L`adolescence - CEDIAS

Transcription

L`adolescence - CEDIAS
U.F.R. de Psychologie
Mémoire présenté pour l’obtention
du Master Professionnel
Ingénierie et Gestion des Interventions Sociales
&
du Diplôme d’État d’Ingénierie Sociale
Par Catherine POITEVINEAU
L’adolescence : un nouvel objet d’intervention sociale
Mieux la reconnaître pour mieux l’accompagner
Tuteur du mémoire
Reynald Brizais
Session
Octobre 2008
SOMMAIRE
Introduction
Partie I : Immersion au cœur de l’adolescence
p.3
p.6
11.1
1.2
22.1
2.2
p.7
p.7
p.7
p.9
p.9
p.9
Construction de l’objet d’étude
Réflexion initiale
Problématisation
Démarche d’étude
Construction d’indicateurs
Recueil de données
Partie II : De l’ordinaire d’une adolescence…
p.13
11.1
1.2
1.3
1.4
1.5
22.1
2.2
33.1
3.2
3.3
3.4
3.5
p.14
p.14
p.16
p.16
p.17
p.17
p.19
p.19
p.21
p.24
p.24
p.26
p.30
p.34
p.38
Regards croisés sur l’adolescence
Approche historique
Approche sociologique
Approche psychosociale
Approche épidémiologique
Entre nécessité et limite de la catégorisation
Entre tension interne et tension externe
La crise d’adolescence : un pléonasme
La crise du désir, la dimension pulsionnelle
Entre dépendance et autonomie
L’adolescent a été un enfant : construction du lien
Processus de séparation et naissance du sujet
Les paradoxes de l’adolescence : entre demande et besoin, la fonction paternelle
Les identifications : une réponse provisoire à la quête d’identité
Du rite de passage au processus d’adolescence
Partie III : …Aux pathologies de l’adolescence
p.41
11.1
1.2
1.3
22.1
2.2
2.3
p.42
p.42
p.45
p.49
p.52
p.52
p.53
p.53
La place du symptôme comme signe identitaire : passages à l’acte ou actes de passage ?
L’identité tracée sur le corps
Les conduites à risque, ou quand avoir des petits riens permet de ne pas être rien
Le hors cadre, la délinquance ou quand être un moins que rien est mieux que n’être rien du tout
La pulsion de mort
Violence contre l’autre
Violence contre soi
Prévention des passages à l’acte
Partie IV : Les réponses sociétales : la fonction de la parole là où l’acte domine
p.55
11.1
1.2
1.3
22.1
2.2
2.3
p.56
p.56
p.60
p.70
p.73
p.73
p.76
p.84
Les lieux d’écoute
Espaces de socialisation : premiers lieux d’écoute
Dispositifs d’écoute à l’intention des ados
Dispositifs à l’intention des adultes ayant affaire aux adolescents
Lire entre les lignes de ces actes
Entre tentation de pathologisation et tentation de judiciarisation
Entre protection de l’enfance et prévention de la délinquance
La sanction comme garde-fou
Conclusion
Bibliographie
Glossaire des sigles
Annexes
Table des annexes
Une dernière citation
p.88
p.92
p.96
p.98
p.99
p.119
2
INTRODUCTION
« Comme le mugissement de la mer précède de loin la tempête,
cette orageuse révolution s’annonce par le murmure des passions
naissantes ; une fermentation sourde avertit de l’approche du
danger. Un changement dans l’humeur, des emportements
fréquents, une continuelle agitation d’esprit, rendent l’enfant
presque indisciplinable. Il devient sourd à la voix qui le rendait
docile ; c’est un lion dans sa fièvre ; il méconnait son guide, il ne
veut plus être gouverné. »
Jean-Jacques Rousseau
3
La question de l’adolescence est restée en suspens jusqu’à présent. Après l’avoir traversée sans
m’y arrêter, après l’avoir côtoyée sans la fréquenter, j’ai compris, au travers de mes rencontres avec la
jeunesse, combien j’avais évité d’aborder réellement cette période. Les jeunes m’intéressaient,
m’intriguaient, j’avais affaire à eux et savais m’en approcher, pourtant ils me restaient toujours très
étrangers.
Jeunes ordinaires, jeunes déficients, jeunes agités, jeunes placés, tous me ramenaient à cette
question d’origine : de quoi est faite cette phase à la fois si riche et si fragile ? Que cherchent ces
enfants grandissants, adultes en herbe ? Quel tumulte intérieur peut agiter ces garçons et ces filles si
ressemblants les uns aux autres, et pourtant si uniques ?
Mon travail m’a toujours conduite vers les enfants et les adolescents. Si j’espère leur avoir
apporté un peu, eux m’ont appris beaucoup : sur l’authenticité de la rencontre, l’impérieux besoin
paradoxal de se démarquer et de s’identifier, l’importance de la posture des adultes, la nécessité de lire
entre les lignes.
Même si j’avance, le sujet reste inépuisable, entre réponses éphémères, et questions
renouvelées. C’est ce qui m’amène, lors du choix de sujet de mémoire, à poursuivre ma démarche de
réflexion et de questionnement sur cette mystérieuse étape qu’est l’adolescence.
L’adolescence se définit comme un processus de transformation, un prélude à l’âge d’homme
où le jeune est simultanément en quête de tutelle et d’autonomie. Parce qu’ils sont fragilisés, les
adolescents questionnent la stabilité et le sens des repères, leur marge de liberté, dans une démarche
d’affirmation de soi. La transgression fait partie de ce questionnement, autant de joutes nécessaires à la
construction de leur identité.
Moment d’interrogation majeure, cette période de l’adolescence est en effet propice à des
tensions à plusieurs niveaux :
 entre tensions internes et tensions externes
 entre fin de l’enfance et entrée dans l’âge adulte
 entre envie de normalité et désir de singularité
 entre besoin d’aide et quête d’autonomie
 entre demande affective et mouvements d’opposition…
Sur quelles fondations se construit ce questionnement d’où émerge l’identité du sujet ? Pour la
plupart des adolescents, cette mutation, se fait sans grands dommages, mais pour certains, cette étape
de construction s’appuie sur des bases trop fragiles et devient le moment d’expériences de destruction.
4
On évalue à environ 15% la proportion des adolescents qui traversent une période de mal-être plus ou
moins prononcé.
Pour répondre à tout ce questionnement identitaire, il existe aujourd’hui un foisonnement de
dispositifs. Quelles en sont les finalités ? Quels en sont les effets ?
Et comment comprendre cet incontournable« ratage » ?
Après avoir pris le temps de revenir sur ce qui fait de l’adolescence un moment unique, nous en
décrirons les aspects plus extrêmes, voire pathologiques. Puis nous nous pencherons sur les dispositifs
existants pour réfléchir sur leurs atouts et leurs limites. Il s’agira enfin d’analyser ce qui peut encore
être pensé et mis en œuvre pour venir soutenir les adolescents dans leur cheminement vers leur devenir
d’adulte. C’est au travers d’une documentation riche mais aussi de rencontres avec des acteurs de
terrain et des adolescents que nous approfondirons notre recherche.
5
PARTIE I
IMMERSION AU CŒUR DE L’ADOLESCENCE
« L’adolescence, en réalité, le seul moment où
l’homme, ayant mesuré son destin, est tenté d’aller
jusqu’au bout de ses pensées. »
Pierre Turgeon
6
1-Construction de l’objet d’étude
1.1 Réflexion initiale
L’axe de réflexion initial portait sur l’adolescence en elle-même, sur ce qu’elle recouvre et
recèle, sur ce qui caractérise les adolescents. Un premier plan a émergé, la trame s’est tissée.
Pourtant, avec les premiers entretiens au sein des dispositifs à l’attention des adolescents, j’ai
découvert un réseau fourni et diversifié mettant à la disposition des jeunes un ensemble de
professionnels de différents champs. Pourtant, mon mémoire ne pouvait être le catalogue des lieux
dédiés aux jeunes. Il me fallait trouver une autre voie d’approche, alliant mon questionnement sur
les adolescents et mes découvertes sur les dispositifs existants.
J’ai donc décidé de recentrer ma recherche sur cette part d’adolescents (environ 15%), part
à la fois mineure et non négligeable, qui traversent cette période en présentant comportements,
troubles, symptômes, qui dépassent les limites d’une adolescence ordinaire, ceci afin de
comprendre quels besoins s’expriment et quelles offres de réponses existent pour leur permettre de
trouver du soutien dans leur avancée parfois très douloureuse.
1.2 Problématisation
Question de départ
La question retenue pour orienter ma démarche pouvait s’énoncer comme suit :
Dans quelle mesure les dispositifs actuels offrent-ils les moyens de répondre aux
questions que se posent et que posent les adolescents ?
… Dans quelle mesure : il s’agit de déterminer en quoi et avec quels effets.
… Les dispositifs actuels : il semble important de faire le point sur les différents services et
structures qui existent aujourd’hui à l’intention des adolescents.
… Offrent-ils : l’idée est que c’est bien aux dispositifs de s’adapter aux adolescents et non
l’inverse.
… Les moyens : il convient de chercher des réponses possibles, mais aussi les moyens de ces
réponses.
7
… De répondre : en écho aux questions. On entend ici : propositions et non solutions.
… Aux questions : les adolescents sont à une période d’interrogation majeure, même si celle-ci
ne se manifeste que rarement par des questions énoncées. Les comportements sont à prendre
comme autant de questions qui ne se disent pas.
… Que se posent et que posent : à travers leurs propos et leurs actes, les adolescents nous
exposent à ces tumultes internes et ébranlent également le cadre externe, venant alors
réinterroger ce qui est mis en place.
… Les adolescents : jeunes que nous situons dans notre propos entre 12 ans et 21 ans environ,
c'est-à-dire du moment où la puberté vient agiter le rapport à l’autre, et le début de l’âge
adulte, que nous ne situons volontairement pas à la majorité, et dont nous pourrions
considérer qu’il ne commence que vers 25 ans. Les dernières études montrent qu’un sujet sur
deux de cet âge vit encore dans la dépendance à ses parents, c'est-à-dire n’a pas réalisé ce qui
fait trace, pour le sociologue, de l’accès au statut d’adulte, à savoir un logement indépendant,
un travail stable, et une vie en couple.
Cette question initiale induisait une série d’autres interrogations, certaines pouvant à terme
prendre un statut d’hypothèse pour notre recherche.
 A quelles questions les adolescents sont-ils confrontés ?
 Quelles sont les manifestations repérables à l’adolescence ?
 Quels dispositifs existent, pour quels objectifs et quels effets ?
 L’ensemble des dispositifs répond-il aux besoins des adolescents ?
 Comment expliquer l’inévitable part de « ratage » entre les besoins et les réponses
proposées ?
8
2-Démarche d’étude
2.1 Construction d’indicateurs
Les indicateurs doivent permettre :
 de repérer les caractéristiques de l’adolescence
-dans ses aspects ordinaires
-dans ses aspects pathologiques
 de mettre en tension besoins des jeunes et dispositifs d’aide.
Avec les parents
Avec les pairs
Le rapport des adolescents
Avec l’autorité, la règle et la loi
Avec leur corps
Avec la scolarité
Les espaces de paroles
utilisés par les adolescents
Au sein de la famille
A l’école
Autres
Les objectifs
Les dispositifs existants
Le public visé
Le fonctionnement
L’usage effectif par rapport à l’utilité visée
2.2 Recueil de données
Nous avons fait le choix de nous appuyer sur une diversité de sources et de modalités de
recueil de données, afin de nous faire une idée la plus complète possible de la question de
l’adolescence, des questions des adolescents, des comportements qu’ils adoptent et des dispositifs
proposés.
9
Documentation
Ouvrages
Articles
conférences
Textes de Lois
Ouvrages
Articles
conférences
Textes de Lois
Lycée BTS Force
de vente
ITEP
Foyer Protection de
l’Enfance : pôle
adolescents
MDA
Consultation pour ados
la MUSE (Nantes),
hôpital de jour ados
le SHIP (Nantes)
ASE
CAE
foyer
Ouvrages
Articles
conférences
Ouvrages
Articles
conférences
Expérience
professionnelle
Dispositifs
Accompagnement
d’adolescents en
situation de fragilité
sociale
Aide aux
adolescents
MDA
Ecole des Parents
DU « Adolescents
difficiles »
Entretiens avec
des
professionnels
du social
Paroles
d’ados
Accompagnement
d’adolescents souffrant de
pathologies
Aide aux adultes
en charge
d’adolescents
Directeur de la
formation DU
Directeur MDA
Directrice Ecole
des Parents
Infirmière
Directeur MDA
Ados de collège
Infirmière Muse
Directeur-pédopsy SHIP
Directeur ITEP
Infirmière et éducatrice
Hôpital de jour pour
adolescents
Ados d’ITEP
Chef de service CAE
Educateur CAE
Educateur Foyer pour
adolescents
Ados de foyer d’action
éducative
La documentation portant sur l’adolescence
Nous avons pu découvrir l’importante littérature consacrée aux adolescents. L’ampleur de
la recherche documentaire nous a permis d’étudier l’adolescence selon des approches historiques,
sociologiques et psychosociales, en recueillant des éléments de théorie précieux ainsi que des
données très concrètes au niveau épidémiologique.
 Ouvrages consacrés à l’adolescence
 Ouvrages consacrés aux problématiques adolescentes
 Ouvrages consacrés aux pathologies de l’adolescence
 Ouvrages à l’intention des adultes en relation avec des adolescents
 Ouvrages consacrés à l’accueil et la prise en charge d’adolescents
10
Beaucoup d’auteurs sont également des acteurs de terrain. Philippe Jeammet, professeur en
pédopsychiatrie, a conçu le DU sur les Adolescents difficiles ; Marcel Rufo, pédopsychiatre, a
franchisé ce DU et a ouvert de nombreuses structures dont la Maison de Solenn, la première
Maison Des Adolescents ; Marie Choquet, épidémiologiste, a réalisé une étude épidémiologique
complète à l’aide de questionnaires et d’entretiens auprès d’adolescents ; Reynald Brizais, Maitre
de conférence à l’Université de Nantes a travaillé de nombreuses années en institution et intervient
toujours auprès d’équipes ; Michel Defrance et Jean-Marie Petitclerc dirigent des établissements et
services accueillant des adolescents difficiles…
L’expérience professionnelle auprès d’adolescents
Nous avons pris appui sur les diverses expériences professionnelles, très variées tant en
termes de publics que de projets et de fonctions occupées.
LIEU
POPULATION
SPÉCIFICITÉ
Lycée BTS
Force de vente
18- 21 ans, mixte
Pas de problèmes particuliers
IME
14-21 ans, mixte
Déficience légère
ITEP
12-15 ans, mixte
Troubles du comportement, déscolarisation
Foyer
Protection de
l’Enfance
pôle
adolescents
Placement ASE ou justice
13-18 ans, mixte
FONCTION OCCUPEE
Enseignante en anglais
Enseignante spécialisée
Enseignante spécialisée
Et responsable pédagogique
Chef de service du pôle
adolescents
Parcours scolaires divers
Difficultés familiales et sociales diverses
Les entretiens avec les professionnels de dispositifs pour adolescents
Au-delà de la recherche documentaire fournie et de notre expérience, c’est par le biais
d’entretiens que nous avons principalement recueilli les témoignages de professionnels du social,
11
directeurs de structures et acteurs de terrains. Cela nous a en effet permis de prendre le temps avec
chacun pour échanger autour des questions suivantes :
 Le projet de la structure ou du dispositif : les finalités et les objectifs ?
 Le public visé et le public fréquentant réellement le dispositif : comment faire venir
les jeunes qui en auraient besoin ?
 L’accueil : dimension d’écoute ? Actions concrètes ? Accueil épisodique ou
régulier ?
 Le fonctionnement : horaires, professionnels, référé à quelle institution ?
 Les partenaires : travail de partenariat ou en réseau ?
 Les difficultés rencontrées ?
 Le quotidien de la pratique ?
Social
Directeur de la MDA,
Nantes
Directrice de l’Ecole des
Parents
Éducatif spécialisé
Protection
Judiciaire Jeunesse
Directeur général de
l’ARRIA, Nantes :
ITEP
Chef de service du
CAE, Cholet
Infirmière et éducatrice,
Hôpital de jour pour
adolescents, Cholet
Educateur du CAE,
Cholet
Infirmière de La MUSE,
Hôpital St Jacques, Nantes
Directeur général de
l’AAE, Nantes
Sanitaire
Directeur du SHIP, Hôpital St
Jacques, Nantes
Chef de service et
éducateurs de l’APAECH,
Cholet
Les vignettes cliniques et propos d’adolescents
Nous ponctuerons et illustrerons notre réflexion par des échanges avec des adolescents,
rencontrés lors de notre travail auprès d’eux ou au cours d’entretiens.
12
PARTIE II
DE L’ORDINAIRE D’UNE ADOLESCENCE…
« Enfants, vous étiez sans défauts. Que
s'est-il donc passé au cours de votre
adolescence ? »
André Lévy
13
1- Regards croisés sur l’adolescence
« Notre jeunesse est mal élevée. Elle se moque
de l’autorité et n’a aucune espèce de respect
pour les anciens. Nos enfants d’aujourd’hui
(…) ne se lèvent pas quand un vieillard entre
dans une pièce. Ils répondent à leurs parents
et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout
simplement mauvais ».
Socrate
1.1 Approche historique
Avant que le terme adolescence existe, les enfants grandissants ébranlaient déjà la famille
et la société.
Étymologie
Du latin :
adolescere, grandir
Adolescens : participe présent, grandissant, en train de grandir
Adultus : participe passé, grandi, qui est grandi
Ce terme définit la période située entre l’enfance (du latin infans, sans voix, qui ne parle
pas) et l’âge adulte. Le mot apparaît au XIVème siècle, mais le concept même avec ce qu’il
recouvre, est récent. Jusqu’au XVIIème siècle, c’est le terme adulte qui regroupe tous ceux qui sont
« grandis », le début de cette période étant située au moment de la puberté et annonçant souvent le
début du travail.
La notion de puberté, du latin pubertas, transformations physiologiques du corps, est, elle,
identifiée comme le moment de droits nouveaux pour l’individu.
La notion de majorité, établie selon la puberté, puis située à l’âge de 21 ans, pour ensuite
être ramenée à 18 ans, reste l’élément objectif répartissant le monde de l’enfant et de l’adulte.
Une autre étymologie latine voit dans l’adolescent celui qui s’enflamme (adoleo : faire
brûler, consumer sur un autel). On y découvre déjà ce qui fait de cette période un moment
explosif, extrême.
14
Dans la Rome Antique, l’adulescens regroupe l’ensemble des jeunes hommes citoyens de
17 à 30 ans. Au Moyen Âge, l’enfance n’est pas prise en compte. L’âge de la majorité est situé
entre 12 et 15 ans, âge possible pour la paternité.
Naissance du concept
Vers la fin du XVIIIème, la notion d’enfants est introduite, pour les distinguer des adultes. Il
faut dire qu’alors l’espérance de vie était de 27-28 ans. L’adolescence commence à apparaitre
comme un statut social, avec la conscription et le service militaire.
C’est au milieu du XIXème siècle que le terme adolescence se consolide mais seuls les
garçons sont reconnus dans cette étape, particulièrement dans les classes aisées. La fin du XIXème
correspond à l’industrialisation avec les progrès en science et en médecine et le début de
l’enseignement obligatoire. Le terme se développe avec la massification de la scolarité. On situe
alors la fin de l’enfance à 13 ans.
Le XIXe siècle est aussi l’époque de la prise en considération des adolescents comme un
groupe à part. En plus des ouvrages sur l’adolescence, des textes se multiplient sur la réforme du
système pénitentiaire en vue de l’adapter à de jeunes délinquants et de jeunes vagabonds. A cela il
convient d’ajouter le mouvement philanthropique comprenant des acteurs célèbres tels Alexis
Charles Henri de Tocqueville ou Frédéric Auguste Demetz, qui en plus de soutenir la réforme
pénitentiaire, s’intéressent à l’éducation des jeunes délinquants.
Au début du XXème siècle, la jeunesse fait peur. Pour Durkheim, « l’adolescent a le goût du
sang et du viol, c’est un malade en puissance ». L’industrialisation et le développement urbain
favorisent l’augmentation importante de la délinquance juvénile. Les prisons se remplissent de
jeunes, qui se retrouvent en correctionnelle au milieu d’adultes. Il faut trouver des solutions pour
sortir les mineurs des prisons. C’est l’époque des discussions autour de la peine de mort, et la
création d’institutions visant à canaliser la jeunesse, comme le scoutisme, les Jeunesses Musicales
de France…
Dans les années 50, l’état d’adolescence est comparé à un état de maladie, un état justifiant
une surveillance et des mesures particulières. Yann le Pennec, dans son ouvrage Centre fermé,
prison ouverte, voit dans cette nouvelle approche pédagogique l’avantage d’un intérêt pour la
personnalité de l’enfant mais le risque d’une psychiatrisation. « L’observation du caractère comme
instrument d’étude de la personnalité ouvre le champ de l’éducation spéciale, de l’enfance
délinquante et/ou inadaptée à la psychiatrie infanto-juvénile. Cette orientation trouve dans le
15
scoutisme dit d’extension, un terrain d’élection en particulier et de façon durable dans le secteur
privé associatif. »1. En effet, « franchise, dévouement et pureté (…) sont porteuses d’un idéal de
transparence morale qui accélérera, à sa manière, la psychiatrisation de toute l’enfance difficile. »2
Le développement des prises en charges individualisées renforce l’émergence d’une approche
médico-psychologique massive et centrale.
Depuis les années 80, c’est la dimension d’étrangeté qui domine et conduit à une sorte
d’étude ethnologique de cette population insolite dont il faudrait découvrir les caractéristiques.
1.2 Approche sociologique
L’approche sociologique considère l’adolescence dans sa dimension culturelle et sociale.
C’est l’enseignement secondaire pour garçons de la bourgeoisie qui donne naissance à
l’adolescence, prise dans sa dimension globale et étudiée comme construction sociale. Se dégagent
des études des caractéristiques propres à l’adolescence, liées à ce besoin d’identification qui
dépasse la seule idée d’une culture partagée : modes de vie et langage spécifiques, personnalité
culturelle propre, dimension groupale importante. Apparaissent aussi les notions de communautés
adolescentes nécessitant la création de lieux adaptés, comme les maisons de jeunes : l’adolescence
s’institutionnalise.
Des études s’attachent à décrire la croissance et le comportement des adolescents, à partir
de critères comme le développement corporel, l’hygiène et la santé, la sexualité, l’émotivité,
l’affirmation de la personnalité et les relations sociales. (Cf. Annexe I : Tableau comparatif à
partir d’observations de l’institut Gesell sur des adolescents américains, p.100)
Mais pour un certain nombre de sociologues, dont Durkheim, les adolescents, en tant que
personnalités sociales inachevées, ne relèvent pas du champ d’analyse sociologique.
Ce sont donc d’autres champs, comme la médecine et la psychologie, qui s’intéressent aux
adolescents, dans leur dimension plus singulière, dans leur situation de crise.
1.3 Approche psychosociale
Plutôt que d’enfermer cette population dans une classe d’âge, dont les limites varient d’une
simple transition des 14 à 18 ans entre enfance et majorité légale située, à une large période des
1
2
LE PENNEC Y. (2004) Centre fermé, prison ouverte, Éditions L’Harmattan, Paris, p.45
CHAUVIERE M. (1980) Enfance inadaptée : héritage de Vichy, Éditions Ouvrière, p.85
16
11-25 ans entre puberté et fin de croissance, voire indépendance financière, il conviendrait de
s’intéresser à la dimension à la fois singulière et capitale de l’évolution de l’enfant en adulte.
Dans son ouvrage L’adolescence n’existe pas, le psychiatre Patrice Huerre décrit le concept
d’adolescence comme une création récente de notre société, un artifice pour signifier, autour de la
puberté, le passage de l'enfance à l'âge adulte. Il explique aussi que ce sont les adultes qui, par
refus de vieillir et par souci de supprimer tous les risques, excluent les jeunes du monde des
grands, les obligeant à payer le prix fort pour y entrer. Marcel Rufo appelle la période
d’adolescence la « vie en désordre ».3
Françoise Dolto parle de « phase de mutation (…) aussi capitale pour l’adolescent confirmé
que sont la naissance pour le petit enfant et les quinze premiers jours de la vie. La naissance est
une mutation qui permet le passage du fœtus au nourrisson et son adaptation à l’air et à la
digestion. L’adolescent, lui, passe par une mue au sujet de laquelle il ne peut rien dire et il est,
pour les adultes, objet de questionnement. »4. C’est d’ailleurs ce qu’elle décrit également dans
Paroles pour adolescents ou le complexe du homard, où elle met à la disposition des jeunes des
mots sur ce qu’ils traversent sans pouvoir rien en dire.
1.4 Approche épidémiologique
Une approche épidémiologique effectuée par Marie Choquet met en évidence les troubles
liés au corps et au comportement, à partir de la variable latente de l’adolescence. Les dimensions
de violence par rapport à soi, à l’autre, à la loi, sont des éléments pris en compte. A l’intérieur de
l’adolescence émergent des sous-catégories établies à partir de critères comme l’âge, le sexe et
l’origine sociale et raciale.5 Ces études montrent que 20% des adolescents vivent leur adolescence
comme un moment douloureux : 20% d’une classe d’âge est une proportion considérable.
1.5 Entre nécessité et limite de la catégorisation
Michèle Perrot, historienne, explique : « La façon dont on parle de l’adolescence, est
directement une façon de parler de nous, de nos angoisses. Mais comme toujours, dans l’espèce
humaine, on n’aime pas être seuls à porter nos questions, alors on cherche des porteurs. Et on en a
3
RUFO M. « Parents d’ados : la clé : ne pas avoir peur d’eux, ni pour eux ». Psychologies, octobre 2007
DOLTO F. (1988), La cause des adolescents, Respecter leur liberté et leurs différences, Éditions Robert Laffont,
Paris, p.14
5
CHOQUET M., RUFO M., (2007), Regards croisés sur l’adolescence, son évolution, sa diversité, Éditions Anne
Carrière, Paris, pp.29-31
4
17
trouvé. Et comme les adolescents sont plutôt bienveillants à l’égard des adultes, ils acceptent
parfois de les porter. »6
Les adolescents suscitent à la fois intérêt, méfiance et questionnement. C’est à travers eux
un peu de l’homme que l’on tente de percer le mystère. Mais la tentation est grande de nommer
cette catégorie pour la mettre à distance et la rendre moins menaçante. C’est alors oublier que
l’adolescent est avant tout un sujet qui traverse une étape cruciale de bouleversements. « La
population adolescente est une population aussi diversifiée que la population adulte. Je tiens à le
dire parce qu’on présente souvent l’adolescent comme un petit modèle type. Non, il y a d’abord
des garçons et des filles, il y a des âges divers, il y a des jeunes qui habitent en ville, à la
campagne, et en banlieue. Il y a des français, des étrangers. La très grande diversité qui existe dans
la population générale existe aussi dans la population adolescente. »7
Peut-on encore l’accompagner et l’aider à trouver ses réponses lorsque l’on la réduit à une
population en marge de la société, qui viendrait mettre en péril l’ordre social ? Marie Choquet
donne son point de vue : « Etudier l’adolescence, c’est étudier le niveau de tolérance. Est-ce que
l’on va tolérer un certain nombre de choses ou non ? En fonction de cela, on va considérer des
conduites comme dangereuses, et d’autres non. Parce qu’au fond, on nous dérange par rapport à
certaines conduites, et par rapport à d’autres, cela ne nous dérange pas. On est parfois plus dans
l’étude de l’intolérance, que dans l’étude des difficultés ressenties par les adolescents. C’est assez
frappant lorsqu’on regarde ce qu’ils disent, par rapport à ce que disent les adultes qui les
entourent. »8
Que vivent donc ces adolescents, qu’il nous faudrait parvenir à étudier et comprendre ?
6
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et d’accueil pour
adolescents, mars 1996, Vannes, Éditions C.D.E Vannes, p.106
7
Ibidem, p.116
8
Ibidem, p.128
18
2- Entre tension interne et tension externe
« La maladie de l'adolescence est de ne
pas savoir ce que l'on veut et de le
vouloir cependant à tout prix. »
Philippe Sollers
2.1 La crise d’adolescence : un pléonasme
L’adolescence est en soi une crise, un passage entre l’âge d’enfant et celui d’homme, un
moment clé dans le processus de séparation et d’autonomisation. Le mot crise vient du grec
kpiseiv qui signifie différencier, discriminer, séparer. Didier Lauru revient longuement, dans son
ouvrage La folie adolescente, sur la notion de crise : « l’expression crise d’adolescence recouvre
mal l’ensemble des problématiques qui caractérisent cette traversée. Il serait plus opportun de
parler de crises au pluriel, pour mieux rendre compte de l’évolution par paliers, par accès, de ces
problématiques maturatives et évolutives. »9
Saül Karsz explique en quoi il s’inquiète davantage de l’absence de crise à l’adolescence
que de manifestations de la crise. Il définit la crise comme un « arrêt sur image, interrogation du
monde où nous vivons. »10 Cette crise semble à la fois nécessaire et inéluctable, même si ceux qui
arrivent à traverser l’adolescence sans crise trop douloureuse sont ceux qui transcendent, « qui
investissent tout sur la musique, le sport ou les études. Ils centrent leur intérêt, cela leur permet
d’éviter la dispersion anxieuse. C’est ce à quoi servent les idoles notamment. »11
L’adolescent, dans cette période de bouleversement et de remise en question, est au cœur
de tensions : le jeune est comme pris en étau entre l’exigence familiale et sociale dans laquelle il
veut avoir une place et être reconnu, et l’exigence intrapsychique, entre Ça et Surmoi, qu’il a
façonnée durant son enfance et sur laquelle il construit son identité. C’est ce que montre le schéma
9
LAURU D. (2004) La folie adolescente, psychanalyse d’un âge en crise, Éditions Denoël, Paris, p.219
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et d’accueil pour
adolescents de mars 1996, Vannes, Éditions C.D.E Vannes, p.120
11
RUFO M. « Parents d’ados : la clé : ne pas avoir peur d’eux, ni pour eux », Psychologies, octobre 2007
10
19
ci-dessous, proposé par Reynald Brizais12 et que développe Philippe Jeammet lorsqu’il démontre
l’importance d’articuler la réalité externe et la réalité interne, en particulier à l’adolescence.13
Comment aider nos adolescents à vivre et traverser ces tensions ? C’est ce à quoi répond le
professeur Philippe Jeammet : « Faut-il donner la priorité à notre action sur le monde interne de
l'adolescent ? Ou faut-il la réserver aux aménagements de la réalité externe en faisant confiance à
la capacité de celle-ci de permettre l'évolution de celui-là ? Le fait même d'être constamment
sollicités par les adolescents à travailler à la frontière de ces deux faces de la réalité nous a amené
à considérer qu'il était nécessaire de réfléchir sur leur articulation, et que c'était peut-être là une
des données sinon spécifique, du moins essentielle de l'adolescence. Il ne serait plus alors question
de priorités, ni de débats sur l'importance respective du psychologique et de l'éducatif dans la
maturation de l'adolescent, mais plutôt de comprendre comment ces deux faces de la réalité
retentissent l'une sur l'autre, et quels liens dynamiques les unissent, afin de les utiliser
conjointement et complémentairement ».14 Il s’agit donc de considérer les tensions comme se
faisant écho les unes aux autres. Le schéma présenté plus haut illustre parfaitement cette symétrie.
12
BRIZAIS R. (2004). « Le règlement, outil éducatif ». Document polycopié, non publié
JEAMMET Ph. « Réalité externe et réalité interne : importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence » 14
Ibidem
13
20
2.2 La crise du désir, la dimension pulsionnelle
Désir et liberté
« De toutes les formules, celle qui reste la formule de l’adolescence est : « je veux ma
liberté ». Ce goût pour l’idée, pour le mot, marque profondément l’adolescent(e). L’adolescent(e)
se trompe quand il assimile l’âge adulte à l’âge de la liberté. Il confond liberté et autonomie, et
autonomie et indépendance. L’adulte, loin d’être libre, n’a qu’une autonomie relative, celle que la
majorité lui laisse au plan juridique, et celle que le social lui permet plus ou moins d’acquérir
selon sa position sociale, son parcours. Aider les adolescents à construire au mieux leur place dans
le monde, c’est de fait leur permettre de réaliser au mieux cette « liberté » dont ils parlent et qui
n’est jamais que cette capacité à s’autoriser de leur désir. »15
Philippe Jeammet détaille le lien entre désir-limites-liberté, et la nécessaire imbrication de
ces trois notions : « Si on fait vivre à un enfant, le sentiment que son désir n’a pas de limites, que
dès qu’il a une envie, il faut la satisfaire, on l’aliène à son désir. Nos désirs ne sont jamais uniques,
ils sont pleins d’ambivalence. Et on rejoint la question de la liberté. Pour se sentir libre, il faut
qu’on ait un espace de sécurité à l’intérieur de nous qui fait qu’on peut supporter des frustrations
sans se sentir complètement dépossédé, déçu, car on a suffisamment de choses à l’intérieur de soi
pour pouvoir attendre. (…) On voit qu’un sujet qui ne peut pas tolérer les limites ou les références
aux lois ou aux interdits est un sujet profondément aliéné qui n’a pas d’espace de liberté. »16
Si la question du désir n’est pas simple pour l’adolescent en lui-même, elle se complexifie
davantage encore dans le lien entre les parents et leur enfant. Celui-ci peut se retrouver pris dans
trois pièges possibles, qui entravent la construction de son désir :

