Télécharger

Transcription

Télécharger
sous fa direction de
MARIE-CHRISTINE TOCZEK
DELPHINE MARTINOT
Le defi
educatif
Des situations pour reussir
ARMAND COLIN
CHAPITRE
X
L' explication quotidienne
des comportements scolaires :
attributions de reussite et d'echec
Pascal Pansu,
Benoit Dompnier,
Pascal Bressoux
Croire que ce que font les eleves re~ete toujours ce qu'lls sont
revient 0 negliger I'importonte in~uence des contextes.
est maintenant 10 heures 30. La sonnerie vient de retentir et les
I Ipremiers
signes d'agitation se font sentir dans la cour de l'ecole.
C'est l'heure d'entrer en dasse ! En gravissant lentement les dernie­
res marches de l'escalier qui mene a la dasse, Leo et son amie Lisa,
tous deux plutot bons eleves, s'interrogent : com bien auront-ils au
controle de biologie que doit leur rendre aujourd'hui leur
professeur? L'heure fatidique est arrivee ! Durant les quelques
minutes qui precedent la remise des copies, les craintes et pronostics
de derniere minute vont bon train: « J'ai peur de m'etre plante, les
premieres questions etaient pourtant faciles ... » Lorsque le profes­
seur prononce le nom de Lisa, celle-ci est figee sur sa chaise : 8,5/20.
Son expression en dit long, elle bafouille : « J'en etais sure, je suis
277
LE DEF[
EDUCATIF
nulle en bio, je n'y comprends rien ... la preuve en est, je suis merne
incapable de repondre aux questions les plus faciles ... » Arrive
maintenant le tour de Leo: 8/20. Lui aussi est pour le coup decu de
sa note. Qu'a-t-il bien pu se passer? II marmonne a qui veut l'enten­
dre que le professeur a ete particulierement severe avec lui sur ce
controle-la... et que s'il n'a pas obtenu la moyenne c'est a coup sur
la faute du prof! Pour le professeur, les notes sont la et traduisent
bien le niveau de comprehension et de travail fourni par les eleves :
chacun a eu ce qu'il meritait. Cette nouvelle deplaisante, Leo et Lisa
finiront bien, a un moment ou a un autre, par l'annoncer a leur
entourage proche. C'est ainsi que, de retour chez eux, Leo et Lisa
font part de leurs resultats en ronchonnant. Si, pour les parents de
Lisa, celle-ci n'etait pas au mieux de sa forme ces derniers temps,
pour les parents de Leo les choses sont differentes et il se pourrait
bien que Leo n'ait pas donne le meilleur de lui-merne.
Sur la base de ce petit episode assez courant dans la vie scolaire,
un certain nombre de questions emergent. Comment eleves (ici
acteurs de la scene) et professeurs (ici observateurs) vont-ils interpre­
ter les evenernents auxquels eux-rnemes ou autrui sont confrontes ?
Comment, par exemple, un eleve va-t-il expliquer une reussite ou un
echec ? Comment l'enseignant percevra-t-il de tels evenements ?
Quelles incidences cela peut-il avoir pour l'eleve ? Autant de ques­
tions qui appellent des reponses, Ce chapitre a pour but d'y repon­
dre, au moins en partie, en retracant, dans les grandes lignes,
quelques grandes theories et recherches dans le domaine de l'analyse
quotidienne des causes des conduites. Notre objectif n'ctant pas ici
de faire preuve d'exhaustivite, nous nous contenterons declairer le
lecteur non specialiste sur quelques aspects de cette psychologie du
sens commun qui permet a tout un chacun (adulte et enfant) d'inter­
preter ce qui lui arrive ou ce qui arrive aux autres, d'expliquer ses
comportements, ses etats psychologiques (pensees, sentiments, emo­
tions, etc.) ou ceux des autres. C'est ce qu'il est convenu d'appeler
en psychologie sociale l'etude de l'explication quotidienne ou plus
precisernent de l'attribution de causalite. Dans ce chapitre, sans pour
autant entrer dans le detail des multiples reflexions theoriques pro­
duites ou suggerees a partir de cette notion, nous montrerons com­
ment les evenernents qui arrivent en classe sont susceptibles d'etre
interpretes par les uns et les autres et comment ils peuvent generer
Regards psycho-sociaux apro
chez les eleves et les ense
influencer leurs perceptic
de quelques acquis de
mecanismes a I'reuvre d,
comment ils intervienne
aussi que l'activite de rei
desinteressee et sans cor
I DES
EVENEMENTS
I
Les raisons evoquees par
tant de trouver une exp
Chacune de ces explicati
ler une attribution. Lisa
sa personne (Ie manque
cause externe a sa persc
fier le fait que Leo et Li
ou interpretent eux-rni
attribution. En revanclu
s'agit d'expliquer le con
arrive a l'autre (dans no!
ernises par les parents et
Cette distinction est impc
(1972), l'acteur est loin
En effet, acteurs et ol
memes informations: le
le second sur la genese
etc. Par ailleurs, ils n'acc
aux informations: ce q
dans lequell'evenemen1
le comportement de l'a
l'information de manie
difference observee en
fait que devant un ev
seraient engages diffe:
comportement a un act
Regards psycho-sociaux apropos de trois ensembles comportementaux d'enfants
chez les eleves et les enseignants des attentes qui, en retour, peuvent
influencer leurs perceptions et leurs conduites. Nous verrons, a partir
de quelques acquis de la psychologie sociale, quels sont les
rnecanismes a I'eeuvre dans l'explication et Ie jugement quotidiens,
comment ils interviennent dans l'univers scolaire et nous verrons
aussi que l'activite de recherche de causalite est, in fine, loin d'etre
desinteressee et sans consequences pour l'individu.
DES EVENEMENTS
A LEUR EXPLICATION
Les raisons evoquees par Leo et Lisa montrent combien il est impor­
tant de trouver une explication aux evenements qui nous arrivent.
Chacune de ces explications represente ce qu'il est convenu d'appe­
ler une attribution. Lisa attribue son echec a une cause inherente a
sa personne (Ie manque de capacite), alors que Leo l'attribue a une
cause ext erne a sa personne (la severite du professeur). Pour signi­
fier Ie fait que Leo et Lisa expliquent leur propre comportement et/
ou interpretent eux-mernes ce qui leur arrive, on parle d'auto­
attribution. En revanche, on parle d'hetero-attribution des lors qu'il
s'agit d'expliquer Ie comportement d'autrui ou d'interpreter ce qui
arrive a l'autre (dans notre exemple cela correspond aux attributions
emises par les parents et/ou Ie professeur a l'endroit de Leo ou Lisa).
Cette distinction est importante car, comme l'avancent Jones et Nisbett
(1972), l'acteur est loin d'etre la copie conforme de l'observateur.
En effet, acteurs et observateurs ne disposent pas vraiment des
memes informations: Ie premier a acces a plus de connaissances que
Ie second sur la genese de son comportement, l'episode en question,
etc. Par ailleurs, ils n'accorderaient pas, non plus, la meme importance
aux informations: ce qui est saillant pour l'acteur c'est Ie contexte
dans Iequel l'evenernent est apparu alors que pour l'observateur c'est
Ie comportement de l'acteur. En fait, tous deux traiteraient, in fine,
l'information de maniere bien differente. Pour d'autres auteurs, la
difference observee entre acteurs et observateurs proviendrait du
fait que devant un evenement a expliquer, les uns et les autres
seraient engages differernment. Ainsi, demander d'expliquer son
comportement a un acteur n'a pas Ie meme sens que demander a un
LE DEFI
Regards psycho-sociaux apro]
EDUCATIF
observateur d'expliquer le comportement d'un acteur : l'acteur cher­
chera, avant tout, ajustifier ou rationaliser son action par rapport a des
normes admises alors que l'observateur s'attachera surtout a recher­
cher les causes susceptibles d'expliquer ce me me comportement.
Mais, au-dela de ces divergences theoriques, rete nons tres globa­
lement que auto-attributions et hetero-attributions occupent, toutes
deux, une place privilegiee dans nos activites perceptives, nous per­
mettant ainsi d'expliquer les evenements auxquels autrui ou nous­
memes sommes confrontes. Les explications enoncees par les parents
et le maitre (il pourrait tout aussi bien s'agir de pairs), bien que for­
tement caricaturales, laissent entrevoir, au moins intuitivement, a
quel point les attributions evoquees par autrui peuvent jouer un role
important dans les relations avec les autres, a fortiori lorsque cet
autrui est signifiant pour le sujet (ce qui, pour l'enfant, est bien sou­
vent le cas des parents, de l'enseignant, etc.). Retenons a ce propos
que c'est surtout lorsque l'evenement est inattendu et non systema­
tique que l'activite attributionnelle joue un role essentiel dans l'acti­
vite perceptive de l'individu. Bien evidernment, comme nous le
verrons dans la section qui suit, tout cela a un sens : permettre a
l'individu d'organiser la perception qu'il a de son entourage social,
lui attribuer des significations.
