catalogue Mousseron compressé

Transcription

catalogue Mousseron compressé
Jules Mousseron
Mineur et poète du Nord (1868-1943)
Cette exposition, créée à l’occasion du soixantième anniversaire de la mort de Jules Mousseron, rend
hommage au poète mineur du Nord en présentant son activité à la mine et sa vie d’écrivain. Jules
Mousseron est né à Denain en 1868, il descendra à la mine à l’âge de 12 ans et se passionnera pour
la littérature française avant de devenir un auteur de poésie patoisante célèbre à travers toute la
France.
A travers vingt bannières illustrées, accompagnées d’une sélection de documents d’archives, vous
découvrirez sa vie, son travail et son œuvre, dont ressortent trois principaux éléments : l’étude du
monde minier, la vie et les mœurs du Pays Noir et l’humour à travers les aventures du célèbre
Cafougnette.
Pour compléter cette exposition, le Centre Historique Minier a édité, dans sa collection des « Carnets
du Galibot », un livret illustré par Jacques Trovic destiné aux enfants. Il comprend une sélection de
poèmes de Jules Mousseron, présenté en patois, traduits en français et commentés par André Dubuc,
Directeur général du Centre Historique Minier.
DESCRIPTIF DE L’EXPOSITION
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20 bannières
Plastique souple
Munies d’oeillets
Dimensions : 205 x 80 cm
Formats verticaux
•
5 ouvrages de Jules Mousseron à présenter sous vitrine
Au pays des corons, 1929
Mes dernières berlines, 1933
Croquis au charbon, 1912
Coups de pic et coups de plume, 1931
Eclats de gaillettes, 1934
1
•
Documents d’archives à présenter sous vitrine
Bons de souscription de la Compagnie des
Mines d’Anzin pour les volumes Mes dernières
berlines et Les fougères noires
Livret édité à l’occasion du cent cinquantenaire de
la Compagnie des Mines d’Anzin par Jules
Mousseron ;
1907
•
1 vitrine
Emplacement nécessaire : 30 mètres linéaires + vitrine obligatoire
Conditionnement : 10 tubes de carton (diamètre : 10 cm x longueur : 1 m)
Type de véhicule nécessaire au transport : Express
Valeur d’assurance : 6150 € (bannières : 6000 € + documents : 150 €)
Prix de location : Première quinzaine : 500 €
Mois : 1000 €
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CONTENU DES BANNIERES
Jules Mousseron,
Mineur et poète du Nord (1868-1943)
1
Une exposition itinérante créée par le Centre historique minier
de Lewarde.
Conception de l’exposition, recherches et rédaction des textes
Virginie Debrabant, Agnès Paris et Céline Sename, Centre
historique minier.
Scénographie
Patrick Bougelet, Lille.
Conception graphique
Nadia Anémiche, Lille.
Fabrication des panneaux
Authentique, Lille.
Réalisation technique de l’exposition assurée par les services
techniques du Centre historique minier, sous la direction
d’Emmanuel Reyes.
2
Sources écrites et iconographiques
Centre historique
minier, musée municipal de Denain, bibliothèque universitaire,
bibliothèque municipale et musée des Beaux-Arts de
Valenciennes, centre d’histoire locale de Tourcoing.
Nos remerciements les plus chaleureux aux personnes
suivantes pour leur contribution à l’exposition : M. Pierre
Robert, descendant de Jules Mousseron, M. Jacques Jonas,
fils de Lucien Jonas, M. Jean-Paul Bourzes, neveu de Jacques
Jonas, M. Bernard Lestavel et Mme Jocelyne Maton,
donateurs.
L’exposition a été réalisée grâce au soutien de la Direction
Régionale des Affaires Culturelles du Nord-Pas-de-Calais, du
Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais et du Conseil Général du
Nord.
3
Denain au temps des mines
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la Compagnie des mines
d’Anzin, fondée en 1757, est à la fois la plus ancienne et l’une des
plus puissantes sociétés d’exploitation du nord de la France. Elle
emploie des milliers d’ouvriers dans ses fosses d’Anzin et de
Denain, véritables villes-champignons qui grandissent sans cesse.
