Cristobal Colon

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Cristobal Colon
Le 25 octobre 1936, le paquebot Cristobal Colon s’échoue au Nord des Bermudes.
Que faisait là le navire amiral de la Compañía trasatlántica española, en pleine
guerre civile espagnole ? Les derniers mois de cet élégant liner sont dignes d’un roman
d’aventures maritimes sur fond d’intrigues politiques.
Cristobal Colon
L’ODYSSÉE DU
par Hubert Chémereau
D
ans les années 1910, la Compañía trasatlántica española,
née en 1881, est en pleine
expansion. Pour sa ligne
phare, la Ruta de la plata
(Route de l’argent) qui relie
la côte cantabrique au Mexique et à Cuba,
elle commande deux paquebots, l’AlfonsoXIII au chantier basque de Sestao et le Cristobal Colon au chantier galicien d’El Ferrol.
L’historien maritime Rafael González Etchegaray présente ces bâtiments comme « des
navires esthétiquement magnifiques, techniquement parfaits et très solides ».
Mis sur cale en 1916, le Cristobal Colon
n’est livré qu’en 1923 en raison d’une
construction chaotique liée en grande partie aux difficultés d’approvisionnement
dues à la Première Guerre mondiale. Lors
de ses essais, « El Colon » atteint 19,5 nœuds
et son luxe n’a rien à envier à celui de ses
concurrents français de la Compagnie
générale transatlantique. Il peut embarquer
jusqu’à deux mille passagers.
Cependant, six ans après son lancement,
la crise de 1929 touche de plein fouet la
compagnie espagnole, qui doit supprimer
en 1930 sa ligne avec les Philippines et deux
ans plus tard celle avec l’Argentine. La
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pañía trasatlántica española compte quinze
navires. Elle a achevé sa modernisation
quelques années plus tôt avec une série de
trois liners : le Juan Sebastián Elcano, le Marqués de Comillas et le Magallanes.
Le Cristobal Colon est à Veracruz
quand éclate la guerre d’Espagne
Ci-dessus : affiche de la Compañía trasatlántica
española, armateur du paquebot.
Page précédente : deux soudeurs s’affairent sur la coque du Cristobal Colon à New York.
C’est de ce port que le liner va appareiller pour l’Espagne le 25 juillet 1936.
liaison entre la côte cantabrique et l’Amérique centrale résiste au marasme en dépit
de l’agitation politique, prémices de la
guerre civile. En 1936, la flotte de la Com33
Le 18 juillet 1936, date du soulèvement
militaire contre la République espagnole,
le Cristobal Colon, en provenance de Bilbao, vient d’arriver à Veracruz. Il quitte
comme prévu le port mexicain pour
La Havane, avant de faire escale à New
York, d’où il appareille le 25 juillet à destination de Vigo avec quatre cent quatrevingt-neuf passagers. Au même moment,
le Magallanes quitte La Corogne, malgré la
prise du port galicien par les rebelles – on
ne les appelle pas encore « franquistes » –,
avec mission d’aller charger des armes au
Mexique pour le compte du gouvernement légal. Alors que la guerre embrase le
pays, le gouvernement républicain donne
l’ordre au commandant du Cristobal Colon,
Eduardo Fano de Oyarbide, de se dérouter
sur Southampton en raison de la prise de
contrôle de Vigo par les putchistes.
Ci-dessus : le 16 mai 1929, le croiseur
Almirante Cervera entre à La Havane avec une
délégation espagnole venue assister à la prise de fonction de Gerardo Machado, qui vient
d’obtenir du parlement de Cuba la prolongation
de son mandat de président de la République.
Sept ans plus tard, ce croiseur, passé aux mains
des rebelles, pourchassera le Cristobal Colon
dont l’équipage est resté fidèle au gouvernement républicain.
Ci-contre : le 18 août 1936, le Cristobal Colon
en manœuvre d’accostage dans le port de Saint-Nazaire. Ci-dessous : lithographie de Joan Miró réalisée en vue de l’édition d’un timbre vendu au profit
des républicains espagnols.
Page suivante : février 1936, campagne
d’affichage en faveur du Frente popular conduit
par Manuel Azaña, futur président de la République espagnole.
