Le cahier Sautes d`humour

Transcription

Le cahier Sautes d`humour
n°14
SPÉCIAL
SAUTES D'HUMOUR
J’aurais pu vous dire d’un ton très docte que déjà la comédie
grecque antique se caractérisait par des intrigues ayant toujours
trait à la vie de la cité et qu’il arrivait souvent que l’on évoque les
personnalités politiques d’alors pour les brocarder.
J’aurais pu vous dire que Germaine Tillion, alors qu’elle était
déportée à Ravensbrück écrivit une opérette comique car pour
elle résister, c’était aussi se moquer de ses tortionnaires et faire
rire ses camarades et qu’elle disait que l’on pouvait rire même
dans les situations les plus tragiques car le rire est revivifiant.
J’aurais pu vous dire combien l’Humour est un genre artistique
important au Cameroun où il permet de dire bien des choses que
la censure n’autorise pas.
J’aurais pu aussi vous dire que Valéry Ndongo est devenu une
star au Cameroun, le roi de l’humour, son maître absolu et
qu’il forme de jeunes humoristes dans une dizaine de pays du
continent depuis plusieurs années.
J’aurais pu vous parler de Žanina Mirčevska, de l’histoire et de la
situation politique de son pays la Macédoine, de son incroyable
talent et de celui irrésistible de Patrick Verchueren et de sa troupe
de comédiens
sautes
d'humour
16 avril > 27 avril 2013
J’aurais pu surtout vous dire que la période est bien sombre et
que tous, nous sombrons dans une dépression chronique dont
il nous faut parfois difficilement tenter de nous extraire et qu’il
est important de temps en temps de se divertir, de rire et de rire
encore et que, c’est bien connu, le rire est médecin.
Oui j’aurais pu vous dire tout cela mais je souhaite tout
simplement vous inviter à partager ces moments précieux et
privilégiés avec nous. Venez vous rassasier d’une bonne tranche
de rire, venez savourer un bon moment de théâtre, venez !
Valérie Baran
VOIR PARIS
ET MOURIR
JEUNE
Valéry Ndongo
du 16 avril au 20 avril 2013
UN CONTEUR, QUATRE FUSIBLES ET UNE VALSE À MILLE KWATTS
Après James Black, acteur pas comédien et ses rêves en cinémascope, après Bienvenue
o kwatt et ses discussions animées des quartiers de Yaoundé, cette année, avec son
nouveau spectacle, Voir Paris et mourir jeune, Valéry Ndongo conte la destinée de
quatre candidats à l’exil, au départ.
Il y a là Tazo le petit braqueur qui rêve de Paris où il entend exploiter ses talents (et
pas seulement). Il y a Sophie, guidée par les mêmes paillettes, qui a plus d’un atour
dans… son sac et ne semble pas vouloir faire de la rétention… Il y a Louis Mathieu qui
souhaite faire le voyage dans l’autre sens, quitter la France et découvrir… l’Afrique
avec un grand A et beaucoup de singulier ! Enfin, Chen Zian Wou, clandestin
embarqué dans un container en partance vers une autre destinée…
Une réflexion sur l’identité (inter)nationale, sur le départ et l’exil mais si le propos
est grave, le verbe est gouailleur et prête à rire.
Voir Valéry et mourir… de rire.
Bernard MAGNIER
© CorinneIlgun
voir paris et mourir jeune > ENTRETIEN AVEC
Valéry ndongo
3
> " UN GARS DU KWATT
QUI RÊVE TOUT HAUT DE FAIRE DU CINÉMA "
Ce Valéry-là ne gazouille pas sur le net mais, à Yaoundé, au kwatt, il tape les divers avec ses
cotars, autrement dit au quartier, il discute avec ses potes. De tout, de rien, des filles,
de la mondialisation, de l’identité, de l’intégration, de l’autre, des autres. A intervalles
réguliers, il vient au TARMAC livrer ses réflexions. Il y a ses habitudes, surtout celle
de nous faire rire, de nous convier, l’instant d’un spectacle à entendre son camfranglais,
sa langue, savoureuse, gouailleuse, inventive. Il revient ici sur son parcours, ses premiers
spectacles présentés au TARMAC, sur son évolution à la scène, à la ville et… au kwatt.
Bernard MAGNIER
Afin de faire connaissance, pourriez-vous
nous dire quel a été votre parcours avant de
monter sur scène ?
Valéry ndongo
Mon parcours est simplement le
cheminement d’un enfant du kwatt qui
n’a pas eu d’autre choix que de sortir ses
tripes pour trouver sa voie mais qui a quand
même eu la chance de croiser sur sa route
des professionnels dont les conseils l’ont
encouragé à persévérer. Je n’ai pas reçu de
formation académique en art dramatique,
ce que je fais en tant qu’artiste, c’est le
résultat de ma propre expérience de la vie.
