Lire un extrait - Editions Persée

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 L’HYMNE À L’AMOUR
Marc Joncour
L’hymne à l’amour
Roman
Editions Persée
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements
sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes
vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.
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© Editions Persée, 2014
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À mon père, à ma mère…
« On se demande parfois si la vie a un sens…
et puis on rencontre des êtres qui donnent un sens à la vie. »
Gyula Halász, dit Brassaï
« Perdre quelqu’un qu’on a aimé est terrible,
mais le pire serait de ne pas l’avoir rencontré. »
Marc Lévy
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Lundi 31 août 2015
« Susan, ce soir, je veux que tu sois fière de moi !
— Yves, mon amour, je sais que tu vas être brillant ! Et je serai très
fière de toi ! »
Blotti sous les couvertures, Yves somnole. Cela fait deux heures
qu’il ne dort plus vraiment et imagine le déroulement de la journée qui
s’annonce. En étant le premier invité de la nouvelle émission de TF1,
« 45 minutes pour comprendre », programmée de 19 h 55 à 20 h 40, il
va sans doute créer le buzz.
Médiatiquement, c’est un événement considérable : première chaîne
européenne et française de télévision, TF1 révolutionne son approche
de l’information. Le concept qu’elle va introniser aujourd’hui, sonne
en effet le glas du sacro-saint journal télévisé de 20 heures. Depuis plusieurs années, et surtout depuis la généralisation de la TNT, l’audience
du 20 heures décline de manière lente mais régulière. Les remplacements de Patrick Poivre d’Arvor par Laurence Ferrari puis par Gilles
Bouleau n’ont guère interrompu cette tendance, et les courbes de l’audimat confirment l’inexorable érosion de l’institution que constituait ce
journal depuis la naissance de la télévision. Car une grande partie des
téléspectateurs comble désormais son besoin d’informations en regardant spontanément et à l’heure de son choix, les chaînes gratuites de la
TNT comme BFMTV ou i>TELE.
Après plusieurs mois d’hésitation, les dirigeants de TF1 ont décidé
de prendre un risque qu’on aurait jugé inouï il y a encore peu de temps,
introduire un nouveau type d’émission à cette heure de grande écoute.
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En réalité, ils ont choisi d’importer un concept existant sur la chaîne
parlementaire Public Sénat depuis le mois de septembre de l’année
2009, celui du journal de 22 heures, dont la présentation était l’œuvre
d’une jeune et talentueuse journaliste, d’origine tunisienne, Sonia
Mabrouk. C’est donc elle qui va recevoir Yves ce lundi soir, comme
premier invité de sa toute première émission sur TF1. Le conducteur en
est simple : seulement deux ou trois thèmes d’actualité sont développés et débattus, pendant dix à quinze minutes chacun, avec un ou deux
invités, experts ou personnalités. Seule concession au journal télévisé
traditionnel, un résumé de quatre minutes de l’actualité – appelé « le
tour de l’info » – est proposé en images dans le cours de l’émission.
Yves est l’auteur d’un essai politique qui a connu un succès modeste
en librairie, mais en revanche, un réel succès médiatique puisque la
presse – et notamment la presse hebdomadaire – lui a consacré plusieurs
articles pendant l’été. Ce soir, Sonia invitera Yves à présenter deux des
thèses qu’il développe dans son livre : elle l’interrogera et proposera un
débat avec François D, de l’hebdomadaire Valeurs actuelles.
Yves avait éprouvé une satisfaction profonde lorsqu’il avait été
contacté par la rédaction de TF1 dix jours plus tôt. C’était un vendredi
vers 14 heures. Il était en vacances à Carnac avec Jennifer, sa fille
aînée, son mari Benjamin et leurs deux enfants, Yann et Aurore. Il faisait beau et la famille avait décidé de passer la journée sur la plage, face
à l’hôtel Le Diana où ils séjournaient, mais Yves, souffrant de coups de
soleil, avait préféré de ne pas les accompagner.
