Modélisation du trafic routier

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Modélisation du trafic routier
Modélisation du trafic
routier
« La voiture est le pire des fléaux de notre civilisation. Il est en effet
anormal que l'on empile les gens en hauteur dans les HLM pour ensuite
les allonger en longueur dans les embouteillages »
Jean Yanne
Introduction : On retrouve chaque année en Juillet les sempiternels refrains
sur les « chassés-croisés » des départs en vacances. Et l'aspirant vacancier,
souffrant du vif soleil ne peut que se demander : pourquoi ? En effet, pourquoi
attendre si longtemps au péage, pourquoi alterner des phases où l'on roule vite
et des phases où l'on est à l'arrêt, alors que tout serait plus facile si tout le
monde s'efforçait de rouler à la bonne vitesse ? Le scientifique ne peut faire
autrement que de se pencher sur ces phénomènes où de nombreux
comportements particuliers complexes peuvent conduire à un mouvement
global remarquablement simple.
Pour ce faire, il faut énoncer des lois indépendantes des particules
étudiées, c'est à dire modéliser les actions des automobilistes. Car alors que
chacun est persuadé d'agir en son âme et conscience, il n'en est rien : rien ne
ressemble plus à un automobiliste qu'un autre automobiliste (exceptée la
marque de sa voiture). En s'appuyant sur ces considérations, on pourra passer à
une étude globale des systèmes routiers et ainsi adopter les mêmes définitions
que pour d'autres branches de la physique comme la mécanique des fluides :
définir un débit, une concentration, utiliser les équations de conservation de la
matière.
Plan
I° Bloqué au péage
1/ Un modèle intuitif
2/ Conséquences et limites
II° Des bouchons énigmatiques
1/ Un changement de point de vue...
2/ ...Et ce qu'il implique
III° Une modélisation plus fine
1/ Mieux prendre en compte le réel
2/ Des facteurs maîtrisables?
I°) Bloqué au péage
1°/Un modèle intuitif
On se base sur un constat évident : plus il y a de monde sur la route, moins on
va vite. On adopte alors la loi la plus simple possible, donc une relation linéaire
liant la vitesse du véhicule v et le nombre de véhicules par unité de longueur n :
n
v( n ) = vmax  1 −