Comment êtes-vous venu au "one man
show" ?
Un peu par hasard. J’ai toujours voulu
faire du cinéma. Je rêvais comme tous ceux
de mon âge de devenir une star à Hollywood
et de ravir un Oscar. Pour concrétiser mon
rêve, je me suis mis à la recherche d’une
école de cinéma, et, deux ans plus tard, j’ai
trouvé une école de théâtre à Yaoundé. Ce
n’était pas ce que je cherchais mais c’était
mieux que rien, surtout que la plupart de
mes idoles (De Niro, Al Pacino, Denzel
Washington, Delroy Lindo…) ont fait du
théâtre avant de faire du cinéma. J’ai claqué
la porte de cette école parce que les cours
étaient aux antipodes de l’art dramatique.
En 2000, j’ai assisté par hasard à
un spectacle de "La ronde des poètes du
Cameroun" au Centre culturel français
de Yaoundé à l’occasion du "Printemps
des poètes". Une longue histoire a alors
commencé avec la poésie. Les amis de "La
ronde des poètes" m’ont encouragé dans
cette voie. Le premier poème que j’ai adapté
véritablement en sketch est un poème de
Francis Bebey intitulé Musica Africa. Dès
lors, j’ai commencé à écrire des sketches. En
2002, pendant les Rencontres Théâtrales
Internationales du Cameroun, j’ai assisté à
un spectacle d’Essindi Mindja, un pionnier
du one man show au Cameroun, décédé
en juillet 2005, et, ce jour là, j’ai découvert
le "one man show". Dès le lendemain, j’ai
commencé à regrouper tous mes sketches
et à en écrire des nouveaux dans le but de
faire un spectacle.
En janvier 2004, mon premier "one
man show" était prêt et présenté au public
du Centre culturel français de Yaoundé.
Depuis lors, je fais du "one man show"
en ayant toujours une activité importante
dans le théâtre parce je suis définitivement
tombé amoureux du théâtre.
MON INSPIRATION VIENT
DU "KWATT ", DU QUARTIER
Où puisez-vous la matière de vos spectacles ?
Mon inspiration vient du "kwatt", du
"quartier" qui est considéré par les jeunes
comme leur véritable "maison". Je joue avec
tout ce qui se passe dans mon entourage et
les événements du quotidien constituent
une source intarissable de sketches. De
même que les médias offrent aussi une très
large gamme de possibilités avec l’actualité
internationale qui bouge plus que son
ombre. Je me sers de mon imagination et
de l’observation du quotidien pour enrichir
mon travail.
Comment s'élaborent vos sketches ?
Travaillez-vous seul ?
Je conçois mes sketches de deux façons.
Soit je décide de travailler sur un thème
et je regroupe tous les éléments à ma
disposition qui traitent de ce sujet (copains,
télévision, presse, internet…) pour écrire le
texte. Soit je joue d’abord le sketch avant de
l’écrire. Ça se passe presque toujours entre
copains. Parfois, j’improvise une histoire.
Parfois, l’un de mes potes sort une blague
que je trouve superbe et je décide d’en faire
un sketch. Ensuite, je trouve du temps,
généralement la nuit (simplement parce
qu’il y a plus de calme au kwatt la nuit) pour
écrire le texte. Chaque fois que j’écris un
texte, je pense à la façon de le jouer. J’essaye
d’écrire comme je parle. Les répétitions
m’aident à enrichir le jeu et même le texte.
Mon premier public, ce sont d’abord mes
potes. La famille ne me voit que sur scène.
Avez-vous quelques "modèles", quelques
repères, quelques artistes (camerounais,
français, autres) qui ont compté dans votre
parcours artistique ?
Je ne parlerai pas en terme de "modèles"
ni même de "repères" mais plus
d’appréciation. Il y a certains humoristes que
j’aime véritablement. Ils m’impressionnent
par la maîtrise de leur art, la qualité de leurs
textes et la subtilité de leur jeu. Je pense au
défunt Essindi Mindja, à Gad Elmaleh, à
Jamel Debbouze, à Florence Foresti, Anne
Roumanoff et à la nouvelle génération
d’Africains qui émergent en France :
Thomas N’Gijol, Fabrice Eboué et Patson.
Comme je le dis dans James Black, acteur
pas comédien, je suis arrivé au théâtre par
hasard, à cause et grâce à ma passion pour
le cinéma. Donc les artistes qui ont compté
dans mon parcours artistique restent les
monstres sacrés d’Hollywood : De Niro,
Pacino et Denzel Washington.
En dehors du spectacle pouvez-vous nous
dire ce qui fait rire Valéry Ndongo ?
