bandes de garcons, bandes de filles

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bandes de garcons, bandes de filles
Bandes de garçons, bandes de filles1
1/ Définitions et représentations sociologiques
On a associé dans l’histoire, le nom de bandes à des groupes de jeunes marginaux
ou délinquants. L’étymologie viendrait du germain au XIème qui par extension du
morceau de tissu, signifierait aussi lier, enfermer, encercler. En tous cas un
contenant
En France : Différents surnoms ont été données aux bandes de jeunes marginaux
dont la presse a rendu compte de façon abondante au cours du temps, prouvant
l’intérêt associé à ses représentations. Au début du XXème, on les nomme : apaches
en comparaison avec les indiens, considérés comme les plus dangereux d’Amérique.
Ce sont essentiellement de jeunes hommes, issus des milieux ouvriers des
manufactures, qui ont basculé dans la délinquance. Ils vivent de prostitution et de
trafics en tous genre. Les bandes rivales se font la guerre. Jacques Becker dans le
film : Casque d’or, s’inspire en partie de l’histoire d’un fait divers, dont l’héroïne, une
prostituée à la blonde chevelure a été surnommée ainsi 2. Dans les années 1950-60
apparaissent : les blousons noirs, jeunes de conditions précaires sur le plan
économique dans une urbanité en pleine reconstruction. Ils empruntent des voitures
ou d’autres objets cultes de la société de consommation d’après guerre. Depuis les
années 1980-1990, on désigne des bandes de jeunes aux pieds des immeubles des
grands ensembles des banlieues, dans un univers déserté par la culture et les
commerces. Ils sont parfois nommés : voyous ou sauvageons par des hommes
publics. La manière de s’habiller et donc de se présenter aux regard des autres est
aussi une façon de se distinguer selon la période. La casquette et le foulard noué à
la place de la cravate, le blouson noir, le capuchon.
Le sociologue Américain : Howard Becker définit la déviance comme le résultat d’un
apprentissage social qui passe par la redéfinition de son identité sociale à partir de
lien d’appartenance en petit groupe… Il faut retenir aussi que ces groupes sont
hiérarchisés.
Laurent Muchieli dans un article de 2012, intitulé : : La violence, de quoi parle t-on,
argumente son propos ainsi : L’idée d’une violence envahissante semble faire parti
de la représentation décliniste du présent au sujet des jeunes : ils ne seraient plus
comme avant. Le sociologue constate qu’il y a une augmentation des violences
verbales, appelées incivilités, une augmentation des viols de plus jeunes dans les
familles par les plus grands parce que verbalisées, et une augmentation de vols ou
rackets d’objets électroniques. La judiciarisation croissante des actes de délinquance
augmente davantage que les actes violents.
La demande actuelle de sécurité et de société assurantielle accentue les
représentations stigmatisant les jeunes. On a tendance à confondre la bande de
copains avec la bande de délinquants car les jeunes en groupe font peur. Ils
représentent une menace, la plupart du temps fantasmée ; ils ont le tord d’être
bruyants, de danser, une danse de sauvage et de chanter sans mélodie !.
Comment expliquer actuellement ce désir de se retrouver en bandes ?
1 Cet article a été écrit pour une intervention dans un colloque à l’association lacanienne
internationale. Provence. Mars 2014, complété en Octobre 2015
2 Casque d’or : film de 1952. L’héroïne s’appelle en réalité : Amélie Elie.
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La principale caractéristique de la bande délinquante de garçon est sa monstration
virile. C’est un univers d’apprentissage des conduites de virilité, qui pouvaient être
autrefois acquis par des lieux d’initiation dans la société (Au moyen Age : la
chevalerie pour la noblesse, les insurrections paysannes au temps moderne, le
service militaire, au 20ème siècle).
De nos jours les conduites guerrières des bandes d’adolescents se manifestent en
résistance aux autres mondes sociaux : un autre monde viril : la police, mais surtout
d’autres bandes concurrentes dans le bizness ou le monde de la culture : l’école.
Pour eux comme le souligne C.Melman dans ses remarques sur la délinquance : les
structures sociales ne sont pas symboliques, elles deviennent réelles et ne sont
incarnées que par la présence réelle du policier ou du maître d’école. Ce qui
caractérise la délinquance est que l’accès à l’objet est organisé non par le symbole
et le discours S1, mais par le rapt, ce qui en fait le prix et lui permet de se
phalliciser, de montrer sa virilité. La bande de jeunes, de semblables qui leur
ressemblent est un moyen de pallier à la carence de reconnaissance symbolique ou
à l’absence du père dans la famille. La société des jeunes du bas des tours est une
société de compétition permanente pour se faire reconnaître, se faire une réputation.
