. Pas à cause du
personnel, avec qui nous avons travaillé en bonne intelligence, mais parce que l’hôpital est dans un état lamentable : il manque des sièges, la salle d’attente est trop
petite… A notre arrivée, les dossiers étaient la plupart du
temps absents », poursuit José Puig. Dans le transfert,
les patients de Necker et de Saint-Joseph perdent les
deux psychologues rattachés à leurs services respectifs.
« La direction nous a répondu qu’il y avait des psychologues à l’Hôtel-Dieu, mais ces derniers ont déjà une file
active importante et ne connaissent pas le VIH », relate-t-il. Pour ne rien arranger, l’hôpital ne dispose pas de
lits d’hospitalisation VIH et l’hôpital de jour, principalement équipé pour de la cardiologie, ne correspond pas
aux besoins des patients séropositifs, qui sont obligés
d’effectuer leurs examens complémentaires ailleurs. « Il
y a donc une dégradation de la qualité du service public,
qui conduit les patients à préférer – lorsqu’ils en ont les
moyens – d’autres solutions, qui sont inégalitaires »,
déplore le président du Copaci.
Tarification à l’activité
« La logique de la T2A pousse à évincer les activités non
rentables, dont les maladies chroniques font partie »,
analyse la vice-présidente de la Coordination nationale
des comités de défense des hôpitaux et maternités de
proximité, Françoise Nay. Une dynamique accentuée par
la crise financière et la pression qui pèse sur les directeurs d’hôpitaux publics de retourner à l’équilibre budgétaire en 2012. D’où les nombreuses maternités qui ferment, les hôpitaux locaux transformés en EHPAD*, mais
surtout des activités et des services hospitaliers qui disparaissent. Dans le champ du VIH, ces restructurations
le travail se fait plus
que jamais à flux
tendu. semblent surtout concerner, pour l’heure, la capitale,
où d’autres hôpitaux – Saint-Antoine, Tenon et Becler –
seraient menacés. « Mais tout est en stand-by jusqu’aux
élections », souligne José Puig. A Lyon, le service VIH de
l’Hôtel-Dieu a certes fusionné récemment avec celui de
l’hôpital de la Croix Rousse, mais pour des raisons spécifiques, le maire de la ville, Gérard Collomb, ayant décidé
de réhabiliter l’Hôtel-Dieu pour en faire un lieu de commerce et de prestige. Infectiologue à l’hôpital de la Croix
rousse, le Pr Peyramond estime que la fusion a été bien
0
ier 201
24 févr
Rapport d’information de Claude Jeannerot, pour la commission
des affaires sociales du Sénat : « Lutte contre le VIH/sida : renforcer
la prévention, améliorer le pilotage de l’action publique ».
2010
26
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préparée et qu’elle a même fait gagner les patients en
qualité de service, grâce à la mutualisation des savoirfaire des deux équipes. Il souligne toutefois ce qui semble être une réalité pour tous les acteurs hospitaliers :
le travail se fait plus que jamais à flux tendu. « Depuis
un an, c’est pire que jamais, reconnaît-il. Les remplacements de congés maladie sont devenus impossibles ».
Hôpitaux de jour en danger ?
A Marseille, le Dr Isabelle Ravaux, infectiologue à l’hôpital de la Conception, signale que le regroupement des
services hospitaliers en pôles a bouleversé l’organisation de son hôpital de jour. « Avant, nous disposions de
libéraux vacataires de plein de spécialités différentes.
C’était fantastique de pouvoir, au même endroit, voir
un gynécologue, un gastro-entérologue, un oto-rhinolaryngologiste… D’un coup, on nous a dit de rendre les
vacations qui n’étaient pas directement liées au VIH »,
relate-t-elle. Il n’était pas rentable pour l’hôpital qu’une
personne séropositive puisse voir beaucoup de spécialistes en une journée. « On a trouvé des ficelles : nous
envoyons nos patients chez des médecins rattachés à
d’autres pôles situés à proximité, mais on ne peut plus
proposer le même panel qu’avant », poursuit la praticienne, qui estime que les hôpitaux de jour VIH vivent
leurs dernières années : « L’idée des tutelles est de faire
retourner les patients vers leurs médecins traitants. Je
ne suis pas contre, mais cela suppose des médecins traitants formés à cet effet et une activité valorisée, or ce
n’est pas le cas. ».