L'attribution : causalites internes ou externes
I
Lorsqu'on aborde le theme de l'attribution, un ouvrage fait souvent
reference, c'est celui de Fritz Heider (1958), The Psychology ofInter­
personal Relations. L'auteur y traite du theme de l'attribution et
developpe comment l'individu cherche a donner du sens aux evene­
ments et aux comportements qui lui arrivent ou qui arrivent aux
autres. Selon lui, l'individu eprouverait un besoin fondamental de
developper une vue coherente de son environnement, en particulier
donner du sens au monde qui l'entoure, aux evenernents qui se pro­
duisent et aux comportements ou interactions qu'il observe. Les
attributions lui permettraient de remplir au mieux cette fonction :
simplifier le monde qui l'entoure pour mieux le comprendre, le pre­
dire et le controler en reperant les caracteristiques stables des com­
portements et des evenernents qui permettent d'en rendre compte.
La recherche de rationalite et de coherence serait ainsi a la base des
280
motivations humaines. Cal
cherait a percevoir et a ex
les comportements et eve
rage social. Pour cela, il t
situation donnee en fonc1
les objets sociaux et sur le
pie, si le professeur de 1
deux ont obtenu un resul
biologie, illui faudra anal
quer ce resultat plutot i
une conclusion du type «
question de manque de (
surmonter les difficultes
vouloir echouer deliberei
Tous deux etaient prese
reussir cet exercice. Sam
leur controle ! » Les pal
quasi similaire mais in f
etat passager de fatigue.
Pour notre propos, on
de l'action de Heider ou
quels nous sommes conf
nelles (c'est-a-dire attril
capacite) et de forces
attribution de causalite
d'autrui et chance). On
en biologie, Lisa effectu
suis nulle en bio ») et
(<< c'est la faute du prol
d'attribution est accepts
en arriere-plan, l'idee q
vidu peut avoir des repe
portements futurs. Qui
meme de faire des effo
ensuite. Mais avant d'alx
ravant, afin d'eviter que!
champ de recherche d:
interne/externe.
I'
Regards psycho-sociaux d propos de trois ensembles comportementaux d'enfants
j
I
I
motivations humaines. Comme Ie scientifique, l'homme ordinaire cher­
cherait a percevoir et a expliquer de maniere aussi juste que possible
les comportements et evenements qui se produisent dans son entou­
rage social. Pour cela, il traite les informations disponibles dans une
situation donnee en fonction des connaissances et savoirs qu'il a sur
les objets sociaux et sur les rapports qui existent entre eux. Par exem­
ple, si le professeur de Leo et Lisa cherche a savoir pourquoi tous
deux ont obtenu un resultat plut6t mediocre au dernier controle de
biologie, illui faudra analyser differentes causes susceptibles d'expli­
quer ce resultat plutot inhabituel. Probablement en arrivera-t-il a
une conclusion du type « Chez ces deux-la, ce n'est surement pas une
question de manque de capacite et tous deux etaient en mesure de
surmonter les difficultes du controle. I1s ne pouvaient pas, non plus,
vouloir echouer deliberement, done ils avaient l'intention de reussir.
Tous deux etaient presents aux derniers cours. Ils pouvaient done
reussir cet exercice. Sans doute, ri'ont-ils pas suffisamment prepare
leur controle ! » Les parents de Lisa pourraient faire une analyse
quasi similaire mais in fine expliquer ce resultat inhabituel par un
etat passager de fatigue.
Pour notre propos, on retiendra du modele de l'explication naive
de l'action de Heider ou les evenements ou les comportements aux­
quels nous sommes confrontes resultent de forces effectives person­
nelles (c'est-a-dire attribution de causalite interne: motivation et
capacite) et de forces effectives environnementales (c'est-a-dire
attribution de causalite externe : difficulte de la tache ou pouvoir
d'autrui et chance). On dira ainsi que pour expliquer l'evenernent
en biologie, Lisa effectue une attribution de causalite interne (<< je
suis nulle en bio ») et Leo, une attribution de causalite ext erne
(<< c'est la faute du prof »), Cette distinction entre ces deux types
d'attribution est acceptee par la plupart des auteurs avec, souvent
en arriere-plan, l'idee que le type d'attribution realise par un indi­
vidu peut avoir des repercussions sur ses attentes, reactions et com­
portements futurs. Qui de Leo et Lisa sera, par la suite, le plus a
meme de faire des efforts en biologie ? C'est ce que nous verrons
ensuite. Mais avant d'aborder cette question, encore nous faut-il aupa­
ravant, afin d'eviter quelques confusions theoriques, evoquer un autre
champ de recherche dans lequel on retrouve aussi la distinction
interne/externe.
281
•
LE DEFI
Regards psycho-sociaux aprot
EDUCATIF
La distinction interne/externe
dans Ies travaux sur Ie locus of control (LOC)
Comme nous venons de l'annoncer ci-dessus, nous retrouvons cette
distinction internelexterne dans un autre champ de recherche qui
s'est developpe parallelernent aux travaux sur l'attribution : celui du
locus of control. Un auteur a marque ce courant, il s'agit de Rotter
(1966). Pour celui-ci, si le renforcement est un facteur essentiel a
l'apprentissage social, encore faut-il que la personne etablisse une
relation de causalite entre son comportement et le renforcement qui
suivra. Dans ce cas, on dira alors de la personne qu'elle a un locus
de controle interne. A l'inverse, si la personne n'etablit aucune rela­
tion de cause a effet entre son comportement et le renforcement
qu'elle obtient (c'est-a-dire le renforcement est sous le controle de
forces exterieures) on dira qu'elle a un locus de controle externe.
L'objectif poursuivi par Rotter etait de predire le comportement que
les gens seraient susceptibles d'adopter dans une situation donnee,
En fait, il s'agissait de determiner, parmi tous les comportements
potentiels d'une personne, celui qui a le plus de chances d'apparai­
tre. Pour les chercheurs qui, a la suite de Rotter, ont etudie le LaC,
la distinction internelexterne est alors envisagee comme pouvant
donner lieu a des differences individuelles dans la perception de la
relation de causalite que font les gens entre l'obtention d'un renfor­
cement et leur comportement. Ainsi, au me me titre que l'intelli­
gence, de telles perceptions quant a l'origine des renforcements
pourraient faire l'objet d'une mesure et devenir « un facteur de dif­
ferenciation des individus quant a leur personnalite » (Caverni et
Drozda-Senkowska, 1981, p. 226). C'est la une difference fondamen­
tale avec les chercheurs qui, a la meme epoque, etudiaient les attri­
butions de causalite (leur souci, rappelons-le, etait de comprendre
comment l'individu s'y prenait pour expliquer son comportement ou
celui d'autrui et pourquoi). Quoi qu'il en soit, une longue tradition
de recherche en matiere de Locus of Control a vu le jour, montrant
alors que certains individus, les internes en matiere de LaC, ont plus
de chances de reussir dans la vie professionnelle et sociale que
d'autres, les externes. Les uns, les internes, se caracterisent par la
croyance selon laquelle leur propre comportement ou leur propre
personnalite (traits, aptitudes ...) determine les renforcements qu'ils
282
obtiendront alors que les
forcements qu'ils obtiend
comme la chance, le destir
tances. Des nombreuses ~
ressort tres globalement (
- dans les cultures O(
interne seraient le privili
reussissent : c'est-a-dire
respectables» (Beauvois
controle externe seraient
peu valorisees comme pel
tes ou a des profils psych
On le percoit d'emblee, u
une classification qui 0Pl
(les Blancs, les cadres ... '
N oirs, les ouvriers ... ) ;
-les internes reussissen
que les externes; souv
motives, plus performar
majorite des recherches E
internalite et reussite SOl
des comportements pal
comme une forte motive:
fort besoin de reussite (
question pourtant deme
internes qu'elles ont d
performance et la reuss
place particulierement v
par la suite plus interne
plus que d'autres leur pl,
Mais, au-dela des dift
ques dans cette orientati
compte d'une evolutior
determiner les facteurs
res sort de ces etudes qu
l'evolution de l'internal
ment, d'autres facteurs I
a reconsiderer l'allure (
Regards psycho-sociaux apropos de trois ensembles comportementaux d'enfants
obtiendront alors que les autres, les externes, pensent que les ren­
forcements qu'ils obtiendront seront dus a des facteurs exterieurs
comme la chance, Ie destin, Ie pouvoir d'autrui ou encore les circons­
tances. Des nombreuses etudes effectuees dans cette perspective, il
ressort tres globalement que:
- dans les cultures occidentales, les croyances en un controle
interne seraient Ie privilege des classes favorisees et des gens qui
reussissent : c'est-a-dire «des gens bien, des gens socialement
respectables» (Beauvois, 1995). A contrario, les croyances en un
controle externe seraient surtout associees a des positions sociales
peu valorisees comme peut l'etre l'appartenance a certaines minori­
tes ou a des profils psychologiques peu gratifiants voire penalisants.
On Ie percoit d'ernblee, une telle taxinomie coincide assez bien avec
une classification qui oppose les membres des groupes dominants
(les Blancs, les cadres ... ) aux membres des groupes domines (les
Noirs, les ouvriers ... ) ;
-les internes reussissent mieux scolairement et professionnellement
que les externes; souvent meme ils apparaissent comme plus
motives, plus performants et plus satisfaits (Dubois, 1987). La
majorite des recherches explique en fait la correlation positive entre
internalite et reussite sociale, observee a de multiples reprises, par
des comportements particuliers qui sont attribues aux internes
comme une forte motivation, une bonne capacite d'adaptation, un
fort besoin de reussite ou de recherche de performance, etc. Une
question pourtant demeure: est-ce parce que ces personnes sont
internes qu'elles ont des comportements plus orientes vers la
performance et la reussite ou est-ce parce qu'elles occupent une
place particulierernent valorisee dans la societe qu'elles deviennent
par la suite plus internes ou qu'elles rationalisent tout simplement
plus que d'autres leur place sociale ?