nmax





Où vmax est la vitesse maximale autorisée et nmax la concentration correspondant
aux voitures pare-chocs contre pare-chocs. On peut tracer la variation du débit
de voitures j=nv en fonction de n. Cette courbe, nommée « diagramme
fondamental » donne accès aux différents types de trafics.
j(n)
(a)
(b)
fig 1 a) : diagramme fondamental théorique pour vmax=50 km/h, nmax=0,25 véhicules/m
fig 1 b) : diagramme fondamental réel
On remarque qu'il existe deux concentrations possibles pour un même débit : un
cas où il y a peu de véhicules rapides et l'autre où il y a beaucoup de véhicules
lents. Ce dernier régime est dit « congestionné ».
A partir d'un bilan sur une longueur élémentaire de route, il vient :
C'est l'équation habituelle de conservation de la matière, que l'on retrouve en
mécanique des fluides et dans les phénomènes de diffusion.
Avec l'expression de j(n) établie, il vient une équation aux dérivées partielles
portant sur n uniquement :
Cette équation n'étant pas linéaire, il faudra se contenter d'une solution
numérique approchée.
2°/ Conséquences et limites
On peut maintenant observer les résultats du modèle et les confronter à la
réalité. Pour ce faire, on s'intéresse au démarrage d'une file de voitures à un feu
rouge. On prend pour origine des x le front fixe des voitures (on a donc un
repère mobile), et on prend comme conditions initiales :
*n(x<0,t<0) = nmax
*n(x>0,t<0) = 0
On résout l'équation de manière numérique avec Maple. Celui-ci renvoie une
surface :
fig 3 : n(x,t) pour x>0 (variables adimensionnées)
Cette surface étant difficile à interpréter, il est plus simple de prendre en compte
ses sections planes. On remarque une diminution affine de n avec x, ce qui
montre que l'écart entre les voitures s'allonge. Au contraire, en x fixé, on a
augmentation de n avec t, qui tend vers une valeur asymptotique.
fig 4 : évolution de la concentration
1) à t=0.1
2) en x=2
Cette solution informatique présente un inconvénient : le référentiel est mobile
par rapport à un observateur posté sur le trottoir, car il «suit » le front de
voitures. Il est donc tel que n=nmax : on peut approximer la courbe j(n) par la
tangente en nmax. On a donc propagation d'une onde dans le sens des x
décroissants à la vitesse c = vmax , et le repère se déplace à cette vitesse.
Il reste à estimer les limites de ce modèle. Pour cela, on se fixe à un
carrefour, et on regarde la propagation du front de l'onde. On peut par exemple
s'aider d'une vidéo. Il vient :
c = 4 m.s-1 ≠ vmax = 50 km.h-1 = 14 m.s-1
fig 5 : démarrage au feu rouge d'une file de voitures (t=0 s et t=5 s)
Comment expliquer un tel écart? Ce modèle ne prend pas en compte le temps
de réaction des conducteurs qui est primordial. Par ailleurs, en posant c = vmax
on considère que les véhicules ont une accélération infinie, ce qui est bien sûr
absurde.
Ce modèle tend enfin à uniformiser le trafic routier sur la route (valeur
asymptotique de n ) de manière à optimiser le débit. S'il est satisfaisant en ville,
ce modèle ne parvient pas à expliquer la naissance « spontanée » des bouchons
en accordéon sur les autoroutes. Pour cela, il faut prendre en compte la réaction
des conducteurs à une perturbation du trafic.
II°) Des bouchons énigmatiques
1°/ Un changement de point de vue…
Les bouchons en accordéon sont le phénomène le plus surprenant du trafic
routier. Comme on le sait, ils se forment lorsque le trafic est dense, donc on se
placera dans ces deux dernières parties dans le cas d’un trafic congestionné, et
on adoptera un point de vue discret, à la différence du point de vue continu de la
première partie. Il s'agit de comprendre pourquoi on passe parfois brusquement
d'un profil de densité (donc de vitesse) uniforme à un profil très contrasté.
Position du problème : initialement, trafic dense, qui
donne un trafic contrasté de zones de très forte densité
( en rouge) et de zones de faible densité (en bleu).
->
On considère que le conducteur de la n-ième voiture adapte sa vitesse en
fonction de la vitesse de la voiture située juste devant elle selon la loi
(1)
Avec
où Dn est la distance entre l’avant de la voiture n et l’arrière de la voiture n+1, τd
pouvant être vu comme un temps de sécurité. Cette équation différentielle
signifie que le conducteur met un temps τ1 pour percevoir la modification de
vn,ref et qu’il réagit avec un temps caractéristique τ2, la somme τ=τ1+τ2 étant ce
qu’on appelle communément le « temps de réaction ».
On repère les voitures par leur abscisse xn , on note L0 leur longueur. On
est dans la situation suivante :
fig 6 : distance entre voitures
On en déduit la formule : Dn = xn+1 – xn + L0
En dérivant (1), il vient :
∂
 ∂ 2

