l`impossible et le contrat
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L’IMPOSSIBLE ET LE CONTRAT Par Roger Masamba Makela Professeur à l’Université de Kinshasa et à l’Université Protestante au Congo, Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Publié dans les Mélanges Pougoué (2015) 2 SOMMAIRE INTRODUCTION I. L’IMPOSSIBLE PEUT AFFECTER L’EFFICACITE ET LA VALIDITE DU CONTRAT A. L’incidence de l’impossibilité de l’objet sur l’efficacité et la validité du contrat a) Impossibilité absolue b) Impossibilité relative B. L’incidence de l’impossibilité dela conditionsur l’efficacité et la validité du contrat a) Evènement dont la réalisation ou la défaillance est impossible b) Conséquences de la condition impossible II. L’IMPOSSIBLE PEUT JUSTIFIER L’INEXECUTION DU CONTRAT A. Les caractères de la force majeure a) Impossibilité de prévoir et de résilier b) Cause étrangère B. L’exonération de la responsabilité contractuelle du débiteur CONCLUSION INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES 3 INTRODUCTION Le professeur Paul-Gérard Pougoué a profondément marqué l’évolution du droit en Afrique par ses multiples contributions consacrées au droit OHADA, dont l’Encyclopédie du droit OHADA constitue un bel échantillon. A lui seul, il symbolise l’émergence et la maturation d’une doctrine africaine qui a largement modelé le droit uniforme et soutenu son rayonnement. Aussi est-ce agréable de lui rendre hommage à travers quelques modestes lignes. C’est aussi le moment, par une convergence de pensées, de lui dire simplement merci. Ceux qui connaissent notre collègue savent ce que signifie pour lui la passion du droit et la rigueur dans la recherche, mais aussi la diversité et l’interdisciplinarité dans l’activité scientifique. On aurait parié que son thème favori serait le droit des affaires, et rien d’autre ! On le rencontre pourtant sur le terrain civiliste du droit des obligations. Mais les frontières sont-elles étanches ? Rien n’est moins sûr. Il est vrai que le droit OHADA lorgne aussi sur les matières civiles intéressant l’entreprise, comme précisément le droit des obligations. Après que l’avant projet d’Acte uniforme sur les contrats soit entré en hibernation, des analyses ont conduit à la mise au point du « Projet de texte de droit uniforme des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive dans l’espace OHADA »1. Il s’agit d’un projet substitutif qui prendra probablement la forme d’un cadre de référence, en d’autres termes d’une loi-type, à la libre disposition des Etats membres de l’OHADA. La Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement a, en effet, décidé qu’à côté des Actes uniformes, le dispositif communautaire devra s’enrichir de cadres de référence. La méthodologie d’intégration juridique vient donc de se métamorphoser au sein de l’OHADA, en réponse aux préoccupations relatives à l’avenir de notre organisation et de son rayonnement2. Il serait hasardeux de traiter, en quelques lignes, des obligations en général, surtout que les perspectives d’harmonisation souple ou rigide conduisent nécessairement à étendre le champ de la réflexion à plusieurs systèmes juridiques nationaux de l’espace OHADA, certes largement inspirés du droit français, mais qui s’en différentient désormais plus souvent qu’on ne le pense. Devant l’embarras du choix, parmi tant d’autres aspects lumineux de cette 1 Rédigé par Joseph Issa-Sayegh, Paul-Gérard Pougoué et Filiga Michel Sawadogo, auxquels se sont joints Dorothé Cossi Sossa, Ndiaw Diouf et Roger Masamba. 2 Joseph Issa Sayegh et Paul-Gérard Pougoué, L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de solutions, communication au colloque de Ouagadougou, 2008 ; Roger Masamba, L’optimisation du processus d’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Revue de Droit International et de Droit Comparé, Bruxelles, Bruylant, n° 2-3, 2008, p. 265. 