Généralement c’est les "divers" entre
amis. Quand on est ensemble, il y a
toujours des histoires incroyables que les
gars arrivent à sortir. Tu ne sais pas d’où ils
les tiennent. Je ne suis pas le plus drôle de
mes potes mais je suis le plus malin et j’en
ai fait un métier qui me permet de gagner
correctement ma vie.
Si vous deviez faire un portrait de Valéry
Ndongo que diriez-vous de ce garçon ?
C’est un gars du kwatt qui a rêvé faire
le cinéma et qui se bat tous les jours pour
réaliser son rêve.
> " UN SPECTACLE D’HUMOUR QUI PARLE
DE L’INTÉGRATION, DE L’IDENTITÉ NATIONALE
ET DES DÉMOCRATIES EN AFRIQUE "
Après les rêves en cinémascope de James Black, acteur pas comédien,
après les discussions animées des quartiers de Yaoundé de Bienvenue
au kwatt, le nouveau spectacle de Valéry Ndongo, Voir Paris et mourir
jeune, est une occasion de rire mais aussi de dénoncer quelques
travers dans les relations entre la France et le continent africain...
Bernard MAGNIER
Comment allez-vous ? Quelles sont les
nouvelles ? Les vôtres ? Celles du kwatt ?
Valéry ndongo
Ça dose ! Il y a la forme et les choses
waka dans le bon sens, donc on joue le jeu !
Je suis en pleine forme. Le kwatt reste égal à
lui-même et les divers s’enchaînent toujours
au rythme du levage de coude dans le bar du
secteur.
Que s’est-il passé depuis votre précédente
venue au TARMAC en 2011 ?
Plein de choses ! Professionnellement,
j’ai eu pas mal de dates en France mais
surtout en Afrique où j’ai tourné dans dix
pays. Mon projet de création d’un réseau
d’humoristes africains vivant et travaillant
sur le continent est désormais effectif avec
le projet "Africa stand up". Un site internet
est en chantier avec en prime un accord de
diffusion sur TV5 Monde d’un "comedy
club" que j’ai créé au Cameroun pour
réunir tous les humoristes du continent qui
passent par l’académie du stand up ouverte
depuis près de deux ans maintenant. Sur le
plan personnel, je suis papa d’une superbe
fille qui répond au prénom de Crystal et qui
fêtera ses deux ans le 17 mars 2013 !
POUR MOI
DIVERTISSEMENT
RIME AVEC
CONSCIENTISATION
Et Avignon… c’était comment ?
Avignon a été une très belle expérience
et surtout bon tremplin qui a permis de
trouver des dates qui ont donné une longue
vie à Bienvenue o kwatt.
Voir Paris et mourir jeune… un titre qui
n’inspire pas immédiatement la gaieté et
pourtant… Pouvez-vous dire ce qu’il en est ?
Voir Paris et mourir jeune commence là
où Bienvenue o kwatt s’est arrêté. Ça reste
avant tout un spectacle d’humour que
j’écris pour divertir le public et mettre une
bonne humeur dans la salle et avec un peu
de chance faire jaillir quelques éclats de
rire… Mais pour moi divertissement rime
avec conscientisation. Nous vivons dans un
monde où trop de choses se passent et un
humoriste ne doit pas seulement faire rire
5
La politique, l’engagement ne sont-ils pas de
plus en plus présents dans vos spectacles ?
Mon tout premier spectacle d’humour,
L’histoire d’Obegue Obeg’son alias Shérif, que
je n’ai jamais joué en France, était ce qu’on
peut appeler un spectacle engagé du fait
des sujets politiques que j’abordais. Mon
premier spectacle qui s’est exporté, James
Black, acteur pas comédien, ne parle
pas du tout de sujets politiques mais,
avec Bienvenue o kwatt, il y a eu un retour,
dans la dernière partie du spectacle, à des
thèmes politiques. Aujourd’hui, l’actualité
en Afrique, en France et dans le monde est
si "politiquement engagée" qu’il me semble
qu’écrire un spectacle d’humour sans parler
de cette actualité politique reviendrait à
faire la politique de l’autruche.
Les relations françafricaines ne sont
faites que de politique. Et comme l’a si
bien dit un chanteur : "la démocratie du
plus fort est toujours la meilleure". Cette
phrase explique assez bien la complexité
des rapports entre les états sur la scène
internationale. Mon spectacle suit de près
cette complexité et forcément cela influence
ma démarche artistique.
Le rire permet-il de faire passer, de faire
"mieux passer" certaines choses ?
Il est clair que le rire permet de faire
passer plusieurs choses que les discours
trop sérieux ou trop suspects des politiques
et des autorités administratives n’arrivent
pas à véhiculer. Puisque le rire a cette
faculté de détendre les muscles du stress
alors il prépare mieux les gens à voir le
reflet de leur société même si l’image n’est
pas forcément reluisante.