Cette image est prépondérante. Ils définissent leur pouvoir par le territoire qu’ils se
appropriés comme identité à défaut de tout autre dans le Symbolique: ils sont de tel
quartier dont ils excluent la venue d’autres bandes ou d’étrangers. Quand nous
sommes venus rencontrer les habitants en entretien 3, les guetteurs nous avaient déjà
signalés… Ceux-ci tiennent les murs, expression imagée…
Dans une banlieue de la région Parisienne, il y a une dizaine d’années: La directrice
du collège me confiait en entretien que si elle arrivait à maintenir le règlement à
l’intérieur de son établissement avec l’aide de l’équipe d’enseignants, une fois sortie
du lieu, elle se sentait en insécurité car le territoire appartenait aux bandes. Des
gamins d’une douzaine d’années avaient par ailleurs tenté de franchir la grille du
collège pendant les vacances pour s’emparer des ordinateurs. On disait que les
jeunes étaient de plus en plus jeunes à commettre des actes de délinquance. Le
centre culturel du quartier essayait d’attirer ces jeunes par une programmation
appropriée, mais seuls les jeunes du centre ville venaient assister à ces concerts.
La municipalité avait développé de nombreuses associations pour les enfants et
adolescents au pied des tours. Elle nous avait demandé une intervention
psychosociologique en tant qu’organisme public, pour restituer du lien social, après
pas mal d’incidents dans le quartier et un quasi-mutisme des habitants. Nous avions
mis au point un dispositif complexe d’échanges entre les habitants et les
représentants d’association ou de fonctionnaires. Retournée récemment dans ce
quartier, j’ai pu observer des changements dans l’habitat et moins de jeunes en
déshérence: Les grandes barres avaient été coupées, les halls d’immeubles étaient
couverts de tableaux peint par des enfants sous la direction d’artistes. Quelques
commerces en franchise rendaient le lieu plus vivant…
Dans les entretiens menés au près de groupes d’adolescents, garçons et filles, avec
l’aide d’associations, je n’avais obtenu que des discours convenus surtout de la part
des garçons. Pour les filles, dont certaines étaient déjà étudiantes parmi celles qui
étaient présentes, elles exprimaient leur souci de réussir leurs études pour quitter
l’univers de la banlieue et ainsi pour quelques unes, d’échapper à la vigilance des
grands frères.
3 Un travail au sein de l’institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire.
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Un livre paru récemment de Sophie Rubi : les crapuleuses, souligne que la
présence de filles s’est accentuée ces dernières années. Ils existent depuis une
dizaine d’années des bandes de filles, dont les comportements s’apparentent à ceux
des garçons. Elles sont en jeans et tea-schirts : elles dissimulent le plus possible les
attributs de la féminité et sont d’une grande prudence en matière sexuelle. Il faut
annuler le féminin qui dérange la recherche d’une jouissance phallique manifeste
comme pour les garçons. Elles reproduisent des rapports de domination envers les
plus jeunes, comme elles-mêmes en ont subi.
2 / Des gangs de filles au cinéma.
Deux cinéastes Laurent Cantet4 et Sophia Coppola dans bling Ring ont réalisés
deux films traitant d’un nouveau phénomène : la violence et le vol des filles en
bande à partir de faits divers aux Etas Unis. Au paravent, les jeunes filles participant
à des vols ou cambriolages avaient une place peu importante dans les bandes de
garçons. Elle servaient le plus souvent d’appât pour attirer une victime, comme dans
le film : l’appât de Bertrand Tavernier. Dans, bling ring, la meneuse : Rebecca Anh vit
seule avec sa mère, sans doute dans une famille monoparentale, d’origine chinoise
dont nous ignorons l’histoire. Au collège Rebecca accoste Marc qui vient d’arriver
dans l’établissement. Elle repère immédiatement ce garçon aux joues joufflues et au
visage doux. La famille de Marc est middle class, comme celle de Rebecca : La mère
prépare le petit déjeuner des grandes filles qui rechignent à se lever, tandis que le
père n’apparaît dans le film qu’en pyjama et ne dit rien. Dés le premier jour de leur
rencontre : Rebecca emmène Marc, qui hésite, à pénétrer dans une villa des beaux
quartiers de Los Angeles. La jeune fille a repéré l’absence de la propriétaire et en
profite pour prendre des vêtements de valeurs. Dans la même soirée : Rebecca
entraîne Marc dans une boite de nuit où se consomment drogues et boissons
diverses au son d’une musique endiablée et où l’on voit les jeunes gens dans des
rythmes de danses sans interruption. Beaucoup de photos par portables seront
prises dans ces moments de liesse, et Marc semble joyeux au milieu des filles. A
partir de ce moment là, un gang va se créer. Deux autres jeunes filles vont se joindre
à Rebecca et Marc. Ce dernier va essayer de freiner l’excitation des filles qui
s’introduisent dans les villas, mais sa résistance n’est pas recevable. Il s’agit pour
elles d’un moment de jouissance érotique. Marc dans un interview au moment de
son arrestation nous renseigne sur son manque d’assurance : « On ne l’aime pas
parce qu’il n’est pas beau ». Il dit aussi en parlant de Rebecca: je l’aimais comme
une sœur. Il ne manifeste pas d’attirance pour les filles du groupe, mais montre son
désir d’être une femme. Plusieurs séquences du film le montre avec du rouge à
lèvres et des talons aiguilles rouges se mirant dans un miroir. Alors que les filles ne
parlent que d’avoir des objets de luxe, lui voudrait créer sa propre marque. Se faire
un nom C’est en ce sens qu’il exprime le désir d’un nom propre, auto-engendré.