Des réseaux asséchés
En outre, si l’objectif est de développer la prise en charge
en ambulatoire, comme y insiste d’ailleurs la loi HPST,
comment expliquer que tant de réseaux ville hôpital
perdent leurs financements ? Parfois, ces coupes sont
justifiées. « Le réseau de Nancy ne reçoit plus d’argent
depuis deux ans, mais les médecins libéraux le désaffectaient depuis un moment déjà », reconnaît le Pr
Thierry May, président de la coordination régionale de
lutte contre l’infection à VIH (Corevih) Lorraine Champagne-Ardenne. En revanche, beaucoup de réseaux encore
actifs sont touchés. C’est le cas, par exemple, des
réseaux VIH de Marseille, qui ont conservé les finance-
Mise en place des agences
régionales de santé (ARS).
© CHRISTOPHE PEUS
0
201
1er avril
ments historiques, mais perdu tout ce qui leur avait été
accordé au moment de leur transformation en réseau de
santé et qui leur avait permis de proposer de nouvelles
actions aux patients. Ou celui du réseau Sida hépatites addictions (SHA) d’Aix-en-Provence, qui se prépare
à mettre la clé sous la porte. L’an passé, l’ARS de Provence-Alpes-Côte-d’Azur lui a supprimé le financement
historique qu’il recevait de la Sécurité sociale, au motif
qu’il était redondant avec d’autres financements perçus
en tant que réseau de santé. « Qui plus est, l’ARS nous
a annoncé qu’elle ne voulait plus financer les réseaux
de santé, sauf ceux qui concernent le diabète, le cancer,
Alzheimer, la périnatalité et les soins palliatifs. Tous nos
financements seront donc supprimés en juin prochain »,
explique la présidente du réseau, Monique Sordage.
Bien loin de là, à Mulhouse, le réseau ville hôpital REVIH,
constitué de 37 médecins généralistes, d’une plateforme pluridisciplinaire et de médecins hospitaliers, n’a
pas subi de coupes budgétaires. Son coordinateur s’interroge toutefois sur l’effet qu’auront les contrats d’objectifs et de moyens que le réseau va désormais devoir
signer avec l’ARS. « On est prêts à se remettre en question, on est en négociation avec d’autres réseaux pour
mutualiser des éléments logistiques, insiste le coordinateur du réseau, Bertrand Klein. Ce qu’on voit venir, en
revanche, c’est une exigence de performance en matière
de coûts de prise en charge. Si elle est trop forte, nous
craignons de ne plus pouvoir offrir à nos patients les
mêmes services – en éducation thérapeutique, en psychologie, en addictologie – qu’aujourd’hui ».
▪
* EHPAD, établissement
d’hébergement pour
personnes âgées
dépendantes.
Laetitia Darmon
10
mai 20
Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, annonce que 2011 sera « l’année
des patients et de leurs droits » conçue comme une célébration de la loi relative
aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner.
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27
DOSSIER
Bilan santé de l’ère Sarkozy
éducation thérapeutique
La grande déception
La reconnaissance légale de l’éducation thérapeutique du patient (ETP)
au sein du parcours de soin est une
avancée majeure du quinquennat. Mais
l’approche française très médicalisée
et le manque de moyens alloués à l’ETP
n’ont pas permis d’enclencher une dynamique à la hauteur des besoins.
santé (ARS) de Lorraine, comme l’exige la loi hôpital,
patients, santé, territoires (HPST). Mais il fonctionne
sans aucun financement dédié. « On sait que le CHU a
obtenu une enveloppe globale pour l’éducation thérapeutique du patient (ETP), mais beaucoup de services se
plaignent de n’en avoir jamais vu la couleur, alors même
que leur programme a été autorisé », déplore le Pr May.
Résultat, il faut bricoler, dans un contexte de travail
déjà difficile. « Une partie du temps infirmier de consultation est dédiée à l’observance. Ça demande de jongler
sur les plannings et tout se fait à flux tendu », poursuit
le médecin.
Une logique administrative
A
u service de maladies infectieuses et tropicales du centre hospitalier universitaire
(CHU) de Nancy, tous les nouveaux patients,
de même que ceux qui rencontrent des problèmes
d’observance, peuvent désormais bénéficier d’un programme d’éducation thérapeutique. « Ils voient une
infirmière, une pharmacienne, une psychologue. Les
résultats sont bons. Nous avons même réussi à fidéliser
à leur traitement des patients avec des profils psychologiques parfois difficiles », se réjouit le chef de service,
le Professeur Thierry May. Ce programme spécifiquement hospitalier a été validé par l’agence régionale de
010
28
Cet exemple n’a rien d’exceptionnel. Depuis la loi HPST,
qui entendait donner à l’ETP – ce « processus de renforcement des capacités du malade et/ou de son entourage à prendre en charge l’affection qui le touche, sur la
base d’actions intégrées au projet de soins »* – le rang de
priorité nationale, rares sont pourtant les nouveaux programmes qui ont obtenu un financement. Le ministère
de la Santé ne dispose pas encore de chiffres actualisés, mais pour le président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), Christian Saout, le ratio de nouveaux programmes financés serait « d’environ 5 %, mais
il faudra attendre le bilan à un an de l’année 2011 pour
avoir une vision plus claire ». Un curieux système s’est
donc installé, où des programmes peuvent être autorisés sans pour cela recevoir les moyens de fonctionner.