Le 3 août, le paquebot mouille à l’entrée
de l’estuaire, dans l’attente de l’autorisation
d’accoster à Southampton. Mais les autorités
britanniques ne permettent pas le débarquement des passagers car la situation juridique
du navire est des plus confuses. Au nom de
« l’intérêt public », le gouvernement espagnol a pris le contrôle provisoire de la compagnie et ordonné, par télégramme, de faire
désigner par les officiers un commandant de
confiance loyal à la République. Les responsables du navire sont maintenus à leur
poste, mais des tensions politiques grandissent au sein de l’équipage. Finalement,
Madrid ordonne au commandant de faire
route sur Le Havre. Le liner arrive dans ce
port le 5 août et les passagers qui le souhaitent peuvent y débarquer.
ainsi que le commissaire et un inspecteur de
police. Dans la foulée, le sous-préfet, le
consul de Cuba et le vice-consul d’Espagne
gravissent à leur tour l’échelle de coupée.
Dans la soirée, le commandant et quelques
membres d’équipage sont conduits à terre
pour assurer le ravitaillement du navire. Par
la suite, le sous-préfet signalera dans son rapport que « l’équipage est divisé en deux
clans : l’un favorable aux rebelles, l’autre,
numériquement plus important, fidèle au
gouvernement de Front populaire ».
Chargement d’armes très discret
sous le contrôle du comité d’équipage
Selon le quotidien Ouest-Éclair, il semble
que le déroutement du Cristobal Colon sur
le port normand soit dû à la présence à
bord du dramaturge Cipriano Rivas-Cherif,
beau-frère du président de la République
espagnole, Manuel Azaña. Le gouvernement légal aurait craint que le navire ne
soit détourné par des rebelles désireux de
prendre en otage ce passager de marque. Ce
dernier ayant pris le train pour Barcelone,
plus rien ne s’oppose désormais au départ
du Cristobal Colon, qui a lieu dans la matinée du 12 août.
Que s’est-il passé ensuite ? Pourquoi le
paquebot s’est-il arrêté à Saint-Nazaire ? Les
versions diffèrent entre la presse locale, les
rapports du préfet de Loire-Inférieure ou la
presse espagnole.
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Selon les sources françaises, le 13 août à
1 heure du matin, alors que le navire est au
large de Brest, le commandant a reçu l’ordre
de son gouvernement de se rendre dans un
port de Méditerranée en raison du blocus de
Bilbao. À 4 h 30, d’après le préfet de LoireInférieure, alors que le paquebot croise au
Sud de Belle-Île, Madrid l’avertit que le croiseur Almirante Cervera, aux mains des rebelles,
s’est lancé à sa recherche. Pour échapper à ce
danger d’arraisonnement, et dans l’espoir de
pouvoir y charbonner, le commandant
décide de faire escale à Saint-Nazaire. Le Cristobal Colon arrive dans l’estuaire à 15 heures
et mouille dans l’attente d’instructions.
Comme le paquebot arbore le pavillon de
demande d’assistance sanitaire, la vedette du
pilotage dépêche à bord l’officier de santé
La version des archives espagnoles est
bien différente : Madrid aurait dérouté le
Cristobal Colon sur Saint-Nazaire pour y
charger des armes. L’opération devant se
faire dans la plus grande discrétion, on
comprend que la presse locale, ni la préfecture n’en aient fait mention. D’autant que
les autorités espagnoles ne voulaient sans
doute pas embarrasser le gouvernement
Blum, ni compromettre l’arrivée du Cristobal Colon dans un port espagnol.
Le 18 août, après les formalités d’usage, le
paquebot rentre au port. Il s’amarre provisoirement au quai du Commerce près de la
darse des transatlantiques, avant d’être posté
quai Demange. On compte alors à bord deux
cent soixante et un marins et trois cent quarante-quatre passagers, dont une majorité
d’Espagnols, mais aussi une vingtaine de
Mexicains, quelques Américains, Britanniques et Portugais. Après vérification des
passeports, chacun est autorisé à quitter le
navire pour prendre le train d’Espagne.
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Les marins restent à bord, mais les tensions
sont vives. Acquis au Frente popular, le
« comité d’équipage » récemment élu est composé de trois matelots de pont, trois chauffeurs et trois garçons de salle. Les officiers
sont plus partagés, une minorité d’entre eux
affichant une attitude attentiste et quelquesuns avouant un penchant pour les forces
putschistes. Dans cette ambiance explosive,
le commandant semble garder le respect de
l’équipage pour sa neutralité et sa loyauté à
l’égard du gouvernement républicain. En
tout cas, si l’on en croit le rapport du préfet,
« l’ordre et la propreté règnent à bord, et
aucun passager ne s’est plaint de quoi que ce
soit ». Le fonctionnaire ajoute que les officiers
paraissent être obéis normalement.