Le film nous présente aussi deux autres familles : Celle de Nickie, dont la mère fait
partie d’une secte New Age. Les filles ne vont pas au collège. Leur mère leur
enseigne la pureté et la perfection spirituelle. Le langage de Nickie face à son
avocat, au moment du procès, est truffé de paroles revendiquant la paix pour tous.
C’est pourtant elle qui saisit un pistolet lors d’un cambriolage, dont elle s’amuse à
faire peur à Marc. Elle se rend auprès d’un jeune homme aperçue dans la boite de
nuit, et entre chez lui par effraction. Après la nuit passée avec lui, elle le fera
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intervenir dans le groupe en le soumettant à sa loi. Cette jeune fille est sans doute la
plus perverse du groupe car elle réussit une fois sortie de prison à se présenter
comme une jeune fille oeuvrant pour le bien de l’humanité. Enfin, la dernière jeune
fille est une jeune fille blonde aux longs cheveux, qui vit dans un quartier bourgeois
riche et dont les parents sont très aisés : Dans la cuisine, la mère prépare des jus de
fruit bio, pendant que le père et la fille prennent un petit déjeuner en se tournant le
dos, chacun sur une table séparée de l’autre. Le père lit son journal. Aucune parole
entre eux.
Les objets que le gang récupère, sont des bijoux, des robes que les filles mettent,
des sacs de marque, des chaussures de toutes formes, de toutes couleurs. Des
objets fétiches, à conserver pour soi ou à échanger contre de l’argent, par exemple
des montres Rolex !
On peut s’interroger sur cette jouissance d’objets sans limite et sur l’imaginaire que
cela représente pour elles. Rebecca est cleptomane. Elle ne peut arrêter de prendre,
de voler, pour tenter de compenser l’incomplétude. La délinquance s’est inscrite de
façon différente pour chacune des filles et pour Marc. Elle s’est construite en fonction
de leur histoire familiale, des fonctions parentales et ce dans une société de
consommation qui privilégie le luxe, les marques. L’utilisation d’internet et de la
publicité renforçant cette demande en besoins. Dans ce film, les filles et le garçon
ont des attitudes certes différentes par rapport à l’appétence face à la délinquance,
mais la différence des sexes est brouillée. Les filles, tout en conservant des attraits
de la féminité, se conduisent comme des garçons délinquants en bandes et
inversement pour le garçon. Le film de Sophia Coppola reflète les tendances de nos
sociétés contemporaines du point de vue de cette recherche de l’indifférenciation
sexuelle et le refus d’une assignation.
Le film : Les apaches de Thiery de Perreti se passe en Corse. La situation se réfère
à un fait divers soulignant un Monde coupé en deux : le Monde des affaires et du
tourisme de luxe, plutôt bienveillant à l’égard des jeunes et un monde de la précarité,
du chômage, parfois raciste, dans laquelle 2 jeunes corses commettent un meurtre,
celui d’un copain, un enfant d’immigré, pour l’empêcher de parler. Ils ne seront pas
inquiétés par la police. Un lieu de non droit, machiste et raciste, où les signifiants :
Agir en homme, se faire respecter circulent. Voici ce que dit de la police, l’un des
jeunes : Les flics, si tu n’as besoin de rien, tu les appelles.
Le comportement des 4 garçons dans la villa est le même que celle des filles dans le
film précédent : Forte écoute de la musique, baignade dans la piscine, danse .Ce qui
diffère, c’est la jouissance et le rapt d’objets différents. Les filles volent des bijoux et
des vêtements .Ici les 2 garçons, volent des fusils de collection, signe de masculinité.
Le cinéma s’empare de plus en plus de la violence de bandes rivales dans les
banlieues comme le montre, entre autres, le film de Jacques Audiard : « Dheepan, »
couronné de la palme d’or à Cannes.
Le réalisateur Philippe Faucon dans : « La désintégration » insiste pour sa part sur
la discrimination de jeunes hommes en recherche d’emploi, habitant la banlieue et
dont le nom dit l’origine. Le héros finit par tomber dans l’intégrisme, fait le jeu du
djihadisme et devient une bombe humaine.
Les moyens d’informations culturelles dont nous disposons, nous met devant notre
responsabilité collective et facilite notre prise de conscience sur ce qui anime les
bandes de jeunes, reflétant un état de la jeunesse contemporaine.
Danièle Weiss : Octobre 2015
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