lorsqu’il sent qu’il vit par procuration le désir de l’un de ses parents, désir non satisfait
ou désir que le parent souhaite prolonger à travers son enfant.

lorsqu’un désir partagé avec un parent entraine une trop grande proximité, à une
période où la question pour l’adolescent est de trouver l’espace entre proximité et
distance.

lorsqu’un jeune sent que son désir entraine une mobilisation, de lui-même mais aussi
de ses parents, qui risque de les exténuer. Peut-il se permettre de se réaliser au
détriment de l’énergie vitale de ses parents ?
15
BRIZAIS R. (2005) « L’adolescent, provocateur de l’adulte ». Texte Conférence Université Permanente – Université
de Nantes
16
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et d’accueil pour
adolescents de mars 1996, Vannes, Éditions. C.D.E Vannes, p.146
21
Désir et sexualité
L’adolescence est conditionnée par les phénomènes physiologiques de la puberté. Le corps
se transforme et marque le passage progressif d’un corps d’enfant à un corps d’adulte capable en
particulier de procréer. Ces mutations physiques et psychologiques ont un impact individuel et
collectif pour l’adolescent. Elles entrainent des mutations sociales, changement d’attitudes, de
comportements, de l’image de lui-même et en même temps de ses relations aux autres. A la
puberté, tous les désirs, toutes les aspirations qui procurent à l’adolescent un sentiment de
passivité ont une coloration sexuelle importante. Il y a, pour reprendre l’expression de Ferenczi,
« confusion des langues ». Ainsi, ce qui est de l’ordre de l’admiration, de la tendresse est
immédiatement entaché de sexualité.
L’adolescence réactive plus particulièrement ce qui demeure d’insécurité intérieure et de
dépendance affective aux parents. La relation aux parents va devenir l’enjeu de nombreux conflits
parce que cette présence se sexualise et parce que la dépendance affective à l’entourage est
contradictoire avec la nécessité de devenir autonome. Cette sexualisation des liens va supposer un
réaménagement du lien avec les adultes qu’il a investis, pour se situer dans des distances
relationnelles nouvelles avec ses parents et pour investir de nouveaux liens. L’adolescent va
devoir se situer par rapport à la sexualité. Les proches de l’adolescent sont ainsi l’objet d’un
phénomène d’attraction-répulsion d’autant plus marqué que la relation antérieure était plus intense
et plus chargée d’attentes. Les conduites d’opposition sont l’une des formes privilégiées de ce
nouvel aménagement de l’espace familial. La gestion de ces conflits va être plus ou moins
anxiogène selon les adolescents. La manière dont les adultes investis vont l’aider à dépasser cette
contradiction est déterminante dans la résolution de cette période de déséquilibre, rendant possible
la gestion de ces modifications de distance par le psychisme ce qui donne un rôle essentiel à
l’environnement, à la famille.
Entre folie pubertaire et désexualisation :
La période de l’adolescence sexualise la relation, à commencer par celle que le jeune
entretient avec ses parents. « Le processus d’adolescence vise à surmonter la résurgence du
complexe d’Oedipe infantile. Il se caractérise par le détachement avec les parents et une lutte
contre les représentations incestueuses. Il cherche à établir une digue contre ces représentations
excitantes et psychiquement insupportables (…). Dans les fantasmes de la « folie pubertaire »,
l’adolescent imagine le parent du sexe opposé adultère, projetant sur lui ses propres vœux de
séduction. Mais à l’inverse, un parent peut percevoir chez l’adolescent du sexe opposé l’objet
22
génital complémentaire idéal et, chez celui du même sexe, l’incarnation de ses propres pulsions.
L’adolescent menace alors l’adulte autant que l’adulte fait peur à l’adolescent. »17
A l’inverse et sûrement dans un mécanisme de défense pour se préserver de la dimension
sexuelle, l’adolescent peut nier toute dimension affective et sexuelle chez ses parents. « Il ne faut
pas non plus confondre le besoin qu’a l’adolescent de se représenter ses parents comme assagis et
désexualisés et la disparition effective d’une vie amoureuse forte chez ces derniers : un excès de
représentations de parents désexualisés peut mener l’adolescent à sacrifier son propre
épanouissement amoureux à la fois par identification à eux et par culpabilité à l’idée de faire
mieux qu’eux. »18
Désir et sujet sont étroitement liés : pas de sujet sans désir, pas de désir sans sujet. C’est
donc fondamentalement cette question qui est en jeu dans l’adolescence, étape capitale de la
construction du sujet, un sujet désirant. « Si l’être humain n’est pas d’emblée un sujet désirant, il
va devoir le devenir. C’est le processus d’avènement du sujet humain dans toutes ses potentialités
que la psychologie décrit sous le terme de processus d’individuation, au fondement de toute
autonomie. La psychanalyse a décrit minutieusement ce processus conduisant l’être humain au
« je », où le sujet s’affirme comme tel, se reconnait comme sujet séparé et sexué, c'est-à-dire
identifié ».19
17
RICHARD F. (1998) Les troubles psychiques à l’adolescence, Éditions Dunod, Paris, pp.14-15 Ibidem
19
BRIZAIS R. (2003). « L’autonomie, un processus contradictoire ». Texte Conférence - Université Permanente –
Université de Nantes
18
23
3- Entre dépendance et autonomie
3.1 L’adolescent a été un enfant : construction du lien
« Tout se prépare dans l’enfance, tout
se joue à l’adolescence »
E. Kestemberg
Selon Winnicott, l’autonomie n’est possible à l’adolescence que si, dans la période de
l’enfance, le sujet a bénéficié d’un environnement suffisamment fiable. Philippe Jeammet
explique encore : « L’adolescence est ainsi révélatrice de la qualité de ce que l’on a pu
emmagasiner, intérioriser pendant l’enfance. Plus on arrive à l’adolescence pourvu d’une sécurité
intérieure, d’une estime de soi suffisante, nourri de la qualité des liens avec l’environnement, plus
on sera capable de gérer la distance avec une certaine souplesse. Mais plus on y accède avec un
passif important, des traumatismes, une dépendance exagérée à l’environnement, plus ce sera
difficile. »20
Compréhension et langage
Françoise Dolto nous a ouvert à la compréhension des possibles dans les relations parentsenfants. Se revendiquant « médecin d’éducation », elle s’est surtout référée à la psychanalyse,
révolutionnant l’approche de l’enfant et de la relation éducative. Elle a insisté sur les capacités du
tout petit à sentir les choses, à être relié émotionnellement à sa mère, d’où l’importance de mettre
des mots, non pas pour tout dire, mais pour l’éclairer, non en voulant étaler toute la vérité, mais en
lui permettant de construire sa vérité. Elle relatait, à travers de nombreuses vignettes cliniques,
« ces malentendus qui, s’ils ne sont pas levés, cimentent des fondations instables et fissurées sur
lesquelles l’enfant, ensuite adolescent, aura du mal à construire son identité d’adulte. »21 Il est
démontré combien la petite enfance et l’enfance déterminent ce qui se construit plus tard : liens
affectifs ou carences, sécurité dans la famille ou maltraitance, échanges ou isolement… tout cela
conditionne ce qui va se réveiller à l’adolescence et être réinterrogé par le jeune. Il est question ici
d’interaction et de lien.
20
21
BRACONNIER A. (2005), L’adolescence aujourd’hui, (sous la direction de) Éd. Eres, Ramonville St Agne, p.12
ANTIER E. (2005) : Dolto en héritage, tout comprendre, pas tout permettre, Éditions Robert Laffont, Paris, p.153
24
Limite et châtiment
Alexander Neill, fondateur le l’école des Libres Enfants de Summerhill, indique clairement
sa position : « qu’est-ce qu’une punition ?... un acte de haine ». L’histoire rend compte d’une
évolution importante et profonde de la conception même de punition : instrument d’expiation et de
brimade ou au contraire outil d’éducation ? La définition même en reste imprécise, justifiant par là
même des postures radicales et opposées. Après de nombreux siècles d’usage, c’est très
récemment que la correction et la brimade finissent par être remis en cause dans nos sociétés. Les
châtiments corporels sont interdits et l’humiliation est désormais vue comme une violence
inacceptable, un risque pour l’enfant de s’avilir à ses propres yeux et donc de se décourager.
Françoise Dolto indique qu’ « à part le fait qu’elle calme l’adulte et parfois l’enfant sur le
moment, la fessée a des chances d’être nuisible à long terme. (Et le long terme, c’est bien le but de
l’éducation)… Il faut savoir que c’est un signe de faiblesse de la part des parents. »22 « Des études
américaines confirmeront ces conséquences des châtiments corporels. En comptabilisant petites
tapes et grandes claques, pincements d’oreilles et fessées, chez 807 familles pendant huit ans, il est
apparu que ces traitements rendaient les enfants « sournois, menteurs, violents et en échec
scolaire ». Et ceci en proportion du nombre de coups reçus. »23
Entre châtiment corporel et maltraitance, la limite peut être franchie. D’autres registres de
sanction doivent exister, pour construire les bases de l’éducation. Nous aborderons dans la
quatrième partie la notion de sanction, pour lui réattribuer tout son sens et sa valeur.
Entre forclusion du père et père fouettard
Dans la relation fusionnelle mère-enfant, la mère maternante « pourvoyeuse d’objets », est
à l’écoute de son enfant jusqu’à en anticiper les désirs. Elle doit apprendre à donner sa place au
père, dans le langage tout d’abord. Il est essentiel de « différencier les places et les espaces de
chacun, car être père ou être mère n’implique pas les mêmes impasses et ne renvoie pas à des
termes identiques. » Mais quelle place la mère réserve-t-elle au père dans son discours ? « Fait-il
office de garant de la référence symbolique ? Est-il situé dans le discours de la mère comme agent
séparateur ? »24 Le père doit pouvoir exercer une fonction tierce, offrant à l’enfant la possibilité de
se séparer de sa mère et de se construire comme être séparé. Mais quelle place peut prendre le
père ? « Lorsque le père revient… il n’était pas prévu que, depuis sont départ, elle ait dit, à chaque
22
Ibidem, p.153
Ibidem, p.153-154
24
LAURU D. « L’adolescent dans les identifications », Le journal des psychologues, n°219, juillet-août 2004
23
25
bêtise que l’enfant fait : « tu verras quand ton père reviendra ! » Parce que c’est souvent ce rôle de
croque-mitaine qu’on donne au père absent ? « Ah, si ton père était là… ». Entre père absent
garant de la sécurité matérielle et papa poule jouant à la maman, « entre autorité et tendresse, les
pères se cherchent… notre société rappelle les pères à leur devoir d’autorité, mais tout le monde
cherche « le père »… »25
3.2 Processus de séparation et naissance du sujet
Premier processus de séparation
« La famille est un lieu de départ. Le but de toute éducation, à commencer par l’éducation
familiale, assumée par cette institution première de l’enfance, est la séparation. L’enfant doit être
conduit à se constituer comme un sujet séparé autonome, « c'est-à-dire ayant la capacité à gérer – à
son initiative – ses dépendances » (Brizais, Chauvigné, 1985). L’enfant devenu adulte, s’établit
dans son propre parcours de vie, après avoir renégocié les liens avec les figures de dépendance qui
l’ont porté jusque-là. En ce sens, la séparation n’a pas pour condition de réalisation la rupture. »26
La famille doit être le premier lieu de prise de distance, de séparation qui doit aider le sujet
à se structurer. Lorsqu’elle n’offre pas les conditions, elle enferme le sujet dans un système
inopérant voire violent qui le conduit vers des réactions négatives d’opposition et d’auto sabotage
de ses potentialités et au recours à ses mises en acte. « Laisser tout faire à un enfant, c’est non
seulement lui faire prendre des risques exagérés, mais c’est le confronter rapidement à son
immaturité et créer prématurément, chez lui, un sentiment de détresse qui, paradoxalement, va
renforcer sa dépendance vis-à-vis de son entourage. C’est parce qu’on sait lui dire non qu’un
enfant pourra le dire à son tour et prendre conscience de sa capacité à exister par lui-même. De
même que le non précède le oui dans les capacités verbales, la possibilité de refuser est la
condition d’une véritable acceptation. »27
L’autorité parentale peut être définie comme l’ensemble des droits et devoirs des parents en
vue d’élever leurs enfants, de mener à bien leur mission de protection et d’éducation. Elle
recouvre « L’ensemble des obligations et des droits conférés aux père et mère pour permettre le
28
développement physique et moral de l’enfant en lui assurant de bonnes relations affectives. »
25
ANTIER E. (2005) : Dolto en héritage, tout comprendre, pas tout permettre, Éditions Robert Laffont, Paris, p.170
BRIZAIS R. (2004). La famille, une représentation construite. Chapitre introductif in S/d Maryse Vaillant
Encyclopédie de la vie de famille. Paris : Éditions La Martinière
27
JEAMMET Ph. (2008) Pour nos ados, soyons adultes, Éditions Odile Jacob, Paris, p.73
28
ROSENCZVEIG J.-P. (1995). Le dispositif français de protection de l’enfance. Liège : Éd. Jeunesse et droit, p 124.
26
26
L’article 371-2 du Code civil précise :
« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de
l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le
protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son
développement, dans le respect dû à sa personne Les parents associent l’enfant aux décisions qui
le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
Le schéma ci-dessous, proposé par R. Brizais, rend compte de ce parcours vers
l’autonomie.29
C’est là que, lorsque la séparation psychique n’a pas opéré il faut penser à une indication
de placement, qui doit permettre au sujet le nécessaire travail de distanciation dans l’espace social.
Nous verrons dans la quatrième partie ce qu’est le placement. Dans la première partie de son
ouvrage L’échec de la protection de l’enfance, Maurice Berger explique les mécanismes
psychiques qui s’installent chez l’enfant confronté à des parents non fiables, « inadéquats » :
Angoisse de l’abandon et de la solitude, terreur et violence, instabilité motrice et difficultés
d’apprentissage, idéalisation et aspiration…
29
BRIZAIS R. (2005). Conférence : « Famille-autres institutions de l’enfance. La difficile rencontre ». Texte
Conférence - Université Permanente – Université de Nantes
27
Second processus de séparation-individuation
Dans sa quête d’identité, l’adolescent engage des processus qui lui permettent de se
construire en tant que sujet séparé. Cela implique deux grands mouvements :

le processus d’autonomie, pour l’adolescent qui, ainsi, poursuit son processus de
séparation.

l’autonomie réciproque, qui vient à travers le mouvement de l’adolescent,
questionner son lien à ses parents et les places de chacun dans la famille.
Processus d’autonomisation :
A travers des monographies, De Singly détaille les 11 dimensions du processus
d’autonomisation à partir d’indicateurs (Cf. : Annexe II : Processus d’autonomisation, p.101). Ces
11 dimensions sont :

L’appropriation du domicile familial

Les déplacements dans la ville

Le rapport au corps

Les activités culturelles et les loisirs

La nature des relations

L’origine et la gestion de l’argent

La scolarité hors le collège

L’emploi et la gestion du temps

Les réserves d’information

La participation aux décisions familiales

Le rapport à l’avenir
Les stratégies d’autonomisation portent sur trois dimensions :

Capacités d’ordre fonctionnel
28

Capacité à activer les médiations sociales et à s’inscrire dans des rapports
d’échanges avec d’autres