« C’est la première fois que nous nous trouvons face à
ce type de déconnexion entre autorisation et financement. Au fond, on peut avoir le sentiment qu’on a mis en
place une procédure d’autorisation administrative pour
le plaisir de faire de l’administratif », commente Christian Saout. Ou pour habituer les équipes à faire de l’ETP
sans moyens…
Dures négociations
Les programmes qui préexistaient à la loi ont eux aussi
parfois eu de la difficulté à obtenir leurs financements.
A l’Assistance public des hôpitaux de Marseille (APHM),
. 2010
4 nov. 2
30 déc
Présentation du « Plan national
de lutte contre le VIH et les IST
2010-2014 ».
Promulgation de la loi de Finances qui restreint
l’accès à l’Aide médicale d’Etat : les bénéficiaires
doivent s’acquitter d’un droit de 30 € par an.
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par exemple, ce sont les chefs de service qui sont allés
rencontrer l’ARS pour négocier leurs budgets. « Nos
référents hospitaliers, sentant qu’il ne leur serait pas
facile de reconduire les enveloppes dédiées aux missions
d’intérêt général (MIG) [enveloppes servant à financer,
entre autres, l’éducation thérapeutique dans les hôpitaux], ont proposé à tous les médecins coordinateurs
d’ETP d’y aller à leur place, pour mieux faire valoir l’utilité de leurs actions », relate Sylvie Brégigeon, médecin
coordinateur du programme d’ETP du service d’immunologie hématologie clinique du CHU Sainte-Marguerite – un programme qui existait avant la loi HPST. Et
de décrire une réunion longue et houleuse. « Au final,
on nous a grignoté à chacun un peu de notre file active
prévisionnelle. J’avais demandé un budget pour 160
patients, je l’ai obtenu pour 150 ». Une file active pourtant déjà basse, puisque le service accueille 1 000
patients. Ne disposant que d’une infirmière et d’une
nutritionniste formées à l’éducation thérapeutique, le
Dr Brégigeon a dû choisir les catégories de patients
qui lui semblait avoir le plus besoin d’ETP : les personnes en échec thérapeutique, les personnes venant pour
la première fois, celles changeant de traitement ou le
commençant, les personnes manifestant d’importantes difficultés d’observance suite à une perte d’emploi
ou une rupture affective. « Pour prendre en charge plus
de patients, il nous faudrait au moins une deuxième infirmière formée », note le médecin coordinateur.
traitement, Eric Salat décrit des programmes essentiellement axés sur l’observance, « abordant peu ou pas
la question médico-sociale, pourtant cruciale, surtout
pour des populations étrangères ou socialement vulnérables ». Son association tente de monter son propre
programme, mais cela ne va pas de soi. « Nous essayons
depuis un an de remodeler notre offre pour la transformer en programme, mais il nous manque les patients
dits experts – une expertise qui s’acquiert au prix d’un
diplôme universitaire de 40 heures. C’est un comble,
pour une vieille association comme la nôtre », indiquet-il. Il leur faut de plus trouver un médecin et obtenir
le financement de sa prestation.
Quant aux programmes d’accompagnement, qui devaient faire la part belle aux associations, leur décret d’application n’est toujours pas paru, laissant les pratiques
dans le flou.
Si, indéniablement, l’éducation thérapeutique fait
davantage parler d’elle et suscite des initiatives, il reste
donc difficile de parler d’une véritable dynamique. La loi
HPST promettait pourtant, en inscrivant l’ETP au sein
du parcours de soin, de raccourcir le temps passé à l’hôpital et de baisser le coût global des maladies chroniques en donnant aux patients les moyens de s’autonomiser. « Un enjeu essentiel, quand on sait qu’un Français
sur trois sera atteint d’une maladie chronique en 2020,
insiste Eric Salat. L’idée était excellente, mais on n’a pas
fini de répondre comment, avec quels moyens et avec
qui la mettre en œuvre. »
▪
Les associations à la marge
Laetitia Darmon
Outre le manque de financements, l’éducation thérapeutique demeure par ailleurs très médicalisée et hospitalo-centrée, très peu de programmes étant montés
en lien avec les associations. Aides, par exemple, n’est
parvenue à co-construire – avec des hôpitaux et une unité
de consultation et de soins ambulatoire (UCSA) – que
six programmes d’ETP : un sur chacun de ses territoires d’action. « Travailler avec les équipes soignantes
s’est avéré à chaque fois très positif, mais on est très
loin de ce qu’on espérait ! En outre, nous n’avons pas
reçu un centime des ARS et de l’Etat pour participer à
ces différents programmes. Cela se fait donc à fonds
perdus », constate Franck Barbier. En charge des questions législatives et d’économie de la santé à Action
Au premier octobre 2011
• 101 programmes concernant le VIH avaient été autorisés par
les ARS – soit 3,8 % de l’ensemble des dossiers – et 47 concernant
le VHC – 1,77 % des dossiers.