Denain compte 1 600 habitants en 1830, 27 000 à la veille de la
Première Guerre mondiale. Entre temps, autour des sites
d’extraction minière, ont poussé des usines sidérurgiques et des
établissements de construction mécanique fabriquant des
machines à vapeur, des locomotives, des ponts métalliques.
3
Denain a attiré une main-d’œuvre considérable qui s’installe dans
d’immenses corons construits par la Compagnie des mines
d’Anzin, dont le coron Jean-Bart, bâti en 1854, où Jules
Mousseron habitera une grande partie de sa vie. La ville se
couvre également de logements bâtis de façon plus anarchique,
dont la municipalité a bien du mal à maîtriser la croissance. Elle
est régulièrement secouée d’agitations et de manifestations de
mécontentement, souvent liées à la cherté de la vie, relayées par
des grèves organisées par les mineurs, en 1866, 1872, 1878 et
1884. Cette année-là, la « grande grève d’Anzin » naît de la
décision prise par la compagnie d’abaisser le prix de revient du
charbon, assortie d’une réduction du personnel. Cette grève
échoue mais connaît un retentissement national et inspire à Emile
Zola, qui se rend sur place, son célèbre roman « Germinal ».
La Première Guerre mondiale voit l’occupation de Denain par les
Allemands et le pillage systématique des fosses et des usines.
Les civils souffrent du rationnement, de la faim, de la peur, de la
surveillance établie par l’Occupant, des brimades au quotidien,
des menaces d’exécution. Après 1918, il faudra consacrer
beaucoup d’efforts à reconstruire le tissu industriel et retrouver
une vie normale, pour une période d’entre-deux-guerres trop
brève.
Hommes au travail
[Le hercheur]
Ch'est l' hiercheux qui va, à front d' taille,
Querquer la houll' dûss' qu'in l' travaille,
Il implit l' berline d' carbon
Pour l'arméner au qu'vau du fond.
4
Dins eun' fosse i faut l' vir à l'œuvre, Rompu, ployé comme eun' couleuvre, Au long des voi's, i s' fait tout p'tit
In infonçant s' berlin' dins l' nuit.
"El hiercheux"
Eclats de gaillettes, 1913
[Le travail au fond]
Juste el temps d'arprindre haleine,
Et notre intrépite houilleur
S'attaqu' vaillammint à s' veine
Dûss' qu'i pioche avec ardeur.
4
Si, par chance, el veine est belle,
El traval s'ra simplifié ;
Mais l' bésonn' s'ra bin cruelle
Si l' filon est mal sémé.
"L'ouverrier à l' veine"
Les fougères noires, 1926
[Le galibot]
A l' fosse, il est avec les vieux,
I port' les bos dins les gal'ries.
Ch'est l'aid' du brav' raccommodeux
Qu'i tracasse avec ses moqu'ries.
Dins les tiots tros, faut l' vir' trottant :
I n'y a pas d' danger qu'il estrique.
I disparaît comme un fouan
Quand un vieux li promet del trique.
"L' Galibot"
Feuillets noircis, 1901
Un mineur de fond
5
Comme la plupart des jeunes garçons de Denain, Jules
Mousseron est engagé par la Compagnie des mines d’Anzin. Le 2
janvier 1880, il entre à la fosse Renard où il restera toute sa
carrière, quarante-six années durant. Accomplissant toutes les
étapes traditionnelles du parcours du mineur, il est d’abord
apprenti, « galibot », à son arrivée à la fosse, pour une durée de
deux ans. Il joue notamment le rôle de « freinteux », galibot
chargé de freiner la poulie d’un plan incliné, dans les galeries du
fond.