Mais, au-dela des differences individuelles, les chercheurs irnpli­
ques dans cette orientation theorique ont egalement tente de rendre
compte d'une evolution progressive de l'internalite et essaye de
determiner les facteurs susceptibles d'infIuencer son acquisition. II
ressort de ces etudes que, bien que non lineaire et non progressive,
l'evolution de l'internalite tend a croitre avec l'age. Bien evidern­
ment, d'autres facteurs peuvent interagir avec l'age et nous conduire
a reconsiderer l'allure de cette evolution, comme par exemple les
LE DEFI
Regards psycho-sociaux apro,
EDUCATIF
types d'echelles utilisees pour evaluer le LOC, la nature des renfor­
cements evoques, les caracteristiques socio-demographiques comme
le sexe et le niveau socio-economique des sujets ou encore les styles
socio-educatifs, A ce propos, notons qu'il a ete montre, a maintes
reprises, que les pratiques les plus « liberales » sont celles qui ten­
dent a favoriser le plus l'emergence de croyances en un controle
interne des renforcements, done a produire des individus internes
alors que les pratiques autoritaires et punitives ou surprotectrices
sont celles qui tendent a favoriser le plus I'ernergence de croyances
en un controle externe des renforcements (cf Dubois, 1987, p. 154).
Ces pratiques, en obligeant l'enfant a se soumettre aux injonctions
des adultes, produiraient des individus externes (cf Bressoux et
Pansu, 2001).
Nous reviendrons sur les resultats de ces travaux dans la section
consacree a la norme d'internalite pour elargir la reflexion sur le lien
entre internalite et reussite. Nous verrons qu'on peut expliquer
autrement la reussite des internes sans pour autant avoir recours a
des hypotheses differentialistes en termes de personnalites internes
ou externes impliquant des capacites qui sont propres aux uns et aux
autres.
Attribution de reussite et d' echcc :
queUes consequences pour l' eli:~ve ?
Nous allons voir dans cette section qu'ernettre des attributions n'est
pas sans consequence pour la personne qui realise cette activite, en
particulier sur sa motivation a venir. A suivre Weiner (1985), les
attributions enoncees pour expliquer une reussite ou un echec dans
une situation de realisation scolaire caracteriseraient les attentes et
emotions de l'individu qui, a leur tour, deterrnineraient sa motiva­
tion a venir. Ainsi, lorsqu'un evenement se produit, les processus
attributionnels permettraient d'aboutir en premier lieu a une expli­
cation, puis, une fois celle-ci produite, 1'individu chercherait a en
extraire les proprietes sur la base d'une structure causale a trois
dimensions: le lieu de causalite (interne versus externe), la centro­
labilite (contr6lable versus incontrolable) et la stabilite (stable versus
284
instable). La premiere de
a l'idee selon laquelle les
(c'est-a-dire causes intern
nes a la personne (tache,
controlabilite, correspon:
de l' evenernent : les caus
acteurs, done controlabl
d'autrui), soit non modifi
(e.g. capacites ou chance:
gne la force du lien entr
comme etant a l'origine
modo a la nature tempo
versus parfois). Ainsi, un
que le lien entre la C2
lorsqu'elle produit systen
nature de la tache.), soit c
et l'evenement est faible,
sionnellement l'eveneme
verra par la suite (cf figu
des sequences attributio
trois dimensions: en att
de son professeur ce jot
controlable par autrui e
meme evenement a son
interne, incontrolable et
obtenues en croisant ce
tableau 10.1.
Tableau 10.1. Causes I
de causalite, d
Stab
Incontrolable
Trait, car
Controlable
Effort ha
o,~~
Regards psycho-sociaux apropos de trois ensembles comportementaux d'enfants
instable). La premiere de ces dimensions, le lieu de causalite, renvoie
a l'idee selon laquelle les causes sont soit attribuables a la personne
(c'est-a-dire causes internes, tels la capacite, l'effort, etc.) soit exter­
nes a la personne (tache, chance, etc.). La deuxierne dimension, la
controlabilite, correspond au degre de controle exerce sur la cause
de l'evenernent : les causes sont soit modifiables par la volonte des
acteurs, done controlables par ces derniers (e.g. effort ou action
d'autrui), soit non modifiables par les acteurs, done non controlables
(e.g. capacites ou chance). La troisierne dimension, la stabilite, desi­
gne la force du lien entre l'evenernent explique et la cause percue
comme etant a l'origine de cet evenernent ; elle correspond grosso
modo a la nature temporelle de la cause de l'evenement (toujours
versus parfois). Ainsi, une cause est percue soit comrne stable lors­
que le lien entre la cause et l'evenement est fort, c'est-a-dire
lorsqu'elle produit systematiquernent l'evenernent (e.g. capacites ou
nature de la tache.), soit comme instable lorsque le lien entre la cause
et l'evenernent est faible, c'est-a-dire lorsqu'elle ne produit qu'occa­
sionnellement l'evenement, (e.g. effort occasionnel ou chance). On
verra par la suite (cf figures 10.2 et 10.3) que Leo et Lisa produisent
des sequences attributionnelles fort differentes en fonction de ces
trois dimensions: en attribuant son echec en biologie a la severite
de son professeur ce jour-la, Leo effectue une attribution externe,
controlable par autrui et instable alors que Lisa, en attribuant Ie
meme evenernent a son manque de capacite, ernet une attribution
interne, incontrolable et stable. Les differentes explications causales
obtenues en croisant ces trois dimensions sont presentees dans Ie
tableau 10.1.
Tableau 10.1. Causes du succes et de l'echec en fonction du lieu
de causallte, de la stabilite, et de la controlabilite
Interne
Stable
lneontrelable
I
Trait, capacite
Externe
Instable
Humeur
I
Controlable
Effort habitue I
IEffort occasionnel
Stable
Difficulte
de la tache
Biais
de l'evaluateur
Instable
Chance
Action d'autrui
occasionnelle
- - ­
Regards psycho-sociaux apro]
LE DEFI EDUCATIF
Depuis une trentaine d'annees, tout un ensemble de recherches
temoigne de l'interet a considerer ces differentes attributions de cau­
salite. Par exemple, les resultats d'une etude conduite par Luginbuhl,
Crowe et Kahan (1975) montrent que, si la reussite est souvent attri­
buee a des facteurs internes, elle est surtout attribuee a l'effort plutot
qu'aux capacites ; alors que l'echec est presque entierement attribue
au manque de capacite. Pour ces auteurs, en attribuant l'origine du
succes a leurs efforts, les sujets desirent avant tout s'attribuer la res­
ponsabilite de l'evenement, c'est-a-dire attribuer le succes a un fac­
teur sur lequel ils exercent un controle. En revanche, en attribuant
l'origine de l'echec au manque de capacites, ils desirent affranchir
leur responsabilite personnelle puisqu'ils ont le sentiment d'avoir
fait de leur mieux, mais de ri'etre pas vraiment doues pour l'activite
en question. Weiner et Kukla ont montre, dans une autre etude, que
les enseignants recompensaient plus le succes d'un eleve hypotheti­
que lorsque ledit succes est attribue aux efforts produits par l'eleve
que lorsqu'il est attribue a son habilete. Covington, Spratt et Omelich
(1980) ont observe que des etudiants, a qui il etait demande d'admi­
nistrer une sanction a des pairs a partir de la connaissance qu'ils
avaient de leurs efforts supposes, punissaient plus les etudiants qui
ne faisaient pas d'efforts, a fortiori lorsque ce comportement etait
recurrent, done stable. L'etude realisee par Rest, Nierenberg, Weiner
et Heckhausen a revele que les enseignants percevaient la distribu­
tion de recompenses et de punitions comme devant etre limitee aux
actions qui sont sous le controle des etudiants.
Mais revenons a la theorie de Weiner qui postule qu'en situation
de realisation les attributions de causalite peuvent conduire a des
emotions bien particulieres (cf tableau 10.2) qui in fine agissent sur
la motivation. Le type d'attribution effectue suite a un succes ou a
un echec determinerait des emotions specifiques chez l'eleve qui, a
leur tour, influenceraient son niveau de motivation, done un com­
portement a venir plus ou moins motive (cf figure 10.2).