Capacité à gérer ses désirs-besoins
Il existe pourtant une confusion entre autonomie et indépendance : « assigner à l’action
éducative comme objectif l’indépendance du sujet, c’est ramener la destinée de chaque être à luimême. Cela participe du mouvement comme objectif, est en quelque sorte la négation du caractère
radicalement social de l’humain. »30 Il s’agit donc de considérer l’autonomie non comme
indépendance, mais comme déplacement des dépendances : l’enfant doit être conduit à se
constituer comme un sujet séparé autonome.
Autonomisation réciproque
« Le psychologue parle de crise de l’adolescent. Zone frontière dans le parcours de la vie,
l’adolescence est d’abord affaire de redéfinitions (de soi, de ses relations aux autres, de sa place).
L’adolescence génère une autre crise, celle de l’adulte. Parents, professionnels, dans cette
confrontation au jeune adulte, subissent les effets de ses provocations… L’adolescence est comme
une menace. L’adulte est provoqué dans sa réalité de vieux, de responsable, d’installé (d’inséré).
La tentation est grande pour l’adulte de se placer en miroir, en absorbant les mouvements de
l’adolescent, ou à l’inverse de faire le mur, en s’interposant violemment pour contraindre. Dans
les deux cas, il perd la consistance qui seule, peut aider l’adolescent à grandir. Adultes mous,
complices, sourds, violents parfois, autant d’adultes qui ne sauront pas se laisser dépasser, dans le
mouvement pourtant normal de la vie. »31
Le processus de séparation est réciproque et peut entrainer une crise parentale à
l’adolescence. « Pour les parents, un deuil important est à réaliser, tant sur le plan narcissique que
sur celui de leur idéal du moi parental »32, d’autant que l’enfant, aujourd’hui souvent enjeu du
projet de couple, s’est retrouvé « en demeure d’occuper une place, une fonction indispensable
pour le couple de parents qui, à travers lui, se réalise. »33 Derrière l’autonomie de l’enfant et son
envol, se pose également pour les parents la question de la place que l’enfant a occupée au sein du
couple. Quelle redistribution des places avec le départ de l’enfant ? « Comment pouvons-nous
30
VOGT C., BRIZAIS R., CHAUVIGNE C., LE PENNEC Y. (2000), L’enfant, l’adolescent et les libertés, pour une
éducation à la démocratie, Éditions L’Harmattan, Paris, p. 113.
31
BRIZAIS R. (2005), « L’adolescent, provocateur de l’adulte ». Texte Conférence – Université de Nantes.
32
LAURU D. « L’adolescent dans les identifications », Le journal des psychologues, n°219, juillet-août 2004
33
DEFRANCE M. « Quelle éducation dans un monde qui évolue ? », Vie Sociale n°3, mars 2004
29
devenir autonomes à l’égard de nos enfants ? Que devenons-nous hors de notre statut de parent de
jeunes enfants ? L’identité individuelle, mais aussi celle du couple se trouvent posées. »34
L’arrivée de son enfant à l’adolescence est un moment difficile pour les parents. « Sur le marché
de la vie, il est désormais à égalité avec vous. Il vient, par son adolescence, rappeler à l’adulte
l’avancée du temps. À la crise d’adolescent correspond chez les parents la crise du milieu de la
vie. L’adolescence de l’un marque le mi-chemin de l’autre. »35 Le moment de l’adolescence
correspond pour les parents au moment où ils entament leur seconde partie d’existence, avec en
arrière plan l’idée du déclin. En reportant sur le jeune leur propre angoisse, ils risquent d’adopter
deux postures schématiques : une inquiétude disproportionnée ou un déni des difficultés de leur
enfant.
3.3 Les paradoxes de l’adolescence
Entre demande et besoin, la fonction paternelle
Philippe Jeammet décrit très bien dans ses ouvrages tous les paradoxes dans lesquels sont
pris les adolescents : « tout et son contraire, le besoin de l’autre : une menace pour l’autonomie,
trop loin, trop près : de l’abandon à l’intrusion. »36
Les adolescents vivent des moments et des attentes emprunts de paradoxes entre :
Être contre, opposé
Être collé à, tout contre
Non demande
Plainte
Être autonome
Refus d’aide
Revendication
Solliciter les parents pour des actes de
la vie quotidienne
Asséner des vérités absolues
Douter profondément de soi
Recherche d’individualisme
Identification aux pairs jusqu’à le
rendre indiscernable
34
JEAMMET Ph. (2004) (sous la direction de) Adolescences, repères pour les parents et les professionnels, Éditions
La Découverte, Paris, p.90
35
BRIZAIS R. (2005), « L’adolescent, provocateur de l’adulte ». Texte Conférence Université Permanente –
Université de Nantes.
36
JEAMMET Ph. (2008) Pour nos ados, soyons adultes, Éditions Odile Jacob, Paris, pp.26-37
30
Le schéma de Reynald Brizais met en évidence ces paradoxes37.
Les postures parentales
Face à un adolescent qui tente un acte risquant de le mener à une dérive, il faut savoir dire
non, montrer une grande radicalité. C’est avant tout et surtout aux parents d’avoir ces paroles
envers leur enfant. « La délégation d’autorité sur le psy doit être abandonnée, parce qu’il n’est pas
normal que le psy remplace les parents. Ce déplacement parait suspect. Il en va de même avec
l’enseignant ou le juge. Le psy se défausse sur le juge pour enfants lorsqu’il ne réussit pas à faire
preuve d’autorité : il fait un signalement pour rappeler la loi. »38
C’est en effet auprès de ses parents que l’enfant vient vérifier une consistance. Il s’agit
pour eux de ne pas adopter des positions parentales extrêmes. Il s’agit d’un moment important où
les parents doivent trouver un mode de relation avec l’adolescent, sans adopter une posture
caricaturale. Ce sont ces deux extrêmes que Reynald Brizais explique à travers ces deux postures
parentales qu’il décrit : le parent-éponge et le parent-béton.
37
BRIZAIS R. (2005), « L’adolescent, provocateur de l’adulte ». Texte Conférence Université Permanente –
Université de Nantes.
38
CHOQUET M., RUFO M., (2007), Regards croisés sur l’adolescence, son évolution, sa diversité, Éditions Anne
Carrière, Paris, p.493
31

« Du parent-reflet au parent-éponge : une position à éviter
Les parents donnent l’illusion d’une égalité des places, qui gommerait artificiellement la
hiérarchie des fonctions, qui supposerait une égalité statutaire entre tous les membres de la
famille, qui ne tiendrait pas compte des différences en termes de droits, de devoirs et de
responsabilités. IL est vrai que, le jeunisme aidant, « on assiste à une confusion d’images, comme
si le parent cherchait à ressembler à cet ado qui, lui, fait tout pour s’écarter. Ce dernier peut
d’ailleurs, dans un premier temps, paraître rassuré par cette complicité, fier d’entendre ses copains
vanter le caractère jeune de sa mère, de son père. (...)Au départ, l’adolescent supporte bien cette
réaction parentale. Puis les choses se gâtent. Plus il avance vers son autonomie et moins
l’adolescent tolère ces adultes qui cherchent à l’imiter. Alors il va toujours plus loin dans l’espoir
de semer ces adultes suivistes. (…) Ce sont des parents qui ont cette particularité qu’on ne peut
pas être contre — au sens opposé — car ils sont toujours plutôt d’accord avec vous. »39 (…) En
accédant aux pensées et émotions de leur enfant, les parents voient s’installer le doute : leurs
enfants les aiment-ils ? Que doivent-ils faire pour conserver cet amour ? De leur côté, les enfants
qui jusqu’alors pouvaient interroger explicitement leurs parents sur ce qu’ils attendaient d’eux, se
retrouvent face à des adultes en proie au doute : comme le dit Philippe Jeammet « Ce sont
désormais les parents qui ne cessent de leur demander : « qu’est-ce que tu veux mon chéri ? »
espérant que les réponses de leurs enfants les délivreront de leurs propres incertitudes. » 40
Mais si cette position convient mal à l’adolescent dans son mouvement de différenciation.
L'inverse ne convient pas non plus.

Du parent-béton : une autre position à éviter
« L’adolescent est « contre », s’oppose, proteste, revendique, exige aussi — car il ne sait
pas demander. Il ne sait pas demander car demander c’est se mettre dans le pouvoir de celui à qui
vous demandez. Lorsque l’adolescent demande, ça prend parfois [souvent] l’allure de
l’« exigence » : achète-moi ci ou ça ! Jamais d’accord donc, de mauvaise foi parfois, bref
insupportable souvent. Cette opposition est toujours une agression pour le parent qui est
sévèrement mis en cause par cet adolescent qui le juge en permanence ; on n’est jamais assez ceci,
toujours trop cela, et ce quelle que soit la réalité objective de la situation. De fait l’adolescent est
agressant voire blessant dans sa tentative malhabile de se démarquer. Il accuse, juge,
39
BRIZAIS R. (2005), « L’adolescent, provocateur de l’adulte ». Texte Conférence Université Permanente –
Université de Nantes.
40
JEAMMET Ph. (2008) Pour nos ados, soyons adultes, Éditions Odile Jacob, Paris, p.118
32
condamne. »41 Face à ces comportements, l’adulte a du mal à rester sur le mode de la
confrontation où le dialogue et le débat ont toute leur place, et c’est alors l’affrontement, avec un
gagnant et un perdant.
Les études menées par Marie Choquet permettent de mettre en lumière la perception que
les adolescents ont de leur relation avec leurs parents.42 C’est parmi le pourcentage de jeunes ne
trouvant pas de satisfaction dans le lien ou le soutien auprès des parents, que l’on trouve les
adolescents les plus ébranlés et insécurisés.
Sexe
Age
Garçons
Filles
13 ans
14-15 ans
16-17 ans
18 ans
13 ans
14-15 ans
16-17 ans
18 ans
Satisfaits
relations mère
92%
87%
83%
80%
83%
80%
74%
74%
Satisfaits
relations père
88%
80%
73%
71%
83%
71%
63%
62%
Réconforts
des parents
82%
72%
61%
55%
80%
66%
58%
58%
Soutien moral
des parents
83%
76%
69%
66%
80%
70%
61%
62%
La fonction paternelle et la loi
L’attente de l’adolescent est nette : « vérifier, malgré ses agressions, que cela tient. Qu’il y
a là une position — un adulte — qui n’est pas vraiment menacé par ses agressions, et qui — ayant
cette sécurité de n’être pas vraiment menacé – peut rester un repère fiable dans son monde. La
consistance, qui est le secret d’une position face à l’adolescent, suppose que l’agression ne soit
jamais prise seulement au pied de la lettre. Dans le cas contraire, on en arrive à l’affrontement
entre l’adulte et l’adolescent. »43
41
BRIZAIS R. (2005), « L’adolescent, provocateur de l’adulte ». Texte Conférence Université Permanente –
Université de Nantes.
42
CHOQUET M., RUFO M., (2007), Regards croisés sur l’adolescence, son évolution, sa diversité, Éditions Anne
Carrière, Paris, p.493
43
BRIZAIS R. (2005), « L’adolescent, provocateur de l’adulte ». Texte Conférence Université Permanente –
Université de Nantes.
33
Au plan psychologique, les théories liées à la psychanalyse développent la nécessité que la
loi doit intervenir tôt dans le développement de l’enfant pour éviter la fusion / aliénation à la mère
et au désir. C’est la fonction tierce de la Loi du père.
Il y a trois manières de faire la loi :
 Le mode unilatéral : promulguée depuis la fonction dominante : autocratie
 La loi par consensus : démocratie idéaliste
 La mise en accord par procédure de décision : démocratie réaliste. L’accord porte sur
les modalités de procédure, non sur la décision elle-même et rend ainsi tolérable la
décision prise.
« On peut se mettre en colère. La colère a un effet de redistribution de l’espace. Pour un
moment, elle permet à l’agressivité de se décharger et aux différences de s’exprimer. (…) Plus la
relation entre le parent et l’adolescent est insatisfaisante, plus il est difficile pour eux de se séparer.
On a peur de perdre l’autre en partant, puisqu’on se quitte mal. Alors on reste mais on souffre.
(…) Comment sortir de ce cercle vicieux ? Les tiers sont un recours pour sortir de l’insatisfaction
réciproque. Le tiers médiateur libère un peu de l’engrenage, permet de s’éloigner. Selon le cas,
différents professionnels peuvent jouer ce rôle. »44
Il revient à l’éducateur d’assumer l’inévitable paradoxe présent en chacun : permettre à
l’individu en construction de réaliser ses propres aspirations tout en s’appropriant un certain
nombre de valeurs et de normes, en intégrant des limites, des contraintes, des interdits, fondements
de l’environnement dans lequel il évolue.
3.4 Les identifications :
Une réponse provisoire à la quête d’identité
Le processus d’individualisation
« L’individualisation, c’est le droit pour tout individu de ne pas être défini seulement par
une place, par sa place dans l’ordre des générations, des sexes, ou encore dans telle ou telle
institution. Chacun est défini comme auparavant par sa place, mais il peut également être
considéré en tant qu’individu à part entière, en tant que personne. Le processus d’individualisation
44
JEAMMET Ph. (2004) (sous la direction de) Adolescences, repères pour les parents et les professionnels, Éditions
La Découverte, Paris, p.41
34
exprime un refus devant la réduction identitaire. »45 « L’individualisme, c’est l’invention de la
liberté, on n’a plus de comptes à rendre aux aînés, à la tradition, on s’institue par soi-même, c’est
l’invention de la liberté. Mais l’individualisation du sens a pour rançon la solitude, la peur,
l’angoisse et pour privilège, pour avantage, la liberté, le fait de n’avoir de comptes à rendre à
personne. »46
L’adolescence offre l’espace d’individualisation et d’autonomisation nécessaires au devenir
d’adulte. Mais ce sont les périodes longues, parfois douloureuses, qu’il convient d’accompagner et
d’étayer.
Le concept d’adonaissance
De Singly définit son concept d’adonaissance : « L’adonaissance, ce n’est ni la rupture du
lien de filiation, ni le maintien de cette identité dominante. C’est un temps pendant lequel le jeune
cherche ses marques, plus générationnelles que personnelles afin de se prouver et de prouver aux
autres que son identité ne se réduit pas à son appartenance familiale. »47
L’adonaissant cherche à échapper à la définition réductrice de son identité sous deux
termes : fils ou fille de, et élève. C’est ainsi qu’en remettant en cause l’autorité parentale et celle
de l’enseignant, il vient affirmer que son identité ne peut être résumée, même si, lui-même, ne sait
pas encore ce qu’est cette identité.
Comme l’explique De Singly, « le processus de construction identitaire repose sur la
confrontation entre deux appartenances, la famille et la jeunesse. »48 Les adolescents développent
des réseaux de relations, c’est d’ailleurs à cette époque que l’amitié a une telle importance. Elle
vient en premier dans les appuis nommés par les jeunes eux-mêmes.
Entre père et pairs
Didier Lauru, psychanalyste, nous explique comment cette identité est faite
d’identifications successives qui commencent par les identifications à la mère et au Nom du Père,
étapes indispensables pour se situer comme sujet dans l’altérité. A l’adolescence, les
45
DE SINGLY F. (2006) Les adonaissants, Éditions Armand Colin, Hachette Littératures, Paris, p.12
LE BRETON D. Actes des Xèmes journées de l’AIRe « crient-ils de plus en plus fort ou sommes nous de plus en
plus sourds ? » pp.46-47
47
DE SINGLY F. (2006) Les adonaissants, Éditions Armand Colin, Hachette Littératures, Paris, p.20
48
Ibidem, p.24
46
35
identifications verticales, hiérarchiques ou générationnelles sont ébranlées. Les parents tombent de
leur piédestal, les jeunes veulent trouver une légitimité à l’autorité avant de s’y soumettre. Mais
cela a pour conséquence d’obliger les adolescents à se construire d’autres identifications,
horizontales, c'est-à-dire non plus à leur père mais à leurs pairs.
Si la grande majorité des adolescents traversent les crises d’adolescence sans grand
dommage, une minorité difficile à dénombrer connaît des remous d’une plus grande ampleur. Tout
d’abord faut-il que les déplacements d’identifications soient possibles pour le sujet, ce que met en
lumière Didier Lauru en distinguant les structures psychotiques des autres dans leur incapacité à se
séparer psychiquement et à faire le deuil des identifications primitives, à substituer de nouvelles
images, ce qui les laisse avec un vide, comme face à un miroir où ils ne se verraient plus.
Les adolescents, fragilisés par ce moment de recherche identitaire, peuvent se retrouver la
proie de manipulations diverses, malgré leurs semblants d’assurance et de certitudes. « Il est par
ailleurs clairement manipulé, là où il se croit le maître. Manipulé par les dealers qui l’exploitent
sur le marché à haut risque de la drogue, manipulé par les médias qui le mettent en vedette
« gratuitement », manipulé par certains partis extrémistes qui se servent de sa violence pour
valider l’appel à un ordre nouveau, manipulé enfin, car conduit, sans qu’il sans doute, vers l’échec
et la marginalité ».49 Il est manipulé également par les autres, ses pairs, qui se servent de lui
comme lui se sert d’eux, pour tenter de traiter leur propre rapport à l’autre. Le sentiment de vide
identitaire le porte à avoir recours à des identifications changeantes.
C’est tout de même auprès de leurs pairs que les adolescents viennent tenter de se rassurer,
de prendre une contenance. L’adolescence est le moment d’amitiés et d’amours intenses. « L’autre
moyen pour tenir debout est l’appui sur d’autres dans la même situation psychologique ; cela
donne deux éléments très importants dans le vécu de l’adolescent : l’amitié adolescente et la
bande.
L’amitié est essentielle au début de l’adolescence, car elle est une version asexuée du
rapport à l’autre. Elle protège l’adolescent de ce qu’il recherche et craint tout autant, c’est-à-dire la
réalisation sexuelle. En même temps, elle lui offre des occasions d’expérimenter des aspects de la
sexualité.
La bande — qui n’est pas nécessairement de délinquants !, c’est une forme différente de
l’amitié. Ce qui compte avant tout dans la bande, c’est d’en être. C’est le moyen commode que
49
BRIZAIS R. (2005), « L’adolescent, provocateur de l’adulte ». Texte Conférence – Université de Nantes
36
trouvent les adolescents pour avoir une place et donc une valeur. Dans la bande, chacun sert à
l’autre de “faire valoir”. Les rôles sont distribués, souvent de manière un peu caricaturale [le chef,
le clown [le petit marrant], le souffre-douleur (ce qui reste une place.).]. Dans la bande, chacun
sert à l’autre de “tuteur. »50
De Singly reprend l’idée de Norbert Elias sur l’équilibre je/nous et l’applique aux
adolescents : « Pour parvenir à penser « je », à dire « je », l’individu prend appui sur des
ressources qui sont, elles aussi, collectives, qui dérivent d’un autre « nous » que le premier (celui
du groupe familial). Dire « je » peut prendre la forme paradoxale d’un « nous » provisoire. »51
Les modèles identificatoires
La jeunesse a toujours eu besoin de modèles, héros de référence. Mais avec l’évolution des
sociétés, ces modèles se sont modifiés, influant alors sur le comportement social des jeunes. Ce
tableau nous retrace cette évolution.52
Moyen-âge
Renaissance – XIII
XIX-1950
1960-1980
Le temps des
héros
Le temps des maîtres
Le temps des
timoniers
Le temps des
idoles
Identification à
la chevalerie
Savants
Chefs de guerre
Stars éphèbes
Le groupe substitut
du père
Conquérants
Grands navigateurs
explorateurs
Combattants de la
liberté
Chefs de bande
Collectif de classe
d’âge
Rites d’initiation Apprentissages
Collusion
pouvoir et
mystique :
croisées et
martyrs
Fin des
apprentissages
Ni Dieu ni Maître
Retour du
Opposition pouvoir et Fin de la république narcissisme :
conscience :
des professeurs :
Esthètes et faux
Les génies
révolutionnaires
prophètes
Fin XX
Crépuscule des
Dieux
Fin des idéologies
Culte du
rassemblement :
associations
humanitaires, grandes
causes
50
Ibidem
DE SINGLY F. (2006) Les adonaissants, Éditions Armand Colin, Hachette Littératures, Paris, p.16
52
DOLTO F. DOLTO F. (1988), La cause des adolescents, Respecter leur liberté et leurs différences, Editions Robert
Laffont, Paris, p.62
51
37
« Comment faire le deuil prématuré d’identifications qui semblaient tenir jusque là, alors
qu’il n’a pu, dans le même temps, leur en substituer d’autres ? Cette panne transitoire d’un autre
qui soit garant de sa parole et de son identité lui fera défaut de longs mois avant qu’une amorce de
restructuration l’autorise à énoncer un « je » consistant. (…) L’adolescence est une période
charnière. La bascule des identifications est un élément important, voire essentiel. Après avoir été
longtemps des êtres idolâtrés et source d’admiration et d’idéalisation, les parents deviennent des
êtres d’une banalité et d’un commun que cela en devient affligeant pour les adolescents. Dès lors,
ce sont des figures identificatoires qui viennent prendre le relais : adultes de leur entourage,
professeurs, mais aussi et surtout les pairs. »53
3.5 Du rite de passage au processus d’adolescence
« Les adultes ont abandonné, en grande partie, l’une des plus importantes prérogatives
qu’ils exerçaient envers les jeunes, qui était de définir pour eux des rituels de passage.(…)
Socialement, un rituel de passage marque l’articulation entre des statuts successifs. (…) Tout
rituel de passage comporte donc un aspect formel et ouvre sur une reconnaissance. »54
Les rites institués
La plupart des sociétés dites traditionnelles comportent des rituels codés, réglés et institués
de passage de l’enfance à l’âge adulte. Dans tous les rituels initiatiques des sociétés dites
primitives, il est dangereux de grandir et c’est grâce à cela que l’on est reconnu comme un initié,
comme quelqu’un qui a grandi.
«On peut distinguer trois phases essentielles du schéma initiatique :