4 matière chère au collègue Pougoué, c’est le regard sur diverses situations bloquant, atténuant ou adaptant la logique des obligations qui a le plus retenu notre attention : le sort du contrat face à l’impossible. En effet, malgré l’absence d’une théorie générale des obligations impossibles, le droit des contrats n’est pas resté insensible à l’adage « à l’impossible, nul tenu ». Ainsi observe-t-on, à travers plusieurs dispositions de nos codes civils relatives aux contrats, le souci du législateur de prendre en considération la notion d’impossibilité. L’intérêt, tant pratique que théorique, de cette notion d’impossibilité peut s’apprécier au niveau de la formation et de la validité du contrat, comme à celui de son exécution. D’une part, certaines circonstances rendent impossible la formation d’un contrat valable et efficace. De même que l’absence de consentement (consentement d’un incapable ou d’un dément, erreur obstacle) empêche la formation du contrat, les vices du consentement (erreur, dol, violence) font, sous certaines conditions obstacle à sa validité. Mais, d’autres hypothèses peuvent également affecter la validité du contrat. Ainsi en est-il lorsque l’objet ou la condition de l’obligation contractuelle s’avèrent impossibles. Il reste vrai que, selon sa nature, l’impossible produit sur le contrat des effets différents. En fait, seule l’impossibilité absolue (qu’elle soit juridique ou matérielle) et objective fait obstacle à la validité d’un contrat. En revanche, le contrat demeurera valable en cas d’impossibilité relative au débiteur ou lorsqu’il a pour objet deux obligations alternatives dont l’une seule s’avère impossible. De même, le contrat sera partiellement valable en cas d’impossibilité partielle. D’autre part, l’impossible peut justifier l’inexécution d’un contrat valablement conclu. En effet, la force obligatoire du contrat ne s’impose que sous réserve des incertitudes inhérentes aux circonstances diverses, naturelles ou sociales, qui entourent et affectent l’exécution des engagements pris. Ainsi, qu’une tempête violente détruise des entrepôts, ou qu’une grève éclate, l’exécution du contrat est perturbé3, comme elle le sera en cas de tremblement de terre, par exemple. Il est donc logique que le droit positif protège le débiteur dont l’inexécution est fortuite contre une application excessive des principes de la convention-loi et de l’effet obligatoire des conventions ainsi que des risques inhérent aux conséquences de l’inexécution des engagements pris. Dans cet esprit, la responsabilité contractuelle du débiteur d’une obligation de moyens ne sera engagée que si la preuve de sa négligence est rapportée. De même, le débiteur d’une obligation de résultat, dont l’inexécution est en principe présumée fautive, bénéficie de la protection du législateur et de la jurisprudence contre l’impossibilité et l’aléa exceptionnel qui pourraient faire obstacle à l’exécution4. En effet, la force majeure est généralement considérée comme un fait justificatif de l’inexécution de l’obligation et exonératoire de la responsabilité contractuelle du débiteur de ladite obligation. Ainsi, de même qu’elle peut affecter l’efficacité et la validité du contrat (I), l’impossible peut en justifier l’inexécution (II). 3 Cl. Brulant, Aléa, incertitude et risque dans les obligations contractuelles, Thèse Paris 1972, p. 148 et p. 167. 4 J.J. Taisne, Notion de condition dans les actes juridiques, Thèse Lille II, 1977, p.542 et ss. 5 I. L’IMPOSSIBLE PEUT AFFECTER L’EFFICACITE ET LA VALIDITE DU CONTRAT Quelle que soit la nature de l’impossibilité, l’efficacité du contrat peut être anéantie et sa validité affectée si son objet s’avère impossible (A) ou s’il est assorti d’une condition impossible (B). A. L’incidence de l’impossibilité de l’objet sur l’efficacité et la validité du contrat Lorsque l’objet de l’obligation est impossible, le contrat doit être frappé de nullité absolue. Cette sanction n’est cependant pas applicable à tous les types d’impossibilités. Alors que, lorsqu’elle est absolue, l’impossibilité justifie la nullité du contrat (a), l’impossibilité relative ne modifie pas les engagements des parties (b). a) Impossibilité absolue L’impossibilité absolue, qui rend le contrat sans objet et lui prive d’un élément essentiel de sa validité, produit pratiquement les mêmes effets, qu’elle soit d’origine juridique ou matérielle. L’impossibilité matérielle résulte d’un obstacle matériel réellement insurmontable, et non pas seulement difficile à surmonter. L’impossibilité sera certainement matérielle si l’objet de l’obligation est contraire aux lois de la nature : ainsi en serait-il lorsque le fait promis est de toucher le soleil, tracer un triangle sans angle ou démontrer la quadrature d’un cercle. Il en serait de même si l’objet du contrat portant sur un