Pensez-vous qu’il
camerounais ?
existe
un
humour
Evidemment qu’il existe un humour
camerounais ! Chaque pays a ses codes et
son mode de fonctionnement spécifiques
qui le différencient des autres. Du simple
fait que le Cameroun a ses particularités
même face à ses voisins immédiats, il va
de soi qu’il existe quelque chose de propre
aux Camerounais. Cela se retrouve dans les
codes linguistiques et culturels.
"TU CROIS
QUE JE MANGE LE VERBE
QUE TU ME CONJUGUES
DEPUIS LÀ ?"
que tu es très élégant, cool… Un kamèr peut
te dire : tu as le mauvais argent ce n’est pas un
reproche, au contraire c’est une façon de dire
que tu es plein aux as…
Dans mon spectacle, j'utilise cette
langue à dessein pour montrer qu'au kwatt
on participe à l'édification d'une langue
française vivante qui s'adapte aux réalités de
chaque région où elle a été imposée. propos recueillis en février 2013
Quelles seraient les caractéristiques de cet
humour camerounais ?
Les caractéristiques d’un humour
ne se définissent pas mais se vivent. Au
Cameroun, si quelqu’un vous dit : « Tu parles
bien mais tu crois que je mange le verbe
que tu me conjugues depuis là ? »… Vous
comprendrez immédiatement que vous
devez mettre la main à la poche pour donner
un billet et motiver votre interlocuteur. C’est
une phrase qui a du sens dans le contexte
camerounais parce qu’elle donne une
bonne image du langage détourné qu’on
utilise pour ne pas appeler un chat un chat
mais faire néanmoins passer clairement le
message.
Un humour qui repose aussi sur une langue
singulière, imaginative qui emprunte à la
fois au français, à l’anglais et aux autres
langues camerounaises…
En effet, ma démarche artistique
s'appuie principalement sur le camfranglais,
l’argot des jeunes du Cameroun. C'est une
langue très riche, comme en témoigne le
lexique, mais aussi et surtout un mode
de vie qui caractérise à la base les jeunes
des quartiers défavorisés pour devenir
rapidement le point de repère d'une
génération en construction d'une identité
commune.
Les Camerounais ont cette façon de
toujours jouer avec les mots en changeant
leur signification pour tourner en bourrique
leur vis-à-vis. Une foule d’exemples illustre
cet état d’esprit. Par exemple, si un kamèr te
dit : mon frère, tu es amer c’est pour te dire
© Musée d’Orsay, RMN / Patrice Schmidt
avec les histoires de paliers ou d’épiciers,
il doit prendre la parole sur les thèmes
sociaux, politiques qui engagent la vie de la
cité et qui influent sur notre quotidien. Voir
Paris et mourir jeune parle de l’intégration
(de Français en Afrique et d’Africains en
France), de l’immigration, de l’identité
nationale (c’est quoi un bon Français et c’est
quoi un Africain ?) et des démocraties en
Afrique après 50 ans d’indépendance…
LA FEMME
DE MA VIE
LA NGA
DE MY LIFE
L’autre days j’étais sat au secto, je tapais les divers avec les cotars sur le ndem que
les Lions nous on comot au Mondial. Quand je lève la tête, pour look si le peri frère
que j’avais send à la boutique me buy la cigarette camait déjà, je témoigne une petite
nyanga jusqu’à le feu sort. Elle wakayait dans les easy, petite démarche trop technique,
tous les gars on wanda que : donc la cana de ngas qu’on voit sur MTV existent aussi
dans ce kwatt ?
Un temps deux mouvements, je fonce vers la petite, je place le verbe, la petite tombe
sans glisser. Elle me gui son number, pour la call tomorrow. Là là là je bip d’abord la
nga, pour être sûr qu’elle m’a gui son bon number.
Je n’ai pas wait tomorrow, la night je call la mbindi. Petit topo romantique avant les
nans. Là là là j’ai su que la petite là, c’est la nga de ma live.
L’autre jour, j’étais au secteur, je discutais avec des potes au sujet de la débâcle des
Lions Indomptables à la Coupe du monde. Quand je lève la tête, pour voir si le petit frère
que j’avais envoyé acheter des cigarettes revenait déjà, j’aperçois une fille super canon.
Elle marchait avec grâce et élégance, tous les gars se sont exclamés : donc il existe
dans ce quartier des filles aussi sexy que celles qu’ont voit dans les clips sur MTV ?
En une fraction de seconde j’ai foncé vers la fille, je lui ai dit qu’elle me plaisait, mes
paroles lui ont plu. Elle m’a donné son numéro pour que je l’appelle le lendemain. J’ai
fait sonner son téléphone, histoire de m’assurer qu’elle m’a donné son numéro exact.