La séparation avec le groupe familial

La phase de réclusion

Le retour consacrant la réintégration dans la société lors d’une seconde naissance
symbolique »55
53
LAURU D. « L’adolescent dans les identifications ». Le journal des psychologues, n°219, juillet-août 2004
MALAREWICZ J.A., (2003), Le complexe du petit prince, l’adolescence en crise entre l’enfance inachevée et l’âge
adulte impossible à atteindre, Éditions Robert Laffont, Paris, p.81
55
RICHARD F. (1998). Les troubles psychiques à l’adolescence. Paris : Éditions Dunod, p. 92.
54
38
L’anthropologue Van Gennep détaille l’efficacité symbolique des rites par lesquels se traite
un passage difficile d’un monde à un autre, d’un système à un autre. Ils servent au sujet, par une
dimension concrète et matérielle, d’organisateur psychique. C’est parce qu’est donnée toute une
valeur symbolique de mort dans les rites initiatiques, que peut en advenir une nouvelle naissance,
une re-naissance.
L’absence de rites
Michel Fize dénonce la perte des rites : « Les rites de passage paraissent avoir disparu et
aujourd’hui sont remplacés par les adolescents qui ont besoin de se reconstituer. Pour avoir
observé un certain nombre de pratiques sociales, notamment de pratiques sportives, ces rites de
passages de l’adolescence à l’âge adulte ont été remplacés par des rites d’intégration à sa propre
classe d’âge, par toute sorte de symboles… On re-bricole quelque chose qui ne vous permet pas de
passer à l’âge adulte. C’est une occasion de tordre le cou à une idée reçue qui n’est jamais
problématisée, selon laquelle la sociabilité par essence serait un palier de socialisation. La
sociabilité dans le cas des adolescents parait être un blocage de socialisation. »56
Aujourd’hui, nos cultures occidentales modernes n’offrent plus de rites implicitement
acceptés. De ce fait, c’est au sein de la famille que l’on tente d’inventer comment marquer ce
moment clé de l’adolescence, mais la portée n’est pas la même. Reste à l’adolescent lui-même
d’établir ses propres rites, par une marque sur le corps, une conduite à risque… Mais il paie
parfois cher le prix de ce passage initiatique. On peut faire l’hypothèse que certaines conduites
adolescences seraient les substituts disqualifiés de l’initiation traditionnelle. « Tout un versant de
la symptomatologie adolescente trahit en effet, comme par défaut, une exigence d’organisation
symbolique de la relation d’objet, de la relation sociale et de la relation au monde »57
L’identité se construit sur des repères, d’âge, sexuels, générationnels. Notre société
aujourd’hui, prise entre adultes en plein jeunisme et adolescents « Tanguy », n’offre plus les
repères visibles et identifiés. Les limites sont floues et bouleversent en profondeur les relations
entre les générations. « Insensiblement, en l’espace d’une génération, des années 1970 à nos jours,
la jeunesse est devenue la valeur centrale autour de laquelle notre société de consommation se
construit et se développe. »58 De plus, les progrès de la science ayant fait reculer certaines limites
56
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et d’accueil pour
adolescents de mars 1996, Vannes, Éd. C.D.E Vannes, p.130
57
RICHARD F. (1998) Les troubles psychiques à l’adolescence, Éditions Dunod, Paris, p. 96.
58
MALAREWICZ J.A., (2003), Le complexe du petit prince, l’adolescence en crise entre l’enfance inachevée et l’âge
adulte impossible à atteindre, Éditions Robert Laffont, Paris, p.15
39
du biologique, renforce le fantasme de jeunesse ou de vie éternelle. L’adolescent « incarne le
manque à être d’une société dont le fil éthique, qui la faisait tenir dans l’enchainement naturel des
générations, cycle ininterrompu de la vie et de la mort, est perdu. La mort est ainsi déniée et le
« jeune pour toujours » participe de ce refus d’accepter l’ultime limite de l’être. »59
Le processus d’adolescence
On distingue trois types de processus d’adolescence :

croissance continue : passage de l’adolescence sans crises ou conflits exagérés, sans
manifestations anxieuses ou dépressives

croissance par vagues, avec le risque de perte d’estime de soi qui engendrent des
mécanismes de défense : contradictions, conflits, plus importants

croissance tumultueuse : dépendance vis-à-vis des parents et problèmes
comportementaux et familiaux souvent conflictuels.
C’est dans cette troisième catégorie que l’on trouve la plupart des jeunes dont les
comportements à l’adolescence peuvent prendre une dimension pathologique.60
Ce processus d’identification, « cette constante communication anxieuse entre l’autre et
soi-même » comme le dit Kestemberg, peut être un appui important pour passer l’identification à
l’identité. C’est à partir de la reconnaissance et de l’affirmation de différences que peut se
construire l’identité et l’égalité vraie, c'est-à-dire celle qui donnerait à chacun la chance de prendre
sa place. La volonté d’égalitarisme, en plus de la dimension démagogique, conduit à une impasse
car elle offre à tous les mêmes possibles, sans la maturité et les moyens psychiques
correspondants. C’est là toute la limite de la place donnée à l’enfant aujourd’hui, enfant roi, enfant
citoyen, enfant autonome… à quand l’enfant adulte ?
59
LAURU D. (2004). La folie adolescente, psychanalyse d’un âge en crise, Éditions Denoël, Paris, p.15
60
BRACONNIER, MARCELLI, l’adolescence aux mille visages, Editions Odile Jacob, Paris, pp.58-59
40
PARTIE III
…AUX PATHOLOGIES DE L’ADOLESCENCE
« Parce que la mort et le deuil sont au
fondement inconscient de la crise
d’adolescence… »
François Richard
41
1-La place du symptôme comme signe identitaire :
Passages à l’acte ou actes de passage ?
« La maladie, et sa fixation relative dans un
état pathologique, sont possibles à repérer,
chez l’adolescent, sur la base de deux
critères : la répétition de conduites d’autosabotage. »
Philippe Jeammet
Xavier Pommereau, dans son ouvrage Quand l’adolescent va mal, détaille tous ces actes
posés par les adolescents en mal de vivre, pour qui la parole est comme impudique : angoisses et
dépressions, somatisations et troubles de conduites alimentaires, consommation de drogues ou
d’alcool, repli sur soi et fugues, conduites à risque et violence, autant de manifestations
adolescentes pour tenter d’exister et de se construire. Alain Braconnier et Daniel Marcelli nous
livrent dans leur ouvrage L’adolescence aux mille visages, une enquête menée auprès
d’adolescents qui nous expliquent leur rapport à tous ces actes. (Cf. Annexe III : La perception des
adolescents sur eux-mêmes, p.105)
1.1 L’identité tracée sur le corps
« Les pathologies de l’adolescence sont de fait nombreuses. On ne s’attachera pas ici à
décrire les formes de leurs manifestations. Elles touchent pour beaucoup au corps, aussi bien à sa
propriété [un corps à moi], qu’à son apparence [un corps que me donne-à-voir] qu’à son
investissement [un corps à aimer, au moins suffisamment]. L’adolescent peut ici rencontrer les
pires difficultés. Ce corps étranger, comme on dit avoir un corps étranger en soi, peut être dénié,
rejeté comme le lieu de soi. Et ce corps refusé perd de son sens et de sa valeur. On peut en faire
n’importe quoi, jusqu’à le supprimer (prostitution, automutilation, destruction par l’alcool et les
drogues, suicide). On peut aussi le marquer (tatouages, piercings dans leur exagération), le
déformer (anorexie, boulimie, mais aussi accident de la route blessant le corps…). Bien entendu,
42
ce travail du corps n’est pas conscient. C’est malgré lui que l’adolescent malade va subir ces
attaques. Il ne se voit d’ailleurs pas comme on le voit. »61
L’image du corps, écartelée entre haine et narcissisme, illustre le vide identitaire jusqu’à
parfois renvoyer une image d’étrangeté dans la glace. Tel le petit enfant dans son rapport à la
propreté comme manière qu’il découvre de satisfaire ou contrarier ses parents, « à l’adolescence,
des scénarios équivalents se déroulent à propos de l’hygiène corporelle ou du vêtement :
méticulosité excessive ou négligence et saleté, ce qui revient au même. Plus l’entourage réagit
avec irritation, plus la manœuvre est réussie. L’adolescent est « emmerdant », on peut utiliser le
mot ! »62De même, on peut considérer que « les « matières » scolaires sont à l’adolescence ce que
les matières fécales sont au petit enfant. On peut rendre des torchons, avoir des « sales » notes,
porter sur son dos un sac-poubelle, des actes qui auront la même signification. » 63
Les vêtements de marque
Pour les adolescents, la question des marques de vêtements est souvent importante, elle
peut parfois prendre un caractère essentiel, dans une quête de reconnaissance, comme si la valeur
de la personne se réduisait à la valeur du vêtement. Pour les jeunes les plus fragiles, cela prend une
dimension vitale. En ITEP, les adolescents vivent au pied de la lettre, cette réalité :
Karim arrive tout de blanc vêtu, en tenue de sport toute neuve de marque
Nike. Il se tient droit, fier dans son habit. Il passe beaucoup de temps
devant la glace, réajustant sa casquette, essuyant ses chaussures pourtant
immaculées. Lors de la récréation, un jeune passe en courant et lui
marche sur le pied. Karim baisse les yeux, il voit la tache et voit rouge.
Autour, nous le rassurons, lui montrant qu’il est toujours propre. Mais il
perd son assurance et se précipite au lavabo pour frotter nerveusement le
bout de sa chaussure. Il voit la tache, elle ne partira pas. La colère monte,
il éructe : « je vais le tuer, ce fils de p… ». Il ne se contient plus et se jette
sur son agresseur. Nous nous interposons. Karim finira pas se sauver de
l’ITEP, pour ne revenir que le lendemain.
61
BRIZAIS R. (2005), « L’adolescent, provocateur de l’adulte ». Texte Conférence Université Permanente –
Université de Nantes.
62
JEAMMET Ph. (2004) (s/d) Adolescences, repères pour les parents et les professionnels, Éditions La Découverte,
Paris, p.32
63
Ibidem, p.32
43
Brian, un autre jeune de l’ITEP, a souvent des vêtements trop courts, usés
et troués. Il a une vieille casquette qui passe de sa tête à sa main sans
arrêt. Il vient de trouver un écusson de crocodile, qui n’est pas sans
rappeler celui de la célèbre marque. Il me demande si je peux le lui coudre
sur sa casquette. Je prends le temps de le faire. Il reprend fièrement sa
casquette, il la trouve magnifique et la porte fièrement le reste de la
journée.
Les piercings
Pour David Le Breton, au-delà du conformisme adolescent des piercings, ce n’est pas
n’importe quel lieu qui est investi, mais des lieux hautement symboliques : « La bouche, le rapport
à la mère, la langue maternelle, c’est le lieu de l’alimentation ; le nombril, c’est couper ce cordon
ombilical qui est vécu de façon insupportable… »64Par ailleurs, il associe piercings et tatouages à
de l’ « auto-génération, auto-engendrement, des rites personnels, des rites intimes qui permettent à
beaucoup de jeunes de trouver leur place dans le monde. »65
Matthieu est un adolescent de 17 ans, placé en foyer à l’âge de 16 ans
dans le cadre de l’ordonnance 45, après de nombreuses années avec sa
mère, et une accumulation de difficulté d’ordre scolaire et social. Son père
ne donne pas signe de vie, il serait SDF. Mathieu ne l’a presque pas
connu, mais sa mère lui a répété : « tu finiras sous les ponts comme ton
père ». Mathieu a une formation de cuisinier et trouve facilement du
travail mais il ne parvient pas à rester en poste car il est rattrapé par ses
« affaires » qui le ramènent régulièrement au poste de police ou au
tribunal. Au moment de son arrivée au foyer, comme après chaque
moment d’errance ou de passage à l’acte, Mathieu revient avec un
nouveau piercing : un à la lèvre, plusieurs aux oreilles. Il n’en dit rien,
mais ces « insignes » sont comme autant de témoignages de son insécurité,
de sa grande difficulté à faire sa place.
64
65
LE BRETON D., Actes des Xèmes journées de l’AIRe, op. cit., p. 50.
Ibidem, p.50
44
1.2 Les conduites à risque
Ou quand avoir des petits riens permet de ne pas être rien
Conduite à risque, risque de mort et désir de vie
David Le Breton s’intéresse particulièrement aux conduites à risque dans ses nombreux
ouvrages. Il en donne une définition : « Les conduites à risque sont une tentative paradoxale de
reprendre le contrôle de son existence, de décider enfin de soi quel qu’en soit le prix. Il s’agit de
porter un coup d’arrêt à la souffrance. Se faire mal pour avoir moins mal dans son existence. (…)
Le terme de conduites à risque, appliqué aux jeunes générations, désigne une série de conduites
dont le trait commun est l’exposition à une probabilité non négligeable de se blesser ou de mourir,
de léser son avenir personnel ou de mettre sa santé en péril. (…) Certaines, inscrites dans la durée,
s’instaurent en modes de vie, d’autres marquent un unique passage à l’acte. Les unes relèvent de
l’intention, du défi, d’autres de motivations inconscientes. »66
Je reçois Mélanie dans le cadre de son admission au foyer. C’est une
jeune fille de 17 ans. Elle arrive accompagnée de l’assistante sociale du
secteur, qui est passée la chercher à l’hôpital. Mélanie se ronge les
ongles, ses bras sont marqués par de nombreuses scarifications. Ses
cheveux recouvrent la moitié de son visage, elle est couverte d’un épais
blouson malgré la belle journée d’été. C’est elle qui a demandé à venir
vivre en foyer. Lorsqu’elle évoque ses parents, la colère la submerge :
« ils ont pas intérêt à se présenter, sinon je sais pas ce que je pourrais leur
faire. Ma mère c’est une s... Moi je veux pas retourner vivre chez mes
vieux, ils ont toujours fait des différences entre moi et mes frères et
sœurs. » Peu après, elle pleure quand elle parle de la rupture avec son
petit ami. Elle évoque de la violence entre eux. Au fil de l’entretien, je
constate que Mélanie ne fait pas la part de tout ce qui la fait souffrir mais
elle annonce avec beaucoup d’authenticité : « je suis mal dans ma peau ».
Cette déclaration n’est pas à prendre à la légère : Mélanie sort de
l’hôpital, après deux tentatives de suicide.
David le Breton situe les conduites à risque « non comme des formes de destruction de soi,
mais bien davantage comme des manières de forcer le passage vers l’âge d’homme, des espèces de
détours pour pouvoir exister enfin, des tentatives de se mettre au monde, là où on a l’impression
66
LE BRETON D. « L’identité meurtrie des jeunes », Libération n°24 « Rebonds » du 25 décembre 2003
45
de ne pas avoir sa place, de ne pas être attendu, de ne pas être accueilli.(…) comme des espèces
d’épreuves personnelles que s’infligent les jeunes, à défaut d’une transmission cohérente à
l’intérieur de la famille ou de l’école.»67
Conduite à risque et « manque à être »
Par ailleurs, d’autres jeunes, décrits par lui comme fragiles ou exposés à des contextes qui
ne participent pas à les structurer, en viennent à adopter des comportements que l’on appelle
conduites à risques, manifestations d’un « manque à être ». Le corps devient « le champ de
bataille de l’identité », où le jeune met en scène physiquement la lutte symbolique de sa place dans
le monde, sa quête de renaissance et de reconnaissance : « Ces conduites à risque sont une
recherche de marques, de limites, qui n’ont jamais été données ou jamais intériorisées par le jeune.
Quand un anthropologue parle de limites, il s’agit de limites de sens, qui permettent de trouver sa
place dans le tissu du monde, c’est cette expérience d’éprouver à l’intérieur de soi des limites
entre soi et le monde. »68Si ces conduites permettent au jeune de s’assurer de la valeur de son
existence, de tester les limites ou de décider de soi, elles n’en sont pas moins des meurtrissures du
corps, des souffrances physiques voire des mises en danger de mort. Pourtant, elles indiquent un
besoin de se construire, en éprouvant physiquement, par les marques sur le corps (scarification,
piercing…), les addictions (toxicomanie, alcoolisme…) ou autres conduites (vols, anorexie…) là
où le symbolique fait défaut. Les conduites à risque sont expression à la fois d’une souffrance et
d’une interrogation quant à la question de la vie.
Marie Choquet étudie les conduites d’un point de vue épidémiologique à partir :

De tout ce qui concerne le corps. L’adolescent a un corps bien sûr, et les troubles qui
sont liés à ce corps ont été moins étudiés et sont pourtant extrêmement importants

Des comportements et des troubles qui peuvent être étudiés par ces modes-là, en
particulier tout ce qui concerne la consommation : alcool, tabac, drogue, médicaments
psychotropes

D’un troisième aspect : les violences, violences subies, violences agies et violences
faites à soi. »69
67
LE BRETON D., Actes des Xèmes journées de l’AIRe, op. cit., p. 44.
Ibidem, p.45
69
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et d’accueil pour
adolescents de mars 1996, Vannes, Éd. C.D.E Vannes, p.117
68
46
Quelques chiffres fournis par la MDA (Maison Des Adolescents) nous offrent une
photographie des comportements des adolescents :
 1/3 des garçons de 17 ans consomment drogue, tabac ou alcool
 1/3 des filles de 17 ans ont déjà pris de psychotropes
 7 grossesses sur 10 se terminent par une IVG (8000 par an) chez les mineures
 On dénombre 4000 naissances par an chez les mineures
 28% des jeunes de 15-25 ans consomment de l’alcool plusieurs fois par semaine et ont
connu trois ivresses ou plus dans l’année
 35% des 15-25 ans ont déjà consommé du cannabis, 15% en consomment de façon répétée
(plus 10 fois dans l’année) et 5% de façon régulière (plus de 10 fois par mois)
 Les accidents et les suicides constituent de très loin les deux principales causes de décès
des jeunes de 15-24 ans
Différences selon l’âge
Le tableau ci-dessous présente les différents champs de manifestations de l’adolescence,
avec une évolution notable entre le début et le cœur de l’adolescence.
12-13 ans
14-16 ans
1%
0.2 %
1.5 %
11 %
7%
3.5 %
Consommations
Tabac
Cannabis
alcool
Rapport à la loi
Vol dans les magasins
Dégradations répétées de biens publics
5%
5%
17%
11%
Santé psychique
Fugues
Troubles dépressifs
5%
7%
16%
15%
Les manifestations augmentent avec l’âge, de manière très importante pour ce qui concerne
les consommations illicites, et avec une multiplication par trois des actes de délinquance ou les
fugues. C’est vers l’âge de 15-16 ans, que l’adolescent adopte les comportements les plus
47
manifestes. Cet âge correspond à la fin du collège, la fin de l’obligation scolaire, l’orientation vers
les filières techniques. C’est aussi l’âge de la conduite accompagnée, de l’autorisation pour les
boites de nuit… 16 ans, le début de la « liberté » d’agir et de faire des choix.
Différences selon le sexe
Lorsque l’on détaille les chiffres dans les actes concernant le rapport à la loi et la santé
psychique, la différence entre les garçons et les filles ressort clairement :
Rapport à la loi
Vol dans les magasins
Dégradations répétées de biens
publics
6 % garçons
4 % filles
15 % garçons
7 % filles
Santé psychique
Fugues
Troubles dépressifs
5% garçons
9 % filles
8% garçons
22% filles
Les conduites à risque des filles et des garçons sont de tonalité absolument opposée.
« Cette différence concerne les expressions de malaises : les filles sont plus orientées vers les
troubles du corps et la souffrance, les garçons plus dans « l’acting out » (ou la mise en acte) et les
conduites à risque. »70
Conduites typiquement masculines
Conduites typiquement féminines
Consommation d’alcool, de drogues
Consommation de médicaments psychotropes
absentéisme
Troubles fonctionnels et de l’humeur, dépressivité
violence, délits
Violences subies, troubles alimentaires
accidents de la route
Tentatives de suicide
70
CHOQUET M., RUFO M., (2007), Regards croisés sur l’adolescence, son évolution, sa diversité, Éditions Anne
Carrière, Paris, p.65
48
David Le Breton propose une lecture de ces actes. Il explique en effet que les conduites à
risque des filles sont davantage de type troubles alimentaires (anorexie, boulimie), tentatives de
suicide par ingestion de médicaments, scarifications, fugues, somatisation (spasmophilie…) alors
que les garçons vont se jeter contre le monde et poser des problèmes politiques. Ce sont les
violences, l’incivilité, les toxicomanies, les suicides, l’alcoolisme. Les garçons font moins de
tentatives de suicide mais il y a plus de garçons morts par suicide que de filles. Les garçons se
scarifient parfois mais sous le regard des autres, pour afficher une virilité.
Il fait l’hypothèse d’un lien entre conduites à risques et limites : « un grand nombre
d’adolescent s’incisent après avoir été victimes d’inceste ou d’abus sexuel de la part du père, du
beau-père ou d’un autre membre de la famille. On peut y voir là une logique d’Ordalie, logique de
sacrifice où l’on sacrifie une partie de soi pour sauver le tout. »71 Il s’agit également de faire
couler le sang, de se purifier pour tenter de laver la souillure.
De même, certaines conduites à risques sont autant de tentatives faites par les adolescents
pour se faire un passage en force dans une société qui ne leur fait pas de place. « Il y a un mur
devant eux, ils se jettent contre le mur pour essayer de le franchir, et comme c’est un mur de sens,
ce n’est pas un mur qui aurait une matérialité, ils arrivent, pour beaucoup d’entre eux, à le
franchir, à le repousser plus loin. »72
1.3 Le hors cadre, la délinquance
Ou quand être un moins que rien est mieux que n’être rien du tout
Les adolescents délinquants ont souvent rencontré, dans leur enfance, des adultes déréglés
et ont été soumis aux caprices d’un environnement peu fiable. Cette intervention des adultes sur
un mode arbitraire a profondément ancré un rapport à l’autre fondé sur la méfiance, voire la
défiance.
Lorsque la loi sociale leur apparait comme une loi arbitraire des adultes, les adolescents
peuvent « décider » de faire leur propre loi, au risque d’être des hors la loi. Cette conduite
antisociale a des répercussions importantes sur la dimension interne : l’adolescent peut se
retrouver confronté à son Surmoi, qu’il va mettre de côté pour laisser sa place à la jouissance.
Mais, hormis pour ceux dont la structure psychique ne leur permet pas d’y avoir accès, cela ne se
71
LE BRETON D., Actes des Xèmes journées de l’AIRe « Crient-ils de plus en plus fort ou sommes nous de plus en plus
sourds ? » p.54
72
Ibidem, p.48
49
fait pas sans l’émergence d’une culpabilité. Outre l’image sociale ternie par les actes, c’est l’image
de soi qui est également dégradée.
ANALYSE DE LA TRANGRESSION
Une double lecture


CONDUITE ANTI SOCIALE
CONDUITE SYMPTOMALE
Écart à la règle :
Ratage du contrôle intrapsychique pouvant naître
-d’un défaut structurel : non
différenciation des instances
psychiques
-d’un défaut structurel :
dysfonctionnement durable
-d’un déficit conjoncturel :
dysfonctionnement momentané
Infraction, délit, crime