Ayant atteint la plénitude de ses moyens physiques, il travaille
ensuite comme hercheur, poussant les berlines remplies du
charbon abattu dans les tailles. Une blessure l’amène
temporairement à devenir conducteur de chevaux, « méneux
d’quévaux », ce qui ne manque pas de l’inspirer pour plusieurs de
ses poèmes. Parvenu dans la force de l’âge, il atteint enfin le
sommet de la hiérarchie des mineurs en devenant abatteur,
opérant au pic et à la rivelaine l’extraction de la houille proprement
dite. Il achève sa carrière en occupant un poste de charpentier, de
« raccommodeux », réparant les boisages abîmés.
Salut au mineur
6
Ô toi, qui chaque jour, descends dans la Profonde,
Pour arracher aux flancs de la Terre féconde
Le Calorique enfoui depuis des ans sans nombre !
Ô toi, qui dédaignant l’effroi sacré de l’Ombre
Reste des jours entiers privé de l’Astre roi,
Mineur, vaillant pionnier, je crie « Salut à Toi ! »
Lorsque confiant ta vie à la cage légère
Qui rebondit sans cesse sur le rail glissière
Et qu’avançant toujours plus avant dans le noir
Tu penses : « Si dans l’abîme on me laissait choir ? »,
Soudain dans ton esprit éclate une lumière
Te montrant d’un seul jet, ta vie toute entière…..
5
Mais bientôt la confiance renaît en ta Raison
Et tu quittes la cage avec une chanson,
Puis, avançant toujours vers la veine si riche
Tu vas gagner gaîment de tes enfants, la miche,
Et de ton pic alerte, abattant le charbon,
Tu songes aux êtres chers, laissés dans le coron.
Plus tard, quand de la coupe, le terme est arrivé,
Il faut rentrer au jour, vers la douce clarté
Et de quelques cordées, la cage bondissante
Te rend à tous les tiens, l’âme reconnaissante
Sain et sauf, Dieu merci ! et de nouveau tout prêt,
A refaire demain le périlleux trajet.
Devant ton fier courage, tous, nous nous inclinons
Et te montrant aux jeunes et futurs compagnons,
Nous leur disons : « Comme lui, ayez confiance
Dans sa lutte sans fin, son guide c’est la foi
Qu’il ne cesse d’avoir en notre faible science,
Debout donc et crions : « Mineur, Salut à Toi ! »
Denain, septembre 1909
Machines et outils
[Machine d'extraction]
L' câble, su l' bobine s' déroule,
Plonque el' cage dins l' puits béant,
L' manivell' tourne et randoulle
L' carcass' dé t' moulin géant.
"L'machine d'extraction"
Au pays des corons, 1907
[Lampe]
7
Aussi, comme el mineur t'aime !
Comme i t' frotte avant l' départ !
I a autant d' soin d' ti qu' dé s' femme ;
I t' dorlott', – risée à part.
"El lampe du mineur"
Feuillets noircis, 1901
[Pic]
Tap', pic tape !
Corn' du diape,
T' lame est fin' comme un poignard.
L' veine est dure,
T' pointe est sûre :
Rintr' dins l' carbon comme un dard.
"L'pic"
Croquis au charbon, 1899
6
[Remonte]
L' journé, souvint a été rute !
In a hât' d'armonter au jour,
Et d' pus d'un dins l' vitess' culbute
In courant pour r'ténir es' tour.
"La remonte des mineurs"
Coups de pic et coups de plume, 1904
Catastrophes
[Catastrophe de Courrières, 10 mars 1906, 1099 victimes]
Tous les corons ont l' même tristesse
Tout's les maisons ont l' même douleur !
L' détress' n'a point passé eun' porte,
Et l' deuil est partout dins l' cité…
(...)
Pauv' ouverriers mineurs, mes frères,
Oh ! oui, nous pleurons vos malheurs !
Salut ! ô martyrs ed Courrières,
Brav's carbonniers nés pou l' douleur...
"Sur la catastrophe des mines de Courrières"
Au pays des corons, 1907
8
A Sallaumines, jé m' dirig' vers el fosse
Un jour d'avril vers cinq heur's du matin,
J' vos dins l' carreau, pou qu'mincher, – chose atroce, –
Des mèr's in pleurs, des veuv's, des orphelins.