Je n’ai pas attendu le lendemain, la même nuit je l’ai appelée. Petite causerie romantique
avant de se coucher. Et j’ai su que cette fille, c’est la femme de ma vie.
Valéry Ndongo, juin 2010
7
ESPERANZA
Žanina Mirčevska
mise en scène Patrick Verschueren
Esperanza suivi de Effeuillage suivi de Werther & Werther
traduit du macédonien par Maria Béjanovska
éditions L’espace d’un instant,
collection "Maison d’Europe et d’Orient", 2007
du 23 avril au 27 avril 2013
Et comme l’espérance est violente…
"Approchez Mesdames et Messieurs" auraient pu dire les saltimbanques, comédiens,
musiciens, danseurs qui s’en viennent sur scène, ou plus exactement sur le pont, pour
jouer cette farce, cabaret tragique et grotesque, à bord du paquebot Esperanza.
Alors… fanfare, musique, champagne, ors et décors, croisière, transatlantique voguant vers
Caracas… pour ces nantis de notre Europe obscène, suffisante, débordante, dégoulinante.
La croisière s’amuse…
Luxe, tangage et vomissements…
Ils sont là, le banquier, le producteur de cinéma, l’industriel millionnaire, la collectionneuse
viennoise, le lord anglais, la baronne norvégienne et le beau capitaine… Au milieu d’eux,
dissimulé, en leur sein, un Docteur en volcanologie, accusé de crime contre l’humanité,
flanqué d’ELLE, en lettres capitales, sa compagne. La Bête et la Belle. Tous boursouflés
de suffisance, d’outrance et d’excès. Ils sont en croisière et parlent du Bien et du Mal, de
la croute terrestre ou de l’ennui, et surtout de que faire lorsque l’on a à bord un criminel
contre l’humanité ?
Huis clos, nausée et mains sales.
Et vogue le navire en eaux troubles, pris dans les entrailles d’un océan noir, confronté aux
icebergs de la mémoire.
Une comédie des horreurs. Une macédoine de grosses légumes. Un naufrage burlesque.
Bernard MAGNIER
espErAnza > ENTRETIEN AVEC
Žanina MirČevska
Née en 1967 à Skopje en Macédoine, Žanina Mirčevska
a étudié la dramaturgie et la mise en scène, avant de
partir en Slovénie soutenir une thèse sur le théâtre
d’Heiner Müller. Elle travaille dans ces deux pays,
mais aussi en Croatie, au Monténégro et en Allemagne
et son théâtre est joué dans de nombreux pays d’Europe.
Žanina Mirčevska
© DR
Esperanza me rappelle ces séries télé sudaméricaines qu’on voit très souvent dans nos
pays ex-yougoslaves et qui sont particulièrement
kitch, de mauvais goût, comme les soap opéras.
Comme vous le savez le mot "Esperanza"
signifie espérance. Cette espérance se fraye un
chemin à travers les eaux noires, troubles, et
nous sommes témoins de ce qui va arriver à cet
espoir, à notre espoir…
- Cela fait injure à un paquebot de luxe, et pour
nous autres passagers, c’est un pur scandale !
- Calmez-vous !
- Non, non, taisons-nous comme si tout cela ne
nous concernait pas…
- Et que devrions-nous faire ?
- Le jeter tout de suite à la mer.
- Attendez, ce serait agir comme des bandits.
- Du banditisme contre un bandit. extrait, Esperanza
espErAnza > ENTRETIEN AVEC
9
Patrick VERSCHUEREN
> " UN THÉÂTRE QUI NE SE CACHE PAS,
QUI N’A PAS HONTE D’ÊTRE DU THÉÂTRE,
QUI NE CHERCHE PAS À IMITER LE CINÉMA "
Humour, actualité du propos, possibilité d’un théâtre complet avec cette
"comédie sur les criminels contre l’humanité", Patrick Verschueren
explique les raisons qui l’ont amené à rencontrer le théâtre de Žanina
Mirčevska, puis à vouloir mettre en scène sa pièce, Esperanza, ainsi que
les partis-pris qui seront les siens dans ce spectacle.
Bernard MAGNIER
Par quel biais avez-vous découvert le texte
de Žanina Mirčevska ?
Patrick verschueren
C’était en 2009 je crois. J’étais invité
à Skopje pour faire une mise en scène et
comme le directeur du Théâtre National
savait que j’étais toujours à la recherche de
nouveaux auteurs, il m’a parlé d’elle avec
enthousiasme. En revenant à Paris, je suis
allé voir Dominique Dolmieu (fondateur et
directeur de la Maison d’Europe et d’Orient)
pour en discuter avec lui : il la connaissait
également et l’appréciait beaucoup puisqu’il
avait déjà publié trois de ses textes. Et
pourtant, personne encore en France ne
s’était lancé dans leur mise en scène.