• Sur 2 657 programmes autorisés toutes pathologies confondues,
69,70 % existaient avant la loi.
• Le nombre de programmes financés n’était pas disponible
(l’autorisation par les ARS ne vaut pas financement).
(Source : ministère de la Santé)
s 2011
2011
* Définition extraite du rapport
« Pour une politique nationale
d’éducation thérapeutique
du patient », remis en
septembre 2008
à la ministre de la Santé
Roselyne Bachelot.
2011
1er mar
14 juin
Un forfait de 18 € s’applique
pour les actes médicaux d’un montant
supérieur ou égal à 120 €.
Installation par Nora Berra, secrétaire d’Etat
à la santé du Comité de suivi du plan national
de lutte contre le VIH et les IST 2010-2014.
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29
Bilan santé de l’ère Sarkozy
DOSSIER
Le Partenariat Public Privé
catastrophe pour l’hôpital
Un hôpital vide dont l’Etat paie le loyer. Un directeur qui démissionne, le personnel
hospitalier en grève, des politiques qui s’en mêlent, la Chambre des comptes qui
dénonce un choix onéreux… Bilan provisoire du premier partenariat public-privé
appliqué à l’hôpital.
L
e partenariat public-privé devait être la panacée. L’objectif : construire le plus grand hôpital
de France (100 000 m2, 1 025 lits et 20 blocs
opératoires) sans faire appel aux deniers publics. Un bail
emphytéotique hospitalier (BEH) a été signé en 2006
entre le CHSF et Héveil, une filiale d’Eiffage. Héveil
prend en charge la conception, la construction, le financement et la maintenance du bâtiment pendant 30 ans,
recevant un loyer de 39 M d’€ par an. Coût initial du projet : 344 M d’€, coût total avec les loyers : 1,2 Mds d’€.
Comme l’a écrit la Chambre des comptes (1) : « Ce choix
paraît très onéreux pour l’établissement. Le recours à
une maîtrise d’ouvrage publique, financée par l’emprunt,
aurait été une solution certainement moins coûteuse,
moins hasardeuse et surtout davantage maîtrisable par
l’établissement. »
D’errances en contrefaçons
(1) « Rapport d’observations
définitives Centre hospitalier
sud francilien », Chambre
régionale des comptes d’Ile-de
-France, septembre 2010.
(2) http://sauvonsnotrehopital.
over-blog.org/
(3) A l’appel de l’association
Sauvons Notre Hôpital Public,
l’intersyndicale CGT, FO, SUD
Santé Sociaux, le Front de
Gauche (PCF, Parti de Gauche,
Gauche Unitaire), la section
PS de la 1re circonscription 91 ;
Mouvement Démocrate 91 et
de La Villensemble, Bondoufle
Energie Nouvelle, Agir à Lisses.
En ligne sur www.
sauvonsnotrehopitalpublic.com
17 juin
En janvier 2011, Héveil livre un bâtiment et commence
à percevoir des loyers, alors qu’un audit externe commandé par le CHSF relève près de 8 000 malfaçons,
dont certaines (pas de bibonnerie en néonatalogie, salmonelle dans l’alimentation d’eau, électricité instable
dans les blocs opératoires, etc.) sont extrêmement problématiques. La société Héveil réclame 100 M d’€ pour
pallier les anomalies, la goutte d’eau qui fait déborder
le vase.
Le 1er juillet 2011, le conseil de surveillance du centre hospitalier sud francilien vote une motion exigeant
la renégociation du contrat avec Eiffage et la sortie
du BEH. Jérôme Guedj, président du conseil général
de l’Essonne, demande l’arbitrage du ministère de la
Santé ou de l’Elysée. Manuel Valls, député-maire d’Evry,
évoque un « scandale d’Etat ». Avec la grève des personnels hospitaliers, qui dénoncent les économies forcées par le biais des suppressions de poste, la situation
2011
Publication au JO de la loi sur l’immigration
qui modifie le droit au séjour pour les étrangers
gravement malades.