(...)
Et j'ai frémi ainsi chaqu' pas dé m' route...
A chaqu' minut', j'archévos l' cop au coeur.
Au pied del foss', tout juste à l' première voûte,
In ramenot l' dépoull, d'un aut' mineur.
(...)
El résultat dé m' visite, in l' dévine...
D'puis qu' tant d' misèr's au fond m'ont fait frémir.
J'aime incore mieux mes vaillants frèr's del mine :
Ch'est avec euss' qué j' veux vivre et morir.
"Eune visite dans les mines de Courrières in avril 1906"
Eclats de gaillettes, 1913
[Catastrophe des mines de La Clarence]
El maudit feu grisou vient core d' faire des siennes
In brûlant affreus'mint les pauv's gens qui s' démènent
Pour gagner d' quoi mainger à d'pus d' mill' mèt's parfond,
Et qui souffrott'nt assez sans ces misères sans nom.
"Sur la catastrophe des mines de La Clarence"
Eclats de gaillettes, 1913
7
Jules Mousseron (1868-1943)
9
Jules Mousseron est né le 1er janvier 1868 à Denain au PlatCoron. Troisième fils d’une famille de cinq enfants, il doit à douze
ans travailler à la mine. Il remontera pour la dernière fois
quarante-six ans plus tard. A la mort de son père en 1882, il se
retrouve soutien de famille – ses deux frères aînés étant en
apprentissage. Il doit en plus de la mine travailler le dimanche,
mais cela ne l’empêche pas de satisfaire sa passion pour la
littérature. Il dévore dès cette époque tous les classiques qu’il
trouve et s’inscrit à des cours du soir.
Après son service militaire au 43è de Lille, Jules Mousseron
épouse Adélaïde, cousine de son ami Jean-Baptiste Blotteau. Il
partage alors son temps entre sa femme, ses filles (Hélène,
Denise, Anaïs et Marie emportée par la méningite), la mine et ses
premiers écrits.
Sa rencontre avec André Jurénil, écrivain denaisien, marque un
tournant dans sa vie. Il se met à écrire en patois et obtient très
vite renommée et reconnaissance…. En 1907, la Compagnie des
mines d’Anzin lui octroie une maison plus confortable au 2 rue
Villars.
La Première Guerre mondiale le marque énormément. Il édite
« Les Boches au Pays noir », recueil de poèmes écrits
secrètement durant cette période et qui doit « aider nos
descendants […] à mieux goûter le bonheur de vivre dans la
paix… et à maudire la guerre ».
En 1936, il est fait chevalier de la Légion d’honneur. Il reçoit chez
lui le Président de la République Casimir Périer, ainsi que de
nombreux artistes et écrivains.
La mort de sa femme en 1939 l’affecte terriblement. Affaibli
moralement par un nouveau conflit mondial, il tombe malade
début 1943. Souffrant de pleurésie cardiaque, il meurt le 24
novembre 1943.
La langue parlée par Jules Mousseron
10
Dans le nord de la France, les premiers textes écrits en patois
apparaissent au XVIIIème siècle. Il faut rappeler qu’en 1539, le
français est devenu la seule langue officielle du royaume avec
l’ordonnance de Villers-Cotterêt qui écarte latin et dialectes.
Dans le premier tiers du XIXe siècle, le développement de la
presse et la montée du romantisme attiré par la poésie orale, les
vieux parlers et les traditions populaires, donnent des moyens
d’expression et une légitimité aux auteurs patoisants.
A Valenciennes, Gabriel Hécart publie en 1834 le premier
dictionnaire rouchi-français de référence. Puis, vient le temps des
chansonniers picards (Desrousseaux, Bourgeois, Watteeuw…).
Le picard utilisé dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais n’a
pas encore de règles grammaticales et orthographiques fixes. Le
sens des mots lui-même varie d’un endroit à l’autre.