CONSÉQUENCES DANS LA RÉALITE
SOCIALE
Dégâts, dommages

CONSÉQUENCE DANS LA RÉALITE INTERNE
Souffrance, sentiment de persécution, culpabilité
aux biens et / ou aux
personnes
mais aussi caractère dynamisant à
certaines conditions et si momentané
La délinquance juvénile, autre manifestation de cette étape de l’adolescence, peut entraîner
le jeune très loin du côté de la violence, au nom d’un mal-être, d’un besoin de s’affirmer ou
comme mode d’action. C’est sur cette jeunesse là que se penche particulièrement Jean-Marie
Petitclerc, éducateur de formation travaillant dans des cités et des zones dites sensibles. Si cette
violence a toujours existé, la primo délinquance, elle, évolue. « Le récent rapport de
l’Observatoire national de la délinquance montre que le nombre de mineurs mis en cause pour des
atteintes volontaires à l’intégrité physique a augmenté de 55% entre 1996 et 2003 (...) La
délinquance juvénile est donc en pleine évolution, tant sur le plan quantitatif (des délits de plus en
plus nombreux) que qualitatif (de plus en plus graves).»73
73
PETITCLERC J.M. (2005) Les nouvelles délinquances des jeunes, Éditions Dunod, Paris, pp.2-3
50
« Il y a urgence à comprendre une telle évolution de la délinquance juvénile, si génératrice
d’inquiétude pour l’avenir de notre société. Comprendre, non pour excuser. On fait souvent ce
reproche aux éducateurs spécialisés. A force de vouloir comprendre, ils donnent parfois
l’impression d’excuser (…) Mais il s’agit de comprendre pour mieux agir. L’urgence consiste à
élaborer des réponses à la fois pertinentes et cohérentes aux questions posées par les
transgressions de ces enfants et adolescents qui tombent de plus en plus jeunes dans la
délinquance. »74
74
Ibidem, p. 5
51
2-La pulsion de mort
« A l’origine de la violence que l’on
s’inflige à soi-même ou que l’on fait
subir à autrui, il y a toujours le
meurtre de l’âme enfantine infligé aux
petits par les adultes. »75
Alice Miller
La violence a la même étymologie que “violer” c’est-à-dire, enfreindre les limites.
La violence, qui peut être physique ou psychique, consiste à agir sur quelqu’un ou à le
forcer, contre sa volonté, en utilisant sa force ou son pouvoir. L’usage de force se fait en frappant
ou en intimidant, en infligeant des blessures physiques ou morales.
Cette violence est le symptôme d’une destruction à l’œuvre contre l’autre ou contre soi.
2.1 Violence contre l’autre
Jean-Marie Petitclerc identifie les différents usages faits de la violence :
 Violence comme mode d’expression du mal être, d’un sentiment d’insécurité face à
l’avenir ou à la dimension relationnelle. Cette peur peut entraîner la panique et engendrer
la violence
 Violence comme mode de provocation qui permet au jeune de venir questionner le niveau
d’intérêt des adultes et leur niveau de cohérence
 Violence comme mode d’action pour faire pression et tenter d’obtenir ce qui est demandé,
lorsque les négociations ont échoué
 Violence comme mode de réponse à des violences subies, si l’on n’oublie pas que ces
jeunes qui agissent, sont souvent au nombre des victimes. « D’où vient la violence ? De la
violence. La violence se présente toujours comme réponse à la violence. (…). La violence
agie se présente toujours comme réponse à une violence subie. »76
75
MILLER A. « Aux côtés des enfants maltraités », Psychologies, octobre 2007
FIAT E. Actes des Xèmes journées de l’AIRe « Crient-ils de plus en plus fort ou sommes nous de plus en plus
sourds ? », p.99
76
52
2.2 Violence contre soi
« La pulsion de mort n’est pas toujours contenue par le désir et par le sens. Les
adolescents, qui prennent des risques de mort, dans les conduites à risques, les pathologies de
l’agir, les addictions, l’anorexie et la tentative de suicide, espèrent peut-être enfin trouver une
limite à leur angoisse, mais cherchent tout autant à fusionner avec l’originaire dans une ivresse
létale. La destruction du narcissisme exacerbée, comme si la pulsion de mort pouvait être
narcissique, ce que le style d’une « esthétique du sublime », mélange de beauté et de laideur,
cherchera à rendre. A l’adolescence, l’engouement pour le sublime peut préserver un temps du
pire, mais peut aussi enfermer durablement dans le négatif »77
Le suicide est, après les accidents de la route, la deuxième cause de mort chez les
adolescents. D’après les statistiques, le nombre de suicides a doublé ces trente dernières années. Si
les filles font trois fois plus de tentatives que les garçons, les garçons réussissent quatre fois plus
que les filles. Les causes recensées sont l’insécurité familiale (précarité sociale, divorce, mobilité
et déracinement), la pression scolaire, la perte (mort d’un proche, chagrin d’amour). Leur devenir
reste statistiquement incertain, si l’on en juge par les résultats d’une étude effectuée dans le cadre
d’une thèse, qui montre que seuls 1 / 5 poursuivent une vie adulte normalisée, alors que les autres
passent le reste de leur existence à tenter de traiter la question qui a émergé à ce moment là de leur
existence. (Cf. Annexe IV : résumé de Thèse : Le devenir de l’adolescent suicidaire, p.109)
Même si les passages à l’acte sont des appels à vivre, des tentatives de vivre, 1 000
adolescents se tuent chaque année en France.
2.3 Prévention des passages à l’acte
Il semble important de ne pas banaliser la violence. Par exemple lorsque des politiques
répondent à la pression en octroyant des avantages avec pour but de faire retomber la tension, ils
contribuent à l’accentuation des phénomènes de violence. « La banalisation de l’usage de la
violence comme mode d’action fait courir deux risques. Le premier consiste en un déplacement
des normes (ce qui devrait être interdit parait autorisé), et le dépassement des bornes. Le second en
l’atténuation de la culpabilité (tout le monde agit ainsi). »78
La prévention n’est pas adaptée et proportionnée à la hiérarchie des troubles. Marie
Choquet rend compte de divers constats :
77
78
RICHARD F. (1998) Les troubles psychiques à l’adolescence, Éditions Dunod, Paris, p.55
Ibidem, p. 47
53
« Premier constat : quand on regarde ce dont les jeunes se plaignent, ce n’est pas du tout
les domaines dans lesquels on intervient au niveau de la prévention. Ainsi, pour les garçons, les
problèmes concernent la violence physique subie, chose dont on parle peu. Pour les filles, c’est
essentiellement le corps et les troubles du corps, dont on parle peu aussi. Toutes les actions sont
plutôt centrées autour de l’alcool, le tabac, la drogue et le sida. Il existe donc un décalage entre ce
que disent les jeunes eux-mêmes et les actions au quotidien.
Deuxième constat : les comportements et troubles sont liés à deux axes extrêmement
importants : le sexe et l’âge. Ce sont deux déterminants extrêmement importants durant
l’adolescence. La différence entre les garçons et les filles est gigantesque. Il y a aussi une
augmentation avec l’âge des troubles qui oblige à poser la question si l’on peut considérer les
conduites de la même façon à 15 ans qu’à 18 ans. »79
Traiter l’adolescence, ou l’adolescent, c’est laisser de côté une diversité telle qu’elle mérite
qu’on se penche davantage sur une approche individualisée des jeunes : ce sont des adolescents,
mais aussi et surtout des sujets singuliers, avec une parole singulière à laquelle il faut donner
l’espace pour qu’elle se dépose.
79
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et d’accueil pour
adolescents de mars 1996, Vannes, Éd. C.D.E Vannes, p.116-117
54
PARTIE IV
Les réponses sociétales :
La fonction de la parole là où l’acte domine
« Si les adolescents étaient
encouragés par la société à
s’exprimer, cela les soutiendrait
dans leur évolution difficile. »
Françoise Dolto
55
1-Les lieux d’écoute
« Si je suis écouté, purement écouté, j’ai tout l’espace
pour moi, et pourtant il y a quelqu’un. Je puis habiter
la part de moi-même dont je craignais la folie, le
chaos, mais donner le lieu absolument sans danger en
sorte que le plus de dangereux de moi-même, je puis
enfin l’entendre. »
Maurice Bellet
« L’adolescent(e) se caractérise par la difficulté à demander, soit qu’il ne demande rien
(non-demande), silence qui inquiète l’adulte, soit que les demandes qu’il formule empruntent des
voies très malhabiles. L’agressivité avec laquelle s’exprime alors sa demande est trop vite
interprétée par l’adulte comme dirigée vers lui, là où elle montre surtout la difficulté que
représente pour lui d’adresser une demande. Demander ce n’est pas seulement porter à la
connaissance de l’autre sa « demande », c’est aussi se placer en dépendance vis-à-vis de celui à
qui l’on demande. Or l’adolescent cherche à se dégager des dépendances qui l’ont accompagné
dans son parcours, jusque-là. »80
Comment répondre à ces jeunes qui ne savent pas ou ne savent plus demander ?
« L’éducation est toujours une interaction entre un adulte et un jeune » précise Jean-Marie
Petitclerc qui, loin de déresponsabiliser les adolescents, interroge la société sur la part qu’elle
prend dans les dysfonctionnements éducatifs dont la délinquance est en partie le symptôme.
1.1 Espaces de socialisation, premiers lieux d’écoute
L’école
L’école : lieu de socialisation et de prévention, ou lieu de stigmatisation et de violence ?
Il ne s’agit pas de faire une critique de l’évolution de notre école démocratique mais d’en
analyser certains revers.
80
BRIZAIS, l’adolescent provocateur de l’adulte
56
Ecole de la réussite ou de l’échec ?
Certains établissements présentent une concentration de jeunes en difficulté (sociale,
culturelle…), et proposent des filières sans débouchés, dévalorisant ainsi les diplômes… tout ces
aspects étant facteurs d’une violence potentielle. Il existe aujourd’hui une violence psychique et
morale importante. J. Pain parle « d’injonction paradoxale scolaire » ou de « double blind »81.
C’est le fait d’aller à l’école pour réussir, sans en être sûr ou en étant persuadé du contraire,
paradoxe de l’école comme outil de réussite et d’échec. Le ministère de l’Education Nationale
mise sur des plans de lutte contre la violence, sans vraiment réfléchir en amont à la question de
l’école comme structurellement violente.
La lutte contre l’absentéisme consiste principalement à mesurer les absences, prévenir la
famille, voire la punir en cas de récidive fréquente. Le débat sur la suppression des allocations
familiales, pour tout ou partie, n’est d’ailleurs pas d’aujourd’hui. Le code de l’éducation,
ordonnance du 06 janvier 1959, prévoit la suspension ou la suppression de celles-ci en cas
« d’absences non justifiées pendant au moins dix demi-journées dans le mois » et après
avertissement.
La lutte contre l’illettrisme ne porte pas ses fruits. Luc Ferry, ministre en 2002, estime que
15 à 20% des élèves entrant en 6ème éprouvent de réelles difficultés en français. Il propose une
nouvelle prise en charge des élèves en grandes difficultés d’apprentissage de la lecture en CP. Six
ans plus tard, les chiffres sont tout aussi alarmants.
La lutte contre l’échec scolaire se décide à coups de création puis suppression de classes
adaptées, au nom d’une politique d’intégration qui conduit souvent à une stigmatisation et un
isolement des jeunes en difficulté. Il en va de même pour l’éducation spécialisée qui n’a pas fait
évoluer ses modes de prise en charge avec l’évolution des publics. On aboutit même à un non
sens : « Bon nombre d’institutions relevant du champ de l’éducation spécialisée qui ont été
agréées, ouvertes et financées pour accueillir les jeunes aux comportement déviants, refusent
aujourd’hui l’admission de jeunes qualifiés de « difficiles » pour ne pas mettre en péril le
fonctionnement classique ! »82
Il est important que les médecins scolaires, infirmiers et AS soient formés et que leur statut
soit davantage reconnu. Il faudrait également renforcer la collaboration entre eux et les
enseignants, pour rendre plus efficace les interventions en médecine scolaire. Pour le moment,
cela reste un lieu et un fonctionnement encore à part.
81
82
PAIN J. (2006) L’école et ses violences, Paris, Economica, collection Education
PETITCLERC J.M. (2005) Les nouvelles délinquances des jeunes, Éditions Dunod, Paris, p.119
57
Justine, est une ado ordinaire, 14 ans, collégienne. Ses parents ont divorcé
durant son année de sixième et ont adopté une garde alternée. C’est une
bonne élève depuis le début de sa scolarité, elle a des soucis avec ses
copines, « des histoires de filles ». Elle raconte ses visites à l’infirmerie :
«- avec elle, c’est simple. Tu as mal à la tête ? C’est psychosomatique. Tu
as mal au ventre ? C’est psychosomatique. La seule fois où elle m’a
écoutée, c’est quand je lui ai parlé de ma vie. Mais j’ai pas envie de lui
parler de ma vie, moi…
Et quand tu ne vas pas bien, tu ne peux pas t’adresser au psychologue
scolaire ?
Je ne me vois pas aller voir quelqu’un que je ne connais pas pour lui dire :
voilà, j’vais pas bien ! »
L’animation, le quartier, outils de prévention
L’animation est pensée au service du lien social et de la prévention. Les activités
associatives proposées peuvent aider les jeunes à se décentrer, à canaliser les forces pulsionnelles.
Monsieur K., chef de service du CAE établit un lien direct entre les initiatives des politiques
locales et le taux de violence et de délinquance. Il donne l’exemple de Cholet où se sont
développés de nombreux centres socioculturels, des clubs sportifs… à la disposition des jeunes
dans un souci d’intervention de proximité. L’accompagnement ne se limite pas aux jeunes, la
socialisation s’adresse également aux familles en situation précaire, difficile, avec des aides
proposées en termes de conseils juridiques et financiers, de soutien linguistique… « Depuis trois
ans, la délinquance a énormément diminué sur la ville de Cholet, c’est à mettre en lien avec les
initiatives à l’intention des jeunes. » Il explique qu’a contrario, les jeunes des milieux ruraux ne
disposent pas des mêmes structures de proximité et restent encore très isolés. « Dans les petites
communes péri-choletaises, les difficultés augmentent d’année en année. Et il faut ajouter à cela
les problèmes qui perdurent comme l’alcoolisme et l’inceste, très typiques des milieux ruraux. »
La prévention de la violence tient en partie à la posture des adultes et à la cohérence des
réponses. Il faut mettre l’accent sur la cohérence des interventions. Jean-Marie Petitclerc démontre
dans son ouvrage qu’ « il existe bien souvent une corrélation entre le degré de violence des jeunes
58
et celui de l’incohérence des adultes. »83 Il décrit l’institution Valdocco dans ses finalités et ses
mises en œuvre, comme une initiative intéressante pour aborder les adolescents d’une manière à la
fois intégrale et plurielle. (Cf. Annexe V : Le projet institutionnel du Valdocco, p.110)
Il faut savoir accompagner les moments forts et douloureux, médiatiser, mettre des mots.
Jean-Marie Petitclerc explique que, face à des violences urbaines déclenchées par la mort
accidentelle d’un jeune, le discours politique enflamme la violence, alors que l’accompagnement
des jeunes dans leur travail de deuil à travers « par exemple, la réalisation d’une chapelle ardente
dans un gymnase, en se préoccupant de l’organisation des obsèques, les mêmes événements
peuvent être gérés sans violence. »84
La prévention spécialisée
Les actions de proximité menées auprès des jeunes en voie de marginalisation ont
longtemps fait référence mais ne répondent plus aux besoins massifs sans les quartiers dits
sensibles. Née après la seconde guerre mondiale, la prévention spécialisée est partie d’initiatives
individuelles, avant de réclamer une identité professionnelle dans les années soixante, puis de
s’institutionnaliser dans les années soixante-dix. Elle s’appuie sur un savoir faire pédagogique et
éducatif auprès des jeunes en grandes difficultés sur le plan de l’insertion sociale, misant sur une
souplesse d’approche et une diversité de pratiques.
La prévention prend deux dimensions :
 Psychosociale
 socioculturelle.
Trois grands principes fondent la prévention spécialisée :
 L’absence de mandat : l’éducateur n’est pas mandaté par une autorité extérieure
 La libre adhésion des jeunes
 L’anonymat de la relation
83
84
Ibidem, p. 44
Ibidem, p. 44
59
1.2 Dispositifs d’écoute à l’intention des ados
De nombreux dispositifs sont décrits dans les actes des rencontres nationales sur les lieux
d’écoute et d’accueil pour adolescents.85 Chacun invente, bricole, innove, développe, tente
d’approcher la réalité des adolescents et de se rendre accessibles pour qu’une parole se dépose.
Quelques pistes méritent d’être creusées à partir des dispositifs présentés :

Les publics : jeunes en difficulté
 Jeunes en demande d’information
 Jeunes inadaptés à l’école ou déscolarisés
 Prévention de la délinquance
 Prévention des risques à l’adolescence
 Jeunes souffrant de troubles psychiques
 Jeunes manifestant des troubles du comportement et de la conduite
 Jeunes en crise, en rupture, en fugue

L’accueil et l’écoute
 Permanences de semaine
 Rencontres sur RDV
 Entretiens téléphoniques
 Unité de soin en service pédiatrie
 Consultation dans un local municipal
 Sur le lieu de vie des jeunes, en allant à leur rencontre
 Dans un appartement banalisé

Les personnes à l’écoute
 D’autres jeunes en bénévolat
 Des bénévoles sous la direction d’un médecin psychiatre
 Des psychologues et des bénévoles d’horizons divers
 Une structure intersectorielle du sanitaire
 Une équipe pluridisciplinaire
85
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et d’accueil pour
adolescents de mars 1996, Vannes, Éd. C.D.E Vannes, p.11-64
60
Derrière toutes ces possibilités d’écoute, quelques éléments récurrents : la notion
d’anonymat et de gratuité, la dimension de prévention et de soin. « Dans la question de
l’anonymat, il y a une revendication très spécifique de l’adolescence qui concerne l’intimité de la
vie privée. Elle est constitutive de la personne, à un âge où l’adolescent cherche à se dégager de la
dépendance familiale, d’un statut et d’une situation où d’autres parlaient pour lui » (Yann Le
Pennec).86 Parmi les jeunes rencontrés dans le cadre de ces consultations, plusieurs ont pu en dire
quelque chose : « s’il avait fallu que je donne mon nom, je ne serais pas resté », « ici, il n’y a pas
de dossier, on est libre », « je n’ai pas à me demander comment payer, ni ce que je vais dire à mes
parents, je viens de moi-même, sans en parler à personne. », « ici, on n’est pas jugé, je n’aurais
jamais cru dire autant de choses ».
La Maison Départementale des Adolescents
La MDA est là pour accueillir les adolescents cherchant des réponses ou des conseils, ou
encore souffrant d’un mal être. Leurs problèmes sont pris en charge par des professionnels venant
de plusieurs horizons (prise en charge médicale, accompagnement éducatif, social et juridique), ce
qui constitue le caractère véritablement novateur de la MDA. Par ailleurs, la MDA n’appartient ni
au social, ni au scolaire, ni au médical, elle se situe au carrefour de tous les champs de
l’intervention sociale, et peut donc à la fois revendiquer un caractère d’indépendance et activer un
réseau très important. (Cf. Annexe VI : Schéma du réseau de la MDA, p.114)
Objectifs du dispositif :
Lors de notre rencontre avec le directeur de la MDA de Loire Atlantique, monsieur C.,
nous avons pu aborder de nombreux points concernant ce dispositif. La première caractéristique
est le « choix de s’adresser à 100% des adolescents ». Concrètement, l’équipe de la MDA est à la
disposition des jeunes et de leur entourage pour :
 Prendre en considération la période de l’adolescence, par exemple offrant une facilité
d’accessibilité sans pour autant viser trop de proximité. Monsieur C. explique en effet que
« parfois, trop de proximité peut rendre l’accessibilité impossible »
 Etre à l’écoute pour prévenir les problèmes, accompagner les adolescents. C’est l’idée
de « prendre soin », comme l’explique monsieur C. Il répertorie les problèmes abordés par
les adolescents sous quatre catégories :
86
Ibidem, p.84
61
-intrafamilial : incompréhension entre ce que veut le jeune et ce qu’attendent les
parents
-scolaire : difficultés à suivre le programme, démotivation…
-mal-être, déprime diffuse, avec des difficultés à mettre des mots sur ce qui fait mal
-relations amicales ou amoureuses très compliquées
 les orienter si nécessaire vers des dispositifs spécialisés (sociaux, médicaux…). 8% des
adolescents venant à la MDA sont déscolarisés, 3% souffrent de pathologies. Dans ces
deux cas, l’aide doit être plus importante, aussi la MDA fait-elle le lien avec d’autres
dispositifs qui vont pouvoir répondre davantage aux difficultés à surmonter
 Soutenir l’entourage des jeunes dans leurs questions. La MDA s’adresse aux parents
comme aux professionnels, mais le constat actuel, est que peu de professionnels viennent à
la MDA, alors que beaucoup de parents, et de plus en plus, y font appel
 Constituer un réseau départemental spécialisé sur les questions liées à l’adolescence. La
MDA se revendique « observatoire et centre de recherche sur les questions adolescentes,
avec entre autres un suivi statistique en vue de dégager une typologie des jeunes »
Monsieur C. explique que par rapport au projet initial, après un an de fonctionnement, « il
n’y a pas tellement d’écart entre ce qui s’était pensé et ce qui est ». Au-delà des grandes finalités,
toute la question est d’apprendre à chaque fois « à se caler sur la façon de s’y prendre pour
rencontrer les jeunes, en créant les conditions d’écoute et d’accueil. On se garde bien d’apporter
des réponses ». L’idée est que cette maison correspond à un réel besoin car elle ne stigmatise pas
les jeunes.
Bilan de la fréquentation :
Le bilan de fréquentation est positif, et laisse penser que cela va encore augmenter. « Le
système de bouche à oreille entre ados représente 8%, l’information par les collèges et lycées
23 %, les médecins commencent eux aussi à parler de nous à leurs patients ainsi que les
travailleurs sociaux. Il faut laisser le temps de nous faire connaitre ». En un an, plus de 500 jeunes
ont pris contact avec la MDA. L’âge moyen se situe entre 14 et 18 ans, avec 60 % de filles. 50 %
viennent seuls, les autres accompagnés d’un camarade ou d’un membre de la famille.
62
Appels téléphoniques à la MDA
Jeunes qui font la 10%
Accueil physique à la MDA
44%
démarche
Proportion
55% filles et 45% garçons
62% filles et 38% garçons
Âge moyen
Entre 14 et 18 ans
Entre 14 et 18 ans
Lieu d’habitation
68% agglomération nantaise
88% agglomération nantaise
Dont 44% nantais
Dont 66% nantais
Pour prendre des renseignements
Pour demander un conseil
Pour parler d’un problème
Pour parler d’un problème
filles/garçons
Motif
Si l’accueil et les points d’écoute et l’aide individuelle semblent correspondre aux attentes
des adolescentes, les garçons eux sont davantage volontaires pour participer à des rencontres en
groupes. Ils ont davantage de mal à s’y rendre une première fois, souvent du fait de l’image que
cela renvoie. Pourquoi alors ne pas aller au devant d’eux, aller les rencontrer là où ils se trouvent ?
« Je crois que le ministère de la Justice et des Sports devrait aussi s’intituler ministère de
l’Adolescence. Si l’on associe « jeunesse, sports et adolescence », encore faut-il inventer des
stratégies d’accroche et d’approche. Par exemple, faire éclater les structures de soins actuelles
psychiatriques pour que les médecins aillent à domicile, dans les bars, sur les terrains de sport,
qu’ils discutent avec les entraineurs et les éducateurs sportifs, qu’ils aillent dans les écoles pour
dire ce qu’ils ont repéré. »87
87
CHOQUET M., RUFO M., (2007), Regards croisés sur l’adolescence, son évolution, sa diversité, Éditions Anne
Carrière, Paris, p.480
63
La consultation pour adolescents, les CMP, les psychologues et psychiatres en libéral
Certains lieux de consultation comme les CMP proposent un accueil très libre, anonyme,
sur simple appel. Ils font le choix d’offrir un service d’écoute sans exiger d’engagement de la part
du jeune, afin d’éviter une stigmatisation.
D’autres lieux, comme la consultation spécialisée pour adolescents à Cholet, dépendent
directement du service de psychiatrie infanto-juvénile. Un médecin peut recevoir les jeunes sur
rendez-vous, à la demande de l’adolescent ou de ses parents. Une permanence infirmière offre
aussi à certains moments un lieu d’écoute et d’orientation vers une proposition de soins. Le
caractère institutionnalisé a pour but de mobiliser le jeune et d’éviter une banalisation de son état.
L’un ou l’autre système ont leurs arguments, leurs avantages et leurs revers. On peut
penser que certains adolescents vont se sentir rassurés par la dimension d’anonymat alors que
d’autres vont être sensibles à la dimension de prise en charge. Il est surtout important que ces deux
types de dispositifs existent afin de permettre à un maximum d’adolescents d’en profiter.
Isabelle, une jeune de 16 ans placée au foyer depuis plus de deux ans,
prend parfois appui sur une psychologue. « Je le vois quand je veux. C’est
moi qui prends rendez-vous. Ça ne vous regarde pas, vous verrez si j’y
suis allée, quand vous recevrez la facture. » Cette jeune a du mal à parler
d’elle, à se mettre au travail sur ses difficiles relations aux autres, mais
lorsque je lui demande ce qu’elle veut faire plus tard : « je vais faire des
études pour être psychologue. Et ma psy m’a déjà dit que si j’ai besoin
d’un stage, elle pourra me prendre ».
L’accueil d’adolescents
Exemple : un hôpital de jour, « le centre ados » à Cholet
Les missions de ce service sont « l’accueil des jeunes de 12 à 18 ans en souffrance
psychique en lien avec l’adolescence et nécessitant le recours à des soins réguliers sur prescription
d’un pédopsychiatre intervenant à l’hôpital de jour ». Cette unité dépend du service de psychiatrie
infanto-juvénile.
Lors de notre rencontre avec deux professionnels de l’équipe, une infirmière et une
éducatrice, nous prenons le temps d’échanger longuement :
64
Sur les jeunes accueillis et les problèmes à mettre au travail :

les phobies scolaires, avec pour objectif la réintégration scolaire dans de bonnes
conditions

la difficulté à supporter le groupe : travail sur du petit collectif, avant de ré
envisager le retour dans du collectif plus important

les psychoses : le suivi est souvent commencé depuis l’enfance, se poursuit à
l’adolescence et sûrement plus tard à l’âge adulte

la question de l’identité et de la place : souvent lié à un vécu ou un contexte
familial douloureux. Cela reste une blessure avec laquelle ils doivent apprendre à
vivre mais les comportements s’apaisent un peu grâce à la prise en charge. Le
problème est d’autant plus important avec les enfants abandonnés ou adoptés