Toutefois, Le Travailleur de l’Ouest, organe
de la sfio (Section française de l’internationale socialiste), présente les officiers du
Cristobal Colon sous un tout autre jour :
« C’est en plein Atlantique que l’équipage
apprit ceci : le capitaine avait reçu un message radio l’informant que des croiseurs
rebelles l’attendaient au passage et… il
l’avait mis dans sa poche, d’accord avec son
état-major complice du mauvais coup ».
L’équipage se serait alors soulevé au cri de
« Vive la République ! ». Et Le Travailleur de
l’Ouest de poursuivre : « Un comité de bord
est nommé et les officiers parjures à leur
pavillon sont mis en demeure d’obliquer
immédiatement vers un port français ».
Cette tension politique est confirmée par
la presse nazairienne, qui évoque des dissensions entre une partie des passagers et l’équipage ouvertement hostile aux putschistes.
« Les passagers semblent las, constate le
reporter de Ouest-Éclair ; la plupart ont les
traits tirés. Bien peu ont pu dormir la nuit
dernière, au cours de laquelle chacun guettait anxieusement la silhouette du croiseur
naviguant tous feux éteints à la poursuite du
Cristobal Colon. » Un journaliste s’étonne de
découvrir, dans un tel climat, au milieu du
grand hall, une jeune femme chantant un
tango… Mais cette insouciance inhérente à
la vie sur un paquebot luxueux va s’évaporer
rapidement quand les passagers découvriront dans la presse que la guerre civile, qui
touche maintenant toute l’Espagne, prend
des formes de plus en plus cruelles.
dans le
Coup de feu
Vieux Saint-Nazaire
Les autorités sont embarrassées par la présence du paquebot espagnol et tout particulièrement par l’ambiance révolutionnaire
qui règne au sein de l’équipage. La réaction
de la population nazairienne est tout autre.
« J’avais douze ans alors, raconte Paul
Chéneau, et je me souviens bien du Cristobal Colon dans le port de Saint-Nazaire. Il a
fait une fausse manœuvre et a heurté par
l’arrière un autre navire. Il y avait aussi
dans le port des bateaux de pêche basques
du port de Pasajes, qui avaient fui l’avancée
des franquistes. Je vois encore les marins
avec le poing levé sur le Cristobal Colon. Il
y avait de l’effervescence car on était en
plein Front populaire et de nombreux
Nazairiens venaient soutenir les républicains espagnols. À la fin d’un défilé en ville,
les ouvriers nazairiens se sont retrouvés
devant le bassin. Ils chantaient L’Internationale et les marins du paquebot s’y sont mis
aussi. Il y avait une sacrée ambiance ! »
Le grand journal catalan La Vanguardia
rapporte aussi que tous les jours, des
dizaines d’embarcations venaient entourer
le Colon pour manifester à son équipage
« les plus spontanées démonstrations de
soutien ». La solidarité des gens de mer est
aussi au rendez-vous avec les pêcheurs
nazairiens, qui signalent aux marins espagnols les navires suspects rôdant au large.
Car les bâtiments de guerre aux mains des
franquistes n’hésitent pas à porter leurs
actions loin de leurs bases.
L’impression de malaise ressentie par la
presse locale est bientôt confirmée par une
violente altercation entre des membres
d’équipage et un journaliste espagnol, passager du paquebot. Valentin de Mollinedo,
qui travaille à New York pour l’Editors
Press, est soupçonné de sympathie putschiste en raison de sa grande proximité
avec le commandant. Pour cette raison, le
comité d’équipage l’a consigné à bord, lui
intimant de ne pas communiquer avec ses
confrères nazairiens. Mais le 24 août, il
tente de forcer le passage à la coupée. Dans
la bousculade il roule au pied de l’échelle,
entraînant dans sa chute un matelot qui
voulait le maîtriser. Tout en menaçant ses
poursuivants d’un revolver, il court le long
du quai pour tenter de les semer dans les
ruelles du Vieux Saint-Nazaire. Devant le
pont roulant, il tire en l’air pour les intimider. Les coups de feu alertent un agent en
faction, qui parvient à le ceinturer, croyant
avoir affaire à un dangereux malfaiteur.
Conduit au commissariat sous bonne
garde, l’homme apeuré se plaint d’être
retenu prisonnier à bord du paquebot. Il
La route du Cristobal Colon
Saint-Nazaire montent à bord pour
remettre à l’équipage un bouquet d’œillets
rouges avec une carte portant la mention :
« Aux camarades du Cristobal Colon, le parti
sfio de Saint-Nazaire ».