30
LEJOURNALDUSIDA | n° 222 | janvier - février - mars 2012
devient explosive. En septembre 2011, Alain Verret fait
valoir son droit à la retraite anticipée, Patrick Lajonchère
est nommé directeur par intérim par l’ARS (qui n’a pas
répondu à nos questions). Le directeur annonce la prochaine ouverture de l’hôpital : le 23 janvier 2012.
Contestation tous azimuts
Les personnels ne l’entendent pas ainsi. Henri Lelièvre,
président de l’association Sauvons notre hôpital public (2)
résume : « Il est hors de question d’entrer dans un hôpital
qui n’est pas fonctionnel, de continuer à réduire le per-
l’issue de secours donne
des sueurs froides. sonnel pour faire des économies, et donc saborder les
bénéfices futurs ». L’association a un plan de rechange :
régler l’ensemble des dysfonctionnements, sortir du BPE
pour être maître des murs, essayer l’hôpital en conditions
quasi réelles, élaborer un projet médical pour faire « tourner » l’ensemble de l’hôpital. Une votation citoyenne a été
organisée du 8 au 11 décembre 2011 avant de se poursuivre sur Internet (3) pour consulter l’opinion au sujet du
futur de l’hôpital. En signant, les citoyens exigeaient que
le déménagement dans le nouvel hôpital soit déclaré
« officiellement et publiquement sûr, conforme et fonctionnel » par l’ARS et le directeur du CHSF, la sortie du
PPP, le retour à une gestion publique et le cas échéant,
que l’ARS et le ministère de la Santé s’engagent à garantir les ressources de l’hôpital. Car l’issue de secours évoqué par le directeur (louer l’espace à des cliniques privées
en oncologie et radiologie) donne des sueurs froides aux
défenseurs de l’hôpital public. ▪
Christelle Destombes
t 2011
1er aoû
Présentation du projet de loi
« sur la sécurité sanitaire du médicament »,
neuf mois après le scandale du Mediator.
TEXTEENLIGNEWWW.JOURNALDUSIDA.NET
accès aux soins
Les étrangers malades
dans le collimateur
Depuis quelques années, l’accès aux
soins des étrangers est compliqué par
de nombreuses réformes législatives.
L’étranger, d’autant plus s’il est malade,
est présenté par le discours officiel comme
un abuseur de soins et un fraudeur, peu
importe que de nombreux rapports des
instances de contrôle aient indiqué le
contraire. Dès lors, des mesures de plus
en plus drastiques éloignent les personnes
des soins essentiels.
L
’instruction de la direction générale de la Santé
est tombée le 10 novembre dernier. Elle marque l’aboutissement d’un long processus d’affaiblissement du droit au séjour pour raisons médicales. Pourtant, Nicolas Sarkozy avait promis de « ne pas
toucher aux étrangers malades » au début de son mandat. Parole non tenue. L’instruction notifie aux agences
régionales de santé la mise en œuvre des changements
législatifs concernant le droit au séjour pour raisons
médicales introduits par la loi du 16 juin 2011 sur l’Immigration. Les médecins inspecteurs de santé publique
(MISP), chargés de donner leur avis dans cette procédure aux préfets qui instruisent la demande, attendaient
ce dernier texte pour mettre en pratique le changement.
Désormais, ils devront juger de l’absence – et non de
l’accessibilité comme le stipulait la loi originelle – du
traitement approprié dans le pays d’origine pour justifier
du maintien en France de l’étranger gravement malade.
Beaucoup de MISP sont depuis longtemps mal à l’aise
dans cette procédure. « Le MISP est placé au cœur d’un
dispositif qu’il ne maîtrise pas, sommé de donner un avis
sur une situation personnelle généralement complexe et
le plus souvent incapable de répondre à la question centrale de l’accessibilité aux soins dans le pays d’origine »,
8 sept.
€
2011
Adoption dans le cadre du plan de rigueur
d’une mesure doublant la taxation des
complémentaires santé (de 3,5 à 7 %).
déclarait Charles Candillier, MISP membre du syndicat
des médecins inspecteurs de santé publique (SMISP)
lors d’une journée sur la santé des migrants au Centre
d’informations scientifiques Pasteur en octobre 2011.