τ 2 τ d  2 vn( t )  + τ d  vn( t )  = vn + 1( t − τ 1 ) − vn( t − τ 1 )
 ∂ t

 ∂t

On se place en régime permanent sinusoïdal à la pulsation ω. En complexes, on
a:
2
− ω τ 2 τ d Vn + i ω τ d Vn = ( Vn + 1 − Vn ) e
2
<=> ( − ω τ τ V + i ω τ V ) e
2 d n
d n
(i ω τ )
1
(− i ω τ )
1
= Vn + 1 − Vn
Le temps réaction du conducteur est de l’ordre de 10 ms alors que la période
des vitesses est de l’ordre de 10 s, donc on a ωτ1<<1 et ωτ2<<1. Par
développement limité au premier ordre en ωτ1 et ωτ2 il vient :
Vn ( − ω 2 τ d ( τ 1 + τ 2 ) + i ω τ d + 1 ) = Vn +
D’où l’équation différentielle reliant vn à vn+1 :
1
2°/ Et ce qu’il implique…
On peut dorénavant étudier la propagation d’ondes sur la route et en déduire les
conditions d’apparition d’un bouchon. On considère un champ de vitesse de la
forme v(x,t)= vc + v0exp(iωt + kx) . On a alors vn (t) = v(nL0 , t) et il vient :
On s’ intéresse à ω proche de la résonance car seules les composantes les plus
amplifiées dans les variations de la vitesse des véhicules seront visibles. On
peut déterminer très rapidement l’expression de k(ω) au voisinage de la
résonance à partir d’une analogie avec le circuit RLC.
On trace ln(|H(ω)|)=Re(k) et arg(H(ω))=Im(k), qu'on modélise au voisinage de
la résonance par des fonctions simples.
a)
b)
c)
fig 7 : a) Montage expérimental – b) Graphe de arg(H(ω)) – c) Graphe de ln(|H(ω)|)
L’équation sur la tension un donne :
∂
 ∂ 2

L C  2 un( t )  + R C  un( t )  + un( t ) = un +
 ∂ t

 ∂t

On aura donc l’analogie : τd
1
<=> RC et τ <=> L/R
On remarque qu’au voisinage de la résonance, on a Re(k) linéaire et Im(k)
quadratique en ω. On peut donc écrire :
On obtient ainsi une condition d’apparition des bouchons : τ > τd /2 . D’après
l’étude de la résonance du circuit RLC, on en déduit la période et la longueur
d’onde des bouchons à la résonance avec τ = 2.9s et τd = 0.9s (valeurs données
par la sécurité routière) et L0 = 5m :
On remarque que ces valeurs sont éloignées de la réalité, car les bouchons
durent plutôt quelques minutes que quelques secondes, et les files de voitures
s’étendent sur des centaines de mètres. Il faut donc complexifier ce modèle qui
reste encore insuffisant, ce qui permettra de comprendre notamment pourquoi
un bouchon arrive à certaines heures de la journée et pas à d’autres.
III°) Une modélisation plus fine
1°/ Mieux prendre en compte le réel
Considérer que le conducteur adapte sa vitesse sur l’unique voiture qui le
précède est contestable : il regarde en fait plus loin pour prévoir l’évolution du
trafic. L’expression de vn,ref doit donc être modifiée pour tenir compte des autres
voitures. On va donc prendre l’expression suivante :
Où q rend compte de la prise en compte des différentes voitures (q<1) et où K
est un coefficient de normalisation tel que K Σqi = 1 <=> K = 1 – q. Cherchons
alors la nouvelle expression de la fonction de transfert, que nous noterons H q.
Avec les mêmes hypothèses qu’en II, il vient :
 ∞ i

∂


τ d τ  vn( t )  + τ d vn( t ) = K  ∑ q Dn + i( t ) 
 i = 0

 ∂t

On dérive en remarquant que Dn+i = xn+i+1- xn+i + L0 :
 ∞ i
∂
 ∂ 2



τ d τ  2 vn( t )  + τ d  vn( t )  = ( 1 − q )  ∑ q ( vn +
 ∂ t

 i = 0
 ∂t

i+
En complexes et en jouant sur les indices, on obtient :
 ∞ i
1
2


( − ω τ τ d + i ω τ d ) Vn = ( 1 − q )  − 1   ∑ q Vn +
 q
  i = 1

(
t
)
−
v
(
t
)
)