A suivre les elements du tableau 10.2, il est fort probable que la
ou Lisa percoit un sentiment d'incompetence (attribution au manque
de capacites), Leo ressent tout simplement de la colere (attribution
a autrui). Ces deux types d'attribution conduiront, a n'en pas douter,
a des consequences psychologiques bien differentes, en particulier
286
en ce qui concerne l'estir
soi de chacun. En effet, l'
d'etre affecte negativeme
que de confiance en soi, t
buant la cause de son re:
donne une explication di!
table (( je n'y suis pour n
buant son echec a un
incontrolable) les reperc
etre lourdes de conseque
. espoirs de reussite et de ~
tons pas trop pour Lisa, el
un schema de soi scolaire
de s'auto-decrire avec d
(cf chapitre III). Les fi!
maniere quelque peu cari
Leo et Lisa de l'evenerne
comportementales pour ]
Tableau 10.2. Emotions r
causales et de la valence
Explication
S
Habilete
(
F
Effort occasionnel
Effort habituel
Personnaiite
Autrui
Chance
--r
I
i
Regards psycho-sociaux apropos de trois ensembles comportementaux d'enfants
en ce qui concerne l'estime de soi et le sentiment de confiance en
soi de chacun. En effet, l'estime de soi de Lisa sera plus susceptible
d'etre affecte negativernent (fort sentiment d'incompetence, man­
que de confiance en soi, etc.) que celle de Leo. Ce dernier, en attri­
buant la cause de son resultat mediocre au pouvoir du professeur,
donne une explication digne de lui garantir une estime de soi accep­
table (<< je n'y suis pour rien, c'est de la faute du prof... »). En attri­
buant son echec a un manque de capacite (interne, stable et
incontrolable) les repercussions psychologiques pour Lisa peuvent
etre lourdes de consequences, en particulier pour ce qui est de ses
espoirs de reussite et de sa motivation a venir. Mais ne nous inquie­
tons pas trop pour Lisa, elle est plutot bonne eleve et a probablement
un schema de soi scolaire de reus site qui, globalement, lui permettra
de s'auto-decrire avec des criteres de reussite plutot que d'echec
(ef chapitre III). Les figures 10.1 et 10.2 schernatisent, certes de
maniere quelque peu caricaturale, les sequences attributionnelles de
Leo et Lisa de l'evenement (echec en biologie) a leurs consequences
comportementales pour l'un et l'autre.
Tableau 10.2. Emotions ressenties en fonction du type d'explications
causales et de la valence des evenemenrs (d'apres Weiner et aI., 1979)
Explication
Succes
Echec
Habilete
Competence
Fierte ou confiance
Incompetence
Resignation
T ristesse
Peur
Effort occasionnel
Soulagement
Satisfaction
Peur
Effort habituel
Contentement,
Soulagement
Culpabilite
Personnalite
Fierte
-­
Autrui
Gratitude
Reconnaissance
Excitation
Colere
Chance
Surprise
Culpabilite
Soulagement
Surprise
T ristesse
Stupidite
Regards psycho-sociaux d pro]
LE OEFr EOUCATIF
qui, dans les faits, pourraii
travailler plus la prochain
Figure 10.1. Sequence attributionnelle de Leo
(explication relative au pouvoir d'autrui)
Figure 10.2. 5i
(explication e
Dimensions causales
Orientation
Explication
Leo peut :
dire
du mal
de
I' enseignant .
- continuer
d'apprendre
ses
cours
-c
Colere
>------J! f'~~;~ignant
« L'enseignan
m'a note
I----------+lseverement
ceue fois-la. )
I
Instable
f--+
Espoir de
reussue
future
en vue
d'un
examen
futur
«(
I---------JI
-etc.
Note de lecture. La sequence attributionnelle deb ute generalement par l'appari­
tion d'un evenement exceptionnel et important pour la personne (prenons Ie cas
de Leo: echec en biologic), Cet evenement va lui-meme produire une reaction
emotionnelle globale (affect global negatif) susceptible d'agir sur Ie comporte­
ment de la personne. Dans Ie meme temps l'individu entreprend une recherche
de causalite qui aboutit le plus souvent a l'emission d'une attribution specifique
(mise en cause du jugement de l'enseignant pour l'examen). Une fois emise cette
attribution est decomposee sur la base de ses proprietes causales qui vont avoir des
consequences sur le plan affectif (une emotion de colere al'egard de l'enseignant)
et sur le plan cogniti] (foibles attentes concernant la reapparition de l'evenement].
Ces consequences cognitives et affectives seront aleur tour susceptibles d'orienter
le comportement futur de la personne (consequences comportementales).
Pour mieux comprendre, imaginons un instant que la recherche
attributionnelle de Lisa l'amene a attribuer son echec, non pas a un
manque de capacites en biologie, mais a un manque d'effort, not am­
ment dans la preparation du controle (explication interne, instable
et controlable). Les repercussions psychologiques seraient, a coup
sur, bien differentes pour Lisa. Certes, la cause etant interne, Lisa
pourrait toujours s'inquieter de sa performance, voire s'interroger
sur ses competences... Et si de telles attributions peuvent conduire
Lisa a des emotions plutot negatives, le fait d'attribuer l'echec au
manque d'effort occasionnel (explication instable et controlable)
peut, en parallele, l'amener a penser que cette situation est loin
d'etre stabilisee et que l'echec dans un futur pourrait etre evite. Ce
288
Je ne sui
g~t~Oc~~fe
mauere »,
Figure 10.3. S
(explication
Evenemem
( Je n'ai pa
\--------fI ~~~~~~e~e"
fois la.»
De toute evidence, pl
dans les sequences comp
qui ont eu lieu suite aUI
telle approche nous pen
Regards psycho-sociaux ii propos de trois ensembles comportementaux d'enfants
qui, dans les faits, pourrait se traduire par un comportement motive
travailler plus la prochaine fois (cf figure 10.3).
Figure 10.2. Sequence attributionnelle de Lisa
(explication en tennes de manque d'habllete)
Dimensions causales
Orientation
Baisse de
lestime de
soi
«
Je ne suis
1---------.1 g~~1°cue1fe
matiere
Home
»,
Lisa pel
- ne plus
travailler
ses
cours :
- eviler
les
situations
qui
ont un
Sentiment
rapport
avec
de
desespoir
biologie
1a
- etc.
Figure 10.3. Sequence attributionnelle de Lisa
(explication en tennes de manque d'effort)
I
Evenemenl
I
1-------tI
Dimensions causales
« Je n'ai pas
fait assez
d'effort cene
fois la. »
Espoir
de reussite
future
- rravailler
plus
forl
pour
preparer
Ie prochain
examen
- chercher
a modifier
I'echec
dont elle
se sent
responsable
- etc
De toute evidence, plusieurs dimensions causales entrent en jeu
dans les sequences comportementales (de fait extremement variees)
qui ont eu lieu suite a un evenement donne. Quoi qu'il en soit, une
telle approche nous permet deja de pointer l'importance qu'il peut
289
LE OEFI
Regards psycho-sociaux aprop
EOUCATIF
y avoir a considerer les explications donnees par les eleves suite a
une situation de realisation scolaire, en particulier lorsque celle-ci se
revele etre un echec. Au terme de cette section, on pourrait presque
conclure que, dans une situation d'echec, ce qui semble surtout
important pour l'eleve c'est qu'il perceive la situation comme insta­
ble et modifiable.
DE QUELQUES BWS n' ATTRIBUTION
A LEUR EXPLICATION
Pour nombre de chercheurs qui, a la suite de Heider ont etudie les
attributions causales, le travail de recherche d'explication est vu
comme une activite rationnelle qui conduit l'individu a proceder
comme un scientifique (intuitif). Mais, comme cela fut largement
demontre par la suite, les individus ne sont pas, pour autant, a l'abri
de commettre des erreurs dans leur traitement de l'information,
voire d'etre sujets a quelques distorsions systematiques, C'est ce que
no us allons voir maintenant en developpant rapidement deux biais
mis en evidence par les chercheurs au niveau individuel : Ie biais
d'autocomplaisance et l'erreur fondamentale d'attribution.
Le biais d'autocomplaisance
De nombreux travaux montrent que la recherche de causalite serait
souvent biaisee par la complaisance que l'individu aurait a son
endroit. C'est ce qu'il est convenu d'appeler Ie biais d'autocomplai­
sance. Ce biais traduit la tendance qu'ont les gens a attribuer leurs
succes a des causes internes et leurs echecs a des causes externes.
Les premieres explications qui en sont donnees sont d'ordre
motivationnel : garantir une estime de soi positive etlou la proteger,
Selon Bradley (1978), « en s'attribuant Ie merite pour les bons actes
et en deniant Ie blame pour les renforcements negatifs, l'individu
serait en mesure d'augmenter ou de proteger son estime de soi »
(p. 56). Ainsi, une maniere de maintenir une haute estime de soi
consisterait a expliquer de facon interne ses succes et conduites
290
socialement desirables et
ments peu desirables. On
preserver une image de so
l'origine de son echec en 1
Les resultats de plusieu
montrent l'existence d'un
individus pour rendre com
eprouvent face aceux-ci. St
deux explications du biais
exclusives, sont envisagea
pour la reussite entrainer:
que les attributions extern:
pour l'echec entraincraier
que les attributions intern
sant, l'individu chercherai
le cas de la reussite et a di
de l'echec. D'autre part, le
vidu affecteraient differen
voient a des facteurs inti
evoque precedemment (r
internes pour expliquer 1.
l'estime de soi alors que I
cas de l'echec entrainerait
de cette conception, c'est
besoin de maintenir une es
a biaiser les attributions ql
Mais cette approche du
vationnels est loin de faire
rejettent cette conception
plus cognitive. Pour ces a
une consequence rationne
l'activite de recherche Cal
cette interpretation cogn
individus n'ont pas les me
site que pour celIe d'un ec
de chances de reussir que
ete etabli que les individi
evenernents qu'ils conside
I
I
Regards psycho-sociaux apropos de trois ensembles comportementaux d'enfants
socialement desirables et de facon externe ses echecs et comporte­
ments peu desirables. On peut alors penser que c'est dans le but de
preserver une image de soi socialement acceptable que Leo attribue
l'origine de son echec en biologie ala severite de son professeur.