L’année suivante, je retournais en
Macédoine pour y animer un workshop
durant le festival MOT. Parmi les spectacles
programmés, il y avait une adaptation de
Méphisto de Klaus Mann faite par Žanina
Mirčevska pour le théâtre National de
Ljubljana. Un travail brillant qui confirmait
à mes yeux son talent d’auteure.
Enfin, à nouveau en France, le comité de
lecture de la Maison d’Europe et d’Orient
venait juste de faire circuler un nouveau
texte d’elle, unanimement apprécié, La
gorge, une histoire d’ogre qui ne peut
s’arrêter de consommer… Il était donc plus
que temps de faire connaître cette auteure,
talentueuse en diable, née dans une petite
république balkanique que j’apprécie
particulièrement : la Macédoine. Et je suis
heureux que ce soit le TARMAC qui en ait
eu l’audace.
Avez-vous eu immédiatement le souhait de
mettre en scène Esperanza ?
Disons que j’étais fermement décidé à
mettre en scène un de ses textes, mais je
ne m’étais pas encore arrêté précisément
sur l’un d’entre eux. J’avoue qu’Esperanza
remportait secrètement mes faveurs,
d’autant que j’avais eu l’occasion de mettre
cette pièce à l’épreuve avec les étudiants
en art du spectacle de l’université d’Arras
et les élèves de la scène conventionnée de
Saint Laurent du Maroni. Dans les deux
cas, l’accueil du public fut excellent, et
évidemment, l’envie de pousser plus loin
s’en est trouvée décuplée.
UN CABARET "À LA BRECHT"
Où TOUT SE FABRIQUE
"À VUE"
Quelles sont les raisons qui vous ont amené
à mettre ce texte en scène ?
Sans doute à cause de l’époque, de la
crise, du catastrophisme allié à l’obscénité
des grands financiers (la bourse, n’est-ce pas
la pornographie légale de l’argent ?), j’avais
envie d’une pièce drôle, non pour détourner
la conversation mais pour mordre avec plus
de vigueur dans cette comédie du libre
échangisme (mais seulement pour les biens
et non pour les personnes !) qui est en train
de se jouer sous nos yeux.
J’avais aussi envie d’une forme légère,
une sorte de cabaret "à la Brecht" où tout
se fabrique "à vue", sans se cacher, avec le
moins de moyens et le plus d’ingéniosité
possible. Un groupe d’acteurs jouant à
faire émerger toutes sortes de personnages,
jouant même à s’échanger les rôles, fiers
d’un théâtre qui ne cherche pas à imiter le
cinéma.
espErAnza > ENTRETIEN AVEC
Des acteurs également musiciens,
capables de faire résonner sur scène un petit
orchestre ambulant (genre tuba, accordéon
et clarinette, histoire de lui donner une
consonance tzigane) et, pourquoi pas,
danseurs aussi, car on imagine mal un
cabaret sans l’ombre de Bob Fosse.
Et tout cela est dans la pièce de Žanina
Mirčevska. Le chœur d’où émergent tous
les personnages. Les répétitions musicales
qui invitent au chant, le bal tango (qui
invite à la danse...), tout cela dans ce qu’elle
appelle une "comédie sur les criminels
contre l’humanité".
Selon la lecture proposée, le texte de Žanina
Mirčevska peut prendre des tonalités graves
ou comiques, quels seront vos partis-pris ?
L’humour bien sûr ! C’est caustique
et c’est drôle. Dès la première lecture.
Situations
invraisemblables,
rythme
trépidant, personnages loufoques et décalés,
le tout aboutissant au fond de l’océan
dans une conversation avec les poissons
torpilles…
Certes, le fond est noir, même très noir
(on se rend compte peu à peu qu’il ne s’agit
pas seulement d’un criminel mais que tous
sont, à leur échelle, également criminels)
mais le tout est traité avec virtuosité sur
le mode de la dérision. D’ailleurs l’auteure
nous précise d’emblée qu’il s’agit d’une
farce et le revendique haut et fort. C’est donc
la comédie qui est la colonne vertébrale de
la pièce et qui en impose le rythme, même
si la note finale vient rompre cette harmonie
de façade pour nous laisser un goût amer :
« Pendant que la nuit noire dissimule les noirs
secrets de ce monde… comment est-il possible de
dormir ? »…
Je me souviens d’une phrase de Brecht
qui disait que ce qui est grave devait être
joué avec légèreté. Et aussi de Tchekhov qui
prétendait n’écrire que des comédies.
