Ile de Black Mor
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Ile de Black Mor
COLLEGE AU CINEMA 2012 / 2013 L’ILE DE BLACK MOR Un film de Jean-François Laguionie I France I 1h25 I 2004 Yeux noirs et mèche rebelle, on l'appelle le Kid. Au début du XIXe siècle, l’adolescent de quinze ans, qui vit dans un sinistre orphelinat de Cornouailles, rêve de prendre le large à la barre d'un navire pirate, comme le redoutable Black Mor, dont son maître d'étude lui conte en cachette les aventures. Un jour, le Kid récupère une carte étrange tombée du livre de Black Mor. Convaincu que ce parchemin indique une île au trésor, il fuit l’orphelinat et part à l’aventure. Mais au bout de l’océan, la richesse qu’il découvrira sera bien différente de celle qu’il imaginait. AU LARGE ! Entre les flots de l’épique et de l’intime «Un film d’aventure pour quatuor à cordes ». C’est ainsi que Jean-François Laguionie décrit son troisième long-métrage dans sa note d’intention. Entre récit épique et récit intime, L’île de Black Mor navigue sur les flots d’un tempo singulier, rythmé par les rebondissements maritimes de l’équipage et l’aventure intérieure de son capitaine. L’île de Black Mor est d’une part un film de pirate dans la grande tradition du genre. Carte mystérieuse, abordage sauvage, trognes de marins plus ou moins honnêtes, tempêtes et naufrages, chasse aux trésors et énigmes jalonnent en effet le récit. Mais ces motifs sont autant de rites de passage pour le Kid, apprenti pirate, qui le mènent de l’orphelinat au grand large. Là, le film se transforme en une quête intérieure et spirituelle du père et de sa propre identité au bout de laquelle le Kid se réconcilie avec son histoire et ses origines. Emprunts et influences graphiques Sur sa route, l’adolescent croise une succession de personnages, animés par des motivations diverses, mais qui ont tous le goût de la mer en partage. Leur traitement graphique les distingue à la fois d’un certain réalisme ou du style américain cartoon pour un rendu plus proche de l’influence de la bande dessinée belge et des affichistes des années 30. Dans cet esprit d’indépendance, dessinateurs, animateurs, intervallistes ont travaillé sur la morphologie et l’animation des personnages en privilégiant leur singularité physique. Après son évasion de l’orphelinat, le Kid est sauvé de la noyade par Mac Gregor et La Ficelle. Ces sinistres pilleurs d’épaves forment un duo burlesque de crapules maladroites tout à fait sympathiques. Leur animation, tout comme leurs corps contrastés, révèlent leurs caractères et le lien de dépendance qui les unit. La Ficelle est agile, aussi souple et léger que la matière qui lui donne son nom. Son allure voûtée et longiligne, son mutisme et son maniement du couteau dessinent la figure d’un pierrot lunaire inquiétant. Sur son dos, Mac Gregor est sournois, volubile et se targue d’être un aristocrate descendant d’une grande famille écossaise. Son corps déséquilibré d’unijambiste, son visage tracé à gros traits construisent un personnage excessif. Taka, l’esclave éthiopien enrôlé de force dans la Royal Navy et libéré par le Kid, viendra rejoindre cet équipage de fortune. Face à ces adjuvants, plus ou moins spontanés et consentants, surgissent des personnages malfaisants, identifiables à leurs traits empruntés au caricaturiste Honoré Daumier qui avait pour sujet de prédilection le roi Louis Philippe qu’il dessinait avec une tête en forme de poire. Le directeur de l’orphelinat de Glendurgan et le capitaine du Brick transportant du bois d’ébène feront tous deux les frais de ce trait sarcastique. Petit Moine, l’initiatrice Si l’on regarde au fond des yeux de chacun des personnages, pas un ne possède de pupille, excepté Petit Moine. Personnage pivot du récit, il est celui qui voit plus loin, celui qui sait et montre le chemin. D’abord prisonnier farouche et silencieux, Petit moine devient, à bord de la Fortune, un second de confiance pour le Kid avant de révéler sa féminité dissimulée sous sa robe de bure. Détentrice de toutes les clefs (elle anticipe la trahison de l’équipage, déchiffre la carte de Black Mor, insiste pour que le Kid poursuive sa quête), elle est, sur bien des points, supérieure aux autres compagnons de route. Sa maturité, sa connaissance, sa témérité lors des tempêtes et ses talents de navigatrice rendront sa présence indispensable, malgré la loi qui interdit toute femme à bord. Plus que tout autre personnage, elle prendra en charge une grande partie de l’initiation du Kid, son éducation (elle lui apprend à lire), sa sexualité, et l’éclairera sur la véritable nature du trésor qu’il recherche. La mer, espace de liberté hanté par la mort et les fantômes Dans l’orphelinat, à l’écoute des aventures de Black Mor par Maître Forbes, le Kid n’a qu’une idée en tête, gagner sa liberté et prendre la mer. Mais c’est la mer qui le prendra la première. Après son évasion et le chavirement de sa barque, les vagues absorbent le corps du fugueur et l’amènent dans l’antre de ses premiers compagnons de fortune. Dans L’île de Black Mor, l’océan est le cœur de tous les désirs et de tous les mystères. De lui surgit la vie (c’est en prenant la mer que notre équipage sauve sa peau) ou la mort. Les naufrageurs Mac Gregor et La Ficelle le savent bien : la mer est un cimetière, l’ultime frontière