certain corps a péri avant la passation du contrat. Ce constat demeurerait constant même après cette étape précontractuelle, comme le prévoient les dispositions de nos codes civils : « l’obligation est éteinte provisoirement ou définitivement (…) si le corps certain et déterminé qui était dû vient à périr ou se perd sans la faute du débiteur (…) » (voir notamment article 214 du code des obligations civiles et commerciales du Sénégal, articles 702 alinéa 2 et 767 du Code civil guinéen)5. En revanche, une destruction minimum laisserait subsister l’objet et le contrat : « Si une partie seulement de la chose est périe, il est au choix de l’acquéreur d’abandonner la vente, ou de demander la partie conservée, en faisant déterminer le prix par ventilation » (article 278 alinéa 2 du Code civil congolais livre III, transposition de l’article 1601 alinéa 2du Code civil français, repris comme tel dans le Code civil du Burkina Faso). Lorsqu’elle trouve sa source dans une loi faisant obstacle à la réalisation de l’objet, l’impossibilité est dite « juridique ». D’une manière générale, comme l’énonce opportunément le premier alinéa de l’article 74 du Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal avec une précision (« être impossible ») qui manque dans certains codes civils6, « la prestation 5 Au Sénégal, il a été jugé que « la disparition de l’objet stipulé dans un contrat entraîne la résiliation de cette convention » (note sous l’article 73 se référant à CA n° 291 du 22 juin 1979, in Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal annoté, Editions Juridiques Africaines, 2010, p.44. 6 Les formulations des articles 27 et 28 alinéa 1 du Code civil congolais livre III (RDC), qui sont respectivement identiques à celles des articles 1128 et 1129 du Code civil français, sont moins complètes : « Il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puisse être l’objet des conventions » (article 27) ; « Il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce » (article 28). Ces dispositions figurent dans les Codes civil sénégalais et guinéen qui ajoutent que l’objet doit être possible. 6 promise doit être possible et porter sur des choses qui sont dans le commerce ». L’article 664 du Code civil guinéen abonde dans le même sens : « L’objet d’un contrat doit être (…) possible, c’est-à-dire réalisable (…) ». Cette notion avoisine celle d’illicéité de l’objet : « L’objet d’un contrat doit être (…) licite, c’est-à-dire non prohibé par la loi (…) » (article 664 du Code civil guinéen). L’objet sera absolument et juridiquement impossible si le fait promis consiste à obtenir « une émancipation avant l’âge requis » ou « un mariage avant la puberté »7. Il en sera de même en cas d’inexistence ou de perte de la chose objet d’un contrat portant sur un corps certain : « Si au moment de la vente la chose était périe en totalité, la vente serait nulle » (article 278 alinéa 2 du Code civil congolais livre III, transposition de l’article 1601 alinéa 1 du Code civil français, repris comme tel dans le Code civil du Burkina Faso). Dans le même sens, demeurerait juridiquement impossible, la cession d’un bail résilié, d’un bien vendu, d’une créance inexistante ou d’un droit qu’on ne possède pas8. Juridique ou matérielle, l’impossibilité absolue de l’objet justifie la nullité absolue du contrat. Cette sanction est en outre accompagnée d’une condamnation à des dommages-intérêts contre le débiteur qui, lors de la conclusion du contrat, connaissait l’impossibilité absolue. Si cette impossibilité était connue des deux parties, la nullité serait fondée sur le défaut de consentement. Par ailleurs, en ce qui concerne les choses de genre, l’impossibilité « temporaire » de l’objet n’entraîne pas la nullité. En effet, dans cette hypothèse, le contrat est considéré comme conclu à terme jusqu’au moment de la disparition de l’impossibilité provisoire9. Il n’en irait autrement que si les parties ont, elles-mêmes, fixé un terme à l’exécution de leurs engagements. En tout état de cause, l’impossibilité doit être réellement absolue à l’égard de tous ; dans le cas contraire, il s’agirait d’une impossibilité relative, laquelle ne justifierait pas la nullité absolue du contrat. b) Impossibilité relative L’impossibilité relative aux facultés du débiteur ne libère pas ce dernier, car il lui appartenait de ne pas s’engager au-delà de ses possibilités. Bien qu’absente du Code civil français, cette solution prétorienne de longue date10 n’a pas manqué d’inspirer la Commission de réforme dudit code qui l’a reprise à l’article 36 alinéa 2 de son projet. L’appréciation « in abstracto » de la notion d’impossibilité par la jurisprudence conduit clairement à conclure que chacun doit supporter le risque d’être faible. Il reste cependant admis que nul ne peut triompher de l’impossible. Cette idée n’est pas non plus étrangère à la règlementation des conditions impossibles. 