Y a-t-il, selon vous, dans ce texte des
éléments (des ingrédients) qui relèvent
singulièrement d’une culture slave ?
Balkanique ? Quels sont-ils ?
Bien sûr ! Il y a cette énergie dévorante,
cette sorte de lyrisme désabusé. Comme je
le disais, il y a aussi Tchekhov qui n’est pas
loin, avec ces gens qui dansent sur le vide,
ce petit monde qui fait la fête sans voir qu’il
sera bientôt englouti. Il y a aussi cette façon
de jouer avec le danger, ce défi permanent
lancé à la mort qui exacerbe le goût de toute
chose. Et il y a cet humour noir aussi, qui
pourrait ressembler à l’humour anglais
ou à celui de nos voisins du nord mais, je
dirais avec plus de corps, plus de chair, et
dans un rythme plus relevé !
Quel va être le rôle de la musique ? Et des
musiciens ?
Tout a fait fondamental évidemment.
C’est pour cela d’ailleurs que je me suis
entouré de comédiens qui maîtrisaient
très bien la musique. J’ai imaginé que,
tous ensemble, ils constituaient le petit
orchestre de l’Esperanza, et pour aller
jusqu’au bout de cette idée, le compositeur
leur a spécialement écrit un petit répertoire
de musiques de bal.
Avez-vous travaillé (rencontré) l’auteure ?
Quelles ont été (seraient) les questions que
vous lui avez posées ? (que vous aimeriez
lui poser ?)
J’avais souhaité l’inviter à la Fabrique
pour participer à un workshop, il y a
environ deux ans, mais elle n’avait pas pu
se rendre disponible pour la période que je
proposais. Maintenant, nous échangeons
© DR
CE PETIT MONDE
QUI FAIT LA FÊTE SANS
VOIR QU’IL SERA BIENTÔT
ENGLOUTI
régulièrement sur l’évolution du travail et
voyons avec elle la possibilité d’aller jouer
la pièce en Slovénie, et dans le même élan,
au Kosovo, au Monténégro et en Macédoine
bien sûr !
En revanche, nous avons invité la
traductrice, Maria Béjanovska, à une de
nos lectures et l’échange qui a suivi a été
très passionnant et chaleureux. C’est du
reste beaucoup plus autour des questions
de traduction que nous nous sommes
focalisés, le souci étant de donner un
maximum de couleurs et de singularité à
chacun des personnages voyageant à bord
de l’Esperanza.
Quelle lecture faites-vous du titre…
Esperanza ? Du choix du lieu de l’intrigue,
ce paquebot de luxe ?
Il y a bien sûr l’ironie d’une histoire
qui se répète : des criminels de guerre de
l’ex-Yougoslavie fuyant l’Europe à bord d’un
transatlantique pour se cacher en Amérique
du Sud, comme l’avaient fait 60 ans plus tôt
des criminels de guerre allemands. Cette
ironie se retrouve jusque dans le titre,
comme si cette "espérance" à chaque fois
réveillée ne pouvait faire autre chose que de
nous conduire vers un nouveau naufrage.
Avec l’impression cette fois que l’histoire
nous échappe, ou qu’elle se joue ailleurs, et
que, même avec les meilleurs sentiments
du monde, cette intelligentsia "finissante"
n’arrive plus à avoir prise sur elle.
Esperanza, après avoir été la parodie
d’un communisme qui promettait des
lendemains qui chantent, est aujourd’hui
celle d’un capitalisme qui, pour sa propre
survie, est obligé de nous promettre un
avenir formidable.
propos recueillis en février 2013
11
PATRICK VERSCHUEREN > SON ITINÉRAIRE ET SES CHOIX EN QUATRE
ÉTAPES ET QUELQUES REPÈRES
Comédien et metteur en scène, Patrick Verschueren fait preuve d’un
goût affirmé pour les textes contemporains et singulièrement pour ceux
issus de l’est de l’Europe.
Il dirige le Théâtre de l’Ephéméride et le festival "Babel Europe".
Il retrace ici son parcours artistique en quelques étapes essentielles
et évoque ceux qui ont compté dans sa formation théâtrale.
Bernard MAGNIER
Afin de faire connaissance, quelques mots
sur votre parcours artistique. Si vous deviez
choisir quelques étapes essentielles quelles
seraient-elles ?
Patrick verschueren
La première est sans doute quand
la ville de Val-de-Reuil nous a accueillis
dans une ancienne usine de pâte à papier.
C’est à ce moment-là que nous avons
décidé de revendre notre chapiteau et de
ne plus mettre en scène que des auteurs
contemporains.
La deuxième, je pense que c’est la
rencontre avec Jordan Plevnes et la mise en
scène de sa pièce, Mon assassin très cher, qui
sera sans doute la base de notre triptyque
balkanique (et de nos voyages aux EtatsUnis et dans l’est de l’Europe).
