La scintigraphie osseuse.
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La scintigraphie osseuse La scintigraphie osseuse. Service de Médecine Nucléaire - Centre Léon Bérard – Lyon Francesco Giammarile Résumé La scintigraphie osseuse est une technique d’imagerie non invasive, plus fonctionnelle qu’anatomique et susceptible, du fait de sa précocité et de sa sensibilité, d’apporter des informations diagnostiques ou pronostiques essentielles dans les pathologies osseuses tumorales. Scintigraphie osseuse / Tumeurs ostéophiles INTRODUCTION ! La scintigraphie osseuse aux diphosphonates technétiés (99mTcMDP) est l’examen radioisotopique classique dans l’étude de la pathologie osseuse. Disponible depuis plus de 30 ans, elle joue un rôle important pour le diagnostic et le suivi des tumeurs ostéophiles à côté de la radiographie simple, de la tomodensitométrie (TDM) et de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) [1-5]. La scintigraphie osseuse permet une évaluation loco-régionale ainsi qu’une exploration corps entier. Elle apporte un aide au diagnostic différentiel bénin/malin et permet de préciser le degré de vascularisation de la lésion. Le radiopharmaceutique à tropisme osseux se fixe proportionnellement au débit sanguin et au métabolisme osseux locaux. Ainsi, toute agression perturbant le flux sanguin ou l’activité ostéoblastique se traduira le plus souvent par une hyperfixation plus ou moins étendue. Ce mécanisme permet de comprendre l’extrême sensibilité et la précocité de cet examen mais aussi son manque de spécificité [1-4]. L’hyperhémie et les anomalies locales de perméabilité en rapport avec la lésion entraînent une augmentation d’activité aux temps précoces (phases vasculaire et extracellulaire). L’absence d’anomalie de captation aux temps précoces indique un processus peu actif. Inversement, une augmentation du débit sanguin ou une Correspondance : Dr Francesco Giammarile Centre Léon Bérard - Service de Médecine Nucléaire - 28 rue Laennec - 69373 Lyon cedex 08 tel 00 33 4 78 78 26 82 - fax 00 33 4 78 78 29 06 - e-mail : [email protected] 144 Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2006 - vol.30 - n°3 F. Giammarile vasodilatation sans fixation du traceur au temps tardif indiquent un processus inflammatoire des tissus mous et éliminent une pathologie osseuse. PROTOCOLE SCINTIGRAPHIQUE (T Ta bleau II) !Le traceur est injecté par voie intraveineuse sans préparation particulière, sans risque allergique. Les vues peuvent être standards (collimateur à canaux parallèles) ou "agrandies" (collimateur pin-hole ou sténopéïque), planes ou tomographiques [6]. Pour le bilan local des informations plus précises quant à la perfusion, la vasodilatation et la localisation d’une lésion peuvent être obtenues dans le cadre d’une exploration en trois phases, la gamma caméra étant centrée sur la zone d’intérêt : - enregistrement dynamique pendant les 3 à 5 minutes qui suivent l’injection du traceur, pour apprécier la composante vasculaire locale et régionale. Pendant cette phase, des vues séquentielles sont enregistrées à intervalles réguliers (toutes les 20 secondes par exemple). Des courbes d’évolution de l’activité (localisée ou globale) peuvent être tracées. Cette phase est particulièrement importante puisqu’elle permet dans une certaine mesure d’apprécier l’évolutivité de la lésion beaucoup mieux que la phase tardive. - vues précoces statiques à trois ou cinq minutes donnant des indications sur l’état inflammatoire, pour les pathologies articulaires ou des parties molles. - vues tardives standards ou particulières, à 3 heures (lorsque le rapport signal/bruit est optimum), étudiant la composante métabolique osseuse. Il est recommandé de réaliser systématiquement quatre incidences pour le crâne. Le problème de la vessie peut être résolu par des incidences particulières (patient assis sur le collimateur) ou par la réalisation d’un cliché tardif à 24h (si réalisable). Une tomoscintigraphie pourra être proposée, voir un sondage (qui ne devra être effectué que par un personnel qualifié). Le masque de plomb voire le masque informatique ne devra en aucun cas être utilisé. La tomoscintigraphie peut présenter un intérêt s’il permet de différencier une image articulaire d’une image osseuse, ou pour augmenter la sensibilité de l’examen, surtout au niveau du rachis, mais elle n’est pas systématiquement indiquée. L’utilisation d’un étalon, permettant la quantification des images, n’est recommandé qu’avant radiothérapie métabolique. Ta bleau I - Tec hnique scintig echnique scintigrraphique Traceur : diphosphonates technétiés Activité : 700MBq chez