1
n+ i


 − (1 − q) V
i 
n

Avec la relation Vn+1+i = Vn+1/(Hq)i il vient :
( − ω 2 τ τ d + i ω τ d + 1 − q ) Vn = ( 1 − q )2 Vn +
 ∞  q  i 
1  ∑  H  
 i= 0  q  
En divisant par Vn+1 on obtient l’équation sur Hq :
( − ω 2 τ τ d + i ω τ d + 1 − q ) Hq =
( 1 − q )2 Hq
Hq − q
Qui donne, en simplifiant par Hq des deux côtés :
Hq( ω ) =
1 − q + q( − ω 2 τ τ d + i ω τ d )
−ω 2 τ τd + i ω τd + 1 − q
Comme on s’intéresse à Im(k) = ln(|Hq(ω)|) , on trace |Hq(ω)| pour différentes
valeurs de q :
fig 8: courbes de résonance pour q=0, 0.2, 0.4, 0.6, 0.8, pour τ = 2.9s et τd = 0.9s
On remarque que l’anticipation est un caractère essentiel dans la naissance des
bouchons : si les automobilistes anticipent beaucoup (q > 0.6) il n’y a pas de
résonance et les bouchons ne se forment pas. Au contraire, moins les
conducteurs anticipent, plus les bouchons se forment facilement et rapidement.
2°) Des facteurs maîtrisables ?
On peut alors calculer la période des bouchons qui apparaissent, en prenant
pour q une valeur moyenne expérimentale. Dans le cas d'un trafic congestionné,
les véhicules sont près les uns des autres donc il est aisé pour le conducteur de
prendre en compte les sept voitures qui le précèdent pour 90%. On obtient donc
q = 0.72.
Traçons la courbe de résonance pour cette valeur et trouvons de manière
graphique la période des embouteillages au maximum dans ce cas :
fig 9 : identification du maximum pour q=0.72, τ = 2.9s et τd = 0.9s
On mesure alors :
T = 2π/ω = 1min 59s
En utilisant la formule donnant Re(k) en fonction de ω établie en II), il vient :
λ = 659 m
On remarque que les valeurs obtenues sont dans ce cas bien plus proches de la
réalité que celles obtenues en II). Cette modélisation donne accès à une
condition de naissance des bouchons. Pour cela, on remarque que pour qu' un
bouchon se forme, il faut avoir |Hq| >1. On est donc amené à résoudre l'équation
|Hq(ω)| = 1 pour ω ≠ 0 . On obtient :
2
2
( 1 − q − q ω τ τ d ) + q2 ω 2 τ d
2
2
2
(1 − q − ω τ τd ) + ω τd
<=>
2
2
<=>
4
2
= 1
2
( q − 1 ) τ τ d ω + ( q − 1 ) τ d ω 2 + 2 ( 1 − q )2 τ τ d ω 2 = 0
<=>
2
2
2
(q + 1) τd τ 2 ω 2 = 2 τ (1 − q) − (q + 1) τd
τ2 ω 2 = 2
τ (1 − q)
− 1
τd (q + 1)
Cette égalité n'est donc vérifiée que si le membre de droite est positif. On en
déduit la condition d'apparition des bouchons en accordéons :
1− u
q≤
1+ u
où
1 τd
u=
2 τ
Cette condition montre, comme on le constate sur les courbes théoriques, que
les bouchons apparaissent si les automobilistes sont peu attentifs aux autres
véhicules. Ceci explique notamment pourquoi les bouchons sont plus fréquents
en soirée qu'en début de journée lors des départs en vacances : les conducteurs
sont fatigués par la journée de route et font moins attention au trafic...
Conclusion : Bien qu'étant un phénomène très commun, les embouteillages
rassemblent sous le même vocable des réalités en fait très différentes, dont il
faut tenir compte. Si des modèles simples donnent des résultats satisfaisants, il
ne faut pas pour autant oublier leurs limites, car le comportement des
automobilistes peut s'avérer très complexe (changement de file, dépassement).
Les automates cellulaires semblent être une voie prometteuse de modélisation
de tels phénomènes, car il accomplissent la jonction entre point de vue
microscopique et macroscopique. Leur plasticité permet de tester beaucoup de
modèles différents afin d'adapter les modèles à la réalité.
Bibliographie et contacts :
« Modélisation du trafic routier : une brève introduction »
de Jean-François COULOMBEL
« Microscopic modeling of multi-lane highway traffic flow »
de N. HODAS et A. JAGOTA
«Modélisation dynamique macroscopique de l'écoulement d'un trafic routier
hétérogène »
de Stéphane CHANUT
Philippe ROLIN, société Dways
Jean-Philippe DELABY, de la Sanef

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