Les resultats de plusieurs recherches vont en effet dans ce sens et
montrent l'existence d'un lien entre les attributions fournies par les
individus pour rendre compte des evenernents et les emotions qu'ils
eprouvent face a ceux-ci, Sur la base de ce lien (attribution et emotion),
deux explications du biais d'autocomplaisance, non necessairement
exclusives, sont envisageables. D'une part, les attributions internes
pour Ia reussite entraineraient des emotions positives plus intenses
que les attributions externes et inversement, les attributions externes
pour l'echec entraineraient des emotions negatives moins intenses
que les attributions internes (Weiner, 1979). En etant autocornplai­
sant, l'individu chercherait a augmenter les emotions positives dans
le cas de la reussite et a diminuer les emotions negatives dans le cas
de l'echec, D'autre part, les attributions causales produites par l'indi­
vidu affecteraient differemment son estime de soi selon qu'elles ren­
voient a des facteurs internes ou externes. Comme no us l'avons
evoque precedemment (cf. tableau 10.2), le recours a des causes
internes pour expliquer la reussite induirait une augmentation de
l'estime de soi alors que l'attribution a des causes internes dans le
cas de l'echec entrainerait une baisse de celle-ci, A suivre les tenants
de cette conception, c'est parce que les individus eprouveraient Ie
besoin de maintenir une estime de soi positive qu'ils seraient conduits
a biaiser les attributions qu'ils effectuent (voir aussi chapitre III).
Mais cette approche du biais d'autocomplaisance en termes moti­
vationnels est loin de faire l'unanimite. Un certain nombre d'auteurs
rejettent cette conception a laquelle ils preferent une interpretation
plus cognitive. Pour ces auteurs, Ie biais d'autocomplaisance serait
une consequence rationnelle des processus cognitifs en ceuvre dans
l'activite de recherche causale. Parmi les arguments qui supportent
cette interpretation cognitive, le principal renvoie au fait que les
individus n'ont pas les memes attentes pour l'apparition d'une reus­
site que pour celle d'un echec : ils considerent souvent qu'ils ont plus
de chances de reussir que d'echouer. Parallelement a ce fait, il a aussi
ete etabli que les individus ont tendance a s'attribuer l'origine des
evenernents qu'ils considerent comme probables et a attribuer a des
291
-LE
Regards psycho-sociaux aprop
nsrr fOUCATIF
facteurs externes I'origine d'evenements improbables. Ainsi relies,
de tels faits menent a penser que les gens peuvent avoir tendance a
considerer que Ie succes est attribuable a des facteurs internes et
l'echec a des facteurs externes.
Toutefois, a ce jour, aucune donnee ne permet d'invalider I'une
ou l'autre de ces interpretations (cognitive ou motivationnelle). Sans
doute est-ce une des raisons pour lesquelles, on vit, par la suite, appa­
raitre des modeles mixtes integrant ces deux aspects dans un meme
champ theorique. Selon cette approche integrative (Pyszczynski et
Greenberg, 1987), Ie problerne n'est plus de trancher entre ces deux
conceptions du biais d'autocomplaisance mais de determiner com­
ment differentes motivations influencent les cognitions. Par exem­
pIe, la motivation a produire une reponse causale correcte (en fait
la plus correcte possible) n'aura pas les memes consequences sur Ie
traitement des informations, et done sur les attributions produites,
que la motivation a proteger I'estime de soi. Mais au-dela de telles
interpretations, c'est peut-etre Ie statut meme de l'erreur qui doit
etre discute. Certains auteurs ont, en effet, enonce qu'il y aurait quel­
que interet a considerer ce phenomene, non plus comme une erreur
ou un biais mais comme une strategic d'adaptation (ou de coping)
utile pour la sante mentale et Ie bien-etre de l'individu.
L'erreur fondamentale
I
On pourrait penser d'emblee, comme Ie note Deschamps (1997),
que I'attribution de causalite interne ou externe depend avant tout
et surtout « de la perception des pressions ou des contraintes exer­
cees par l'environnement» (p. 11). Pourtant, de nombreuses recherches
montrent que, dans leur explication des evenements psychologiques, les
gens ont tendance a negliger les facteurs situationnels (c'est-a-dire
de causalite externe) au profit de facteurs dispositionnels (c'est-a­
dire de causalite interne). C'est ce que les psychologues sociaux ont,
a la suite de Ross (1977), appele une erreur fondamentale d'attribu­
lion. Pour illustrer ce biais, imaginez-vous un instant etre convie a
assister a une experience sur I'apprentissage (en fait, il s'agit d'une
etude sur la soumission a l'autorite) et que vous assistiez a la scene
suivante: des sujets places dans un role de moniteur recoivent
I'ordre d'infliger une punition, des chocs electriques de plus en plus
292
puissants, a une personne .
sage lorsque celle-ci fait d
cile d'imaginer qu'on puis
des chocs electriques extre
les faits sont la ! Dans des
sous la pression d'une au
peut amener pratiquemen
la sorte un inconnu (cf M
personnes, vous pensez qu
refuse d'obeir, c'est a n'er
ment victime de l'erreur
hension du comportement
agir de la sorte) et dans la
tement (j'aurais refuse d':
comportements refletent p
(de « gentils » ou de « mau
telle erreur pourrait, par
autre personne (inspecteu
scolaires des eleves (ce ql
dire leurs qualites de « bo
I'influence des contextes ~
(voir a ce propos Monteil
Une telle « erreur » a ce
quotidien, nous agissons s
tement d'autrui que comrr
tiples determinants susce
autres. Un tel principe ev,
I'univers scolaire. En effe
negliger l'influence des sit
sont places et, d'autre par
yes refletent essentielleme
rait-on craindre que I'e
repercussions (malheureu
par exemple, favoriser
stereotypes: «Untel fait
brillent par leur aptitude
quent de qualites intelleci
vers ces exemples, a quell
Regards psycho-sociaux apropos de trois ensembles comportementaux d'enjants
puissants, a une personne innocente placee en situation d'apprentis­
sage lorsque celle-ci fait des erreurs. II vous est probablement diffi­
cile d'imaginer qu'on puisse punir un innocent jusqu'a lui envoyer
des chocs electriques extrernernent dangereux de 450 volts. Pourtant
les faits sont la ! Dans des situations experimentales particulieres et
sous la pression d'une autorite legitime (voir aussi chapitre I), on
peut amener pratiquement n'importe quelle personne a torturer de
la sorte un inconnu (ef Milgram, 1974). Et si, comme beaucoup de
personnes, vous pensez que, dans une situation similaire, vous auriez
refuse d'obeir, c'est a n'en pas douter parce que vous etes double­
ment victime de l'erreur fondamentale : a la fois dans la compre­
hension du comportement d'autrui (seul un pervers, un sadique, peut
agir de la sorte) et dans la comprehension de votre propre compor­
tement (j'aurais refuse d'obeir), En fait, pour Ie sens commun, les
comportements refletent plus les qualites intrinseques des personnes
(de « gentils » ou de « mauvais ») que l'influence de la situation. Une
telle erreur pourrait, par exemple, mener un enseignant ou toute
autre personne (inspecteur, parents, etc.) a penser que les conduites
scolaires des eleves (ce qu'ils font) refletent ce qu'ils sont, c'est-a­
dire leurs qualites de « bon» ou de « mauvais » eleves, et a negliger
l'influence des contextes scolaires dans lesquels ceux-ci sont places
(voir a ce propos Monteil et Huguet, 2002 ; Pansu et Depret, 1999).
Une telle « erreur » a certainement un sens dans la vie sociale. Au
quotidien, nous agissons souvent plus comme des juges du compor­
tement d'autrui que comme des scientifiques a la recherche des mul­
tiples determinants susceptibles d'expliquer le comportement des
autres. Un tel principe evaluatif n'echappe, bien evidemment, pas a
l'univers scolaire. En effet, en poussant l'enseignant d'une part, a
negliger l'influence des situations scolaires dans lesquelles les eleves
sont places et, d'autre part, a croire que les comportements des ele­
yes refletent essentiellement des dispositions particulieres, ne pour­
rait-on craindre que l'erreur fondamentale n'ait pas quelques
repercussions (malheureuses) dans l'univers scolaire. Elle pourrait,
par exemple, favoriser la formation ou l'ancrage de quelques
stereotypes: «Untel fait parti de ces bons au mauvais eleves qui
brillent par leur aptitude au inaptitude scolaire, debordent au man­
quent de qualites intellectuelles, etc. ». On percoit d'ailleurs, a tra­
vers ces exemples, a quel point cela peut etre lourd de consequences
r
LE DEFI
Regards psycho-sociaux apn
EDUCATIF
pour l'enfant, a fortiori lorsque les stereotypes sont charges de valeur
negative. En focalisant ainsi sur les facteurs internes et stables de la
personnalite, une telle erreur pourrait, egalement, affecter la vision
pedagogique d'un enseignant : elle pourrait, par exemple, le decoura­
ger a faire des efforts susceptibles de modifier les comportements de
ses eleves, en particulier ceux des eleves en difficultes (leurs com­
portements scolaires ne refleteraient alors que ce qu'ils sont). Des
croyances des enseignants a l'endroit de la personnalite d'un eleve
a l'autorealisation de leurs propheties 1, il n'y aurait alors qu'un pas
a franchir. C'est, du moins, ce que suggerent les travaux de Rosenthal
et Jacobson (1968) qui ont montre que les croyances que le maitre
entretient envers la personnalite d'un eleve peuvent affecter les per­
ceptions et comportements scolaires ulterieurs, de sorte que cet
eleve se trouve enferme dans les attentes du maitre et que celles-ci
se voient bien souvent confirmees (cf voir chapitre II).
