Jean-Christophe Fromantin : l`homme qui a

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Jean-Christophe Fromantin : l`homme qui a
 16 juin 2012 M Le Magazine du Monde-­‐Supplément week-­‐end Audience : 1.601.000 lecteurs Jean-Christophe Fromantin : l'homme qui a
désarkoïsé Neuilly
Par Béatrice Jérôme
CHEZ SÉBILLON. MARDI 5 JUIN. On sert ici le meilleur gigot de
Neuilly. Charles Pasqua, tel un gros chat qui s'apprête à se
délecter d'une souris, guette son convive. L'ancien patron du 92
n'a pourtant guère envie de se mettre à table. Quoi de neuf ? "A
part les nouveaux bacs à fleurs dans les rues et les pistes
cyclables, rien n'a changé, bougonne-t-il en sirotant un Ricard.
Fromantin ? Il pense qu'il a un destin. Mais il a le charisme d'un
garçon de bureau !" Pourtant, dans ces Hauts-de-Seine berceau
du sarkozysme où aucun député UMP n'a été élu au premier tour,
Claude Guéant étant même mis en difficulté dans une triangulaire
à Boulogne-Billancourt, Jean-Christophe Fromantin fait figure de
vainqueur.
Certes, le maire de Neuilly n'a pas décroché son siège de député
le soir du 10 juin. Mais il a obtenu 39,34 % des suffrages devant
Bernard Lepidi, un candidat divers droite (21,8 %) soutenu en
sous-main par une partie de l'UMP, et la candidate (PS) Marie
Brannens (21,4 %) . Le second tour s'annonce plus serré. [A
l'issue du second tour, Jean-Christophe Fromantin a été élu
député de la 6e circonscription des Hauts-de-Seine, recueillant
51,2 % des voix, NDLR]. Mais après son hold-up sur la mairie de
Neuilly en 2008, son raid sur le canton nord de la ville, en 2011, lui
qui a monté sa "start-up" politique il y a cinq ans, devrait réussir à
s'imposer dans la circonscription de Neuilly-Puteaux, celle où
siégea Nicolas Sarkozy. Une carrière nationale ? Il y pense. Il a
créé son parti, Territoires en mouvement, un millier d'adhérents.
Beaucoup l'encouragent.
Il y a deux mois, autour d'un café, Jean-Louis Borloo lui a dit :
"Vas-y ! Fonce !" "On a perdu un narcissique pour en retrouver un
autre !", soupire cependant une Neuilléenne assez peu
16 juin 2012 M Le Magazine du Monde-­‐Supplément week-­‐end Audience : 1.601.000 lecteurs fromantiste. Qu'importe. Jean-Christophe Fromantin alias JCF est
convaincu qu'il dispose d'un capital territorial : "Neuilly est une ville
de têtes de réseau, un levier, une caisse de résonance",
s'emballe-t-il. Il rêve d'en faire le terreau d'une nouvelle droite,
débarrassée de ses oripeaux bling-bling. Une droite à visage
humain, loin des tentations d'alliance avec l'extrême-droite qui se
font jour chez certains UMP depuis l'entre-deux tour de la
présidentielle.
Candidature aux Législatives 2012
Neuilly "n'est pas seulement un lieu où se concentre la richesse
mais aussi le pouvoir" observe John Lichfield dans le quotidien
britannique The Independent du 17 avril. Marine Le Pen,
Dominique Strauss-Kahn y sont nés. François Hollande y a vécu
une part de sa jeunesse. Quant à Nicolas Sarkozy... L'ex-président
de la République, pendant vingt-quatre ans édile de Neuilly, y a
laissé une empreinte durable. Sur la plaque de fonte de la grande
cheminée de la salle des fêtes de la mairie, achevée en 1885,
figurent deux gigantesques lettres entrelacées : un N et S, les
armoiries de Neuilly-sur-Seine. Mais aussi les initiales de Nicolas
Sarkozy. Pas tout à fait un hasard ! "Neuilly c'est Sarkoville !",
résume Steven Erlanger, chef du bureau du New York Times à
Paris, dont les locaux sont situés sur la commune. "Sarkozy, c'est
l'enfant chéri. Jean, son fils, est très aimé, assure Lili Gion, viceprésidente de Territoires en mouvement. Les gens veulent
l'approcher, lui parler. Il y a quelque chose de très affectif entre les
Sarkozy et Neuilly." Mais "Fromantin, aussi. Les gens en sont
fous. Ils l'adorent", insiste cette fan de la première heure.