Malaise
Aujourd’hui, ils doivent juger de l’absence ou non d’un
traitement approprié. « On nous oblige à entrer dans un
processus de reconduite à la frontière », estime Charles Candillier, car partout les traitements existent mais
ils sont bien loin d’être partout accessibles. L’instruction, résultat d’une forte mobilisation associative, tente
d’adoucir quelque peu la loi : « l’absence d’un traitement
approprié est à interpréter de la manière suivante : celle-ci est avérée lorsque les ressources sanitaires du pays
d’origine ne permettront pas au demandeur, en cas de
retour dans ce pays, d’y être soigné sans risque de conséquences d’une exceptionnelle gravité sur sa santé ». Le
traitement s’entend, souligne le texte, comme l’ensemble des moyens de soins : médicaments mais aussi offre
de soins, structures, équipements, bilan, suivi et personnels compétents. Reste que la procédure est qualifiée
de « fragile » par Charles Candillier, car objet de multiples pressions. « Elles ont augmenté ces deux dernières
années », témoigne le médecin en apportant un exemple récent parmi d’autres. Dans une région, le MISP
9 sept.
2011
Selon la Cour des comptes,
la Sécurité sociale a enregistré
en 2010 un déficit frôlant 30 Mds d’€.
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31
Bilan santé de l’ère Sarkozy
DOSSIER
les
difficultés
d’accès aux soins
des exilés restent
très majoritairement
des difficultés d’accès
aux droits. a été convoqué par le directeur de l’Agence régionale
de santé (ARS) : deux préfets s’étaient plaints auprès
de lui d’un nombre trop important d’avis favorables.
« Depuis la mise en place des ARS, loin d’être plus indépendantes, nous constatons des pressions plus fortes.
Avant les MISP étaient sous l’autorité directe des préfets
qui se permettaient moins de pression qu’aujourd’hui, où
ils sont en lien avec une administration tiers », remarque
Charles Candillier. Le syndicat réfléchit à la poursuite
de cette mission : « Nous devons prendre des décisions
sur des situations individuelles alors que notre mission
est en principe d’agir sur des questions de santé publique collectives », souligne Christian Lahoute, président
du SMISP. L’implication des MISP dans cette procédure
est de toute façon fragilisée par la mise en place des
ARS. La direction de ces nouvelles instances peut décider de nommer d’autres médecins en leur sein sur cette
question*. Ainsi, des médecins contractuels pourraient
demain être appelés à cette tâche. « Ils seront alors
complètement sous la coupe du directeur de l’ARS »,
indique Charles Candillier.
Sans papiers
* D’ailleurs,
désormais, ces
médecins
sont désignés sous le
sigle de MARS : médecin
de l’Agence régionale
de santé.
Le durcissement de la procédure exclut de plus en plus
d’étrangers malades du droit au séjour. Ils se tournent
alors vers l’Aide médicale d’Etat (AME) pour accéder
aux soins. L’installation d’un ticket d’entrée de 30 €
pour l’AME marque, là aussi, un durcissement de l’accès au droit. Médecins du monde (MDM) et le Comede
mesurent, depuis début 2011, l’impact de ce ticket d’entrée auprès de trois centres de MDM (Montpellier, Nice
et Saint-Denis) et le centre de santé du Comede. Selon
les premiers résultats qui restent à affiner, 55 % des
11
personnes déclarent que cette taxe leur posera un problème de financement et 34 % se disent prêtes à surmonter ce problème pour demander l’AME malgré tout.
« Nous avons eu plusieurs témoignages de familles qui
choisissaient la personne la plus malade dans le couple qui serait titulaire du droit pour éviter de débourser
30 € par personne », précise Nadège Drouot, chargée
de l’Observatoire de l’accès aux soins à MDM. Certains
hôpitaux ont pris le parti de payer les 30 € plutôt que
de se retrouver avec des impayés important. Nathalie
de Castro, médecin au service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Louis de Paris, ne perçoit pas les
conséquences de ce ticket d’entrée mais en revanche
s’inquiète des délais toujours plus longs d’instruction
de la demande d’AME. « Les délais peuvent aller jusqu’à
six mois alors qu’avant l’attribution était quasi immédiate », témoigne-t-elle. Dans son dernier rapport, le
Comede note que « les difficultés d’accès aux soins des
exilés restent très majoritairement des difficultés d’accès aux droits qui reposent le plus souvent sur des dysfonctionnements de la Sécurité sociale affectant en
particulier les bénéficiaires potentiels de l’AME ». Et de
citer quelques exemples de départements particulièrement zélés en la matière. Le département des Hauts
de Seine, par exemple, a mis en place, pour la demande
d’AME, un système de prise de rendez-vous par téléphone avec réception dans un lieu unique pour tout le
département. « Ce système empêche les personnes
sans soutien et les non-francophones d’accéder au service public », note le Comede. Dans un communiqué du
27 novembre, l’association Primo Levi s’inquiète à son
tour. « On note depuis quelques mois l’augmentation
du nombre de rejets de demandes d’AME sous couvert
de ne plus accepter certains documents. » Jusqu’alors,
les personnes devaient justifier d’une présence de trois
mois en France. Un certificat médical ou l’attestation
d’une association étaient acceptés. « Ce n’est plus le
cas aujourd’hui », constate l’association Primo Levi. Le
nombre de points d’accès pour l’AME est en constante
réduction, l’exigence de documents est de plus en plus
élevée, résultat : les délais d’obtention s’allongent « et
l’état de santé des personnes concernées, dont la prise
en charge est retardée, note l’association, s’aggrave ».