Le 29 août, le préfet envoie une note à la
Direction de la sécurité nationale signalant :
« Le Cristobal Colon a quitté Saint-Nazaire,
aujourd’hui à 2 heures du matin, faisant
route sur Santander ». Saluant ce départ, Le
Travailleur de l’Ouest n’hésite pas à titrer :
« Les marins républicains du Cristobal Colon
s’en vont vers la mort ». Le navire doit en
effet passer entre les mailles du filet que lui
tendent les putschistes. Alors que le liner
s’éloigne de la Bretagne, des pêcheurs signalent à l’équipage que plusieurs bâtiments
ennemis croisent au large de Belle-Île. De
Ci-contre : le Cristobal Colon à New York.
Ci-dessus : azulejo apposé sur un ancien marché de
Santander, faisant la réclame de la Compañía trasatlántica,
qui assure, au départ de ce port, un voyage mensuel à destination de La Havane et de Veracruz, et un autre à destination de Montevideo et de Buenos Aires.
Ci-dessous à gauche : poster de la Southern Railway
montrant l’Empress of Britain sortant de Southampton.
Ci-dessous à droite : le Cristobal Colon à Tampico,
l’une de ses escales mexicaines.
En bas : La route du paquebot entre juillet et octobre 1936.
Cerc
le po
laire
arctiq
ue
Vue de la darse des paquebots à Saint-Nazaire, dans les années trente.
veut récupérer ses bagages et rentrer à New
York par le premier bateau, ayant renoncé à
aller voir sa famille dans un pays en guerre.
Dans l’attente de son jugement pour port
d’arme prohibée et coups de feu sur la voie
publique, il est conduit à la prison de la
ville. Finalement, les juges le feront libérer
le jour du départ du Cristobal Colon, comme
si le danger s’éloignait avec le paquebot.
Après avoir fait le plein de charbon – et
d’armes –, le Cristobal Colon attend le
moment propice pour gagner un port espagnol fidèle à la République. Deux cents
passagers sont restés à bord pour gagner
l’Espagne. Le soir du départ, plusieurs
femmes représentant le Front populaire de
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son côté, le télégraphiste du paquebot capte
le message d’un navire rebelle prévenant le
croiseur Almirante Cervera : « Nous l’avons
localisé à 5 h 30 ». Face à cette menace, le
commandant ordonne de pousser les
machines au maximum. Le Cristobal Colon
atteint la vitesse de 20 nœuds, ce qui lui permet de distancer ses assaillants.
Alertées de l’arrivée imminente du
paquebot, les autorités de Santander
envoient un avion en reconnaissance.
Recherches qui vont s’avérer vaines en raison d’une très forte nébulosité. C’est finalement la puissante vedette Marinel ii qui
va découvrir dans la brume la silhouette du
navire aux approches du Cabo Ajo.
Cardiff
Southampton
Le Havre
Saint-Nazaire
New York
Santander Bilbao
Bermudes
Tropique du Ca
ncer
Veracruz
La Havane
OCÉAN ATLANTIQUE
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Le soir du 30 août, l’arrivée du Cristobal
Colon à Santander est saluée par les sirènes
des navires et les klaxons des automobiles.
L’accueil au quai Maliaño est extraordinaire, car la présence de ce paquebot prestigieux est vécue comme une victoire sur
les forces navales rebelles qui exercent un
dur blocus sur le port cantabre. L’esprit
transatlantique avec son insouciance est
de retour pour quelques heures sur le Cristobal Colon : le commandant donne une
réception en l’honneur des passagers et des
autorités locales. Un an plus tard, le
26 août 1937, Santander tombera aux
mains des franquistes.
Après le débarquement des derniers passagers, une nouvelle mission est confiée au
Cristobal Colon. Il s’agit cette fois d’aller au
Mexique charger des marchandises
diverses – certaines sources précisent qu’il
s’agirait encore d’armes. Le 25 septembre,
le paquebot quitte Santander escorté
par plusieurs unités de la marine
gouvernementale. Avant de
traverser l’Atlantique, le
liner doit charbonner
à Cardiff. Le port gallois est encore une
escale régulière
pour l’approvisionnement en
welsh coal. Pour
tromper les navires
franquistes, le
paquebot, rebaptisé
Bristol Canal, navigue
maintenant sous les couleurs de la Compagnie
générale transatlantique. Le
subterfuge fonctionne bien et le
liner arrive sans encombre à Cardiff. Le
port gallois vit alors un profond marasme
économique depuis la crise de 1929. Le
chômage touche de plein fouet les dockers, pour qui l’arrivée d’un paquebot est
une opportunité à saisir. À la même
époque, les affrontements entre les communistes et les activistes de l’Union britannique des fascistes, parti fondé par
Oswald Mosley, sont monnaie courante
sur les docks de Cardiff.