En France, écrire et publier en patois ne va pas de soi sous la IIIe
République. Une grande réforme de l’instruction scolaire est alors
mise en place. La loi Ferry du 28 mars 1882 interdit de parler
breton, provençal, picard…A l’école, les élèves surpris à parler
patois sont punis. Jules Mousseron, né en 1868, a choisi le
rouchi, patois picard du Hainaut français, pour raconter son travail
à la mine et son quotidien.
8
Jules Mousseron, un poète
11
Jusqu’à l’âge de 25 ans, Jules Mousseron compose ses poèmes
en français, langue qu’il considère quasiment comme sacrée. Il
publie dans des revues provinciales des poèmes qui respectent
les règles classiques sur le printemps, les oiseaux et les
premières amours. Encouragé par son ami Julien Renard, dit
André Jurénil, il se décide à écrire en patois. Il s’agit d’un rouchi
relativement simplifié, si on le compare aux écrits patois plus
anciens. Mousseron veut en effet rester compréhensible pour son
public qui dépasse progressivement les limites du bassin minier.
Homme de spectacle, il se produit partout en France, à Lille,
Strasbourg et même à l’Opéra Comique… Les bénéfices de la
plupart des soirées où il intervient vont à des œuvres de
bienfaisance pour les mineurs et leur famille. En tenue de mineur,
il déclame ses poèmes, parfois écrits sur commande.
A l’époque, la poésie est avant tout considérée comme un art oral.
C’est seulement après avoir acquis un certain succès que les
auteurs envisagent de publier leurs créations. Pour passer de
l’oral à l’écrit, Jules Mousseron a du beaucoup retravailler ses
textes pour : obtenir le bon nombre de pieds par vers, placer les
élisions de façon à donner un rythme plus soutenu à ses poèmes.
Dès le début du XXe siècle, certains critiques estiment que la
littérature patoise pose un regard nostalgique et passéiste sur la
réalité. D'autres, au contraire, y voient plus de sincérité, d’émotion
et de spontanéité.
Un poète ouvrier ?
12
Trois éléments principaux ressortent de l’œuvre de Jules
Mousseron : l’étude du monde de la mine ; l’évocation des mœurs
du pays noir et de la vie de famille ; mais aussi l’humour qui
transparaît dans la description de caractères et attitudes, et
surtout dans les aventures du célèbre Cafougnette.
Les amis et amateurs de Jules Mousseron l’ont spontanément
nommé « poète-mineur » ou « poète de la mine ». Pourtant, la
réalité n’est peut-être pas aussi simple. Mineur, Jules Mousseron
connaît tous les rouages du métier mais aussi ses difficultés et
l’injustice ressentie lors des accidents. Il relate d’ailleurs tous ces
aspects dans ses poèmes.
D’un autre côté, ses vers appartiennent à un large mouvement de
glorification du mineur. La valorisation du travail fait oublier les
défauts de sécurité, le manque d’aides sociales, la pauvreté des
familles de mineurs…. Les écrits de Jules Mousseron n’ont pas de
vocation revendicative. Le poète ne participe d’ailleurs à aucune
grève à Denain, même s’il cotise à un syndicat.
Il ne veut pas donner une image misérabiliste de la vie dans le
bassin minier et critique Emile Zola qui, décrivant Germinal en
1885, disait vouloir « soulever une telle pitié, un tel cri de justice
que la France cesse enfin de se laisser dévorer ». Le poète veut
au contraire retranscrire dans ses poèmes toute la joie de vivre et
la gaieté des habitants du bassin. C’est probablement pourquoi la
Compagnie d’Anzin lui a fourni un logement plus grand, donné
certaines facilités (horaires plus souples pour écrire ou pour faire
ses spectacles) et l’a aidé à diffuser les bons de souscription pour
ses recueils.
9
Les corons
[Denain]
Après le dur labeur
De toute une semaine,
L'usinier, le mineur
Vident la pinte pleine.
On entend dans Denain
La bruyante jeunesse
Qui chante l'allégresse
Et rit du lendemain.