Le statut de cette erreur fondamentale a ete largement discute et,
parmi les explications proposees d'ordre cognitif, motivationnel et
societal, c'est cette derniere qui va maintenant retenir notre atten­
tion. L'interpretation societale (ou socionormative) discute du statut
de l'erreur fondamentale comme phenomene lie a l'intervention
d'une norme sociale de jugement propre aux societes occidentales,
la norme d'internalite, Pour les theoriciens qui supportent une telle
approche, la valorisation des explications internes tiendrait avant
tout et surtout dans l'intervention de cette norme d'internalite que
nous developperons plus en detail dans la section qui suit.
LA VALEUR DES EXPLICATIONS INTERNES
LA NORNIE D'INTERNALITE
La norme d'internalite (Beauvois et Dubois, 1988), comme bien
d'autres normes sociales de jugement, definit des criteres a la fois de
ce qui est desirable et de ce qui est utile au bon fonctionnement de
la societe, done necessaire a la bonne realisation des objectifs sociaux
(Beauvois, 1995). Le but des chercheurs qui etudient la norme
1. Realisation effective d'une attente pourtant erronee
a propos d'autrui.
d'internalite est de mont
ceptible de favoriser la
tions (les explications ir
(les explications externe
valorisation sociale des
tions) et des renforceme
de l'acteur comme fac
p.299). Une telle defin
sociale des explications i
connotation positive ou
une des originalites de 1,
abstraction de la desirab
que la valeur propre des
bonne ou une mauvaise
tule qu'en chaque cas l'e
Ainsi, l'explication « le n
de son professeur » tout
sont dus ala malchance
positive, c'est-a-dire a u
« les resultats de Lisa au
vail qu'elle a fourni » eq
damment de la valence
echec). La norme socia
satisfaire quelques utili!
ment social des societes
de dire que a) les condui
doit leur etre attribue et
quence de ce qu'ils font
Poultier, 1986, p. 100).
meritaient ?
Globalement, les trav
tre que les explications
l'acteur dans ce qu'il fai
desirable, de positif et d
attribution de valeur da
rentes donnees recueil
norme d'internalite, il ,
qu'une personne connui
I
Regards psycho-sociaux apropos de trois ensembles comportementaux d'enfants
d'internalite est de montrer l'intervention d'un critere normatif sus­
ceptible de favoriser la production d'un type particulier d'explica­
tions (les explications internes) au detriment d'autres explications
(les explications externes). Cette norme a ete definie « comme la
valorisation sociale des explications des comportements (attribu­
tions) et des renforcements (locus of control) qui accentuent le role
de l'acteur comme facteur causal» (Beauvois et Dubois, 1988,
p. 299). Une telle definition insiste sur le fait que la valorisation
sociale des explications internes se manifeste independamment de la
connotation positive ou negative des evenements. En effet, c'est la
une des originalites de la theorie de la norme d'internalite : elle fait
abstraction de la desirabilite des evenernents et ne prend en compte
que la valeur propre des explications. Qu'il s'agisse d'expliquer une
bonne ou une mauvaise conduite, un echec ou une reussite, elle pos­
tule qu'en chaque cas l'explication interne demeure la plus valorisee.
Ainsi, l'explication« le resultat en biologie de Leo est du a la severite
de son professeur » tout comme l'explication « les resultats de Leo
sont dus ala malchance » n'equivaut pas a une attribution de valeur
positive, c'est-a-dire a une valorisation. En revanche, l'explication
« les resultats de Lisa au controle de biologie s'expliquent par Ie tra­
vail qu'elle a fourni » equivaut a une attribution valorisee, indepen­
damment de la valence de l'evenement en question (reussite ou
echec). La norme sociale d'internalite permettrait de la sorte de
satisfaire quelques utilites sociales qui garantissent le fonctionne­
ment social des societes occidentales. Par exemple, elle permettrait
de dire que a) les conduites des gens refletent ce qu'ils sont et ce qui
doit leur etre attribue et b) « ce qui doit leur arriver [... ] est la conse­
quence de ce qu'ils font - done de ce qu'ils sont » (Beauvois et Le
Poultier, 1986, p. 100). Leo et Lisa n'ont-ils pas eu que ce qu'ils
meritaient ?
Globalement, les travaux realises dans cette perspective ont mon­
tre que les explications causales internes, en accentuant le role de
l'acteur dans ce qu'il fait et ce qui lui arrive (de desirable et de peu
desirable, de positif et de negatif), font en elles-memes l'objet d'une
attribution de valeur dans les societes occidentales. Parmi les diffe­
rentes donnees recueillies dans le cadre des experiences sur la
norme d'internalite, il a ete montre a de tres nombreuses reprises
qu'une personne connue pour avoir donne des explications internes
-LE DEFJ
Regards psycho-sociaux aprop
EDUCATIF
independarnment de la valence de l'evenernent (desirable ou non
desirable) est quasi systernatiquement mieux jugee qu'une personne
ayant ernis des explications externes (voir pour revue recente, Pansu,
Bressoux et Louche, 2003). Parmi ces recherches, l'une, particulie­
rement parlante pour notre propos, a ete realisee par Dubois et Le
Poultier (1991) aupres d'instituteurs. Ces derniers etaient invites a
ernettre un pronostic concernant le passage d'eleves de CM2 dans la
classe superieure (en 6 e ) . Pour porter leur jugernent, les enseignants
avaient a leur disposition plusieurs informations concernant les ele­
yes (fictifs). Ils disposaient de leurs « supposees » reponses a un
questionnaire d'internalite. En fait, ce questionnaire avait ete rempli
par l'experimentateur de maniere a presenter l'eleve comme interne
versus externe. Les instituteurs disposaient egalernent des resultats
scolaires (faibles versus moyen-faibles) des eleves et du niveau socio­
economique de leur famille (bas versus eleve). Les resultats revelent
que les eleves supposes avoir choisi un maximum d'explications
internes font l'objet des jugements les plus positifs de la part des
enseignants. Ce constat est d'autant plus important que, jusqu'ici, les
protocoles experimentaux des recherches anterieures avaient ete
concus de telle sorte que l'evaluateur ne disposait pour porter son
jugement que de la seule information donnee par le questionnaire
d'internalite. Un tel fait permet d'evacuer l'hypothese d'un artefact
experimental qui aurait pu conduire les enseignants, dans la cons­
truction de leur jugement evaluatif, a utiliser l'information donnee
par le questionnaire internalite pour pallier un manque d'inforrna­
tions concernant les resultats scolaires et l'origine socio-economique
et culturelle. A contrario, ces resultats montrent que les jugements
plus positifs dus al'internalite se maintiennent dans une situation ou
les enseignants ont acces a des informations plus conformes a leur
pratique habituelle que la seule orientation (interne versus externe)
des eleves a un questionnaire d'internalite. 11 nous semble utile
d'insister sur ce point car les resultats de cette recherche sont en par­
fait accord avec l'idee selon laquelle la norme d'internalite serait
constitutive des pratiques d'evaluation ordinaires, en l'occurrence
ici, des pratiques evaluatives scolaires. Toutefois, dans ce genre
d'etudes experimentales, les enseignants sont generalement conduits
a porter un jugement peu charge de consequences puisqu'il s'agit
non pas de leurs eleves mais d'eleves fictifs. Une telle procedure peut
296
alors paraitre comme ass
scolaire habituclle, moins
mettant au final de ne re
comportement suppose de
lesquelles deux d'entre m
deux nouvelles etudes, er
les jugements evaluatifs e
gnants a propos d'eleves
montrent que l'activation I
la construction du jugeme
La question qui se pose
gnants ace qui determine.
tat obtenu par Dubois et
Apres avoir emis leur JUI
enseignants d'enoncer l'ir
ferentes informations cont
niveau socio-economique
d'internalite). L'analyse d
laire est affecte - comme
degre dinternalite de l'e
particulierernent vrai chE
avoir tenu compte du que
jugement. Ces derniers son
yes a partir de la composar
preference pour les intern
que peut dire un enseign
son jugement peut, dans
qu'il a effectivement pris I
se passe comme si les en:
criteres qui dirigent leur j
mesure ou les evaluateur
mine leur jugement, qu'il;
tout en etant convaincus
imaginer qu'une informa
que cette information a b
ont forrnule pour expliqu
Mais au-dela de ces c
d'internalite permettent d',
----'--.,.,..-""""!'C",;• • • • • •
Regards psycho-sociaux apropos de trois ensembles comportementaux d'enfants
alors paraitre comme assez eloignee d'une situation d'evaluation
scolaire habituelle, moins engageante pour l'enseignant et ne per­
mettant au final de ne recueillir qu'un pronostic hypothetique du
comportement suppose de l'evaluateur. C'est une des raisons pour
lesquelles deux d'entre nous (Bressoux et Pansu, 2003) ont realise
deux nouvelles etudes, en milieu naturel de classe, dans lesquelles
les jugements evaluatifs etaient, cette fois, ceux emis par des ensei­
gnants a propos d'eleves de leur classe. Globalement, les resultats
montrent que l'activation du registre normatif joue bien un role dans
la construction du jugement scola ire (cf encadre),
La question qui se pose alors est celie de l'accessibilite des ensei­
gnants ace qui determine leur jugement. A ce propos, un autre resul­
tat obtenu par Dubois et Le Poultier (1991) merite notre attention.