les gros troubles du comportement, les névroses avec absence de limites et
difficultés à supporter la frustration. On leur apprend à différer, à tenir compte de
l’autre. Mais ils ont du mal à supporter le NON
Sur les difficultés liées à l’adolescence et qui viennent s’ajouter aux problématiques. Les
adolescents « réinterrogent constamment les postures adultes et testent toutes les limites. Ils sont
en grande difficulté s’ils n’ont pas eu un cadre affectif suffisant. »
Sur le fonctionnement : « on part de la demande du jeune, il n’y a jamais rien d’institué.
Ce matin, j’ai des jeunes, je ne sais pas encore ce qu’on va faire. Il y en a qui veulent faire, faire,
faire, et d’autres qui ne veulent rien faire du tout. Nous on guide un petit peu, en fonction de leur
problème, on les amène à travailler leurs difficultés. Et les moments au centre ado leur offre aussi
une soupape… Ici on traite les symptômes, les difficultés au quotidien. On les aide à améliorer
leur vie. » Les accueils se font à la demi-journée, une à deux fois par semaine. Le suivi peut se
prolonger de quelques semaines à trois ou quatre ans, mais en moyenne c’est sur une année
scolaire. Les activités, souvent sur des supports ludiques et créatifs, se font par petits groupes,
organisés selon divers paramètres. Il n’y a jamais plus de huit jeunes à la fois, et nous comptons
un adulte pour deux, des fois c’est même du un pour un. »
Sur les limites de leur accompagnement. « Avec les psychopathes, on ne peut pas
travailler. Ils sont dans la toute puissance, ils n’ont pas de limites, et aucune conscience du mal
65
qu’ils font à l’autre. Avant, la limite était claire : pas de psychopathes, et pas de toxicos. Parfois,
on a des psychopathes, et à chaque fois on n’arrive pas à travailler avec, et en plus, leur présence
déstabilise tout le groupe. »
Structures Soin Etude
Exemple : La MUSE
La MUSE (Mini Unité Soins Etudes) est un dispositif régional installé au sein de l’Hôpital
St Jacques, à Nantes. Elle accueille des jeunes présentant des troubles psychiques entravant la
poursuite d’une scolarité complète. Les prises en charge sont ambulatoires, par demi-journées, du
lundi matin au vendredi soir. Cet accueil permet de mettre en place un suivi pédagogique
personnalisé, individuel ou en petit groupe, associé à des prises en charge thérapeutiques. Elle
s’adresse à des collégiens et lycéens présentant des difficultés sévères telles que troubles de
l’humeur, phobies scolaires ou sociales, troubles du comportement alimentaire…
L’admission est décidée après avis d’une commission pluridisciplinaire. L’indication doit
être posée par un médecin. Les conditions d’admission sont que le jeune :
 soit inscrit dans un établissement scolaire
 soit engagé dans un suivi psychologique ou pédopsychiatrique
Le jeune qui ressent et admet le besoin d’un soutien tel que peut le proposer la Muse doit
rédiger une lettre de motivation, en plus des documents qui sont à fournir par la famille,
l’établissement scolaire et le thérapeute qui le suit.
L’équipe de La Muse est composée de pédopsychiatres, psychologue, enseignant
spécialisé, infirmiers, assistante sociale, éducateur spécialisé. Elle propose un projet thérapeutique
individualisé en accord avec le jeune et sa famille, principalement sous forme d’ateliers. Un
enseignant spécialisé présent dans le dispositif permet au jeune de travailler son rapport à sa
scolarité et aux apprentissages et à reprendre confiance en son projet scolaire. Le jeune reste avant
tout élève de son établissement, le soutien pédagogique au sein de la Muse devant le soutenir dans
sa capacité à tenir sa place en classe, même si la scolarité peut être aménagée en fonction de l’état
du jeune. L’infirmière de la MUSE explique ce qui fait la spécificité de ce dispositif : « Nous ne
sommes ni un simple lieu de consultation, ni un lieu d’hospitalisation. Nos conditions d’admission
sont strictes car nous accompagnons des jeunes en difficultés mais qui ne sont pas déscolarisés
(…) On ne peut pas répondre à toutes les demandes, il y a un délai d’attente. La commission se
66
réunit deux fois par an. (…) Ce lieu d’accueil a une visée thérapeutique mais la dimension
pédagogique a toute son importance. »
L’hospitalisation
L’hospitalisation en psychiatrie adulte dans un service de l’hôpital ou dans un CHS (Centre
Hospitalier Spécialisé)
(À partir de 15 ans et 3 mois)
 Protection maximale pour le jeune qui se trouve en situation de danger
 Soins rapprochés de l’équipe afin de restaurer une certaine sécurité interne chez le jeune
 Possibilité d’extraction du milieu habituel et occasion de nouvelles rencontres
 Surveillance de la mise en place d’un traitement médicamenteux
Dans la réalité, l’hospitalisation en milieu adulte renvoie à l’adolescent une violente
rencontre avec la folie. A l’âge où les jeunes sont déjà fragiles, où leur image est en pleine
mutation, cette confrontation peut être très dangereuse, même si l’hospitalisation, elle, est
nécessaire.
Medhi, un jeune du foyer, va de plus en plus mal depuis plusieurs
semaines. Il se sent très persécuté par les adultes, se met en danger en
grimpant sur le toit avec à la main un grand morceau de verre prélevé sur
une vitre cassée, menace les adultes, se barricade dans sa chambre la nuit.
Il est de plus en plus inaccessible, la parole n’a pas d’effet que de
renforcer la dimension paranoïaque. Suite à un passage à l’acte violent,
nous décidons de prendre un avis médical. Nous appelons l’hôpital et le
médecin régulateur décide de nous envoyer une ambulance. Après
plusieurs heures de négociation, Medhi monte dans le véhicule. Du fait de
son âge et de sa tentative d’échapper, il est installé dans le service de
psychiatrie adulte. Les personnes autour de lui sont très marquées et
semblent souffrir de diverses pathologies mentales et psychiques. A
l’éducateur qui lui rend visite le lendemain de son admission, Medhi
déclare : « je sais que vous faites exprès de m’énerver depuis le début de
la semaine, car vous aviez envie que j’aille à l’hôpital. Avant vous disiez
67
que j’étais un terroriste. Maintenant, vous pensez que je suis fou. J’m’en
fous, je dirai rien au médecin. Mais je sais ce qu’il me reste à faire. »
Il existe des lieux d’hospitalisation réservés aux adolescents, qui proposent un accueil et un
accompagnement adaptés, dans un environnement sécurisant. Le SHIP (Service d'Hospitalisation.
Intersectoriel de Pédopsychiatrie), structure appartenant à l’hôpital St Jacques, à Nantes, est de
ceux là. Le médecin psychiatre qui a conçu ce service souhaite offrir aux jeunes un cadre
d’évaluation, d’échange, de mise à l’écart des situations pathogènes. L’admission se fait à la
demande d’un psychiatre et avec l’accord des parents. L’hospitalisation est en moyenne de deux
semaines, mais peut se prolonger. Des médecins et infirmiers proposent des entretiens. Des
ateliers divers sont mis à la disposition des jeunes. Mais le dispositif est pensé avec des « vides »,
des moments creux où l’adolescent n’a pas d’autre choix que de se retrouver face à lui-même.
Cette dimension est importante car souvent c’est l’action, voire l’acte qui domine, comme pour
empêcher de penser.
« Ces institutions pour adolescents existent et elles sont fréquentées par qui ? Et
pourquoi ? Par les adolescents bien sûr, parfois spontanément, plus souvent poussés par leur
entourage et particulièrement par leurs parents pour des raisons, qui, nous semblent se résumer,
sans schématisme abusif, par l'existence d'une menace compromettant les relations de l'adolescent
à son environnement. C'est finalement cette menace portant sur la vie relationnelle de l'adolescent
qui nous fait poser l'indication d'un séjour dans l'institution, bien plus finalement que la gravité
supposée par rapport à un diagnostic structural. »88
L’institution présente des caractéristiques qui participent au soin :
Dans sa dimension structurelle :
Par une fonction médiatrice. L'institution peut ainsi médiatiser une relation en impasse
devenue explosive. Elle permet aux antagonistes de retrouver leur individualité respective dont on
peut espérer une reprise évolutive dynamique. Cette simple intervention peut expliquer à notre
avis, les succès thérapeutiques, tout au moins symptomatiques, obtenus très rapidement avec
88
JEAMMET Ph., AUBIN J.P. « Le cadre soignant, réflexions sur les conditions d'une utilisation thérapeutique des
institutions pour adolescents »
68
certains malades, À ce déblocage d'une situation conflictuelle avec reprise d'une évolution
dynamique pourront bien sûr s'associer une thérapie individuelle par la suite ;
Par une fonction contenante. C'est-à-dire que l'institution va constituer là par son
caractère de permanence et d'organisation stable un cadre de référence à l'intérieur duquel le sujet
va pouvoir s'exprimer et nouer des relations marquées à la fois par la répétition de ses conflits
antérieurs mais également par la nouveauté des rencontres qu'il y fera et des relations qu'il y
nouera, et cet aspect de nouveauté nous semble tout aussi important que l'aspect répétitif.
Dans sa dimension fonctionnelle :
Par sa permanence : elle est toujours là, selon son rythme particulier, mais qui est fixé
d'avance, c'est-à-dire qu'elle est fiable.
Par son organisation qui est une condition de sa fiabilité. Cette organisation préexiste à la
venue, de l'usager et en aucun cas elle ne peut être entièrement soumise aux caprices de ses désirs.
Elle peut tenir compte des besoins particuliers de l'usager, mais toujours à l'intérieur de certaines
limites, c'est-à-dire qu'elle ne peut lui laisser qu'une autonomie relative. Cette condition, source de
conflits, nous semble tout à fait essentielle à la dynamique de l'institution. ».89
Mais il ne suffit pas que ces dispositifs existent, il faut que les écoutants soient eux aussi
disponibles, et ce n’est pas chose aisée. « Avoir une parole (…) Ce leitmotiv indique bien la
grande difficulté des interventions sociales, le risque qui les guette : faire du moralisme,
s’apitoyer, critiquer ou féliciter (…) car il s’agit bien d’entendre, et non pas de juger, il s’agit de
comprendre, et non pas de classer… Du point de vue de l’intervention sociale, avoir une parole est
un acte somme toute très particulier, qui ne relève ni de la parlote ni du discours administratif…
avoir une parole c’est forcément articuler les dimensions psychiques, des dimensions culturelles,
des dimensions sociales, des dimensions historiques… c’est pour cela que l’écoute en question est
une écoute active, engagée, compromise. Ou pour le dire autrement : il ne suffit pas d’écouter
pour entendre, ni de parler pour avoir une parole ». (Saül Karsz)90
89
JEAMMET Ph., AUBIN J.P. « Le cadre soignant, réflexions sur les conditions d'une utilisation thérapeutique des
institutions pour adolescents »
90
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et d’accueil pour
adolescents de mars 1996, Vannes, Éd. C.D.E Vannes, p.85
69
1.3 Dispositifs à l’intention des adultes ayant affaire aux adolescents
Les parents se retrouvent fragilisés au moment de l’adolescence. Leur parole, leur autorité
n’ont plus de poids, leur éducation est disqualifiée, le lien à leur enfant est ébranlé. Les parents se
retrouvent souvent démunis. « Les parents sont avides d’informations. (…) On est passé d’une
population passionnée par la bébéologie à des parents d’adolescents. Ils réclament le même
accompagnement qui leur a permis d’être performants avec les tout-petits. Les familles ont fait
d’infinis progrès, qui méritent d’être soutenus par un partage de connaissances. (…) Lorsque les
jeunes ont entre 10 et 20 ans, les parents sont complètement laissés à l’abandon. On les informe
seulement quand cela ne va pas, alors que la plupart ont envie de bien faire. Bien sûr il existe des
structures comme l’Ecole des parents, mais il faut y aller et surtout savoir qu’elles existent. »91
De la famille à la parentalité
Cette
contradiction
entre
un
discours
fortement familialiste
et une réalité plutôt
défamilialisante
trouvera à se résoudre
dans le déplacement
finalement opéré de la
famille
à
la
parentalité… Le terme
est inventé par les
travailleurs
sociaux
confrontés à la réalité
des familles, sur le
terrain des difficultés
sociales et de la
précarité……92
Ce terme prend ses assises dans une sphère médico-psycho-sociale élargie et tente de
définir la fonction « d’être parent » en tenant également compte des aspects juridiques, politiques,
socio-économiques, culturels et institutionnels. L’exercice de la parentalité devient de plus en plus
complexe. Familles recomposées, familles pluri-parentales, foyers monoparentaux, beau91
CHOQUET M., RUFO M., (2007), Regards croisés sur l’adolescence, son évolution, sa diversité, Éditions Anne
Carrière, Paris, p.501
92
BRIZAIS R. conférence : « L’éducation de l’enfant, enjeux et perspectives »
70
parentalilté, parentalité adoptive, homo-parentalité, procréation médicalement assistée, évolution
juridique et nouveaux droits… interrogeant nos coutumes en tant que parents, futurs parents,
professionnels de l’enfance. C’est à la parentalité que l’intervention sociale vient en aide : soutien
à la parentalité, groupes de parole face aux difficultés liées à la parentalité…
Dispositifs pour les parents et Educateurs
La Maison Départementale des Adolescents
Elle s’adresse évidemment aux adolescents et aux jeunes mais pas seulement. Elle accueille
également les parents et les professionnels. Les parents pourront ainsi être reçus et accompagnés
dans le désarroi qu’ils ressentent face aux difficultés de leurs enfants. Les professionnels, quant à
eux, pourront évoquer les questions et les difficultés qu’ils rencontrent dans l’accompagnement
des adolescents, grâce au réseau de partenaires constitué à la MDA. Monsieur C., le directeur,
explique que les parents téléphonent souvent pour parler des difficultés et du mal-être de leur
enfant, pour en arriver à parler de leurs propres difficultés et mal-être face à leur adolescent
méconnaissable et incompréhensible.
Les adultes représentent une grande proportion des personnes prenant contact
téléphoniquement avec la MDA : mère 57.9 %, père 7.4 %, professionnels : 20.4 %. Parmi eux,
71 % viennent pour parler d’un problème, les autres pour connaitre le dispositif.
L’Ecole des parents
Elle propose entre autres des entretiens avec des psychologues, de la médiation parentsenfants, des échanges entre adolescents.
Une maman d’adolescente me fait part de sa démarche : « je ne savais
plus quoi faire. Je me suis aperçue que notre fille nous mentait, manquait
l’école, je n’avais rien vu. Quelle claque ! Je me suis tournée vers l’Ecole
des Parents, c’est le collège qui m’en a parlé. J’ai rencontré une
psychologue. Je ne sais pas si ça va m’aider avec ma fille, mais ça m’a fait
du bien de parler. »
Sa fille est elle aussi reçue par la psychologue. Elle semble détendue, et
s’est exprimée facilement durant l’entretien.En sortant, elle déclare : « je
lui ai dit ce qu’elle voulait entendre. Ca marche à tous les coups ».
71
Les soirées thématiques proposées dans des collèges ou des institutions spécialisées.
Monsieur G., directeur d’ITEP, a pensé ces soirées sur des thèmes tels que « à quoi ça sert
un père ? », « la relation père-mère-enfant », « comment faire avec un enfant qui n’obéit pas ? »,
« comment grandir avec ses enfants ? », « l’enfant, l’adolescent et la sexualité »… afin de donner
une place à la parole des parents :

« pour les aider à se décaler de la question du handicap de leur jeune et les amener à
parler de la fonction parentale classique

Pour leur permettre d’échanger entre eux. Les thèmes proposés servent de support à
une conversation, à un échange d’expériences. L’animateur et un psychologue sont
là pour réguler la prise de parole
Le Diplôme Universitaire sur les adolescents difficiles
Cette formation proposée à l’université de Nantes est destinée aux professionnels
confrontés à la prise en charge des adolescents en difficulté pour lesquels des approches
multidisciplinaires articulées en réseau s’imposent. La diversité des professionnels concernés sera
prise en compte comme les dimensions thérapeutiques, éducatives, pédagogiques et culturelles,
judiciaires et pénitentiaires. Cette formation est destinée à des professionnels confirmés venant du
champ socio-éducatif, de la justice, de la santé, de l’éducation nationale, de la police et de la
gendarmerie. De nombreuses thématiques y sont abordées par modules : la parentalité, l’usage des
médias, les problématiques identitaires, le corps et la sexualité…
Le responsable de cette formation pour Nantes, monsieur M., est également directeur
général de l’association AAE44. Il conçoit les interventions et le développement de cette
formation comme il conçoit l’orientation de son association : palette de réponses, diversité des
partenaires, dimension inter-associative et intersectorielle.
Ce diplôme créé par Philippe Jeammet, a ensuite été franchisé. D’autres psychiatres comme
Marcel Rufo l’ont développé dans d’autres régions de France. Le docteur Rufo comprend en effet
tout l’enjeu d’un tel dispositif : « On peut observer, au sein de ce DU, tout l’intérêt et l’efficacité
de faire travailler ensemble un magistrat, un enseignant, un éducateur, un psychiatre, un
psychologue, une puéricultrice. Se mettre ensemble autour d’une table pour étudier des cas, en
possédant le même diplôme universitaire, selon le même label, développe une pratique
d’échange. »93
93
CHOQUET M., RUFO M., (2007), Regards croisés sur l’adolescence, son évolution, sa diversité, Éditions Anne
Carrière, Paris, p.508
72
2- Lire entre les lignes de ces actes
2.1 Entre tentation de pathologisation et tentation de judiciarisation
« D’où vient le mot chance ? Cela vient du verbe chéer qui
veut dire tomber, qui vient lui-même du latin cadere. Par
conséquent, le malchanceux, c’est celui sur qui tombe le mal,
et le méchant, c’est celui qui fait tomber le mal ou qui donne
sa chance au mal. (…) Victor Hugo a consacré tout son
grand livre à cela, Les misérables, cela peut se dire en deux
sens, le terme misérable désigne à la fois le malchanceux et
le méchant. Le misérable est celui qui subit la misère et celui
qui est capable de faire des misères, il est donc à la fois
malchanceux et méchant. Toi qui es méchant, je n’ignore pas
ta secrète malchance. »
Eric Fiat
Quand l’adolescent va mal, il trouve divers modes d’expression de ce mal-être, d’appel à
l’autre. Selon sa structure psychique, le contexte dans lequel il a grandi, les adultes qu’il a
rencontrés, il va donner à voir un aspect de ce tumulte interne. L’adolescent, par ses
comportements, va orienter le regard des adultes sur lui. « Les garçons se dirigent plutôt vers des
services judiciaires, policiers et sociaux, alors que les filles s’orientent davantage vers le médical,
l’écoute et la pédopsychiatrie. (…) Il y aurait tout intérêt à psychologiser davantage les garçons.
(…) Chez eux, les troubles perdurent, se chronicisent et les conduisent à la délinquance... On les
envoie dans les services sociaux et judiciaires, alors qu’ils auraient surtout besoin d’un bon suivi
psychiatrique. Dans les prisons, 20% des cas relèvent de la psychiatrie lourde. (…) Visiblement,
l’offre de soin actuelle est inadéquate (…) On aboutit à quelque chose de terrible : filles égale
prévention, garçons égale répression.»
Christine Bergeron, avocate, aborde cette dualité entre victime et coupable. Face à des
violences subies dans l’enfance (inceste, maltraitances…), on aboutit à deux orientations
possibles : « ou l’adolescent est une victime purement et simplement subie, ou l’adolescent pose
des actes de délinquance, en guise d’appel au secours. On s’aperçoit en fouillant un peu les
personnalités et les histoires de tous les adolescents, que l’histoire se répète et que s’ils sont
amenés à poser des actes comme ceux-là, c’est parce qu’ils ont quelque chose à dire, qu’ils ne
73
savent pas le dire, qu’ils ne trouvent pas l’interlocuteur pour le dire et que la seule façon d’attirer
l’attention sur leur situation, c’est l’acte de délinquance. »94 Il est donc nécessaire de les restituer
dans leur qualité de victime, tout en leur permettant d’assumer la responsabilité des actes qu’ils
posent.
Ainsi, lorsque les désordres apparaissent surtout comme des désordres internes,
l’adolescent est orienté vers des lieux de soin : de la consultation pour adolescents à
l’hospitalisation spécialisée en passant par d’autres dispositifs tel que l’accueil à temps partiel.
Sinon, il est confié aux services sociaux qui ont pour objectif de l’accompagner dans son projet.
Pour les professionnels qui accueillent ces jeunes, une phrase clé : partir de la demande du jeune.
L’idée ici est la recherche de l’apaisement, la tentative de créer du lien autour de centres d’intérêt
ou des besoins exprimés.
Philippe Jeammet déclare : « Il ne s’agit pas de leur fournir ce qu’ils demandent mais de
leur prescrire ce dont ils ont besoin ». Quelle est la limite en effet de cette approche docile des
services de soin ? Les jeunes sont en perte de repères quant à ce qu’ils désirent, ce qu’ils veulent.
Ils ont des demandes, mais elles sont déjà décalées par rapport à leur désir. Et pour ce qui est de
leurs besoins, les adolescents en situation de mal-être sont ils à même de bien les identifier ?
S’attacher à leur demande n’est-ce pas risquer de les limiter à un apaisement de courte durée ?
Cela permet-il vraiment de les aider à aborder ce qui fait leur impasse à cette étape de leur vie ?
Rose est au foyer depuis bientôt trois ans. Abandonnée par sa mère, élevée
et abusée par son beau-père, elle est en attente du jugement et de papiers
lui permettant de demander sa nationalité française. Elle est incapable
quant à elle de prendre la moindre décision constructive. Elle demande à
rester sur Cholet alors qu’elle est impliquée dans un réseau de
délinquance avec suspicion de prostitution et de consommation de
drogues, et refuse de se rapprocher d’une tante installée en France et chez
qui elle passe des séjours familiaux et apaisants. Elle ne veut pas
reprendre des études alors que cela étayerait sa demande de
régularisation, mais justifie l’absence de papiers pour ne pas travailler.
Au foyer elle vit à son rythme : elle dort la journée, mange à n’importe
quelle heure, fugue. Depuis le début, l’ASE la suit dans ses demandes,
espérant une prise de conscience et une motivation pour un projet. Bientôt
trois ans que l’équipe éducative du foyer n’a rien construit avec elle et
dénombre les fugues, se réjouissant quand le nombre diminue.
94
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et d’accueil pour
adolescents de mars 1996, Vannes, Éd. C.D.E Vannes, p. 135
74
A l’inverse, lorsque les désordres sont plus externes : « désordre public » et que les actes
prennent un caractère dérangeant pour l’environnement, c’est vers la justice qu’ils sont entrainés.
On dénombre de plus en plus de situations où la police intervient et où la justice est interpellée.
Les fichiers de la police débordent de dossiers de jeunes dans lesquels s’accumulent des petits
faits de délinquance qui alimentent les représentations sur le jeune, banalisant ainsi les actes tout
en stigmatisant l’acteur.
Michaël est connu des services de justice. Après plusieurs vols, coups
portés sur un éducateur du foyer, il est passé d’une convocation chez le
délégué du procureur en août prochain, à une convocation chez le juge
des enfants, en novembre prochain. Mais cela ne l’arrête pas. Quelques
jours après sa dernière visite au poste, il est surpris par une patrouille
avec plus d’un gramme de shit sur lui. Il est emmené à la brigade des
stups, et passe une nuit en garde à vue. Michaël ne se rappelle plus quels
sont les délits pour lesquels il est convoqué en novembre, il ne se souvient
que d’un vol et des coups sur adulte. Il sait juste qu’il était mineur au
moment des faits, c’est ce qui le sauve, car il vient de fêter ses 18 ans et
connaît la loi : il sera désormais jugé en tant qu’adulte, il est connu de la
justice, son casier est bien rempli, il ne peut se permettre un faux pas. Estil en mesure de construire sa vie d’adulte avec cette réalité, ou va-t-il
vouloir garder un semblant de maîtrise en commettant un acte ?
75
L’incarcération des mineurs augmente d’année en année :
Année
Nombre de mineurs incarcérés
1er janvier 1996
561
1er janvier 1998
669
1er janvier 2000
718
1er janvier 2003
808
Qui a le temps, dans ces services, de relier les actes avec un appel du jeune ? Une fois la
plainte enregistrée, quel service vient s’intéresser au jeune et repérer ce qui entraine cette
répétition d’actes ? Qui propose un suivi permettant de reprendre les faits suivants, voire de les
prévenir ? C’est ce que tente de mettre en place un dispositif comme celui dirigé par madame T.,
responsable du service socio-judiciaire de l’AAE44, qui fonctionne sur trois plans auprès des
mineurs :
 Le rappel à la loi
 La réparation pénale
 La médiation pénale
2.2 Entre protection de l’enfance et prévention de la délinquance
Textes réglementaires de référence :
 Ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante
 Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance
 Loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance
« Eduquer est la meilleure prévention » déclare Philippe Jeammet.95 « Il faut sortir de ce
débat infernal qui court depuis de si longues années entre les tenants de la prévention et ceux de la
répression. Il s’agit ni de vouloir excuser, ni de vouloir « faire payer » les auteurs d’actes de
délinquance, qui sont eux-mêmes le plus souvent victimes de ce climat d’insécurité. Il s’agit de
réagir de manière pertinente. Réagir c’est sanctionner, en rappelant les limites et en obligeant à
95
JEAMMET Ph. (2008) Pour nos ados, soyons adultes, Éditions Odile Jacob, Paris, p.295.
76
réparer. (…) Ne pas sanctionner, c’est déresponsabiliser. (…)Au lieu de s’enfermer dans le faux
dilemme
prévention/répression,
il
faut
concevoir
la
sanction
dans
une
optique
préventive. »96Sanctionner la primo-délinquance, c’est participer à l’œuvre d’éducation et de
prévention auprès de la jeunesse. Jean-Marie Petitclerc présente des chiffres édifiants : « La très
grande majorité des vols simples commis par les mineurs est classée sans suite. Parallèlement,
80 % des mineurs sanctionnés à leur premier délit ne récidivent pas et 70 % des mineurs
récidivistes incarcérés recommencent dans les trois mois qui suivent leur sortie de prison. »97
Certains éléments positifs encouragent les acteurs des politiques publiques :
« Les évolutions observées sont porteuses d’espoir. Sans conclure à une relation « cause-effet »,
on est surpris :
a) Par la récente diminution du tabagisme, qui fait suite à la politique publique sur ce thème
(loi Evin, augmentation du prix du tabac)
b) Par la diminution récente des tentatives de suicide chez les garçons, qui fait suite au
« Programme national de lutte contre le suicide »
c) Par la faible consommation régulière d’alcool chez les jeunes, qui fait suite à des actions
permanentes de prévention (école, associations spécialisées) et à la responsabilisation
progressive des producteurs. » (Marie Choquet)98
D’autres signes continuent à inquiéter sur l’état actuel des jeunes :
« Le constat est parfois accablant : les choses n’ont pas toujours évolué dans le bon sens.
Ainsi, la consommation de cannabis et les troubles de l’humeur ont nettement augmenté. Au point
que cette augmentation nous pose des questions de société. Pourquoi les jeunes (surtout les
garçons) ont-ils actuellement tant besoin de consommer des substances psychoactives ? Pourquoi
les troubles du sommeil sont-ils devenus si chroniques, en particulier parmi les filles ? » (Marie
Choquet)99
Monsieur K, chef de service du CAE dénonce l’usage actuel de l’alcool. Pour lui, sauf
exceptions et consommation « de loisir », l’usage du cannabis, du shit est souvent lié à des
96
PETITCLERC J.M. (2005). Les nouvelles délinquances des jeunes, Éditions Dunod, Paris, p.60
PETITCLERC J.M. « Il faut resituer la sanction dans le registre de l’éducation » ASH n°2353, 2 avril 2004
98
JEAMMET Ph. (2004) (s/d) Adolescences, repères pour les parents et les professionnels, Éditions La Découverte,
Paris, pp.13-14
99
Ibidem, p.13
97
77
problématiques lourdes et à des histoires familiales pénibles. Mais pour l’alcool, c’est « de plus en
plus tôt, avec une conduite de destruction : vite et fort ».
Que dire de ce débat entre prévention et répression ? En conservant l’idée de l’éducateur
intervenant dans le champ de la prévention et le judiciaire dans le cadre de la répression, nous
rangeons la sanction dans le seul domaine de la punition et non de l’éducation. Avec la perte du
pouvoir disciplinaire des éducateurs et institutions sociales, pouvoir attribué uniquement au
judiciaire, nous contribuons à l’augmentation de la délinquance, ainsi que l’attestent les chiffres
édifiants d’une cité où « 80 % des mineurs sanctionnés à leur premier délit ne récidivent pas et
70 % des mineurs récidivistes incarcérés recommencent dans les trois mois ». La primo et petite
délinquances devraient pouvoir être sanctionnées avant l’intervention du judiciaire, par des actes
de réparation cohérents et proportionnels à la motivation et à la gravité des actes posés. De même
qu’un directeur de collège sanctionne un acte commis dans son établissement, un maire devrait
pouvoir exiger réparation pour des dégradations dans la cité, les éducateurs garder une marge de
manœuvre par rapport à la décision d’un juge, en fonction des comportements des jeunes avec
lesquels ils travaillent au quotidien. On observe déjà « une souplesse accrue en faveur de la
combinaison d’une mesure éducative avec une peine ou l’aménagement de celle-ci. Cette
possibilité de combinaison est mise à disposition tant de la juridiction de jugement que de celle du
juge des enfants agissant en tant que juge d’application des peines. »100
Le travail de collaboration entre les services de protection de l’enfance et ceux de la
protection judiciaire de la jeunesse montrent tout l’intérêt d’un partenariat mais également les
limites d’orientations et de finalités différentes, voire divergentes.
Mathieu est au foyer depuis deux ans. Une équipe d’éducateurs spécialisés
travaille avec lui et discute beaucoup, acceptant souvent de négocier, se
trouvant démunis face aux passages à l’acte et aux sanctions à poser en
réponse. Mathieu déborde du cadre au sein du foyer (vols, fugues,
menaces verbales et physiques…) et hors du foyer (vols, consommation de
shit…). C’est sur injonction du juge pour enfants qu’il est placé. Il est
suivi par le CAE, un service de la PJJ. L’éducateur PJJ a des exigences
fermes, et prend le temps de les discuter avec Mathieu.
Une autre jeune du foyer, rencontrée dans le bureau suite à des
comportements irrespectueux envers les éducateurs explique : « Depuis
100
ROZENCZVEIG J.P., Dossier : spécificités de la justice des mineurs, « les mineurs et l’application des peines »,
RAJS-JDJ n°242, février 2005
78
que je suis au foyer, j’ai toujours été habituée à avoir ce que je veux, et à
traiter les éducateurs comme des chiens. Alors maintenant c’est pas facile
de changer.»
Monsieur K., chef de service du CAE donne des éléments d’analyse : « Les éducateurs PJJ
et les éducateurs spécialisés ne reçoivent pas la même formation. Dans notre formation, nous
insistons beaucoup sur l’importance du cadre, des limites. La difficulté pour les jeunes que nous
accompagnons, c’est qu’ils ont affaire à des adultes qui n’ont pas les mêmes logiques
d’intervention. Ce n’est pas toujours facile. » Monsieur P., éducateur PJJ complète : « Je dis ce
que je fais, et je fais ce que je dis ». Il revient longuement sur ce qu’il appelle « la fiabilité des
adultes ».
L’encadrement des équipes d’éducateurs de foyer montre combien cette question est
difficile : tenir sa parole, ses engagements, se montrer fiable et solide. C’est tout l’enjeu de la
relation éducative avec les jeunes, mais cette dimension n’est pas la plus aisée à mettre en œuvre.
C’est pourtant ce qui permet aux jeunes de travailler sur le principe de réalité. Les éducateurs sont
confrontés à un risque de confusion dans leur mission, du fait d’une psychologisation de l’acte
éducatif : s’agit-il « d’être aux petits soins » ou de « prendre soin » ? Ne peut-on y voir un
glissement de la fonction paternelle qui sépare et qui limite, à la fonction maternelle qui répond au
manque, qui comble ? Les jeunes qui vont mal, ne peuvent-ils être que perturbés ou perturbants ?
Malades ou délinquants ? Il semblerait important que tous les professionnels soient formés à la
psychologie et à la psychopathologie.
Le directeur de l’AAE 44, monsieur M., explique encore la pertinence d’un service sociojudiciaire tel qu’il le conçoit :