Chanson "Les enfants de Denain"
[Les corons]
Les toits d'eun' couleur plutôt terne,
Aux bords, pa l' temps, usés, rognés,
Les vieux corons sont alignés
Tout comm' les cambuss's d'eun' caserne.
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Un minc' mur sépar' les visins,
Etouff' mal el bruit des disputes…
All's s'arsann'nt tertous, les cahutes
Vu's d'in déhors si bin qu'in d'dins.
"Les vieux corons"
Feuillets noircis, 1901
[Jeux d'enfants dans les corons]
Les infants s'amus'nt à l' breunette,
Deux par deux longeant les corons,
Ils sont d'eun' joi', qu' ch'est eun' vrai' fiête
D' les intindr' canter leus canchons…
C' qui fait leu bonheur, ch'est peu d'chose :
Ch'est eun' lantern' qu'un tiot gamin
A faite avec eun' bett'rav' rose,
Et qui les éclair' joyeus'mint.
"Tableau d'automne dins les corons"
Coups de pic et coups de plume, 1904
10
Les loisirs
[Jardinage]
Travailleurs del fosse et d'usine,
Au bon air fait'nt r'fleurir leu mine
In s'amusant amical'mint
A ch'ti qui récolt'ra grand'mint.
I faut c' qu'i faut, point davantache :
Pour un ouverrier, l' jardinache
Dot être eun' manièr' d'agrémint…
I n' faut point qu'cha fuche un tourmint.
"L' canchon des brouettes"
Mes dernières berlines, 1933
[Le dimanche]
14
Dùss' qué j'travalle, el' diminche in s'erposse.
In n'in est point bocop pus pauv' pou cha.
I faut r'connaîtr' tout d' mêm' qu' ch'est eun' bonn' chosse :
Honneur à ch'ti qui créa c' systèm'-là !
Quand in a bin buché tout eun' sémaine,
R'lever ses reins ch' n'est qu' juss', faut l'avouer,
Un jour d'erpos vous r'met d' huit jours ed peine...
Ah ! Qui fait bon, l' diminche, d' s'erposer !
"L' répos du diminche"
Croquis au charbon, 1899
[Fêtes]
I rind'nt gai ch'ti qui grign des dints.
Chaqu' dans' s'inliève avec justesse.
L' quadrill' dérid' les pus chagrins ;
L' polka fait décamper l' tristesse.
"L'orkesse du bal"
Fleurs d'en bas, 1898
Biaux jours dé l' ducasse
Té fais rir' tertous…
T' rinds les gins bénasses,
Quand t'es parmi nous !
Au diabl' les escoupes,
Les lim's, les martiaux !
In n' compt' point ses doupes
Pou rir' eun' bonn' fos.
"L' ducasse"
Fleurs d'en bas, 1898
11
Mousseron et ses amis artistes.
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Jules Mousseron vécut dans la région de Valenciennes, qui fut de
tous temps un véritable vivier d’artistes, pour ne citer que le
peintre Antoine Watteau (1684-1721) et le sculpteur Jean-Baptiste
Carpeaux (1827-1875).
Dans la mouvance de Carpeaux, Valenciennes connut, à la fin du
XIXe et dans la première moitié du XXe siècle, une véritable
floraison de sculpteurs. Jules Mousseron noua des relations
amicales avec la plupart d’entre eux : Corneille et Paul
Theunissen, Alphonse Terroir, Felix Desruelles, Alfred Bottiau, et
bien d’autres. Il devint aussi l’ami de plusieurs graveurs,
particulièrement de Pierre Dautel, qui le représenta sur un
médaillon, ainsi que de Constant Moyaux, architecte et
aquarelliste.
Au fil du temps, la maison de Jules Mousseron devint un véritable
petit musée où s’accumulaient peintures, gravures, sculptures,
bas-reliefs, photographies dédicacées et objets d’art offerts par
ses amis. En véritable conservateur, Jules Mousseron disposait et
associait les œuvres avec minutie, les répartissant dans les
différentes pièces de son logement de manière à obtenir l’effet le
plus esthétique possible.