7 J.J. Taisne, Thèse précitée, p. 57. Cass. Civ. 20/2/1973, DS 1974, 37, Note Ph. Malaurie. 9 Besançon, 25/3/1928 DP 1928, 2.120. 10 Paris 4/7/1865. D.P. 1865. 2.201. 8 7 B. L’incidence de l’impossibilité de la condition sur l’efficacité et la validité du contrat La condition est un évènement futur et incertain dont dépend soit la résolution, soit la formation du contrat. Un tel évènement peut s’avérer impossible (a) et, par conséquent, bouleverser l’économie du contrat, voire supprimer sa validité (b). a) Evènements dont la réalisation ou la défaillance est impossible. Les évènements dont la réalisation ou la défaillance est impossible ne peuvent constituer des conditions valables, car il leur manque l’incertitude objective requise par la loi et le caractère futur. Comme le précise le premier alinéa de l’article 22 du « projet de texte de droit uniforme des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive dans l’espace OHADA » : « L’obligation est conditionnelle lorsqu’on la fait dépendre d’un évènement futur et incertain » (formulation quasi-identique à celle de l’article 66 du Code civil congolais livre III). Dans le même sens, l’article 66 du Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal dispose : « La condition est un événement futur et incertain dont dépend la formation ou la disparition de l’obligation ». Lorsque l’impossibilité affecte la réalisation même de la condition, elle est dite « stricto sensus ». Ainsi en est-il en cas d’impossibilité naturelle (par exemple, la condition de toucher le soleil), ou d’impossibilité juridique (par exemple, la condition d’épouser sa sœur). Dans ce cas, le contrat conclu sous condition suspensive ne serait qu’une plaisanterie11 et l’obligation n’existerait pas. Lorsque l’impossibilité affecte la défaillance de l’évènement conditionnel (l’évènement est alors dit « nécessaire »), le contrat conclu sous condition résolutoire apparaît aussi comme une plaisanterie. De toute évidence, que l’évènement soit nécessaire ou impossible, la notion d’impossibilité n’est pas sans incidence sur la validité du contrat. b) Conséquences de la condition impossible L’obligation conditionnelle est impossible en cas d’impossibilité de la condition suspensive (2°) ou de la condition résolutoire du contrat (1°) : 1°) Condition suspensive impossible Deux tendances coexistent. D’un côté, les partisans de la nullité de l’opération entière. De l’autre, ceux du principe consistant à réputer non écrite la condition. Cette dualité n’est pas sans lien avec la distinction opérée par le Code civil français entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit. En ce qui concerne les actes en titre onéreux, toute condition d’une chose impossible est nulle et rend nulle la condition qui en dépend (article 1172), alors que, pour les actes à titre gratuit, les conditions impossibles sont réputées non écrites (article 900). Nos codes civils s’alignent partiellement sur cette tendance lorsqu’ils disposent que « toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi, est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend » (article 70 du Code civil congolais livre III, transposition de l’article 1172 du Code civil français, et similaire à l’article 67 du Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal). Par contre, au regard des actes gratuits, alors que l’article 900 du Code civil français énonce que « dans toute disposition entre vifs ou testamentaires, les conditions impossibles, celles qui sont contraires aux lois et aux mœurs, 11 J.J. Taisne, Thèse précitée, p. 62. 