Au volant de son Qashqai il avait pris, en milieu de matinée, la direction de La Trinité-sur-Mer, après avoir réservé une table au restaurant
L’Azimut. La terrasse extérieure offrait une superbe vue sur les bateaux
et la petite baie au fond de laquelle se niche le port de La Trinité. Grand
amateur de fruits de mer, Yves était frustré d’en avoir peu consommé
depuis qu’ils étaient arrivés au Diana deux semaines plus tôt, Jennifer
et son mari ne les appréciant guère. À L’Azimut, il s’était donc offert le
plaisir égoïste d’un superbe plateau. Installé sur la terrasse du restaurant, à l’ombre d’un grand parasol, il dégustait ses crustacés et s’acharnait sur un magnifique crabe araignée, tout en admirant le somptueux
paysage maritime, lorsque son iPhone avait sonné. Les mains et les
doigts totalement occupés à décortiquer son crabe, il avait d’abord raté
l’appel, « empatouillé » qu’il était à tenter de s’essuyer les mains dans
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une serviette qui ressemblait plus au chiffon d’un mécanicien qu’à une
serviette de restaurant. Il avait aussitôt rappelé le numéro affiché sur
son portable et une assistante de direction de TF1 avait répondu. Après
s’être présentée, elle lui avait exposé le projet d’interview dans la première édition de 45 minutes pour comprendre et l’avait rapidement
convaincu de rencontrer Sonia Mabrouk lors d’un déjeuner à Paris,
le mardi suivant. Rendez-vous fut donc pris au restaurant de l’hôtel
Radisson Blu, à Boulogne-Billancourt, à quelques centaines de mètres
du siège de TF1.
« Voilà un coup de fil qui me fait vraiment plaisir » se dit-il en raccrochant. « Cette émission sera pour moi l’aboutissement et le couronnement de trois années de travail. » Yves s’était lancé dans l’écriture
de son livre à la fin de l’année 2012, sa réflexion sur la politique française l’ayant mené à un constat : la France qu’il aimait était en train de
se perdre. Son essai constituait un appel aux femmes et aux hommes
politiques, de droite comme de gauche, à réagir et à prendre sans délai
les mesures nécessaires au redressement du pays, à la restauration de
ses valeurs comme à celle de sa compétitivité, en se libérant de leurs
carcans idéologiques. C’était aussi la base d’un programme de gouvernement pour la France. Grâce à son passage dans l’émission, il espérait
se faire entendre de quelques millions de Français, leur donner envie de
lire son ouvrage et, au final, faire progresser ses idées dans l’opinion et
dans la classe politique française.
Il termina lentement la dégustation de ses fruits de mer. Peut-être
avait-il un peu abusé du Muscadet, aussi prolongea-t-il son séjour sur
la terrasse du restaurant, commandant d’abord un café gourmand, puis
un simple café et enfin un troisième, au désespoir à peine masqué du
seul serveur officiant encore en salle. Celui-ci avait sans doute prévu
d’achever son service bien plus tôt dans l’après-midi. Il était 16 heures
lorsqu’Yves repris la route de Carnac. Il s’arrêta dans le bourg acheter
quelques journaux avant de rejoindre Le Diana où il retrouva sa famille
pour le dîner. Il raconta sa journée et expliqua le coup de téléphone de
TF1 et le rendez-vous qui lui avait été proposé le mardi suivant. Il ne
chercha pas à cacher à ses enfants l’excitation qui l’avait gagné depuis
cet appel. La conséquence était néanmoins qu’il lui fallait abréger son
séjour à Carnac et délaisser les siens pendant leur dernière semaine de
vacances. Pour éviter les embouteillages de fin de week-end vers la
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capitale, il ne quitta Carnac que très tôt le lundi matin pour être à Paris
dans l’après-midi.
Bien qu’il disposât d’un pied-à-terre rue de Passy, il décida de
séjourner au Sofitel de la Porte de Sèvres dans le XVe arrondissement.
Celui-ci était suffisamment proche du lieu de son rendez-vous du lendemain pour qu’il puisse s’y rendre à pied si le temps était beau.
Le mardi, peu avant midi, Yves sortit de l’hôtel et se dirigea vers
l’héliport d’Issy-les-Moulineaux qu’il contourna par l’ouest. Après
s’être arrêté quelques minutes sur le Pont d’Issy pour contempler la
Seine et l’extrémité de l’île Saint-Germain, il entra dans BoulogneBillancourt. Délaissant le Quai du Point du Jour qui l’aurait mené
directement à l’immeuble de TF1, il poursuivit par la rue des Peupliers
jusqu’à l’avenue Édouard Vaillant et le Radisson Blu. Il avait marché
agréablement pendant une quarantaine de minutes, sous un ciel ensoleillé quoique légèrement nuageux, lorsqu’il franchit la porte du restaurant de l’hôtel, l’A.O.C. Restaurant. Il indiqua son nom à la jeune
femme qui l’accueillit et l’accompagna jusqu’à une table ronde, face
aux grandes baies vitrées donnant sur une terrasse et une cour intérieure. Comme il était le premier arrivé, il s’installa à l’une des places
adossées aux baies vitrées de façon à surveiller l’entrée du restaurant,
dans l’attente de ses hôtes.
