mars 2011 Knocking on Heaven`s Door est une forme toute entière

Transcription

mars 2011 Knocking on Heaven`s Door est une forme toute entière
mars 2011
Knocking on Heaven's Door est une forme toute entière vouée à la danse en tant qu'art, et dont la muse une Tamara Bacci magnétique - dévoilerait sur scène l'alchimie secrète.
Premier sujet de la pièce - comme le cinéma est le premier sujet d'un film pour Godard - le corps dansant
se fait et de se défait, dans l'intimité de la recherche.
C'est un peu comme si le public était entré par effraction dans un studio de répétition, épiant des coulisses la
danseuse en train de s'échauffer. Pascal Rambert le dit lui-même, la pièce Knocking on Heaven's Door, variation
sur le morceau culte de Bob Dylan, n'existe pas. Son interprète, Tamara Bacci, se situe en amont de la
représentation, n'en dépasse pas le stade exploratoire. Elle rejoue car il s'agit bien sûr d'une illusion les
différentes phases de travail qui mènent à la construction d'un spectacle. La danse est tâtonnement : celui d'un
corps qui cherche son langage, et qui fait œuvre justement, dans un étrange aller-retour entre l'intime et l'extime
du théâtre.
Sur scène, les lumières restent allumées, encore plus vives de leur réfléchissement sur le sol blanc. Au centre, un
monumental ampli Marshall contraste avec la clarté dominante, masse sombre et phallique, puissance vibratoire
en dormance. Un ordinateur portable, un sac de sport et une guitare électrique parachèvent l'environnement
créatif de la danseuse. Cette dernière construira avec chacun de ces objets une relation personnelle et insolite, les
détournant de leur usage. Si anecdotiques soient-ils, ces échanges disent comment un corps, rendu plastique par
la danse classique et le yoga, peut reconfigurer un espace et définir un nouveau rapport entre animé à inanimé.
S'en suit une série d'essais chorégraphiques, comme autant de battements, modulations, vibrations, discordances.
A partir de la mélodie mythique de Bob Dylan, par ce dialogue inédit avec les acteurs de sa fabrication et de sa
diffusion, Tamara Bacci crée une fiction sonore, une représentation d'abord silencieuse de la musique, puis, par
la fusion de son corps avec la guitare, une sorte de concert charnel, ses jambes caressant les cordes en des
esquisses de notes. La muse se fait elle-même musique, accouplant les deux termes en une seule étymologie, être
hybride éphémère, femme-instrument dont nous revient, par flash, la beauté surréaliste.
Si Knocking on Heaven's Door exprime une fois encore le désir d'exploration de Pascal Rambert, curieux de
comprendre un art, la danse, qu'il aborde à peine après des années comme metteur en scène de théâtre, elle doit
beaucoup à son interprète. Dans la lignée de la chorégraphe Cindy Van Acker, et d'un certain minimalisme
suisse repérable du graphisme à l'architecture Tamara Bacci livre une danse abstraite d'une grande pureté.
Une danse du signe, où le geste, net et lisible, se creuse au fil du temps, s'épaissit à mesure de l'émotion dont il se
charge. Le trait, la ligne s'étirent en profondeur. Les lettres deviennent des phrases, elles mêmes défaites et
recomposées à l'envi. Tamara Bacci passe ainsi pour l'interprète idéale, capable de donner à voir une danse en
train de se construire et, toute en retenue, le plaisir solitaire qu'elle procure.
Céline Piettre