Une réponse très rapide à un acte de délinquance

Mais qui annonce une action éducative/sociale

Le jugement qui est posé tient compte de l’action éducative entreprise
Se traite par là cette tension entre le tout-éducatif et le tout-répressif. Madame T., directrice de ce
service explique : « une mesure pénale a tout son sens si elle est expliquée, et une mesure
éducative doit être bornée par une sanction possible ». C’est tout l’intérêt du partenariat entre le
Juge des Enfants au TGI (Tribunal de Grande Instance), les éducateurs PJJ dans les CAE et les
éducateurs des services sociaux.
79
Placement social ou judiciaire ?
« Le placement en établissement spécialisé est dénoncé, dans une ambiguïté. Le reproche
oscille entre le fait que l’enfant soit privé de sa famille, et le fait que la famille soit privée de son
enfant… Le vécu des familles d’enfants placés est mis en avant quant à la souffrance que
représente pour elles cette irruption de l’État qui, au nom de la protection de l’enfant, vient leur
enlever un enfant. (…)Au bout du compte qui doit-on protéger ? Les enfants, ou la famille… Le
but de l’éducation spécialisée est-il le maintien de la famille, le maintien en famille, ou la
promotion de l’enfant en adulte suffisamment séparé ? Les éducateurs de l’enfant, tous ses
éducateurs, sont-ils d’accord sur notre définition de « la famille »101.
Les placements administratifs (de l’ordre du contrat).
Les enfants sont confiés volontairement par leur famille sous forme d’un contrat passé avec
l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), dans le cadre d’Accueils Provisoires (AP). Le Code de la
famille et de l’aide sociale, Article 42-46, alinéa 1 indique ceci :
Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du
conseil général :
1° Les mineurs qui ne peuvent provisoirement être maintenus dans leur milieu de vie
habituel ;
2° Les pupilles de l'Etat remis aux services dans les conditions prévues aux articles 61 et 62
du présent code ;
3° Les mineurs confiés au service en application du 4° de l'article 375-3 du code civil, des
articles 375-5, 377, 377-1, 380, 433 du même code ou du 4° de l'article 10 et du 4° de l'article 15
de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;
Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide
sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui
éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants.
Les contrats passés avec les jeunes majeurs âgés de moins de 21 ans (cf. articles 42 et 46, alinéa
6). Ils ont pour but de soutenir des jeunes qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale
susceptibles de compromettre leur équilibre, et qui souhaitent continuer à être aidés par l’ASE. Ce
contrat peut à tout moment être résilié par le jeune lui-même ou le service de l’ASE.
101
CATHALA B., NAVES P. « Le placement en MECS face au dilemme : Protéger l’enfant ou la famille ? », Actif,
n°368-369Janv-Fév. 2007
80
Les placements judiciaires (de l’ordre de la contrainte)
Au civil : L’ordonnance du 23 décembre 1958 reprise dans la loi du 4 juillet 1970 donne au
Juge des Enfants au travers des articles 375 et suivants du Code Civil le pouvoir d’ordonner des
mesures d’assistance éducative.
Au pénal : l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante stipule sans son
article 1 que les mineurs auxquels est imputé un crime ou un délit sont justiciables des tribunaux
pour enfants ou des cours d’assises pour mineurs. Dans ce cadre, le juge des enfants peut décider
d’un placement dans une institution ou un établissement, public ou privé, d’éducation ou de
formation professionnelle habilité (cf. ordonnance du 2/2/45 article 8 et 15). Il s’agit d’un
placement direct où l’idée de prévention prédomine.
Pour monsieur M., directeur général de l’AAE 44, l’internat éducatif est déjà à la frontière
de l’éducatif et du pénal. Ils ont pensé leur dispositif dans sa dimension d’accueil d’adolescents
souvent confiés par un magistrat. Ils conçoivent ce dispositif comme une palette de réponses : des
internats, des studios et petits appartements, des familles relais, ainsi qu’un réseau d’accueil de
jour. « Cette palette de réponses évite d’être dans l’idée d’explosion ou exclusion. Les studios par
exemple servent de sas de décompression. » Il explique qu’il existe également dans l’association
un accueil d’urgence : des places d’urgence en internat collectif. « Il faut répondre à l’urgence en
inventant des parcours particuliers ».
Les Centres Educatifs Renforcés (CER) sont des structures de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse, gérées par le service public ou par une association habilitée. Ils ont vocation à prendre
en charge, sur le fondement de l’ordonnance du 2 février 1945, des mineurs délinquants
multirécidivistes, en grande difficulté ou en voie de marginalisation, ayant souvent derrière eux un
passé institutionnel déjà lourd. Cette prise en charge s’effectue sur décision du juge des enfants ou
du tribunal pour enfants, pour une durée comprise entre 3 et 6 mois. Les mineurs sont suivis de
manière permanente par une équipe éducative.
81
Doit-on classer ces centres du côté de l’éducation ou de la répression ? Ne peut-on
considérer qu’en tant qu’outil de sanction, ils participent à l’éducation ?
David est fils de médecins, deuxième d’une fratrie. Son grand frère est
brillant dans les études, la sœur prend le même chemin. Depuis son plus
jeune âge, David tente de trouver sa place, ou plutôt de garder sa place
auprès de sa mère, de la garder pour lui. Il multiplie les déclarations
d’amour, elle est aux petits soins pour lui. Il a toujours été agité,
maintenant une attention particulière. En grandissant, les problèmes
s’aggravent : il est renvoyé de plusieurs collèges pour violences, il
enchaîne les délits et la police l’emmène au poste où sa mère vient le
rechercher. Il commet des actes, elle culpabilise : elle n’en a pas fait
assez, son père n’a pas été assez présent… ASSEZ. C’est bien ce
qu’indique David lorsqu’il accepte le placement en CER pour une période
de trois mois, avant de demander à prendre un « appart ailleurs » et de
commencer un apprentissage. Il voit moins sa mère, reste en contact avec
un éducateur du CER qui l’a « bien soutenu ». Pour le moment, ça tient…
La question se pose également pour les Centres Educatifs Fermés (CEF) qui sont, pour un
certain nombre de jeunes, une alternative à la prison, la possibilité d’un accompagnement ferme et
très vigilant, dernier rempart avant l’acte qui les conduira vers une incarcération classique ? N’estil pas réducteur d’appeler les CEF des prisons pour mineurs ? Quelques chiffres concernant
l’ensemble des enfants et adolescents placés, en CER ou en institution en lien avec la protection
de l’enfance, montrent combien les dimensions sociale et judiciaire ne peuvent se traiter de
manière séparée :
 Une fois sur deux, le père est décédé, absent ou pas déclaré
 Moins de 10% des enfants vivent avec leur père avant le placement
 Dans les ¾ des cas, les mères sont sans emploi ; une fois sur 10, les pères sont
incarcérés, 2 fois sur 10, les mères sont handicapées
 Les causes des placements sont multiples : carences affectives (24%), difficultés
psychologiques ou psychiatriques (11%), alcoolisme ou toxicomanie (9%),
maltraitance (8%)
 4 fois sur 10, le placement a lieu dans l’urgence ; deux fois sur 10, le placement a
été fait sans écoute préalable des parents par le juge
82
Une autre question se pose :
Pour éviter un lieu trop fermé comme un CEF ou la prison, un juge doit-il ordonner un
placement en foyer social ? Nous recevons régulièrement des jeunes placés sur une mesure
alternative au placement en CEF ou à l’emprisonnement. Dernière chance offerte au jeune ?
Tentative de lui permettre d’échapper à la sanction ? Toujours est-il que ces jeunes posent dans les
foyers de nombreux problèmes : rapport à l’adulte et aux règles bafoués, passages à l’acte
renouvelés. La plupart des jeunes obligent les équipes à multiplier les notes d’incidents, comme si
ces actes étaient autant de manières d’indiquer qu’ils demandent à être « arrêtés. ». Quel crédit
donnons-nous à la sanction, à la loi ?
Samir a passé six mois en CEF sur Lyon après une suite d’actes de
délinquance de tous ordres. Les premiers mois sont difficiles, Samir essaie
de défier le cadre. Puis il se pose, commence à réfléchir et semble capable
de passer à autre chose. Le juge décide d’accéder à sa demande : il veut
aller en foyer et construire son avenir professionnel. Il sera plaquiste. Il
souhaite venir sur Cholet car il a un oncle qui peut le prendre en
apprentissage. Il explique que s’éloigner de Lyon sera aussi s’éloigner de
ses réseaux de délinquance. Samir rencontre la directrice de l’association,
elle accepte de le soutenir dans son projet. Il arrive donc au foyer. Sa
première phrase sera : « enfin libre ! ». Les deux premières semaines se
déroulent au mieux, il est dans le dialogue et s’il ne fait aucune démarche,
il le justifie par son envie d’avoir un peu de vacances ». Puis des premiers
signes nous indiquent qu’il nous faut nous montrer vigilants : une ou deux
fugues, des attitudes peu respectueuses envers d’autres jeunes du foyer, le
choix qu’il fait d’être en relation ou non avec les professionnels. Nous lui
faisons part de nos inquiétudes, il se montre rassurant mais ne tient pas les
engagements pris, est surpris à fumer du shit dans sa chambre, arrache
des mains les clés du garage pour emprunter un vélo qui lui a été refusé…
Après deux entretiens de rappels, nous envoyons les premières notes au
juge, pour l’informer de la dérive. Pas de nouvelles. Les actes montent en
nombre et en gravité. Les professionnels se sentent impuissants. Les
contacts avec le CEF où il était auparavant et le CAE qui le suivait
confirment nos craintes : Samir reproduit ce qu’il a toujours mis en place
et « compte sur son aisance de langage et sa capacité à manipuler pour
s’en sortir ». Samir se montre de plus en plus sûr de lui : « le juge j’en
83
fais ce que je veux, vous n’avez aucune preuve. Je vais m’inscrire dans
une formation avant l’audience, comme ça elle me laissera rester. Je suis
tranquille ». Nous avons fait une demande de main levée, en précisant que
Samir ne relève pas de notre structure. Pour le moment, pas de réponse…
2.3 La sanction comme garde-fou : dimension symbolique
Jacques-Antoine Malarewicz explique que la présence de limites, et donc de l’interdit,
comporte l’énorme avantage de permettre la transgression, et la possibilité de transgression permet
l’affirmation de soi dans la relation, dans la négociation et par là dans la confrontation à l’autre.
Ce n’est que dans cette confrontation avec l’autre qu’il est possible de s’affirmer aussi bien par
rapport à soi-même que dans la vie sociale. « Dans l’absence de limites s’insinue et se construit
une souffrance dont la traduction psychique est la dépression, dont la manifestation individuelle
est l’absence de confiance en soi et dont la traduction sociale est la violence. »102 Tel le couffin
offrant des limites rassurantes au corps du nourrisson pour l’apaiser, « l’adolescent ressent lui
aussi besoin d’un couffin : un couffin symbolique ; c'est-à-dire qu’il doit pouvoir se représenter
des limites, sous la forme d’interdits, de règlements, de contrats que l’on passe avec lui. »103
Eirick Prairat s’interroge : « Comment punir quand les principes qui sous-tendent une
pratique sont idéologiquement disqualifiés ? Comment sanctionner quand on a le sentiment que la
sanction est la marque d’un déficit relationnel, le signe d’un manque de professionnalité ou, plus
simplement, l’aveu d’un échec éducatif ?... Nous ne savons pas sanctionner car nous n’avons pas
réfléchi à ce problème. Sujet tabou et pratique honteuse, la question de la sanction a longtemps été
frappée d’indignité intellectuelle. Et pourtant, il n’est pas d’éducation sans sanction. Le problème
n’est donc plus aujourd’hui de savoir s’il faut ou non sanctionner mais de savoir comment il faut
s’y prendre pour responsabiliser un sujet en devenir. »104 La punition est de meilleure qualité
lorsque celui qui prend cette mesure comprend pourquoi il punit et quel sens il donne à sa
punition. C’est la compréhension de la raison et du sens de la punition qui fonde l’avenir des
adolescents délinquants, en difficulté, en conduite à risque et en conduite agressive.
102
MALAREWICZ J.A., (2003), Le complexe du petit prince, l’adolescence en crise entre l’enfance inachevée et
l’âge adulte impossible à atteindre, Éditions Robert Laffont, Paris, p.76
103
JEAMMET Ph. (2004) (sous la direction de) Adolescences, repères pour les parents et les professionnels, Éditions
La Découverte, Paris, p.29
104
PRAIRAT E. (2003) La sanction en éducation, Que Sais-je, Éditions PUF, p.3
84
« Il n’y a pas d’éducation sans sanction » déclare Eirick Prairat. Que recouvre une telle
affirmation ? Si l’on reprend l’étymologie du mot éducation, du substantif latin « educatio » du
verbe « educare », ce terme signifie « instruction, formation de l’esprit » et est utilisé à l’époque
comme aujourd’hui pour désigner la mise en œuvre de moyens propres à former un être humain. Il
s’agit donc de réfléchir aux fonctions de la sanction dans l’éducation.
L’étymologie du mot sanction nous apporte des éléments intéressants. Le mot sanction
vient du latin sancire, qui signifie rendre sacré. La sanction est l’acte par lequel on établit la loi ou
un traité de manière irrévocable. Plus tard, la sanction, associée à l’idée de rétribution, est
considérée soit comme punition soit comme récompense. Ici, le terme de sanction est pris dans le
sens de réaction prévisible d’une personne juridiquement responsable ou d’une instance légitime,
à un comportement qui porte atteinte aux normes, aux valeurs ou aux personnes d’un groupe
constitué. Il n’y a de sanction que dans un rapport intersubjectif. La sanction présuppose une
intentionnalité, elle n’est ni un accident, ni une action fortuite. Penser la sanction éducative, c’est
suspendre l’idée d’emprise pour réaffirmer le primat du sens, de l’altérité et du symbolique.
La fonction psychologique
La sanction vient mettre un point d’arrêt à la pulsion, à la jouissance. Elle pose une limite
au fantasme de toute-puissance masquant lui-même une profonde impuissance à accepter la
frustration nécessaire au sujet pour l’accès à son autonomie, à son inscription dans un ordre
symbolique. Elle autorise un nouveau commencement en réinscrivant le sujet dans une relation à
l’autre, soumise au principe de réalité. Freud donne son avis : « rendons-nous bien compte de ce
qu’est la première tâche de l’éducation. L’enfant doit apprendre à maîtriser ses pulsions. Lui
donner la liberté de suivre, sans restriction, toutes ses impulsions, est impossible. Ce serait une
expérience très instructive pour les psychologues, mais les parents n’y pourraient pas tenir et les
enfants eux-mêmes subiraient de graves dommages, qui apparaitraient en partie aussitôt, en partie
au cours des années ultérieures. Il faut donc que l’éducation inhibe, interdise, réprime et elle y a
d’ailleurs largement veillé en son temps. »105
105
FREUD S. (1932) « Éclaircissements, applications, orientations », nouvelles conférences d’introduction à la
psychanalyse, Éditions Gallimard, p.199
85
La fonction politique et sociale
En réinscrivant le sujet dans l’ordre social, la sanction posée occupe une fonction
médiatrice. De quoi ? De la Loi. En quoi ? En témoignant de l’existence de cet ordre symbolique
et structurant qu’est la Loi. Il convient ici de rappeler la dimension structurante de la loi. « Faire
reconnaitre la loi, ce n’est pas punir une faute, c'est-à-dire, ce n’est pas dire, il a fauté. Il faut qu’il
y ait une sanction pour reconnaitre un acte, car sinon c’est dénué de sens. Reconnaitre un acte,
c’est d’abord le resituer dans un droit qui est le même pour tous, le droit par rapport à la
procédure, le droit d’un justiciable comme un autre. »106 La sanction contribue à une
intériorisation de la Loi en permettant à l’individu d’éprouver, par la transgression, et de vérifier,
par la sanction, la fiabilité de son environnement, des adultes et du cadre. René Hubert indique
d’ailleurs que les sanctions opèrent lorsqu’elles « font éprouver que tout manquement à la règle
entraine un commencement de désocialisation. »107
Hegel éclaire cette dimension du sujet dans son rapport à la loi : « Si porter atteinte au droit
d’autrui c’est signifier ipso facto la nullité de son propre droit, il s’ensuit que la sanction n’a pas
besoin du consentement explicite du fautif. Celui-ci l’a donné, par avance, par son acte même. »
En touchant au droit de l’autre, il abolit le droit pour lui-même. »108
La fonction éthique
Éthique de reconnaissance et de responsabilité. La sanction est un moyen de promouvoir
un sujet responsable en lui imputant les conséquences de ses actes, c’est le reconnaître comme un
être raisonnable. L’idée n’est pas d'attendre que l'enfant ou l'adolescent soit responsable pour le
sanctionner, mais précisément de le sanctionner de telle manière qu'il l’advienne. La responsabilité
n’est pas à prendre comme un pré-requis mais comme une finalité. « Respecter l’enfant,
l’adolescent, ne consiste pas à le déresponsabiliser. C’est au contraire lui accorder du crédit, en
prenant au sérieux les actes qu’il pose, et avoir le courage de le sanctionner. »109
Éthique de responsabilité et de liberté. Pour Kant, la responsabilité est un postulat de
raison éducative. Dès lors, on ne peut punir qu’à une seule fin : assurer la liberté ultérieure du
sujet, c'est-à-dire que, comme l’argumente Philippe Jeammet, « c’est parce qu’on sait lui dire non
106
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et d’accueil pour
adolescents de mars 1996, Vannes, Éd. C.D.E Vannes
107
HUBERT R. (1965) Traité de pédagogie générale, Éditions PUF, Paris, p. 570
108
HEGEL W.F. (1821) Principes de la philosophie du droit (ou droit naturel et science d e l’état en abrégé). Texte
traduit, librairie philosophique, p.96
109
PETITCLERC J.M. (2005) Les nouvelles délinquances des jeunes, Éditions Dunod, Paris
86
qu’un enfant pourra le dire à son tour et prendre conscience de sa capacité à exister par lui-même.
De même que le non précède le oui dans les capacités verbales, la possibilité de refuser est la
condition d’une véritable acceptation »110. Sanctionner, rappeler les contraintes, indiquer les
limites, c’est permettre un jour au sujet de choisir, d’agir, de s’assumer. Là sont les véritables
conditions de liberté. Philippe Meirieu reprend la question dans l’un de ses ouvrages : « la
sanction est marquée par une tension qui est celle-là même qui caractérise l’action éducative. D’un
côté, elle sanctionne l’écart à une norme, rappelle une règle du jeu, et d’un autre côté, elle tend à
promouvoir un sujet libre, à actualiser en l’enfant, une capacité à être répondant»111.
110
111
JEAMMET Ph. (2008) Pour nos ados, soyons adultes, Éditions Odile Jacob, Paris, p.73
MEIRIEU Ph. (1991) Le choix d’éduquer, éthique et pédagogie, Éditions ESF, Paris, p.65
87
CONCLUSION
« La
construction
nécessairement
l’édification
de
du
monde
est
solidaire
de
l’homme.
Toute
construction qui n’est pas au service de
cette édification se trompe sur ellemême et travaille pour le néant. »
G. Gusdorf
88
Les mesures et les dispositifs se succèdent, mais les actes se multiplient. Les adolescents,
par leurs refus souvent massifs et leurs actions parfois tonitruantes, viennent bousculer et
questionner les grands fondements de notre société et de nos institutions. Sommes-nous prêts à
nous y arrêter ? Il est temps de prendre la mesure de ce que nous montrent ces jeunes, qui
attendent de nous, non des réponses, mais un cadre possible pour élaborer leurs propres réponses.
Trois voies s’ouvrent à nous, pour leur offrir ce cadre.
Des adultes pour rassurer l’adolescent
« Le sujet et le social sont intimement imbriqués. Pas de social sans sujet, pas de sujet sans
social. Ce à quoi ont affaire les éducateurs, c’est justement à cette imbrication, à cette insertion du
sujet dans l’espace social, à son mode d’inscription dans la collectivité. Etre parmi d’autres, c’est
ce qui fait souffrance pour certains. Et c’est à ce point de souffrance qu’interviennent les
éducateurs. Parce que l’insertion du sujet dans le social, ça ne se fait pas sans mal. Soit le sujet a
pu s’en débrouiller ailleurs, dans sa famille, à l’école, et il n’a pas besoin d’éducateur. Soit il n’a
pas pu réaliser ce processus d’insertion, c'est-à-dire prendre une place parmi les autres, et là il y a
du boulot pour les éducateurs. »112
Pour les acteurs du social travaillant auprès d’adolescents, il s’agit de développer trois
types de capacité :
Lire entre les lignes : « La capacité à percevoir la souffrance de l’adolescent qui la dénie
derrière le bruit par lequel il la montre en la cachant. Ceci passe par la déconstruction des grandes
catégories qui peuvent servir d’indentification abusive de ces adolescents : délinquance, violence,
mauvais résultats scolaires, etc… afin de pouvoir entendre la souffrance qui s’y cache. »113
Admettre ses propres limites : « La capacité à conduire la demande vers des soins, ce qui
n’est pas simple puisqu’il s’agit pour les médiateurs sociaux de faire l’effort d’en appeler à l’autre
en s’avouant par là même ses propres limites, et sans céder pour autant au désir de prendre
prétexte de cela pour se retirer entièrement. (..), il doit être clairement inscrit dans un rapport de
complémentarité avec d’autres, sans entrer dans la dynamique de la « patate chaude ».114
Permettre à l’adolescent de prendre appui sur lui, et se montrer fiable. En posant des
limites, l’adulte lui permet de se structurer sur des bases solides.
112
ROUZEL J (1998) L’acte éducatif, Éditions Eres, Paris, p.66
« Jeunes en grande difficulté : aux limites de la psychiatrie, de la justice, de l’éducatif et du social », Actes du
colloque ANTHEA, Marseille, 2002
114
Ibidem
113
89
Un réseau de possibles pour ne pas enfermer l’adolescent
Nos dispositifs sont conçus de manière très séparée : les jeunes en souffrance bénéficient
de soin, les jeunes délinquants ont affaire au judiciaire, les jeunes qui présentent des problèmes
sociaux sont accompagnés dans un cadre éducatif. Mais peut-on et doit-on cloisonner la prise en
charge et l’accompagnement ? Comment penser un lieu de soin sans qu’il se déroule dans un cadre
suffisamment repéré et fixe ? Comment oublier que l’accompagnement éducatif participe lui aussi
au soin ? Comment dissocier éducatif et prévention du judiciaire et de la répression ?
« L’expérience montre que seule une conception du réseau n’opposant pas ses différents
constituants (social-psychiatrique-judiciaire) entre eux, mais en les considérant dans un rapport de
complémentarité, est susceptible de permettre des prises en charge conjointes (la contenance
sociale
venant
concrètement
115
réciproquement). »
permettre
la
poursuite
du
traitement
psychiatrique
et
Dans divers champs, la réflexion se construit et les propositions émergent
(Cf. Annexe VII : 25 propositions pour la prise en charge des adolescents en souffrance).
De tous les dispositifs explorés, c’est l’AAE qui semble aujourd’hui prendre le mieux la
mesure de ce besoin de diversité :