8 seront réputées non écrites », l’article 879 du Code des personnes et de la famille du Burkina Faso dispose : « Dans tout acte de disposition entre vifs ou testamentaires, les conditions et charges illicite, impossibles ou immorales sont nulles, mais n’entraînent la nullité de l’acte que si elles en ont été la cause déterminante ». Favorable à la nullité, cette option est conforme à la jurisprudence française qui, en rapprochant le régime des actes conditionnels à titre gratuit ou à titre onéreux, prononce la nullité du contrat lorsque la condition impossible en constitue la cause déterminante et impulsive. Dans le cas contraire, ladite jurisprudence considère que seule la condition impossible est réputée non écrite12. C’est l’option levée par le projet de texte de droit uniforme des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive dans l’espace OHADA (article 23) : « Toute condition d’une chose impossible ou illicite est nulle et rend nulle la convention qui en dépend. Toutefois, la convention peut être maintenue et la condition réputée non écrite lorsqu’en réalité celle-ci n’a pas été pour les parties un motif déterminant de contracter. De même, la condition de ne pas faire une chose impossible ne rend pas nulle l’obligation contractée sous cette condition ». 2°) Condition résolutoire impossible La solution doit être la même lorsque la condition impossible est résolutoire. En effet, même si, contrairement à l’article 879 du Code burkinabè des personnes et de la famille, l’article 67 du Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal et l’article 70 du Code civil congolais livre III (équivalant de l’article 1172 du Code civil français) ne prévoient pas l’hypothèse de la condition « résolutoire » impossible, le bon sens commande d’admettre qu’une telle condition fait disparaître toute possibilité de résolution. Ainsi, l’impossible demeure un obstacle à l’efficacité, voire à la validité, du contrat lorsqu’elle porte, soit sur l’objet, soit sur la condition de l’obligation contractuelle. Dans le même sens, un obstacle peut s’opposer à l’exécution d’un contrat valablement conclu. II. L’IMPOSSIBLE PEUT JUSTIFIER L’INEXECUTION DU CONTRAT L’impossibilité résultant de la force majeure (ou du cas fortuit) reste certainement celle qui présente le plus d’intérêt. Il s’agit généralement d’un phénomène naturel et social qui rend l’exécution du contrat impossible13. Dans la mesure où elle est assimilée à une absence de faute et exonère le débiteur de sa responsabilité contractuelle (B), la force majeure doit présenter certains caractères (A) dont la preuve, qui incombe au débiteur, est appréciée souverainement par les juges du fond. 12 L’impossibilité de la condition peut révéler l’insanité d’esprit du disposant. L’article 882 du Code burkinabè des personnes et de la famille dispose que « pour faire une donation entre vifs ou un testament, il faut être sain d’esprit et manifester une volonté exempte d’erreur, de dol ou de violence ». Dans le même ordre d’idées, le juge français fonde la nullité de l’acte sur l’article 901 du Code civil : « Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence ». 13 C1. Brulant, Thèse précitée, p. 128. 9 A. Les caractères de la force majeure L’évènement constitutif de force majeure doit être imprévisible et irrésistible (a), et dû à une cause étrangère (b). a) Impossibilité de prévoir et de résister. Cette exigence étant cumulative, l’événement doit être à la fois imprévisible « et » irrésistible14, en d’autres termes, impossible à prévoir et à résister. Il faut en outre que l’impossibilité soit absolue et objective. Pour apprécier les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, il importe de se référer aux diligences et forces normales d’un homme ou d’une femme placé(e) dans des conditions normales. Ainsi, si certaines maladies et la mort s’avèrent fatales, des précautions et des mesures peuvent être prises pour en minimiser autant que possible les risques d’occurrence. L’absence de précaution ou de diligence sera donc incompatible avec la notion d’irrésistibilité. La jurisprudence exige également que tous les moyens soient mis en œuvre pour l’exécution15. A ce sujet, il faut prendre en considération le développement moderne des techniques, notamment le progrès de la météorologie, l’utilisation de radars, les avancées de la médecine, la révolution informatique. En effet, autant que les possibilités de résister contre la maladie, par exemple, les possibilités de prévoir augmentent à un rythme exponentiel en fonction des progrès technologiques, provoquant ainsi un