La troisième, la confiance d’Alain Bézu,
alors directeur du théâtre des deux rives qui
est à l’origine de tout mon travail sur Brecht
(Baal, Dialogue d’Exilés et Cabaret du diable).
Une confiance qui se poursuivra encore,
permettant la naissance de Some Explicit
Polaroids de Mark Ravenhill, dans un style
profondément renouvelé.
La quatrième, c’est certainement tout
le travail avec Jean-Marie Piemme, mais
traversé en même temps par une crise
violente allant jusqu’à remettre en cause
notre mode de fonctionnement : nous
voulions un autre théâtre, plus engagé, plus
mordant et c’est certainement ce qui nous
a amené à l’aube de cette cinquième étape
qu’est Esperanza. Un théâtre qui ne se cache
pas, qui n’a pas honte d’être du théâtre mais
qui en utilise toutes les ressources.
Quels sont vos repères (vos "phares") dans
le théâtre ? Parmi les auteurs ? Parmi les
metteurs en scène ?
D’abord ceux qui m’ont donné le goût
du théâtre : Mnouchkine avec son théâtre
total (c’était une expérience profondément
marquante) et Vitez avec son univers
austère mais qui me poursuivait encore
bien après les représentations.
Ensuite, je crois que c’est Bernard Dort
qui m’a transmis le goût du théâtre de
Brecht. Grâce à lui, j’ai dévoré l’œuvre du
pauvre B.B. et il est évident qu’aujourd’hui
encore, il demeure un repère fondamental
dans mon océan théâtral. Viennent ensuite
les inventeurs d’un théâtre charnel comme
Meyerhold et Grotowski et l’univers à la
fois simple et magique de Kantor faisant
dialoguer les vivants et les morts dans la
pauvre chambre de son imagination.
C’est pourquoi, mes attirances théâtrales
ont aussi été proches du monde de la danse
(Pina Bausch ou Maguy Marin par exemple)
et m’ont plus facilement amené en terre
étrangère (vers Castellucci, Ostermeyer,
Forman, Korsunovas…) en même temps
que vers des auteurs et metteurs en scène
qui continuent d’inventer un monde dans
la simplicité de la scène comme Pommerat
ou Novarina.
Du côté de l’écriture, je pense que
mon attirance pour les auteurs de l’Est de
l’Europe (Mirčevska bien sûr, mais aussi
Plevnes, Kovač, Kiš, Dukovski ou Markovic
par exemple) vient de mon goût pour le
brûlant ou le froid et non le tiède, et aussi
pour l’irrespect permanent de l’exactitude
(dans la chronologie, dans la géographie,
dans l’action), le mélange entre le réel et
l’imaginaire, le dialogue possible entre les
vivants et les morts qui fonde un théâtre
sensible dans lequel je me retrouve
pleinement et qui me semble être le théâtre
qui redonne le goût au théâtre aujourd’hui.
propos recueillis en février 2013
EN ÉCHO
mercredi 24 avril à l’issue de la représentation
une rencontre proposée par Bernard Magnier
avec Souâd Belhaddad
En 2009, Souâd Belhaddad présentait sur la scène du TARMAC un spectacle drôle et décapant,
Beaucoup de choses à vous djire. Animatrice d’une chronique sur France inter pour l’émission
Ouvert la nuit, elle est une observatrice attentive des spectacles comiques sur les scènes françaises.
C’est dire si, elle aussi, a son "mot à dire" sur l’humour francophone,
sur ceux qui l’ont fait rire, sur ce qui l’a fait rire.
Journaliste, Souâd Belhaddad est aussi co-auteur avec Esther Mujawayo de deux livres sur le génocide
au Rwanda en 1994 et ses conséquences, SurVivantes et La fleur de Stéphanie.
Elle a également publié un essai, Algérie le prix de l’oubli
et vient de rééditer son livre à caractère autobiographique, Entre-deux Je.
Algérienne ? Française ? Comment choisir ?
SurVivantes, éditions de l’Aube, 2004
Algérie le prix de l’oubli, Flammarion, 2005
La fleur de Stéphanie, Flammarion, 2006
Entre-deux Je, éditions Mango 2001, rééd. 2013
159 avenue Gambetta 75020 - M° St Fargeau - renseignements / réservations 01 43 64 80 80 - www.letarmac.fr
directrice de la publication Valérie Baran / rédaction Bernard Magnier
conception et visuel de couverture Atelier Pascal Colrat, assisté de Laëtitia Lamblin, Marie Philippe et Valérie Perriot-Morlac
impression Ateliers 30 - licences d’entrepreneur de spectacles 1052228 -1052085 -1052086 - 1053875

Documents pareils