En salle, seules quelques tables étaient occupées alors qu’en terrasse – située dans la cour intérieure de l’hôtel face à un petit jardin où
étaient plantés plusieurs rangs de ceps de vigne portant manifestement
du raisin – la plupart n’étaient plus libres. À 12 heures 35, Yves reconnut Sonia Mabrouk, qu’il avait maintes fois regardée sur la chaîne
Public Sénat, entrant dans la salle, accompagnée d’une jeune femme, à
qui il donna à peine 40 ans, et d’un homme qu’il classait lui aussi dans
la catégorie des quadras. Yves se leva et échangea une poignée de main
avec chacun. La jeune femme s’appelait Nathalie. Assistante de Sonia,
c’est elle qui avait téléphoné le vendredi précédent. Quant à Frédéric,
le supposé quadragénaire, il était Rédacteur en Chef de l’émission 45
minutes pour comprendre. Il indiqua avoir réservé cette table en intérieur afin de bénéficier de la climatisation ; toutefois, si Yves préférait
déjeuner sur la terrasse, comme le temps était beau et la chaleur supportable, cela ne poserait aucun problème. Yves répondit que leur table
lui convenait parfaitement.
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Chacun commença par se présenter et par échanger quelques banalités sur le temps et sur le cadre agréable du restaurant. Puis Sonia
Mabrouk entra dans le vif du sujet et expliqua le concept de 45 minutes
pour comprendre. Elle indiqua qu’elle avait pour principe de ne pas
rencontrer ses invités avant une émission et encore moins de déjeuner
avec eux. « Mais je veux absolument mettre tous les atouts de mon côté
pour réussir la première et laisser peu de place au hasard et à l’improvisation » dit-elle. « Lundi prochain, nous allons peut-être créer l’événement audiovisuel de l’année et, dans toutes les hypothèses, l’événement
médiatique de la journée… L’audience devrait être au rendez-vous. Il
va falloir surprendre le public… mais pas trop… et il va surtout falloir l’intéresser afin qu’il revienne le lendemain et les jours suivants…
Nous savons que le processus de fidélisation prendra du temps et qu’il
faudra attendre quelques semaines avant que nous puissions considérer, si tout se passe bien, l’émission comme installée et faisant vraiment
partie du PAF1. À condition, toutefois, de ne pas rater la première, faute
de quoi nous aurions un gros handicap à surmonter dans les jours et
les semaines qui suivront. Il faut ajouter que l’émission va être scrutée et analysée par l’ensemble des observateurs et commentateurs de
tous bords, qu’ils soient politiques, journalistes ou critiques de presse.
L’analyse qu’ils livreront aura sûrement une influence sur le devenir de
l’émission, sur son évolution à court terme et sur son acceptation par le
public… D’où mon souhait de vous rencontrer aujourd’hui pour bien
préparer notre entretien qui arrivera immédiatement après les titres et
le sommaire de l’émission… Nous serons à l’antenne dès 19 heures
55. »
Frédéric voulut ajouter quelques mots. « Vous savez que pour TF1,
la décision d’abandonner la formule du journal de 20 heures est lourde
d’enjeux, qu’elle représente à la fois une formidable opportunité si le
concept que nous proposons correspond à l’attente ou, mieux encore,
au désir inconscient des Français, mais aussi un énorme risque si nous
nous trompons. Cette formule a été bien rodée par Sonia, pendant près
de six ans sur la chaîne Public Sénat, et même si nous y apportons
quelques aménagements significatifs, elle a déjà fait ses preuves. Mais
elle l’a fait uniquement sur une chaîne à audience limitée, s’adressant avant tout à un public de cadres, d’intellectuels, de professions
1 – Paysage Audiovisuel Français
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libérales, bref, à un public ayant déjà un degré élevé de conscience
politique et citoyenne. C’est dire si nous parions sur l’intelligence des
Français… Et voilà pourquoi, Cher Yves Kermarrec, nous avons pensé
à vous pour inaugurer la première interview de cette émission, suite
au remarquable et percutant essai politique que vous avez publié au
printemps dernier sur l’état de la France et dont la presse s’est largement fait l’écho au cours de l’été. » Yves nota en passant que parier sur
l’intelligence des Français était pour TF1 un sacré virage stratégique
et que le contraste était saisissant entre l’ambition de cette nouvelle
émission et les autres programmes, séries américaines, émissions de
télé-réalité ou de divertissement, qui caractérisent encore la chaîne.