Jules Mousseron a dédicacé de très nombreux poèmes aux
artistes valenciennois : à Constant Moyaux, fils d’un menuisier
des mines d’Anzin, aux peintres Henri Harpignies et Grégoire
Finez, aux sculpteurs Alphonse Terroir, Félix Desruelles et Alfred
Bottiau, et surtout à ses amis Pierre Dautel et Lucien Jonas.
Mousseron et Lucien Jonas.
16
Dans la vie de Jules Mousseron, un artiste a plus particulièrement
compté : Lucien Jonas (1880-1947). Né à Anzin, formé aux
Ecoles Académiques de Valenciennes puis à Paris, dans l’atelier
du peintre Léon Bonnat, Lucien Jonas accomplit une carrière
aussi riche que diversifiée.
Portraitiste mais également peintre de décors, on lui doit, entre
autres choses, la réalisation de plafonds pour le théâtre, le musée
et la chambre de commerce de Valenciennes, celle de plusieurs
pavillons pour les expositions universelles de Bruxelles (1935) et
de Paris (1937), ou encore la création de 28 chemins de croix
pour les églises du nord de la France, beaucoup étant
reconstruites après 1914-18. Il réalisa également quantité
d’illustrations pour des journaux et des livres.
Lucien Jonas représenta la mine, et l’industrie de manière
générale, dans de nombreuses œuvres. Il illustra les recueils de
poésies de Jules Mousseron à partir de 1907. Les deux hommes
posaient le même regard empreint d’amitié et de sympathie sur le
monde de la mine : ils préféraient en exprimer les bons côtés, la
joie de vivre, la solidarité, plutôt que la tristesse, voire le caractère
tragique. Jules Mousseron lui rendit un jour hommage en ces
termes :
« Etot-il noir, not’ courageux pays,
Par ses terris et ses usin’s funquantes !
Mais t’ l’as fait r’luir’ par l’imag’ consolante
D’ nos dons d’ corache et d’accueil réunis »
12
Paroles d'écrivain
[Concerts]
J' continue à canter, à dir' mes p'tiot's piéchettes,
L'hiver, putôt l' diminche, aux concerts, aux p'tit's fiêtes.
J' compose, aux carnévals, eun' canchon, qu' nous vindons
Avec des brav's copains pour un pauv' compagnon.
"M' passé et m' présent"
Autour des terris, 1929
[Inspiration]
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Par maint's et maint's lectur's, i m' prind l'invi' d'écrire,
Et l'inspiration m' vient del biauté d'un sourire,–
Premier sourir' d'amour d'eun' fille au cœur aimant,
Aujord'hui, grâce à Dieu, l' bonn' mère ed' mes infants.
"M' passé et m' présent"
Autour des terris, 1929
L'homme inspiré qui busie in tâchant
D' réaliser les biaux rêv's qu'i-a dins l' tiête,
Eprouve ainsi l' bonheur el pus touchant,
L' don d'inchant'mint del bésonn' du poète.
"L'inspiration"
Dans nos mines de charbon, 1946
Hommage aux artistes valenciennois
L’ z’artiss’s Valinciennos, surtout m’ trait’nt comme un frère.
Leus dons form’nt un musé’ dé m’ demeure ouverrière.
J’ sins m’ cœur qui fait douqu’-douque in r’vettiant ses
biautés,Précieux souv’nirs offerts par l’art et l’amitié.
« M’ passé et m’ présent »,
Autour des terris, 1929.
[extrait d’un poème dédicacé à Constant Moyaux]
18
Pou les Biaux-Arts, Valincienn’s i rayonne :
In n’ les compt’ pus, ses succès, d’puis longtemps !
Combin d’ chefs-d’oeuvr’s s’éparpill’nt dins l’ monne,
Sortis des mains d’ ses courageux infants ! …
Fiers desquindants des habil’s dintellières,
Pou continuer l’ biau passé d’ leus aïeux,
Tes fieux esculpt’nt des dintell’ dins les pierres
Et nous fait’nt vir des biautés dign’s des cieux.