rétrécissement de la notion de force majeure. Le poids de la civilisation des risques s’allège donc face au développement d’une sorte de civilisation de la prévention. Dans ce contexte, ne constitue pas un cas de force majeure, le retard prévisible de l’administration à délivrer une autorisation16. Ainsi, souligne la jurisprudence sénégalaise, « la survenance d’un événement prévu et réglementé (tel que le retard dans la délivrance d’une autorisation de construire) ne peut constituer un événement insurmontable et impossible à prévoir »17. En revanche, l’émeute18, le lock-out et la grève demeurent des cas de force majeure lorsqu’ils sont dus à un fait extérieur et supérieur à la volonté de ceux qui les invoquent et qu’ils ont rendu impossible l’exécution des obligations contractuelles19. Enfin, l’évènement imprévisible et irrésistible doit résulter d’une cause étrangère. b) Cause étrangère. La force majeure est en effet une cause étrangère, c’est-à-dire un évènement étranger et supérieur à la volonté humaine. Ainsi, lorsqu’il est imprévisible et irrésistible, le fait de la victime (qui est une cause étrangère pour le débiteur) constitue un cas de force majeure. La même solution s’applique lorsque le fait d’un tiers fait obstacle à l’exécution du contrat20. Il faut néanmoins que le fait soit réellement étranger : le défendeur ne peut invoquer le fait des 14 Radouant, Du cas fortuit et de la force majeure, Thèse Paris, 1920, p. 237. Cass. Civ. 4/1/1963 Bull cass 1963, III, 11. 16 Com. 26/10/1954, D 1955, 213, Note Radouant. 17 Note sous l’article 129, se référant à CS n° 10 du 18 février 1981 Makaroun c/ Bourgi, in Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal annoté, Editions Juridiques Africaines, 2010, p.60. 18 Civ. 1ère , 17 nov. 1999, Bull. civ. I, n° 307, D. 1999 (R. 280). 19 Trib. Civ. Corbeil 17/11/1937, Gaz Pal 23/12/1937. 20 Req. 2/3/1927, D.P. 1927.I.121, Note Mazeaud. 15 10 personnes dont il est responsable en vertu de la loi, ni le fait d’un membre du personnel de son entreprise21. De même, le fait du prince ou l’ordre de l’autorité légitime est un cas classique de force majeure quand il fait obstacle absolu à l’exécution des obligations conventionnelles. Lorsqu’il est imprévisible et irrésistible, la cause étrangère justifie l’inexécution du contrat. B. L’exonération de la responsabilité contractuelle du débiteur En justifiant l’impossibilité d’exécution, la force majeure exonère le débiteur de sa responsabilité contractuelle : « Il n’y a pas de responsabilité si le fait dommageable est la conséquence d’une force majeure ou d’un cas fortuit, c’est-à-dire d’un événement extérieur, insurmontable et qu’il était impossible de prévoir » (article 129 du Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal dont la teneur se retrouve dans tous nos codes civils ; voir aussi les articles 1147 et 1148 des Codes civils français et burkinabé). En principe, la force majeure éteint l’obligation, mais dans certains cas, elle ne fait qu’en suspendre l’exécution. Il en est ainsi lorsque l’impossibilité d’exécution est temporaire22 et non pas définitive. Il arrive, par exemple, que la tempête ou la grève ne cause qu’un retard dans la livraison), sans pour autant la rendre impossible. Le projet de texte de droit uniforme des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive dans l’espace OHADA prévoit que « lorsque l’empêchement n’est que temporaire, l’exonération produit effet pendant un délai raisonnable en tenant compte des conséquences de l’empêchement sur l’exécution du contrat » (article 3-5, 2°)23. En cas d’impossibilité partielle, le débiteur demeure engagé dans la mesure du possible. En outre, il arrive que le débiteur reste responsable malgré la survenance d’un cas de force majeure, en vertu d’une clause expresse et non équivoque du contrat. Pareille clause est valable : « Lorsque la chose est périe, mise hors du commerce ou perdue, sans la faute du débiteur, il est tenu, s’il y a quelques droits ou actions en indemnité par rapport à cette chose, de les céder à son créancier » (article 195 du Code civil congolais livre III, transposition de l’article 1303 du Code civil français, repris comme tel par le Code civil du Burkina Faso).Il en va différemment dans les baux à cheptel simples : « On ne peut stipuler : que le preneur supportera la perte totale du cheptel, quoique