Apres avoir ernis leur jugement, ces chercheurs ont demande aux
enseignants d'enoncer l'importance qu'ils avaient accordee aux dif­
ferentes informations contenues dans les dossiers (resultats scolaires,
niveau socio-economique de la famille et reponses au questionnaire
d'internalite), L'analyse des resultats revele que si Ie jugement sco­
laire est affecte - comme nous l'avons vu precedemment - par le
degre d'internalite de l'eleve qui incarne sa norrnativite, ceci est
particulierement vrai chez les enseignants qui pretendent ne pas
avoir tenu compte du questionnaire d'internalite pour emettre leur
jugement. Ces derniers sont en fait ceux qui discriminent le plus les ele­
yes a partir de la composante normative que vehicule Ie questionnaire :
preference pour les internes et stigmatisation des externes. Ainsi, ce
que peut dire un enseignant quant aux criteres qui ont determine
son jugement peut, dans les faits, n'avoir aucun rapport avec ceux
qu'il a effectivement pris en compte pour ernettre ce jugement. Tout
se passe comme si les enseignants n'avaient pas toujours acces aux
criteres qui dirigent leur jugement. Aussi peut-on concevoir, dans la
mesure ou les evaluateurs n'ont pas un acces direct a ce qui deter­
mine leur jugement, qu'ils peuvent etre affectes par une information
tout en etant con vaincus qu'ils ont ete affectes par une autre, voire
imaginer qu'une information a eu un effet sur leur jugement alors
que cette information a bien eu un effet, mais contraire a celui qu'ils
ont formule pour expliquer leur jugement.
Mais au-dela de ces considerations, les recherches sur la norme
d'internalite permettent d'elargir la reflexion sur le lien entre internalite
297
-111111111!11
LE DfFl
Regards psycho-sociaux apro
snucx TlF
et reussite au travail telle qu'elle fut abordee par certains theoriciens
du LOC (pour revue voir Dubois, 1987). En effet, des l'instant OU
l'on admet le statut socionormatif de I'internalite, il semble qu'on
puisse expliquer le fait que les internes soient mieux juges que
d'autres - et done beneficient de la positivite de ce jugement en ter­
mes de promotion, de passage dans la classe superieure, etc. - par
l'intervention de la norme d'internalite qui predisposerait aquelques
biais de jugement (voir ace propos Pansu, Bressoux et Louche, 2003)
evitant ainsi le recours a des hypotheses fortes et systematiques en
termes de differences de personnalite qui supposent des aptitudes et
predispositions propres aux internes et aux externes. Voir ainsi les
choses permet done de relativiser la portee d'hypotheses fortes qui
font reposer la preference accordee aux internes sur une personna­
lite particuliere (un fort besoin de reussir, de bonnes capacites
d'adaptation, etc.) qui, a coup sur, conduit a la reussite ! En termes
purement pragmatiques, cela permet, comme nous le verrons dans
la section qui suit, de poser autrement des questions liees aux pro­
cessus d'evaluation formelle ou informelle en classe.
IQUELQUES REPERES
Au terme de ce chapitre, apres avoir rapidement aborde la question
de l'utilite de la recherche des attributions causales pour l'individu
(rendre predictible le monde qui l'entoure) et celIe de l'importance
de certaines d'entre elles, nous tenterons de proposer quelques repe­
res susceptibles d'eclairer la reflexion pedagogique, ce a deux
niveaux. L'un porte sur le role act if que peut jouer l'enseignant dans
la modification des productions attributionnelles des eleves face a
des situations d'echec scolaire, l'autre vise a sensibiliser l'enseignant
sur les processus qui entrent en jeu dans la construction de son juge­
ment et plus generalement dans la perception qu'il a des comporte­
ments des eleves en classe.
Pour ce faire, revenons tout d'abord aux consequences des attri­
butions d'echec et de reussite pour l'eleve lui-merne. Rappelons que
la theorie attributionnelle des emotions et de la motivation de Weiner
permet de predire l'apparition ou non d'un comportement motive.
298
En ce sens, on percoit '
l'enseignant a accorder t
nees par les eleves a l'is
dernier cas, l'enseignant I
une pedagogic qui lui pe
eleves afin d'eviter que c
relevant irremediablemei
non maitrisables, et finiss
apprise ou par adopter (
exemple la strategic qui (
rechercher d'autres dime
image de soi socialement
rait alors d'amener l'elev
controler, la situation af
ments et a retablir un et:
susceptible d'influer, par
Dans ce travail de re-att
rement prudent dans la I
dimensions que sont le Iii
(stable/instable) et la COl
exemple, il devra eviter
attribution, en vienne a
internes, stables et incon
les eleves habitues a la r
rait catastrophique en o
conduire dans Ie futur a
portements d'evitement
vre Weiner, plusieurs m:
Une premiere consiste 2
pour l'eleve en attributi
il s'agirait de l'amener a
que de capacite a une
ponctuel. Une deuxiem:
tion des attributions ern
sions que sont le lieu d
1. Au-dela de ce travail de re-atrril
pre nne a l'eleve a utiliser massive
tions d'autoprcsentation, Ie rend
dans les pratiques d'evaluation.
Regards psycho-sociaux apropos de trois ensembles comportementaux d'enfants
1
En ce sens, on percoit d'emblee l'utilite qu'il peut y avoir pour
l'enseignant a accorder un interet particulier aux attributions don­
nees par les eleves a l'issue d'une reussite ou d'un echec. Dans ce
dernier cas, l'enseignant pourrait elaborer, a l'instar des therapeutes,
une pedagogic qui lui permettrait de jouer sur les attributions des
eleves afin d'eviter que ceux-ci ne percoivent cette situation comme
relevant irremediablernent d'evenements incontrolables, c'est-a-dire
non maitrisables, et finissent par sombrer dans un etat d'impuissance
apprise ou par adopter des comportements d'incomparabilite (par
exemple la strategic qui consiste a desinvestir le champ scolaire et a
rechercher d'autres dimensions de comparaison) pour preserver une
image de soi socialement acceptable (voir aussi chapitre III). II s'agi­
rait alors d'amener l'eleve a controler, ou a lui faire croire qu'il peut
controler, la situation afin de l'aider a mieux s'adapter aux evene­
ments et a retablir un etat de confort, de mieux-etre psychologique
susceptible d'influer, par la suite, sur la sante mentale de l'individu.
Dans ce travail de re-attribution, l'enseignant devra etre particulie­
rement prudent dans la prise en compte de la combinaison des trois
dimensions que sont le lieu de causalite (interne/externe), la stabilite
(stable/instable) et la controlabilite (controlable/incontrolable). Par
exemple, il devra eviter que l'eleve, au terme de son travail de re­
attribution, en vienne a expliquer son echec par des attributions
internes, stables et incontrolables ': ce qui, pour le coup, merne chez
les eleves habitues ala reussite mais confrontes a un echec s'avere­
rait catastrophique en ce sens que cela peut, comme chez Lisa, les
conduire dans le futur a refuser de travailler ou a adopter des com­
portements d'eviternent (ecartant de la sorte l'echec a venir). A sui­
vre Weiner, plusieurs methodes sont envisageables pour eviter cela.
Une premiere consiste a transformer les attributions prejudiciables
pour l'eleve en attributions plus avantageuses : dans le cas de Lisa,
il s'agirait de l'amener a passer d'une explication en termes de man­
que de capacite a une explication en termes de manque d'effort
ponctuel. Une deuxieme methode consiste a jouer sur l'interpreta­
tion des attributions ernises par les eleves a partir des trois dimen­
sions que sont le lieu de causalite, la stabilite et la controlabilite.
1. Au-dela de ce travail de re-attribution, rien n'ernpeche d'ailleurs, en parallele, que l'enseignant ap­
pre nne it l'eleve a utiliser massivement les explications internes de maniere strategique dans les situa­
tions d'autopresentation, le rendant ainsi clairvoyant quant a I'intervention de la norme d'internalite
dans les pratiques d'evaluation.