« Hommage à Valenciennes »,
Coups de pic et coups de plume, 1904
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Autour de l’œuvre de Jules Mousseron
19
L’œuvre de Jules Mousseron est singulière dans une littérature
française formée de plusieurs courants. Ainsi le mouvement
naturaliste avec des écrivains comme Balzac et Zola, décrit sans
complaisance la société. A la fin du XIXe siècle, parallèlement aux
mouvements qui se développent dans l’art, surgissent en
littérature des démarches inspirées de l’impressionnisme et du
symbolisme.
De ces différentes influences littéraires naît le « naturisme ». Ce
mouvement repose sur des poètes de province souhaitant parler
du quotidien. Ils osent s’intéresser aux objets familiers, aux
animaux et dépeindre de « bons sentiments ». Ils tentent aussi de
se libérer des règles établies pour rendre une certaine souplesse
aux vers et à la mélodie des phrases.
Au début du XXe siècle, la poésie s’intéresse aussi à la vie
urbaine. L’écrivain belge Emile Verhaeren (1855-1916) est hanté
par la civilisation urbaine et industrielle de son temps. Il décrit un
monde ouvrier très proche de celui du nord de la France.
Jules Mousseron connaît ces mouvements littéraires dont il est
contemporain. Mais il s’est nourri également d’auteurs classiques
: Molière, Racine, Corneille, Rabelais…. Enfin, il lit les ouvrages
des auteurs patoisants l’ayant précédé, dont Alexandre
Desrousseaux (1820-1892). Ce célèbre chansonnier est un
exemple de la « renaissance » du picard au XIXe siècle. Sa
langue, le ton, souvent humoristique, de ses écrits et les thèmes
abordés (vie quotidienne de la région lilloise, attitudes et
caractères cocasses…) sont proches de ceux chers à Mousseron.
Mousseron aujourd’hui
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En un demi siècle, Jules Mousseron a publié 12 recueils de
poèmes (soit plus de 360 poèmes, chansons et monologues)
vendus à 100000 exemplaires, chiffre impressionnant pour
l’époque. De son vivant, il a même été traduit en anglais. Son
portrait, mis en cartes postales, a également servi à la
publicité et à la vente de savon, chicorée, pipes, pots à tabac,
verres, assiettes à dessert, montres…
Dès son décès en 1943, ses amis et ses filles cherchent à
entretenir sa mémoire. En 1946, Jurénil, aidé des filles de
Mousseron, fait publier ses poèmes posthumes (Dans nos mines
de charbon). Manoël Gahisto, un autre ami, écrit sa biographie
romancée : La vie de Jules Mousseron, le poète de la mine.
Dans les années 1960, les français prennent conscience de la
richesse des traditions populaires et des parlers régionaux.
Chaque territoire – administratif ou culturel – redécouvre son
patrimoine folklorique, ethnographique et linguistique. Hommes et
femmes s’impliquent de plus en plus pour préserver les patois,
soit à titre individuel, soit en constituant des associations ou des
équipes universitaires. Jean Dauby (1919-1997), poète patoisant,
réalise en 1968 une étude sur Jules Mousseron. De 1974 à 1976,
il édite une trilogie d’œuvres de Mousseron : Tout Cafougnette, A
l’fosse et A l’ducasse. En 1979, il publie Le Livre du rouchi,
dictionnaire du parler picard de Valenciennes.
Jules Mousseron doit enfin sa postérité à son personnage fétiche : Zeph
Cafougnette. Une soixantaine de poèmes et six monographies en ont fait le portrait
de 1895 à 1946, même si sa naissance officielle est datée de 1904, dans Coups de
pic et coups de plume. Ce vantard, naïf et insatiable buveur lui a survécu, puisqu’à
Denain, les géants représentent toute sa famille à chaque carnaval. Aujourd’hui
encore, on peut lire ses aventures apocryphes et de nombreux artistes redonnent vie
à ses personnages et à ses textes.
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