arrivée par cas fortuit et sans faute (…). Toute convention semblable est nulle » (article 1811 du Code civil français et du Code civil burkinabè). Si la force majeure peut ne pas empêcher que le créancier exécute son obligation, doit-on tout de même contraindre ce dernier à fournir une prestation sans espoir de recevoir une contrepartie ? S’agissant d’un contrat synallagmatique la réponse négative s’impose, en raison du principe de réciprocité. Mais quid si le créancier a déjà exécuté son obligation ? La théorie du risque conduit à distinguer deux cas : - Lorsquel’impossibilité d’exécuter résulte de la perte d’un corps certain que le débiteur s’était obligé à livrer, la perte en est pour le créancier qui demeure tenu de son prix en raison du principe de l’acquisition de la propriété par l’acheteur « solo consensu » ; 21 Civ. 18/10/1967, JCP 1968, 15430, Note Durand. Req. 12/12/1922 D.P. 1224, I, 186. 23 Ce type de formulations prévaut aussi dans les codes miniers, lesquels consacrent systématiquement de minutieuses dispositions à la force majeure. 22 11 - Dans les autres cas, le créancier est déchargé de sa propre obligation, de sorte que les risques sont en définitive supportés par le débiteur. En effet, si l’impossibilité de l’exécution épargne le débiteur de toute condamnation à des dommages-intérêts, il ne faudrait aucunement lui permettre de réclamer ce que lui aurait promis son cocontractant ou de conserver le prix qu’il aurait perçu24. Cependant, ces principes étant purement interprétatifs, les parties peuvent y déroger par une clause contractuelle expresse. En tout état de cause, la survenance d’un cas de force majeure ne devrait pas empêcher « (…) les parties d’exercer leur droit de résoudre le contrat, de suspendre l’exécution de leurs obligations ou d’exiger les intérêts d’une somme échue » (article 3-5, 4° du projet de texte de droit uniforme des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive dans l’espace OHADA). Ainsi, il serait injuste et inutile de contraindre le débiteur d’exécuter son obligation dès lors qu’un évènement de force majeure s’y oppose. Mais il serait inéquitable d’abandonner le créancier à son triste sort. Ne faudrait-il pas, de lege ferenda, s’inspirer de la technique anglosaxonne du « hardship clause » pour prévenir les déséquilibres contractuels et les solutions inéquitables qui découleraient de l’impossibilité ou de la difficulté d’exécuter ? CONCLUSION La notion d’impossibilité n’est donc pas sans influence sur le droit des contrats. Elle fait obstacle tantôt à la formation, tantôt à l’exécution du contrat. Elle peut justifier la nullité du contrat, tout comme elle peut exonérer le débiteur de sa responsabilité contractuelle. Enfin, elle correspond parfaitement à l’idée qu’« une force étrange condamne toujours l’homme à rencontrer derrière l’obstacle qu’il dépasse, un autre qui le dépasse »25. Cependant, bien que justifiée par l’équité et la logique, la notion d’impossibilité risque de constituer une source d’insécurité dans les contrats. On ne peut donc que recommander sérénité et prudence dans l’appréciation des caractères de la force majeure et soutenir l’exigence d’une impossibilité absolue et objective pour annuler le contrat. 24 V. aussi Pillebout : Recherches sur l’exception d’inexécution, Thèse Paris, 1969. F. Gaborieux, Nouvelle initiation philosophique, T. 4, p. 329, cité pat Cl. Brulant, Thèse précitée, p. 1. 25 12 INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES A. Benabent, La chance et le droit, L G D J, 1973, t. 128, Cl. Brulant, Aléa, incertitude et risque dans les obligations contractuelles, Thèse Paris, 1972. Les Codes Larcier, République Démocratique du Congo, tome I, Droit civil et judiciaire, Bruxelles, Larcier, 2010. Editions Juridiques Africaines, Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal, Annotations et commentaires par le Cabinet d’Avocats D. Ndoye, Dakar, EDJA, 2010. J.F. Pillebout, Recherches sur l’exception d’inexécution, Thèse Paris, 1969. B.D.P. Radouanr, Du cas fortuit et de la force majeure, Thèse Paris 1920. J.J. Taisne, Notion de condition dans les actes juridiques. (Contribution à l’étude de l’obligation conditionnelle), Thèse Lille 2, 1977. Université de Ouaga 2, Codes et lois du Burkina Faso, tome I, Code Civil, mis à jour et annoté par Pierre L.D. Yougbaré, décembre 2011.