T
LE DEFI
Regards psycho-sociaux apr
EDUCATIF
Concernant Lisa, il s'agirait d'induire une modification du sens
qu'elle donne a la capacite (ou habilete) en passant d'une significa­
tion de la capacite comme trait de personnalite (interne, stable et
incontrolable) a une signification moins fixiste (interne, instable et
controlable). Une troisierne methode revient a intervenir en amont
du processus d'attribution en agissant sur les informations que
l'eleve utilise pour produire son attribution de causalite. L'ensei­
gnant pourra ainsi mettre l'accent sur le fait que Lisa n'est pas la
seule a avoir obtenu une mauvaise note, et qu'il s'agit la d'un phe­
nomene plutot collectif qu'on peut, au moins en partie, imputer a la
difficulte de la tache. Dans le merne registre l'enseignant peut tenter
d'enrayer le processus d'attribution de l'eleve en jouant sur la per­
ception de la valence du renforcement. Il pourra, par exemple, rela­
tiviser l'importance percue de l'echec et/ou abaisser le niveau de
performance attendu par l'eleve : si la note de Lisa n'est pas bonne,
elle n'en est pas pour autant catastrophique. Si de la sorte l'ensei­
gnant peut participer a la modification des productions attribution­
nelles de ses eleves, il devra egalement se mefier de ses propres
attributions (defensives) susceptibles de lui faire croire que nous
vivons dans un monde plutot juste dans lequeI chaque eleve
n'obtient que ce qu'il merite, c'est-a-dire ou chacun est responsable
de son propre sort: ce qui est une facon de nier l'intervention de
facteurs externes dans l'analyse des comportements des eleves.
Ce dernier point n'est pas sans rapport avec cette tendance, pour
le moins dysfonctionnelle, que nous avons a croire que les compor­
tements des gens refletent essentiellement des dispositions internes et
stables. Une telle erreur fondamentale, nous l'avons vu, en conduisant
l'enseignant a se focaliser sur les facteurs internes et stables de la
personnalite, n'est pas sans consequences majeures : stigmatisation
d'un eleve a partir de son comportement scolaire juge atypique, ten­
dance chez l'enseignant a percevoir les efforts pedagogiques comme
etant vains, risque de developper chez l'eleve des propheties
autorealisatrices, etc. Une action possible pour l'enseignant consis­
terait a ce qu'il veille a eviter le recours facile aux explications inter­
nes, qui ernpeche nombre de questions, liees a la definition des
objectifs pedagogiques et au fonctionnement de l'institution scolaire,
d'etre posees. Ainsi, pourrait-il, dans sa recherche d'explications des
conduites des eleves, se preserver d'une erreur fondamentale asso ciee
300
a l'intervention de
la n
comportements effectifs
tique aux situations dan
et aux personnes qui les
pratiques d'evaluation i
pas une utopie. Bien at
psychologue social appli
le potentiel d'autrui a la
ralement aux theories il
des pratiques d'evaluat
ailleurs (voir Pansu, Br
au moins le merite d'el
connaissance des proces
lucides et mieux annes (
s'appuient souvent sur d
des modalites de notn
moins, no us inciter a no
ditives et nous amener ~
blerne de l'analyse dl
maniere evidente, comn
celebre equation du C(
tion)], une telle analyse
en prenant soin de se pr
tes du comportement ql
sonnes et les determina
Aussi, pour elargir I
pour l'enseignant averti
comportements en se S(
tionnels des comportenu
sociale dans laquelle ils
tions dans une situation:
ces sur les performance
dans quelques cas partie
necessaires, on peut se
demarche qui souvent ~
n'aurait pas interet, au
quelques parametres d
ments. Ne l'oublions I
-,
Regards psycho-sociaux apropos de trois ensembles comportementaux d'enfants
a l'intervention de la norme d'internalite pour, in fine, decrire les
comportements effectifs des eleves en accordant une attention iden­
tique aux situations dans lesquelles ces comportements sont realises
et aux personnes qui les produisent. Repenser la methodologie des
pratiques d'evaluation a la lumiere de ces travaux ne nous semble
pas une utopie. Bien au contraire, et c'est precisement l'affaire du
psychologue social applique: sensibiliser ceux qui jugent et evaluent
le potentiel d'autrui a la surestimation personnologique et plus gene­
ralement aux theories implicites qui structurent le mode de pensee
des pratiques d'evaluation. Comme no us rayons deja evoque par
ailleurs (voir Pansu, Bressoux et Louche, 2003, p. 220), cela aurait
au moins Ie merite d'eliminer la part de subjectivite liee a la non­
connaissance des processus qui dirigent notre jugement et d'etre plus
lucides et mieux armes envers les pratiques pseudo-scientifiques qui
s'appuient souvent sur des fondements de sens commun. Etre avertis
des modalites de notre fonctionnement sociocognitif devrait, au
moins, nous inciter a nous metier des explications parfois trop expe­
ditives et nous amener a poser Ie plus objectivement possible le pro­
bleme de l'analyse des determinants des comportements. De
maniere evidente, comme l'avait formule Lewin (1951) en posant sa
celebre equation du comportement [C = f (Personnalite 00 Situa­
tion)], une telle analyse doit se faire avec la plus grande precaution
en prenant soin de se preoccuper a parts egales des deux composan­
tes du comportement que sont les caracteristiques propres aux per­
sonnes et les determinants de la situation.
Aussi, pour elargir la reflexion, dirons-nous qu'il est important
pour l'enseignant averti de poser Ie probleme de la modification des
comportements en se souciant serieusement des determinants situa­
tionnels des comportements selon les eleves, en particulier la situation
sociale dans laquelle ils sont places. En effet, retenons que des varia­
tions dans une situation scolaire donnee peuvent avoir des consequen­
ces sur les performances et comportements scolaires des eleves. Si,
dans quelques cas particuliers, des prises en charge individuelles sont
necessaircs, on peut se demander si avant d'entreprendre une telle
demarche qui souvent s'avere lourde dans la pratique, l'enseignant
n'aurait pas interet, au moins dans un premier temps, a modifier
quelques parametres de la situation pour changer les comporte­
ments. Ne l'oublions pas; une modification parfois minimale de
~~'8JlIl~.:
••
_
~
I
!
LE DEFI
EDUCATIF
I
l'environnement social, en particulier de la situation scolaire, peut
produire des effets importants sur le comportement scolaire des ele­
Yes. Et sur ce point, l'enseignant peut s'employer a provoquer des
changements: comme le pilote manoeuvre le manche pour modifier
la trajectoire de son planeur, il peut agir sur la situation de classe
pour modifier celle de ses eleves.
Fiche de synthese
1. La recherche de causes debute generalernenr par l'apparition d'un evene­
ment exceptionnel et important pour la personne.
2. L'attribution causale proposee par l'eleve pour rendre compte de ses succes
ou de ses echecs deterrninerait des emotions specifiques chez lui qui, a leur
tour, influenceraient son niveau de motivation, donc un comportement a
venir plus ou moins motive.
3. En attribuant son echec a un manque de capacite, les repercussions psycho­
logiques pour I' eleve peuvent etre lourdes de consequences, en particulier
pour ce qui est de ses espoirs de reussite et de sa motivation a venir.
4. L'enseignant devra eviter que l'eleve explique son echec par des attributions
internes, stables et incontr6lables.
5. En se focalisant trop sur les facteurs internes et stables de la personnalite
(erreur fondamentale), on peut penser que les conduites scolaires des eleves
(ce qu'ils font) refletent ce qu'ils sonr, c'est-a-dire leurs qualites de « bon»
ou de « mauvais » eleves, et negliger l'influence des contextes scolaires dans
lesquels ceux-ci sont places.
6. La norme d'inrernalite serait constitutive des pratiques evaluatives scolaires.
7. L'enseignant devra se metier de ses propres attributions susceptibles de lui faire
croire que nous vivons dans un monde plut6t juste dans lequel chaque eleve
n'obtient que ce qu'il rnerite : ce qui est une fa<;:on de nier l'inrervention de fac­
teurs externes dans l'analyse des comportements des eleves.
Comment l'enseignant juge-t-il ses eleves ?
Pascal Pansu, Pascal Bressoux
Deux etudes realisees en milieu naturel de classe avaient pour objectif d'etudier
comment se construit Ie jugement que les enseignants portent sur leurs pro­
pres eleves (pour des details et une discussion approfondie, voir Bressoux et
Pansu,2003). Les sujets evalues etaient de « vrais » eleves places sous la respon­
sabilite effective de leur enseignant et les jugements evaluatifs ernis par les
enseignants portaient sur des eleves qu'ils connaissaient, sur lesquels ils dispo­
saient d'informations multiples plus ou moins saillantes, plus ou moins fiables,
Regards psycho-sociaux apr
I
I
plus ou moins pertinentes,
leur jugement scolaire.
La premiere etude a ete cor
entre 8 et 9 ans) soit trois c
primaire. Nous avons reci
dernographiques (sexe, an
nationalite), des renseigne
(redoublement ou non-red
res aux epreuves standardis
valeur scolaire dudit eleve,
ble) a 10 (un eleve tres fort
enseignants et les scores d,
dardisees) nous permettait
jugement de l'enseignant.
invites a repondre a un qUi
laires. Chaque item decriv
un renforcement propre a •
de deux explications entre
I' autre externe. Par exernpl
forcement positif), certaii
facile » (explication extern
reflechi » (explication intei
fait que, contrairement a c
a ce questionnaire demeu
chapirre adosse),
Les resultats montrent que
est arnene a porter sur ses (
- la valeur scolaire efJectivt
est eleve, plus I'enseignant
tes la rien de bien surpren:
jugement scolaire de I'ense
formances effectives des e
jeu dans sa construction;
- Ie contexte de la classe: F
tend a etre severe dans sor
duit Ie fait que Ie jugemer
moyen de la classe ;
- les caracteristiques indivi
scolaire : on reieve trois P'
superieurs par rapport aux
particulier les enfants d' 0
ques, les gar<;:ons font I'ob
mance identique, les ele'
jugements plus severes de

Documents pareils