"Parlez-moi d`amour" avec "Les Amants de minuit"
Transcription
"Parlez-moi d`amour" avec "Les Amants de minuit"
Le plaisir Reliures n° 21 "Parlez-moi d'amour" avec "Les Amants de minuit" Gabrielle STEFANSKI (RTBF) Propos recueillis par Stéphane GILLOT avec la complicité de Zohra OULAD-CHAIB La RTBF, radio et télévision belges francophones de service public, ne se contente pas de diffuser des émissions que l'on pourrait qualifier de "socialement conformistes". On se souviendra de la fausse émission d'information qui annonçait l'éclatement de la Belgique, et qui (avait) fait scandale. Dans le domaine sensible de l'intime, il serait peut-être dommage d'ignorer "Parlez-moi d'amour" et "Les Amants de minuit", de et par la Liégeoise Gabrielle Stefanski : là où l'on peut écouter ceux et celles qui ne craignent pas de dévoiler un pan de leur vie intérieure et s'étonner (ou se rassurer) du partage radiophonique des tourments sentimentaux et sexuels de ses contemporains… Depuis combien de temps votre émission existe-t-elle ? Elle en est à sa dixième année. A l'origine, je m'occupais de "Voisins - voisines", qui traitait des immigrés, des sans-papiers, de leurs musiques et de leur vie. L'émission a été réduite, on m'a demandé un projet d'émission pour le samedi soir, et j'ai proposé moimême le titre "Parlez-moi d'amour", car ce qui préoccupait les immigrés et les auditeurs en général, c'était la rencontre. J'ai pensé qu'il fallait aller dans ce sens : les passions en général… A partir de là, je me suis dit qu'il existait un grand intérêt pour la littérature amoureuse et érotique, les romans de l'intime, il y avait matière à réflexions et questionnement, et j'ai commencé à faire une heure autour de cela. Des textes autour 17 Reliures 21 Automne-Hiver 2008 d'un thème : la fidélité, la solitude, la rupture… En fonction de l'actualité, des nouveautés qui paraissaient, je faisais des montages, des collages de textes. Le Kama-sutra, les Contes des Mille et Une Nuits, qui sont à caractère érotique mais avec une revendication, m'ont paru intéressants. Puis, j'ai eu une heure l'aprèsmidi appelée "Et si on parlait d'amour ?" : de la "psycho-sexologie", avec notamment des intervenants, des spécialistes de l'U.C.L., d'une faculté universitaire d'Amsterdam, et de Namur. J'ai fait pas mal d'émissions sur la vie affective et sexuelle des handicapés… Cela faisait un peu office d'observatoire. J'ai beaucoup travaillé avec l'Université de Liège. Ensuite, depuis Magellan, j'ai proposé une soirée intégrée de quatre heures. Deux heures sur les comportements amoureux au sens large : comme la question du nom du père pour l'enfant aujourd'hui, ou les orgasmes féminins… Et là, je m'entoure toujours de personnes-ressources qui m'aident à recadrer, à propos d'un invité, qui me donnent un éclairage plus global. "Passeuse de paroles" Comment concevez-vous votre rôle ? Personnellement je suis "passeuse de paroles", je suis à l'écoute de toutes ces pulsions, de toutes ces passions, de ces revendications. Je suis aussi un relais entre le public et les chercheurs, et les personnes qui ont des choses à dire. Le choix des sujets est fonction des colloques au fil de l'actualité, et aussi du public qui me donne des retours. Aujourd'hui, après la première heure de "Parlez-moi d'amour" (de 22 à 23 heures), j'ai aussi une heure intitulée "Les Amants de minuit" (à 23 heures) : l'invité est un artiste, qu'il soit auteur, peintre, chanteur… A partir de l'oeuvre, on va un petit peu vers l'intime. C'est un questionnaire qui fait qu'on s'interroge. Je commence par un questionnaire à la Proust. Par exemple, "Quel est l'état présent de votre cœur ?", "Quel est votre fantasme sexuel ?". Il y a des réponses ou il n'y en a pas, il y a des détournements. "Quel est votre rêve de bonheur ?" Quelques questions reviennent, toujours les mêmes. Et les gens disent : "C'est incroyable : on n'avait jamais pensé à ça", "Tiens, on n'est pas tout seul.". C'est le plus beau compliment, le plus beau retour que j'aie. Ce sont des pistes de questionnement. Cela me sert aussi de miroir. Dans notre société où les parents divorcent souvent, nous avons aussi fait des émissions sur les adolescents et les enfants, qui souffrent de cela. La sexualité, la sexologie sont des sections universitaires qui s'ouvrent beaucoup. Tous les professeurs et médecins que j'ai reçus m'ont appris que les médecins n'ont peut-être que dix heures de sexologie dans leur cursus. Et en même temps, les gens croient que leur médecin va pouvoir leur donner des conseils en cette matière… Quand il s'agit d'une question sur le désir, par exemple, il n'est absolument pas armé pour le faire. J'ai appris récemment que l'on va élargir ces cours-là. Le plaisir peut venir de la peur de l'ennui Comment choisissez-vous vos invités ? D'abord en fonction du sujet. Reliures n° 21 Le plaisir J'écoute un peu le pouls du monde, et les doléances des jeunes, des gens de ma génération ou des personnes plus âgées, je vois les colloques, les publications... A partir de là, je choisis les sujets. Un sujet en fait naître un autre. La sexualité féminine a tellement de volets possibles : il n'y a pas que le sexe, c'est aussi l'amour et la sexualité, c'està-dire l'utopie du Prince Charmant, son propre désir et celui du partenaire ; le choix de certaines femmes de ne pas avoir d'enfant et de l'assumer, et de dire qu'elles ne sont pas des renégats de la société pour autant. Que vous inspirent les termes d'amour, de passion et de plaisir ? L'amour… Que sais-je ? L'amour en général, mes folies, mes envies, l'amour quand ?, les différentes formes d'amours, l'amour qui devrait être sans condition… La passion : c'est une mise en danger, un feu dévorant. On oublie les valeurs contingentes. La passion est à saisir. Cela peut entraîner la destruction de ses valeurs, de l'image de soi. Le plaisir : c'est un moment éphémère, non préparé. Il est indépendant de l'aptitude au bonheur. Il existe avec ou sans artifices, avec ou sans mise en scène. C'est une façon d'être à la vie. On peut faire plaisir à l'autre et à soi-même. Il est sans obligation, avec l'illusion de la liberté. Il faut pouvoir dire non. Il existe aussi dans l'improvisation. Il ne doit pas dépendre de la question de plaire ou de déplaire. On peut y voir aussi la peur de l'ennui, souvent. Car on a peur de l'ennui, et de soi… J L'émission de radio "Parlez-moi d'amour", proposée et présentée par Gabrielle Stefanski, est diffusée sur La Première de la RTBF en fréquence modulée (sur 96,4 MHz à Liège) le samedi de 22 heures à minuit et rediffusée le dimanche (huit jours plus tard) de minuit à 2 heures. Accessible en direct et téléchargeable en MP3 sur le site www.lapremiere.be. Reliures 21 Automne-Hiver 2008 18