Le restaurant était de bonne qualité et le déjeuner se déroula dans
une ambiance sympathique et détendue. Yves choisit une planche de
charcuterie Pata Negra, les fameux cochons noirs espagnols, qu’il fit
suivre d’un gratin de noix de saint-jacques au gingembre. Le repas fut
arrosé d’un excellent Saint-Joseph rouge de la maison Guigal. Jusqu’au
dessert, la discussion fut assez décousue. À un moment, elle s’engagea
sur le vin. Frédéric demanda à Yves : « êtes-vous amateur de vin et
comment trouvez-vous celui-ci ? » Il répondit qu’il le trouvait excellent et ajouta : « en fait, les vins de la vallée du Rhône font partie de
mes préférés… Ceux de Guigal sont toujours d’une grande qualité et
ne déçoivent jamais. Cette maison familiale produit des vins de CôteRôtie qui sont, selon moi, parmi les meilleurs vins rouges au monde
et notamment leurs trois véritables chefs-d’œuvre… obtenus à partir
de trois petites parcelles bien délimitées, quasiment à flancs de falaise,
au-dessus de la rive droite du Rhône… Il s’agit de La Landonne, La
Turque et La Mouline, trois crus véritablement exceptionnels, résultant
d’un vrai travail d’artiste et d’un savoir-faire qui se transmet dans la
famille depuis trois générations. » Frédéric lui répondit : « vous en
parlez avec passion et vous me donnez vraiment envie de goûter ces
vins !… Pour revenir à l’émission de lundi, soyez-y aussi passionné et
passionnant dans vos propos et je suis convaincu que l’émission sera
un succès. »
Chacun alimenta alors la discussion en interrogeant Yves sur sa
vie, ce qu’elle avait été jusque-là – il avait maintenant 68 ans – et sur
ses projets. Frédéric indiqua qu’il le connaissait par ses écrits depuis
le milieu des années 1980, d’abord lorsqu’il collaborait au journal
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L’Équipe, notamment sous la forme d’un billet quotidien pendant le
Tour de France, et surtout lorsqu’il fut journaliste politique au Point
entre 1988 et 2012.
L’attente du dessert fut le moment d’aborder d’autres questions touchant à l’émission et Sonia, en vraie professionnelle, indiqua ce qu’elle
voulait. Yves ressentit la réelle volonté qui l’habitait. Elle indiqua, en
particulier, comment l’émission allait se dérouler et comment elle
entendait faire suivre l’interview initiale, qu’elle limiterait à six ou sept
minutes, d’un débat avec François D. Yves le connaissait car il l’avait
maintes fois rencontré lorsqu’il travaillait au Point. Il indiqua qu’il était
ravi de ce débat, François étant à la fois un homme de convictions et un
homme ouvert, dénué de tout sectarisme. Sonia lui proposa de centrer
l’interview sur deux thèmes majeurs de son livre, la compétitivité des
entreprises françaises et l’immigration. Yves l’accepta bien volontiers
et ils continuèrent à échanger sur le contenu probable de l’interview et
du débat, puis à régler quelques détails de protocole.
Même s’il pensait connaître le parcours professionnel de Sonia,
Yves lui posa quelques questions auxquelles elle répondit. « Je suis
née à Tunis… J’ai effectué mes études à l’école de commerce IHEC
de Carthage puis à Paris, à la Sorbonne. Rien ne me prédisposait a
priori au journalisme, j’envisageais plutôt une carrière dans l’enseignement… Mais ma vie est marquée par quelques rencontres importantes qui ont pesé sur mon parcours. Celle de Béchir Ben Yahmed, un
journaliste franco-tunisien, ministre éphémère de l’information d’un
gouvernement d’Habib Bourguiba, puis fondateur de l’hebdomadaire
Jeune Afrique. C’est lui qui m’a fait intégrer la rédaction de ce magazine… En 2008, c’est ma rencontre avec Jean-Pierre Elkabbach…
Il me propose la présentation du journal de 22 heures, en direct, sur
Public Sénat. N’écoutant que mon instinct, j’y ai répondu positivement
avec beaucoup d’enthousiasme et d’envie… Je l’ai présenté pendant
six ans, avant d’accepter l’offre de TF1 d’animer à partir de lundi 45
minutes pour comprendre. »
Frédéric reprit la parole pour confirmer ce que la presse avait
déjà laissé entendre : pour les deux éditions du week-end, le samedi
et le dimanche, la présentation était confiée à Géraldine Muhlmann.
« Vous voyez, dit-il, le niveau impressionnant de nos nouveaux journalistes… Sonia vient de vous résumer son parcours. Quant à Géraldine
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