La victoire de Jean-Christophe Fromantin, c'est "la revanche de
l'argenterie de famille sur le bling-bling", écrit en 2008 JeanFrançois Minne, un de ses ex-coéquipiers dans Hold-up sur la
mairie de Neuilly (éditions Pascal Galodé, juin 2008). Chef
d'entreprise, bon chic bon genre, catholique pratiquant, père de
quatre enfants, il a "fait du bien à la ville", explique Sylvain Orebi,
président de Kusmi Tea. "Depuis qu'il est maire, on ne se moque
16 juin 2012 M Le Magazine du Monde-­‐Supplément week-­‐end Audience : 1.601.000 lecteurs plus de nous quand on dit qu'on habite Neuilly. Son esprit
entrepreneur indépendant, son comportement décent, poursuit le
patron neuilléen de la maison de thé branchée, a donné une autre
vitrine à la ville."
NEUILLY NE SERAIT DONC PLUS UN GHETTO DE RICHES ?
Certains signes le laissent penser. Les Neuilléens font "la Fête des
voisins", chinent à la braderie-brocante annuelle, circulent à Vélib',
achètent leurs vêtements de marque dans des dépôts-ventes, leur
pain bio au magasin les Nouveaux Robinson. Comme leurs voisins
les bobos parisiens. Sauf que ce sont des bobos de droite. C'est
sur eux que JCF s'appuie. Dans ses réunions d'appartement, les
jeunes cadres qui travaillent à la Défense adorent l'entendre gloser
sur ce qu'il appelle "l'avantage compétitif des produits français".
Eux dont certains ont une maison de famille au Pays basque ou
une chasse en Sologne apprécient son côté "retour à la terre"
quand il cite les coutelleries de Laguiole en Aveyron ou
pecheur.com, un site de vente de produits pour la pêche à la
mouche, installé dans l'Allier, en exemple de ce qu'il faut
promouvoir pour sauver l'économie française. JCF théorise :
"Dans un monde global, les gens ont besoin du local pour se
rassurer."
Le maire incarne un Neuilly version village "hype". Place du
Marché, Le Havane, un bar-tabac comme on en trouve dans le
Marais, est devenu l'un de ses QG. JCF en a fait le point d'arrivée
de son jogging dominical. Il entraîne dans son sillage, chaque
dimanche, une cinquantaine de Neuilléens affublés d'un tee-shirt
siglé Neuilly 9 h 30. "On aurait dû se donner rendez-vous à 9 h 20
pour éviter qu'on ne dise 9.3", rigole-t-il. Autre signe distinctif, M.
Fromantin n'a pas de chauffeur. "Je leur dis à tous ces maires qui
se cachent derrière leurs vitres fumées : "Vous ne devriez pas
vous couper des gens comme ça !"" Ce dimanche 3 juin, à plus de
80 km/h sur le pont de Puteaux qu'il traverse pour aller "tracter"
dans l'autre partie de sa circonscription, on lui rappelle que
François Hollande, lui aussi, a fait campagne à scooter. "Je suis le
normal de droite !", lance-t-il sans s'apercevoir qu'il vient de griller
un feu rouge...
16 juin 2012 M Le Magazine du Monde-­‐Supplément week-­‐end Audience : 1.601.000 lecteurs Mais JCF n'oublie pas qu'il est l'élu de la France d'en haut. Etre
maire de Neuilly, c'est avoir les "06" de tous les VIP de la ville. A
commencer par ceux des médias télévisuels : Marc Tessier,
ancien patron de France Télévisions, Nicolas de Tavernost, le
patron de M6, Jean-Marie Cavada, l'ancien journaliste devenu
député européen, Christian Malard, chef du service étranger de
France 3, tous neuilléens. JCF applique les mêmes recettes que
son illustre prédécesseur. A la mairie, le monde de la presse et
celui des affaires disposent de son rond de serviette. "Sarkozy
m'invitait à des petits déjeuners en tête-à-tête. Fromantin associe
les entreprises aux projets de la ville", se félicite Christian Courtin,
président du conseil de surveillance de Clarins. La maison de
parfumerie familiale, dont le siège social est à Neuilly, soutient le
projet d'Exposition universelle à Paris en 2025 que défend JCF.
LA VILLE COMPTE PAS MOINS DE 25 AMBASSADES ET
CONSULATS. Tous les deux mois, le maire réunit son Cercle
diplomatique autour de nappes blanches et de tasses en
porcelaine. Les navigateurs Loïck et Bruno Peyron ainsi que
Jacques Attali, qui habite en face, y sont venus animer des
conférences.
Autre particularité de la ville selon certains de ses habitants, "à
Neuilly, on affiche son judaïsme sans risquer d'être montré du
doigt", déclarent Adeline Fleury et Pauline Revenaz, auteurs de
Neuilly village people (Editions du Moment, février 2008, 20,20
euros). "La communauté juive compte pour 25 % des Neuilléens,
elle fait partie intégrante de la ville", explique Lili Gion. "On fait en
sorte que "old money" et "new money" cohabitent bien", assure
Christophe Aulnette, premier adjoint à la mairie, ex-haut
responsable chez Microsoft. C'est le cas ce mardi 5 juin, salle des
fêtes de la mairie. Dans un brouhaha parfumé, la gentry qui joue,
l'été, sur les greens de Chantaco à Saint-Jean-de-Luz, se mêle à
celle des week-ends à Deauville. C'est la remise des prix du
trophée de Neuilly Golf. Le président de l'association, Jean-Louis
Sadone, patron de la plus grosse agence immobilière de Neuilly,
supplie : "Ne nous caricaturez pas ! Neuilly n'est pas que BCBG.