Marianne Langlet ▪
2011
oct. 20
11 oct.
UFC-Que choisir indique que les taxes
sur les contrats de mutuelles ont augmenté
de 740 % entre 2005 et 2011.
Convention sur la santé de l’UMP : 45 propositions, dont la révision de la
tarification à l’activité, jugée « inflationniste », et une évaluation des entrées
et sorties des patients dans le régime des affections de longue durée.
32
LEJOURNALDUSIDA | n° 222 | janvier - février - mars 2012
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MANIFESTE
Pour une santé
égalitaire et solidaire
A sept mois de l’élection présidentielle, cinq auteurs en quête du sens de la
Sécurité sociale ont publié un « Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire ».
Déplorant la dépolitisation des questions de santé, ils souhaitent un débat citoyen
pour l’avenir de notre système de soins.
C
inq personnalités du secteur médical, le Pr
André Grimaldi (diabétologue), le Pr Olivier
Lyon-Caen (neurologue), François Bourdillon
(médecin de santé publique, vice-président du CNS),
Didier Tabuteau (responsable de la chaire santé à
Sciences Po) et Frédéric Pierru (sociologue, interview en
page 34) ont partagé leur diagnostic quant à « la logique
de déconstruction des services publics concourant à
la protection de la santé »*. 123 personnalités, médecins, mais aussi économistes, artistes et associatifs,
ont signé le manifeste qui appelle à un débat général autour de la santé. Après le constat des crises
qui ont marqué ces trente dernières années (économiques, de santé publique, d’identité professionnelle
ou de démographie médicale), les auteurs déplorent
le choix de la privatisation et la remise en cause de
la solidarité nationale, à une époque où les patients
sont considérés comme « responsables » de leur
état de santé, donc coupables et susceptibles de
frauder. « Une nouvelle politique de santé est nécessaire », plaident-ils, basée sur six principes : la solidarité, l’égalité de l’accès aux soins, la prévention, la
qualité des soins, l’éthique médicale et la démocratie
sanitaire. En dix-sept chapitres serrés qui analysent
la situation actuelle, ils formulent des propositions
pour refonder un système qui s’inspire de la Sécurité
sociale originelle, en y ajoutant de « nouvelles valeurs,
comme la prévention, la sécurité et la démocratie
sanitaires ». Un « Indignez-vous » de la santé, qui pose
la question du système que nous voulons, pour éviter que la « carte bleue ne remplace la carte Vitale ».
Christelle Destombes ▪
* « Manifeste pour une santé
égalitaire et solidaire », éd.
Odile Jacob, sept. 2011
. 2011
29 nov
Le projet de loi portant financement de la Sécurité
sociale pour 2012 adopté à l’Assemblée nationale.
…
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33
Bilan santé de l’ère Sarkozy
DOSSIER
INTERVIEW
D.R.
Frédéric Pierru
sociologue et co-auteur du manifeste
“Un système
de santé
perclus
d’inégalités”
Quelle est la genèse de ce manifeste ?
C’est la réunion de gens dénonçant, chacun de leur côté, les orientations prises depuis 2002 qui aggravent les inégalités d’accès
aux soins, mettent à mal le service public hospitalier et délitent
le fondement solidaire et égalitaire de notre système (1). La jonction s’est faite au moment du mouvement de défense de l’hôpital
public, contre la loi HPST. André Grimaldi a eu l’idée du manifeste
et d’y ajouter le poids symbolique de l’engagement de personnalités, car ce délitement heurte tous ceux qui sont attachés à la
Sécurité sociale comme fondement du pacte républicain. Nous
nous sommes inspirés du Manifeste des économistes atterrés,
pour essayer de comprendre comment une politique qui ne maîtrise pas les dépenses et accroît les inégalités perdure. La santé
n’est jamais un enjeu dans les grandes échéances électorales et
nous voulions forcer les candidats à prendre position. Pour les y
aider, nous avons initié une pétition sur Internet (2).
Et ça fonctionne ?
Après le Manifeste, nous avons adressé un Pacte pour une santé
solidaire aux candidats, nous attendons les réponses… La santé est
la troisième préoccupation des gens, mais le débat est soit mal
traité, version « trou de la Sécu », soit pas traité. Il y a un décalage
entre les préoccupations profanes et la prise en charge par les professionnels de la politique, symptôme d’un malaise démocratique.