C’est dans ce contexte très troublé, que
le Cristobal Colon – alias Bristol Canal –
arrive au pays de Galles. Et pour ajouter à
la confusion, le commandant et la majorité des officiers du navire profitent de
cette escale pour déserter le bord. Madrid
dépêche un nouveau commandant, Crescencio Navarro Delgado, et s’assure de la
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fidélité des cent soixante-dix hommes
d’équipage. Le 16 octobre, le liner peut
enfin appareiller, sans chargement ni passagers, pour le Mexique.
Le fleuron de la Compañía
Bermudes
trasatlántica s’éventre aux
Mais le Cristobal Colon ne touchera jamais
le Mexique. Son odyssée s’achève tragiquement le 25 octobre. Ce jour-là, filant à
15 nœuds, sa coque se déchire sur un récif
corallien de l’archipel des Bermudes. Dans
l’obscurité, le paquebot a dévié de sa route
quand les hommes de la passerelle ont
aperçu un feu qu’ils ont pris pour celui de la
balise de North Rock alors que cette dernière
était hors service depuis une semaine. Le
commandant expliquera plus tard qu’il
Ci-dessus : le port de Cardiff, où le paquebot,
rebaptisé Bristol Canal, est allé charbonner
avant de traverser l’Atlantique.
Page précédente : les deux chaudières du Cristobal Colon naufragé aux Bermudes
le 25 octobre 1936.
s’était rapproché des Bermudes pour tester
ses instruments de navigation. Ce sinistre
est d’autant plus durement ressenti par
l’équipage que la Compañía trasatlántica n’a
jamais perdu de paquebot et a la réputation
d’être l’une des compagnies les plus sûres.
Les opérations de sauvetage effectuées
avec des remorqueurs de puissance insuffisante se révèlent inefficaces. Le croiseur
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HMS Dragon, de la Royal Navy, présent sur
les lieux, ne sera guère plus utile. Devant
la montée des eaux dans les machines,
l’équipage doit quitter le paquebot. Les
négociations avec une compagnie de sauvetage américaine – qui demande
50 000 dollars en cas de réussite – traînent
en longueur. Le 7 novembre, le commandant envoie à Madrid un télégramme en
forme de SOS. Il évoque les fortes probabilités de perte du navire si aucune décision
n’est prise rapidement. Mais en Espagne,
la guerre civile occupe tous les esprits.
Tel un bateau fantôme, le Cristobal Colon
semble abandonné à son triste sort. Et certains Bermudiens ne résisteront pas à la
tentation de piller le navire, qui est très
proche de la côte. Encore de nos jours, il
n’est pas rare de découvrir dans les
demeures des Bermudes du mobilier et de
l’argenterie aux armes de la Compañía
trasatlántica. L’équipage est lui aussi
délaissé par son pays. Pour se
dédommager de leur entretien, les autorités des
Bermudes n’hésitent
pas à mettre ces
hommes au travail,
en les associant à
la construction
d’une route et à
la restauration
d’un fort.
Le jour de Noël
1937, ces marins
embarquent enfin
pour l’Europe sur La
Reina del Pacifico, fleuron
de la Pacific Steam Navigation Company. Ils débarquent à
l’escale de La Pallice. Que sont devenus ces
hommes dévoués à la République espagnole ? Selon certaines sources, plusieurs
d’entre eux auraient été exécutés par les
franquistes à leur retour en Espagne.
Quant à l’épave du Cristobal Colon, en
1940 elle servira de cible à l’US Air Force.
Néanmoins ce qu’il reste du grand paquebot demeure encore de nos jours la plus
importante épave de l’archipel des Bermudes, un site particulièrement prisé des
amateurs de plongée sous-marine. n
Remerciements : ce travail de recherche a pu être
mené à bien des deux côtés de l’Atlantique grâce
à l’aide précieuse de l’historien maritime John
Maxtone-Graham à New York, de l’écrivain Gareth
Miles et du journaliste Gwyn Griffiths à Cardiff,
de l’universitaire Silvia Aymerich à Barcelone et
d’un réseau de passionnés à Santander.

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