l’adulte, à adapter en fonction du poids chez l’enfant. Scintigraphie trois phases Pic énergétique du technétium (140keV) avec fenêtre de 15-20% * phase dynamique (angioscintigraphie) : collimateur parallèle, basse énergie, moyenne résolution. images centrées de 64x64 ou 128x128 de 2 ou 3 secondes pendant 300 à 350 s. * phase précoce : collimateur parallèle, basse énergie, moyenne résolution. images centrées 256x256 de 200 à 400 s (incidence antérieure et postérieure, éventuellement profil) * phase tardive : collimateur parallèle, basse énergie, haute ou ultra-haute résolution. images centrées 256x256 de 200 à 400 s (incidence antérieure et postérieure, éventuellement profil) images corps entier (10 à 12 cm/min) Tomoscintigraphie (SPECT) éventuelle Pas de 6° sur 360° ; 40 s par pas Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2006 - vol.30 - n°3 Concernant les critères d’interprétation, la consultation avant l’injection est souhaitable, la consultation après l’examen et avec les clichés et le dossier clinique est indispensable. En raison de sa haute sensibilité, il est recommandé de réaliser tout examen scintigraphique avant la biopsie osseuse. A priori, l’intensité de la fixation aux temps tardifs est corrélée avec le degré d’évolutivité des lésions mais pour certaines lésions initialement très lytiques, on peut au contraire assister, alors que la chimiothérapie est efficace, à une augmentation de la fixation due à la reconstruction osseuse concomitante à la disparition du tissu tumoral. Comme les critères d’évolution reposent sur l’intensité et, surtout, le nombre des foyers hyperfixants, lors de l’évaluation de deux scintigraphies successives sous traitement, une attention particulière devra être portée au "f lare up phenomenon" (aggravation transitoire de la scintigraphie correspondant aux phénomènes de recalcification et non à une progression de la maladie) [7]. Le compte rendu devra être clair et précis. Il se divise d’une partie descriptive et interprétative, avec une description systématique des anomalies (les foyers devront être dénombrés jusqu’à 5-10 localisations) et une interprétation sémiologique des anomalies avec éventuelles comparaisons avec les examens précédents. La conclusion devra indiquer si l’examen n’évoque pas la présence de métastase osseuses évolutives ; évoque la présence de métastases (et dans ce cas, il devra être comparé aux éventuels précédents) ; est douteux et nécessite la réalisation éventuelle d’examen complémentaires. DISCUSSION !Rôle de la scintigraphie osseuse dans le bilan des métastases osseuses 145 La scintigraphie osseuse La scintigraphie osseuse est indiquée devant toute suspicion, clinique ou radiologique, de pathologie osseuse maligne. En oncologie, la scintigraphie osseuse représente, de par sa haute sensibilité (95% [1-4]), un outil précieux pour le bilan initial et dans la surveillance des cancers ostéophiles [8-10]. Malheureusement, la spécificité de cet examen n’étant pas très élevée, se pose souvent le problème du diagnostic différentiel entre les métastases et les pathologies bénignes qui entraînent un remaniement osseux et ce surtout lorsque les foyers d’hyperfixation ostéoblastiques sont uniques et/ou situés au niveau de régions anatomiques particulières (par exemple à proximité des articulations) [11-16]. Dans ces cas, il est impératif de compléter la scintigraphie osseuse par une autre exploration diagnostique (radiologie conventionnelle,TDM, IRM), centrée sur la région suspecte. La scintigraphie osseuse est toujours recommandée en présence de signes d’appel algiques, chez des patients présentant une pathologie cancéreuse. L’un des principaux problèmes de la scintigraphie osseuse est celui de pouvoir différencier les aspects de pathologie dégénérative bénigne et les aspects de pathologie oncologique (tous ces aspects se traduisant sur l’image statique par une hyperfixation du traceur osseux), surtout pour ce qui concerne les foyers d’hyperfixation uniques [11, 14, 16, 17]. Empiriquement, on peut affirmer que les traumatismes sont décelables à l’anamnèse du patient et que les remaniements arthrosiques, souvent symétriques, sont situés à proximité des grands groupes articulaires [18]. La réalisation d’une scintigraphie de référence chez le sujet âgé pourrait être discutée afin d’augmenter la spécificité d’un éventuel examen ultérieur (dans le cas par exemple du 146 difficile diagnostic différentiel avec une lésion pagétoïde). D’autre part, les métastases osseuses se développant généralement à partir de la moelle osseuse, une technique d’imagerie de la moelle comme l’IRM peut être plus sensible [5, 1922]. Mais il ne faut pas oublier que 20% des lésions se trouvant sur les membres ou le crâne [23, 24], l’exploration du corps entier est indispensable et ne peut, jusqu’à présent, être convenablement et systématiquement réalisée que par une scintigraphie osseuse [18]. Dans ces conditions, la sensibilité de la scintigraphie osseuse dans le dépistage des métastases osseuses est proche de 100 % avec une spécificité avoisinant 70 % [2]. L’aspect scintigraphique le plus habituel est celui d’hyperfixations disséminées sur le squelette axial. L’atteinte des membres est un facteur de mauvais pronostic. L’hyperfixation isolée, en particulier vertébrale, reste toujours d’interprétation délicate ; une tomoscintigraphie complétant les clichés corps entier, un examen des clichés radiologiques, un interrogatoire soigneux sur les antécédents rhumatologiques et traumatiques ainsi que la connaissance de l’état clinique du patient permettent souvent d’aboutir au diagnostic de façon non invasive [11-18]. Si toutefois cette approche s’avère infructueuse, une biopsie peut devenir nécessaire. Un aspect rare mérite d’être mentionné : le "super bone scan" ou "trop belle image» qui correspond à une hyperfixation intense diffuse du squelette axial avec disparition des parties molles, des images rénales et mauvaise visualisation du squelette périphérique reflétant un envahissement ostéo-médullaire diffus aux dépens des territoires de la moëlle hématopoïétique. Une variante sémiologique atténuée de cette forme clinique particulière, le «subsuper bone scan» a été rapportée par plusieurs auteurs [25, 26]. L’ostéomalacie pose un problème de diagnostic étiologique et différentiel : soit l’ostéopathie métabolique relève d’une cause indépendante chez ces Médecine Nucléaire - patients souvent âgés, soit elle est la conséquence, directe ou indirecte, des métastases osseuses. Enfin, un piège pronostique classique, le «flare up phenomenon» correspondant à une majoration des hyperfixations, s’observe entre 15 jours et 3 mois après traitement. Cet aspect traduit une réponse thérapeutique favorable au niveau osseux et n’est en aucun cas synonyme d’échappement thérapeutique. L’utilisation du fluoro-déoxyglucose marqué (18FDG) repositionne la démarche diagnostique et thérapeutique dans de nombreux domaines de la cancérologie [27, 28]. L’avidité des métastases ostéolytiques pour le 18 FDG est supérieure à celle des métastases ostéocondensantes, c’est pourquoi, la sensibilité de la scintigraphie au 18FDG apparaît plus élevée dans les cancers mammaires, coliques ou bronchiques, que dans le cancer de la prostate, surtout si le score de Gleason n’est pas élevé. Plusieurs facteurs ont été incriminés pour rendre compte de cette différence de sensibilité : cellularité tumorale plus faible en cas de métastase condensante, hypoxie cellulaire accusée en cas de métastase lytique, influence de l’hormonothérapie... [28]. L’examen peut être contributif dans la recherche d’une maladie occulte ou pour caractériser une anomalie douteuse en scintigraphie du squelette. Une autre molécule, le 18F-Na, découverte et employée il y a plus de 40 ans, puis réutilisée récemment en TEP, possède un tropisme osseux obéissant à un mécanisme similaire aux radiobisphosphonates et procure des images très fines avec une résolution supérieure à celle de la scintigraphie osseuse. Ce gain de résolution spatiale provient notamment des propriétés pharmacologiques du 18 F-Na (captation osseuse 2 fois plus élevée et clairance sanguine plus rapide que les bisphosphonates) et de la technique de détection TEP. Les propriétés des caméras TEP et du 18F-Na aboutissent à une sensibilité et une spécificité de la technique supérieures à la scintigraphie osseuse, même complétée par une tomoscintigraphie [27, 28]. Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2006 - vol.30 - n°3 F. Giammarile Bone scintigraphy Bone scintigraphy is a non invasive technique, more functional than anatomical and susceptible, because of its precocity and sensitivity, to bring essential diagnostic or prognostic information in bone tumours. Bone scintigraphy / Bone tumour RÉFÉRENCES 1. 2. 3. 4. Citrin DL, Bessent RG, Greig WR. A comparison of the sensitivity and accuracy of the 99m-Tc-phosphate bone scan and skeletal radiography in the diagnosis of bone metastases. Clin Radiol 1977;28:107-17 Fogelman I. Skeletal uptake of diphosphonate: a review. Eur J Nucl Med 1980;5:473-6. Holder LE. Clinical radionuclide bone imaging. Radiology 1990;176: 607-14 Brown ML, Collier DJ, Fogelman I. Bone scintigraphy: part I. 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