Les politiques ont peur du pouvoir électoral des médecins, c’est le
syndrome Plan Juppé… Et finalement, on pense que ce système ne
fonctionne pas trop mal. Sauf qu’il est perclus d’inégalités : nous
investissons 165 Mds d’€ dans l’assurance-maladie, 195 dans les
dépenses de santé, une autre politique est possible.
Comment expliquez-vous ce glissement libéral ?
Est-ce que c’est l’œuvre de Sarkozy ? Je pense que non. Il y a eu
une orientation sur le principe : « on ne tape plus sur les médecins, mais on responsabilise les assurés sociaux ». En leur faisant supporter une partie croissante du coût des soins, avec un
recentrage non dit sur les plus malades et les plus démunis. Ça
s’est aggravé à partir de 2002-2003 : le passage à la T2A à 100 %
pour la chirurgie et l’obstétrique, la tarification unitaire public
privé, choix idéologique du cabinet Mattei. Après, il y a eu les
franchises, l’augmentation des forfaits hospitaliers, les 18 € pour
les actes lourds, la remise en cause du service public hospitalier
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LEJOURNALDUSIDA | n° 222 | janvier - février - mars 2012
qui culmine avec la loi HPST… Ces choix ont été validés par les politiques, mais ils sont portés par une élite de hauts fonctionnaires, de
gauche comme de droite.
Comment revenir sur ces choix ?
Il faut bien évidemment une volonté politique ! L’idée forte du Manifeste, c’est de définir quatre services publics de la santé : celui de
l’assurance-maladie, et nous souhaitons un retour à 80 % de la
prise en charge des soins. Ensuite, la médecine de proximité, qui va
devoir intégrer la médecine libérale, construite en opposition à la
Sécurité sociale et à l’Etat. Il faudra mettre du poids politique pour
dire aux médecins libéraux qu’ils font partie de la médecine publique de proximité, comme les pharmaciens ! Mais nous sommes à
une période charnière : les jeunes médecins veulent un exercice
collectif, pluri professionnel, d’autres modes de rémunération…
Ensuite, il y a la restauration du service public hospitalier, qui ne
pourra être vendu à la découpe, et la sortie du tout T2A. Enfin, le
service de la sécurité sanitaire et de la prévention, à laquelle nous
voulons affecter 10 % des dépenses de santé. Après le Mediator,
il faut réduire l’influence de l’industrie pharmaceutique, et nous
posons le principe du 1 pour 1 : 1 € dépensé dans le marketing = 1 € investi dans la formation continue.
Comment en période de crise expliquer qu’il faut augmenter
le budget consacré à la santé ?
La question du financement devrait venir après celle du projet, de
l’organisation du système… Dépenser 14 % du PIB pour la santé
n’est pas honteux et puis, on peut éliminer les niches sociales. Ce
n’est pas compliqué d’expliquer aux gens qu’il faut payer collectivement le coût d’une santé solidaire. Au lieu de taxer les complémentaires santé – un impôt sur une dépense contrainte, qui
taxe plus fortement les plus pauvres – augmentons la CSG ou les
cotisations sociales. Quatre millions de personnes renoncent à une
complémentaire santé, aux soins de ville. Ils échouent à l’hôpital
avec des pathologies aggravées, plus coûteuses… Cette privatisation du financement est une impasse économique, sociale, sanitaire
et politique. Elle fragilise la légitimité de notre système de protection sociale : combien de temps les jeunes actifs et bien portants, de
moins en moins bien remboursés, vont-ils accepter de payer pour
les vieux, les plus malades ? Plus un système est universel, plus il
est politiquement solide ; une solidarité ciblée sur les plus pauvres
devient rapidement une pauvre solidarité. On l’a vu avec la CMU,
l’AME, etc. Dès qu’on crée un régime qui n’est pas de droit commun,
on fragilise de fait les populations.
Quel est votre espoir de voir un grand débat sur la Sécurité
sociale dans le cadre des prochaines élections ?
Les associations de malades ont leur rôle à jouer, de même que
les syndicats. Il faut que les corps intermédiaires s’emparent de ce
sujet et l’imposent aux politiques, qui chercheront à l’esquiver. Plutôt que de se focaliser sur les fraudes, ou le trou de la Sécu, parlons
de l’essentiel. Propos recueillis par Christelle Destombes ▪
(1) Cf. André Grimaldi, « L’Hôpital, malade de la rentabilité », éd. Fayard, avril 2009 ;
Frédéric Pierru, « Hippocrate, malade de ses réformes », éd. du Croquant, mars 2007.
(2) www.petition publique, pétition Pacte pour une santé égalitaire et solidaire.