infranchissable pour des hommes en exil, tels les esclaves du négrier dont la Fortune croisera la route. Matière vivante et vibrante du film, la mer bénéficie d’une mise en lumière et d’une mise en couleur chère au peintre Henri Rivière, lui-même influencé par Hokusai. Jean-Francois Laguionie s’inspire de l’art de l’estampe japonaise pour tracer des lignes claires et creuser la profondeur de l’image. Jouant du vide et du plein dans des cadres d’une grande sobriété, L’île de Black Mor est un film sous le signe de l’eau, figure maternelle qui protège et guide le parcours du Kid. Comme si l’adolescent était le fruit des amours du pirate et de l’Océan. Mutique, immense, Black Mor ne s’exprime que par son regard sévère et sa main de fer qui signale une direction ou une impatience. Ses apparitions spectrales sont toujours précédées par la brume et le vent qui agite sa cape et le métamorphose en corbeau dans les souvenirs du Kid. Figure tutélaire, le pirate, qui donne son nom au film, est un fantôme que le Kid convoque à chaque moment de doute. Tout au long de son initiation, il juge et jauge les actes du garçon. Pour conquérir sa liberté, le Kid n’aura d’autre choix que de chasser ce fantôme intérieur. Les épreuves et les rencontres l’y aideront. A L’ABORDAGE ! À la conquête de son identité : dissiper les ombres et trouver sa lumière intérieure Derrière un récit qui emprunte tous les motifs du film de pirates, Jean-François Laguionie, déroule le fil sensible de la quête des origines, dans un mouvement qui va de l’obscurité vers la révélation. De l’orphelinat au grand large, les modulations de la lumière accompagnent le cheminement du Kid. À l’orphelinat, les chaines en fer et les poulies de la manufacture de cordage obstruent l’espace de lignes horizontales et verticales et construisent un univers carcéral dont il faut s’échapper. Les corps malingres des enfants bagnards, dont les yeux mangent les visages, sont plongés dans l’ombre. Seule la lecture de Maître Forbes leur apporte un peu d’espoir. À l’écoute des aventures du pirate, le visage du Kid s’éclaire, comme libéré par l’imagination, avant que son corps ne s’évade à son tour par la seule fenêtre sans barreau de l’établissement. L’occasion de révéler dès son introduction l’importance de la lumière qui joue ici une double fonction narrative et dramaturgique : elle guide notre regard de spectateur vers le héros et annonce sa quête de liberté. Cette première partie, dominée par des gris-bleu sombres et peu contrastés, laisse place au cours du voyage à des couleurs plus chaudes, une lumière intense et des contrastes soutenus. Sous le soleil du matin, la Fortune apparait dans un lent mouvement qui révèle la fascination qu’elle exerce sur le Kid. Plus tard, l’exploration d’Erewon, île de toutes les révélations, s’assimile à une plongée dans l’œuvre picturale du Douanier Rousseau. À mesure que l’équipage pénètre au cœur de l’île, les couleurs saturées succèdent aux pastels du rivage pour composer une peinture sensuelle gorgée d’une luxuriante végétation. Au fil des épreuves, les intrigues se dénouent une à une et le brouillard se dissipe sur les ombres intérieures du Kid, laissant percer la lumière sur le mystère de ses origines. Prendre le gouvernail de sa vie La découverte d’Erewon se situe à mi parcours du récit et marque un temps décisif dans la quête du Kid. Lorsque Jim le babouin écrit son nom sur le sable, Erewon disparaît et laisse place à Nowere. Ce palindrome épouse la figure métaphorique du parcours du Kid qui doit découvrir, derrière chaque énigme, l’envers des apparences. Après avoir porté un regard enchanté sur cette île paradisiaque, le Kid croit d’abord à un cul de sac, un now(h)ere. « Une île c’est comme une prison » répond t-il à Petit Moine. Il faut donc à nouveau s’échapper, mais pas sans une dernière épreuve, peut être la plus cruciale. Alors qu’il vient de se disputer avec Petit Moine, le Kid s’endort et convoque dans ses rêves le souvenir de son abandon. Les cadres déformés, l’absence de couleur, la disproportion des corps, la figure animale du père transformé en corbeau désignent le point de vue de l’enfant. Après avoir pris la mer, vaincu la mort, affronté ses fantômes et fait ressurgir les images du passé, le Kid doit achever son initiation par une renaissance. La mise en scène développe alors tous les motifs de l’enfantement dans une séquence où, rampant dans les boyaux du volcan puis suivant le tracé d’une voie d’eau au pied des falaises, le Kid progresse jusqu’au coffre où se cache le nom du père. Une fois encore, le récit ajourne la découverte du trésor. Car le pirate réserve une ultime épreuve à son fils, sans doute la plus difficile de son initiation : celle du renoncement et de l’émancipation. L’ultime séquence du film voit le Kid abandonner Mac Gregor, La Ficelle et Taka dans un lac d’or et de pierres précieuses tant convoités. Devenu adulte, le Kid refuse ce trésor, le château et l’héritage terrestre du père pour épouser un autre héritage spirituel. Dans un dernier plan, la Fortune s’éloigne dans les douces teintes pastel de l’horizon où ciel et mer se confondent. À son bord, Le Kid et Petit Moine font corps avec l’océan et tracent leur route vers le large. Libéré, le Kid prend le gouvernail de sa vie pour forger son propre destin.