Dans les réponses à proposer aux jeunes : palette de dispositifs, travail en réseau.

Dans la réflexion professionnelle : travail inter-associatif pour mutualiser les
compétences et développer une réflexion plus large, et travail inter secteurs avec
l’Education Nationale, la psychiatrie, le médico-social et le judiciaire.

Dans la conception de l’accompagnement : les dimensions sociale et judiciaire
s’entrecroisent et ne fonctionnent pas de manière cloisonnée.
Le travail en réseau renvoie à une pluralité d’acteurs, d’instances, d’institutions, s’ignorent
par ailleurs voire suivent des logiques contradictoires. Les usagers et les professionnels se heurtent
à des démarches reposant sur des législations et des dispositifs séparés et cloisonnés, qui peuvent
laisser penser à une juxtaposition de dispositifs distincts et hermétiques. Pourtant, ce sont ces
acteurs de terrain, dans le champ social, éducatif, médical, judiciaire… qui accueillent et
accompagnent les jeunes dans leur globalité : la segmentation des dispositifs ne rencontre pas une
segmentation des problèmes et des réponses à apporter. D’où la nécessité de pouvoir, autour d’un
jeune et de son projet ou de ses besoins, activer un réseau lui permettant de rencontrer des
possibles.
115
« Jeunes en grande difficulté : aux limites de la psychiatrie, de la justice, de l’éducatif et du social », Actes du
colloque ANTHEA, Marseille, 2002
90
Une multiplicité de réponses aux multiplicités de singularités
Les dispositifs doivent être au service de la rencontre, et non tenter de s’en protéger : audelà de tout dispositif, la rencontre reste la clé, la dimension du un par un, la clinique. Monsieur
M. donne sa définition de la clinique : « La clinique, c’est aller chercher le sujet, en le dépouillant
de toutes ses étiquettes, afin d’apercevoir ce qui est en jeu pour lui ».
Reste une inadéquation entre dispositifs proposés et besoins des jeunes, si l’on se réfère au
nombre croissant de jeunes en situation de passages à l’acte et l’augmentation très nette du
nombre des urgences médico-psychologiques. Parallèlement, ce sont dans les filières non
soignantes, sous des étiquettes sociales, que se trouve la grande majorité des adolescents en
souffrance. Mais les moyens mis à la disposition de ces dispositifs ne sont pas à la hauteur des
souffrances rencontrées, sous le prétexte qu’elles ne sont pas répertoriées dans les champs du
handicap ou du judiciaire.
Comment proposer une aide quand, ainsi que le dit Philippe Jeammet, « ce dont
l’adolescent a le plus besoin pour se rassurer est ce qui le menace le plus ? » Comment alors les
aider ? En sachant « faire appel à un ou plusieurs tiers, moins impliqués dans la relation de
dépendance affective que ne le sont les parents. »116
Finalités et limites des dispositifs proposés
1.
Dispositif comme tentative de suppléer à l’absence de réponse : multiplication des
réponses, et toujours un ratage
2.
C’est l’ado lui-même qui doit construire ses réponses, les dispositifs, comme condition
de cette construction
3.
Le réseau comme autant de possibles
Par définition, on ne répondra jamais à tout. Dans une société où on pense pouvoir tout
combler, où l’on voudrait penser que le risque 0 peut exister, il convient de se rappeler que,
fondamentalement, il faut laisser un espace, un vide, pour permettre à l’adolescent d’être à côté ou
à l’adulte de faire un pas de côté.
116
JEAMMET Ph., BOCHEREAU D. (2007) La souffrance des adolescents, Éditions La Découverte, Paris, p.
91
BIBLIOGRAPHIE
92
Ouvrages
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Laffont, Paris
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JEAMMET Ph. (2008) Pour nos ados, soyons adultes, Editions Odile Jacob, Paris
JEAMMET Ph., BOCHEREAU D. (2007) La souffrance des adolescents, Editions La Découverte,
Paris
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PETITCLERC J.M. (2005) Les nouvelles délinquances des jeunes, Editions Dunod, Paris
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PRAIRAT E. (1999) Penser la sanction, les grands textes, Editions L’Harmattan, Paris
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ROSENCZVEIG J.P. (1995). Le dispositif français de protection de l’enfance, Éditions Jeunesse
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ROUZEL J (1998) L’acte éducatif, Editions Eres, Paris
VOGT C., BRIZAIS R., CHAUVIGNE C., LE PENNEC Y. (2000), L’enfant, l’adolescent et les
libertés, pour une éducation à la démocratie, Editions L’Harmattan, Paris
Articles
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DEFRANCE M. « Quelle éducation dans un monde qui évolue ? » Revue Vie Sociale n°3, mars
2004
LAURU D. « L’adolescent dans les identifications », Le journal des psychologues, n°219, juilletaoût 2004
LE BRETON D. « L’identité meurtrie des jeunes », Libération Rebonds n°24 du 25 décembre
2003
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MILLER A. « Aux côtés des enfants maltraités », Psychologies, octobre 2007
PETITCLERC J.M. « Il faut resituer la sanction dans le registre de l’éducation », ASH n°2353, 2
avril 2004
ROZENCZVEIG J.P.Dossier : « Spécificités de la justice des mineurs : les mineurs et
l’application des peines », RAJS-JDJ n°242, février 2005
RUFO M. « Parents d’ados : la clé : ne pas avoir peur d’eux, ni pour eux », Psychologies, octobre
2007
Conférences
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BRIZAIS R. « L’autonomie, un processus contradictoire »
BRIZAIS R. « L’éducation de l’enfant, enjeux et perspectives »
BRIZAIS R. « Famille – autres institutions de l’enfance. La difficile rencontre »
BRIZAIS R. « Le règlement, outil éducatif
JEAMMET Ph. « Réalité externe et réalité interne : importance et spécificité de leur articulation à
l’adolescence »
JEAMMET Ph., AUBIN J.P. « le cadre soignant, réflexions sur les conditions d'une utilisation
thérapeutique des institutions pour adolescents »
Actes de colloques
Adolescents et lieux d’écoute, compte-rendu des Rencontres nationales sur les lieux d’écoute et
d’accueil pour adolescents de mars 1996, Vannes, Éd. C.D.E Vannes
Crient-ils de plus en plus fort ou sommes-nous de plus en plus sourds ? Xèmes journées de l’AIRe
Jeunes en grande difficulté : aux limites de la psychiatrie, de la justice, de l’éducatif et du social,
colloque ANTHEA, Marseille, 27-28 mai 2002
95
GLOSSAIRE DES SIGLES
96
Liste des sigles et abréviations utilisés
AAE44
Association d’Action Educative du 44 (Loire Atlantique)
AIRe
Association des ITEP et de leurs Réseaux
AP
Accueil Provisoire
APAECH
Association de Protection de l’Adolescence et de l’Enfance de Cholet
ARRIA
Association pour la Reconnaissance, la Responsabilisation, l’Intégration
et l’Autonomie
ASE
Aide Sociale à l’Enfance
BTS
Brevet de Technicien Supérieur
CAE
Centre d’Action Educative
CEF
Centre d’Education Fermé
CER
Centre d’Education Renforcé
CHS
Centre Hospitalier Spécialisé
CMP
Centre Médico Psychologique
DU
Diplôme Universitaire
IVG
Interruption Volontaire de Grossesse
IME
Institut Médico Educatif
ITEP
Institut Thérapeutique, Educatif et Pédagogique
MDA
Maison Des Adolescents
MUSE
Mini Unité Soins Etudes
OPP
Ordonnance Provisoire de Placement
PJJ
Protection Judiciaire de la Jeunesse
SHIP
Service d’Hospitalisation Intersectoriel de Pédopsychiatrie
TGI
Tribunal de Grande Instance
97
ANNEXES
98
TABLE DES ANNEXES
I
Tableau de croissance et comportement d’adolescents de 10 à 16 ans
p.100
II
Processus d’autonomisation, enquête auprès d’adolescents
p.101
III
Les adolescents et leur perception d’eux-mêmes
p.105
IV
Résumé de Thèse : Le devenir de l’adolescent suicidaire
p.109
V
Le projet institutionnel du Valdocco
p.110
VI
Schéma du réseau de la MDA
p.114
VII
25 recommandations pour la prise en charge d’adolescents en souffrance
p.115
99
ANNEXE I : Tableau de croissance et comportement d’adolescents de 10 à 16 ans
100
ANNEXE II : Processus d’autonomisation, enquête auprès d’adolescents
101
102
103
104
ANNEXE III : Les adolescents et leur perception d’eux-mêmes
105
106
107
108
ANNEXE IV : Résumé de Thèse : Le devenir de l’adolescent suicidaire
109
ANNEXE V : Le projet institutionnel du Valdocco
110
111
112
113
ANNEXE VI : Schéma du réseau de la MDA
114
ANNEXE VII : 25 recommandations pour la prise en charge des adolescents en souffrance
Les 25 RECOMMANDATIONS pour contribuer à l’élaboration d’une stratégie nationale de prise
en charge des adolescents en souffrance sont un extrait du Rapport thématique 2007.
I) RECALIBRER LE DISPOSITIF MÉDICAL, PSYCHIATRIQUE, SOCIAL ET
ÉDUCATIF SUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE MÉTROPOLITAIN
1) Mettre en place un Plan national pour régler la crise des centres médicopsychologiques (CMP).
. Renforcer considérablement leurs moyens pour réduire les délais d’attente de rendez-vous.
. Mettre en place un fonctionnement adapté aux besoins des adolescents.
2) Créer des lits d’hospitalisation à temps complet dans les départements qui en sont dépourvus,
nonobstant la référence aux territoires de santé et réserver dans tous les départements des lits de
pédopsychiatrie « spécifiques adolescents ».
3) Développer dans chaque département des relais diversifiés de post-hospitalisation et
notamment :
- des unités de soins études pour les collégiens et lycéens (besoin prioritaire)
- des internats scolaires
- des places en hôpitaux de jour spécifiques adolescents.
4) Admettre les adolescents en pédopsychiatrie jusqu’à 18 ans et clarifier les circulaires sur la
prise en charge psychiatrique des 16-18 ans.
5) Organiser un accueil spécifique pour les adolescents dans les urgences hospitalières.
6) Augmenter le nombre de postes de psychiatres mis au concours de l’internat.
7) Se donner l’objectif d’une infirmière à temps plein par établissement scolaire et augmenter le
nombre de médecins scolaires.
II) AMÉLIORER L’INFORMATION ET L’ACCUEIL DES JEUNES ET DE LEURS
FAMILLES
1) Étendre les plages d’accessibilité du numéro national Fil-Santé-Jeunes (0800 235 236) jusqu’à
24h/24 et assurer la gratuité des appels à partir des téléphones mobiles. Développer la notoriété de
ce numéro auprès des adolescents : affichage dans les collèges et lycées, les lieux de sport et de
loisirs, les transports en commun.
2) Conforter le financement des points accueil écoute jeunes (PAEJ) qui constituent un dispositif
d’accueil de proximité et harmoniser leurs pratiques professionnelles.
Favoriser leur implantation dans les zones rurales.
115
3) Créer un portail grand public rassemblant toutes les informations utiles pour les jeunes et leurs
parents. Le rendre accessible de façon très aisée à partir de mots clés simples et pertinents et
actualiser régulièrement tous les liens.
III) ALLER VERS LES ADOLESCENTS EN DÉVELOPPANT DES DISPOSITIFS
INNOVANTS : MAISONS DES ADOLESCENTS, ÉQUIPES MOBILES, PERMANENCES
HORS LES MURS…
1) Concrétiser dans les 3 ans l’objectif d’une Maison des adolescents par département (MDA)
- Créer un label « Maisons des adolescents » pour garantir la pleine spécificité de leur mission.
Veiller au libre accès tout venant des adolescents sur des plages horaires correspondant à leurs
modes de vie (après l’école, en soirée, week-ends, vacances…)
. Promouvoir une information large sur l’existence de la Maison des adolescents dans leurs lieux
de vie (école, sports, loisirs, site internet de la ville et site spécifique…)
. Prévoir impérativement un accueil et un accompagnement pour les parents
. Garantir l’accès des MDA à des lits d’hospitalisation spécialement réservés aux adolescents.
- Faire de la MDA la « tête d’un réseau » réunissant les points accueil écoute jeunes et l’ensemble
des professionnels et institutions intervenant dans la vie des jeunes du département. Leur donner
les moyens d’animer ce réseau.
- Créer une fédération des MDA pour donner une pleine dynamique au label, développer des
formations, animer des rencontres inter-équipes, et impulser des recherches actions.
2) Créer des équipes mobiles pour aller vers les adolescents qui n’ont pas de demande explicite.
Promouvoir l’organisation :
. De permanences « hors les murs » dans les établissements scolaires ou dans tout autre lieu
pertinent.
. D’équipes mobiles de consultation.
IV) SYSTÉMATISER LA MISE EN PLACE DE RÉSEAUX INTERDISCIPLINAIRES
AFIN DE GARANTIR LE REPÉRAGE, L’ORIENTATION, LA PRISE EN CHARGE ET
LA CONTINUITÉ EFFECTIVE DES SOINS.
1) Soutenir la constitution de groupes interdisciplinaires de travail en réseau et d’analyse des
pratiques entre les différents professionnels au contact des adolescents.
2) Renforcer et multiplier les actions menées en partenariat entre le ministère de l’Education
nationale et le ministère de la Santé. Conforter la fonction de personne ressource des conseillers
principaux d’éducation et des infirmières scolaires.
116
V) GÉNÉRALISER UNE FORMATION OBLIGATOIRE DE L’ENSEMBLE DES
PROFESSIONNELS AU CONTACT AVEC LES ADOLESCENTS SUR LA
PSYCHOLOGIE DE L’ADOLESCENT ET LE REPÉRAGE DES SIGNES D’ALERTE
1) Les personnels de l’Éducation nationale :
- Former obligatoirement tous les enseignants du secondaire à la psychologie de l’adolescent et au
repérage des signes d’alerte - dès l’IUFM -.
- Élaborer dans tous les établissements scolaires une procédure sur les comportements à tenir et les
personnes ressources à alerter devant des situations de souffrance psychique d’adolescents.
2) Les médecins
- Rendre obligatoire la formation des médecins généralistes, pédiatres, médecins scolaires,
médecins des urgences…) au « Référentiel d’observation à l’usage des médecins pour un repérage
précoce : souffrances psychiques et troubles du développement chez l’enfant et l’adolescent »
élaboré, en 2006, par la Fédération française de psychiatrie.
3) Les magistrats
- Rétablir les stages terrain des auditeurs de justice dans les milieux non judiciaires (pédiatrie,
pédopsychiatrie, aide sociale à l’enfance, Défenseure des enfants…)
- Rendre obligatoire pour tous les magistrats une formation à la psychologie de l’enfant et de
l’adolescent ainsi qu’à la prise en compte de la parole de l’enfant à l’occasion des nominations à
des postes de juge aux affaires familiales ou de juge des enfants.
VI) DÉVELOPPER LA PRISE EN COMPTE ET L’ACCOMPAGNEMENT DES
PARENTS À TOUS LES NIVEAUX DU REPÉRAGE ET DE LA PRISE EN CHARGE
DES ADOLESCENTS
1) Mettre en place une ligne nationale d’écoute téléphonique destinée aux parents confrontés à la
souffrance psychique de leur enfant (plages horaires adaptées).
2) Mieux intégrer les parents dans les différents dispositifs de repérage (éducation nationale
notamment), de prise en charge et de suivi (Maisons des adolescents, équipes mobiles,
hospitalisations…)
VII) METTRE EN PLACE UNE STRATÉGIE NATIONALE VOLONTARISTE DE
PRÉVENTION ET DE LUTTE CONTRE L’ALCOOLISATION PRÉCOCE DES
ADOLESCENTS ET LA BANALISATION DU CANNABIS
1) Diminuer l’accessibilité des mineurs aux boissons alcooliques
Notamment :
117
- en appliquant strictement les interdictions de vente d’alcool aux mineurs.
- en interdisant le sponsoring des soirées festives de jeunes par les alcooliers
2) Veiller à ce que les textes surtaxant les boissons ciblées jeunes (prémix, alcopops…) ne
puissent être contournés.
3) Renforcer l’éducation à la prévention :
Notamment : en introduisant la prévention de l’alcool et du cannabis en plus du tabac, dès
l’enseignement primaire, incluant une pédagogie active pour apprendre aux enfants à refuser de
telles sollicitations.
4) Organiser un repérage précoce de l’alcoolisation et de la consommation de cannabis lors de
toute consultation médicale (à l’hôpital, à l’école, et en ville).
Former à ce repérage les infirmières et les médecins pour qu’ils orientent les jeunes
consommateurs d’alcool ou de cannabis vers une prise en charge spécialisée.
VIII) DÉVELOPPER LES OUTILS PERMETTANT UNE MEILLEURE
CONNAISSANCE DE LA SOUFFRANCE PSYCHIQUE DES ADOLESCENTS
1) Financer des recherches-actions-formations associant les chercheurs et les acteurs de terrain
afin de permettre une meilleure connaissance des problématiques des adolescents et une
adaptation permanente des dispositifs qui leur sont destinés.
2) Harmoniser les données épidémiologiques concernant la santé mentale des adolescents.
118
Une dernière citation
« Il est important de faire sentir à l’adolescent
mais aussi à ses parents et à ceux qui l’entourent
que ce qu’il a pu vivre jusqu’à présent ne fige pas son destin,
que tout n’est pas joué, qu’il garde une partie de son avenir en mains.
L’objectif essentiel est de l’aider, à travers ses propres richesses,
à faire son chemin dans la diversité des possibles. »
Philippe Jeammet
119
Mémoire
présenté
pour
l’obtention
du
Master
Professionnel Ingénierie et Gestion des Interventions
Sociales & le Diplôme d’État d’Ingénierie Sociale.
Session octobre 2008 – Université de NANTES
Catherine POITEVINEAU
L’adolescence : un nouvel objet d’intervention sociale
mieux la reconnaitre pour mieux l’accompagner
Tuteur : Reynald BRIZAIS
L’étude porte sur la question de l’adolescence, période qui conserve une part d’étrangeté. De quoi
est faite cette phase à la fois si riche et si fragile ? Que cherchent ces enfants grandissants, adultes
en herbe ? Entre besoin paradoxal de s’identifier et de se démarquer, l’adolescent chemine à
travers ce moment d’interrogation majeure vers une construction de son identité.
Les adultes tentent de trouver des réponses, d’inventer des dispositifs, sans parvenir à éviter une
dimension de ratage. Comment offrir aux adolescents les moyens de trouver leurs propres
réponses ?
La recherche a été menée à partir d’une documentation fournie et diversifiée,
et d’entretiens auprès d’acteurs de terrain et d’adolescents
Mots-clef :
adolescence – conduites à risques - crise - délinquance - demande – désir – dispositifs éducation - identité – limites - paradoxes – pathologies – pulsion - refus – sanction - violence
120