Le mètre carré le plus cher, ici, est à 15 000 euros. Il est à 20 000
euros dans le 6e, à Paris."
16 juin 2012 M Le Magazine du Monde-­‐Supplément week-­‐end Audience : 1.601.000 lecteurs Les Neuilléens n'en restent pas moins d'irréductibles privilégiés. Et
Jean-Christophe Fromantin n'a rien changé à cette réalité dorée.
20 % des foyers fiscaux sont assujettis à l'impôt sur la fortune.
Depuis dix ans, leur proportion augmente en même temps que
celle des cadres supérieurs et des professions libérales qui
représentent 62 % de la population. Le revenu fiscal médian est de
43 867 euros contre environ 12 000 euros à Gennevilliers, ville du
Nord des Hauts-de-Seine. Au marché de Neuilly, la barquette de
tomates cerises peut atteindre 24 euros ! Si la semaine, on voit
circuler trottinettes et Smart, les Porsche Cayenne sont toujours
de sortie.
RUE DE LONGCHAMP, HÉDIARD A FERMÉ. Mais le pressing
Class Cleaner rue Ernest-Deloison précise bien qu'il est "maître
artisan teinturier". "C'est devenu plus "nouveaux riches", ajoute le
libraire Nicolas Mittaud, dans la même rue, mais Bagatelle reste
un petit village tradi." Un chaland élégant passe le pas de la porte :
Patrick de Chocqueuse, ex-banquier chez Indosuez, pochette et
cravate en soie et effluve de parfum Caron. "Jadis, j'aimais croiser
Liliane Bettencourt qui faisait le tour du lac Saint-James", se
souvient-il. La vieille dame habite toujours à deux pas, non loin de
Martin Bouygues. "Et Bill Gates a récemment loué une maison
dans le quartier pour faire visiter Paris incognito à ses enfants",
lâche JCF depuis son scooter. Ce 3 juin, il est venu encourager
l'ancien boucher à la retraite de Mme Bettencourt, Michel Goueri,
chemise rayée et mocassins en daim qui tracte pour lui au coin de
la rue. Il rentre dans la boulangerie et salue M. Cavada avant de
filer vers Puteaux. Dans la grande rue de l'autre ville de sa
circonscription, Michel Kajdane, ingénieur et militant fromantiste,
lance aux passants : "Fromantin, c'est du bon pain. Il a un nom qui
sent bon la France." "Sarkozy était toujours pressé, Fromantin
prend le temps de nous serrer la main", apprécie un passant. Mais
JCF, l'élu "tranquille", est aussi un homme qui aime être sur tous
les fronts. Il continue d'animer son entreprise dans le secteur
import-export, installée à Paris. Il aimerait pouvoir cumuler son
mandat de maire et de député au moins pendant quelques années
"pour ne pas voter des lois sans être déconnecté du territoire", ditil.
16 juin 2012 M Le Magazine du Monde-­‐Supplément week-­‐end Audience : 1.601.000 lecteurs Ses multiples casquettes peuvent finir par agacer. Neuilly sait
qu'elle est un tremplin potentiel pour une carrière politique. Elle
n'aimerait pas que son maire la considère un peu trop vite comme
une simple rampe de lancement. Flattés qu'il leur parle de sujets
stratosphériques, les Neuilléens, exigeants, "n'en veulent pas
moins un édile à temps plein qui s'occupe de leurs poubelles et qui
règle les problèmes du quotidien", prévient Jean-François Probst,
ancien conseiller de Jacques Chirac à la mairie de Paris,
Neuilléen, que consulte à ses heures Jean-Christophe Fromantin.
"A Neuilly, les gens sont cools parce qu'ils n'ont rien à prouver",
résume Fanny Bejar, décoratrice d'intérieur. A la terrasse du
Havane, la jeune femme un brin exubérante décortique avec une
bande d'amis une montagne de crevettes roses livrée par "Phiphi"
le poissonnier qui, dit la rumeur, roulerait en voiture de course.
JCF vient de partir déjeuner en famille. Mme Bejar propose à la
ronde ses places à Roland Garros dans la loge présidentielle.
Autour de la table se mêlent sarkozystes maintenus et
fromantistes convaincus. Ils ont tous un point commun : leur
insolent bonheur de vivre ! Qu'importe si les clichés sur leur ville
ont la vie dure. Ils s'en moquent. "A Neuilly, l'hiver, les rues sont
chauffées. L'été, elles sont climatisées. Comme chacun sait",
rigole Lili Gion. C'est ce qui fait son charme.