Déclaration concernant les nominations de Tony Urquhart et Kim

Transcription

Déclaration concernant les nominations de Tony Urquhart et Kim
 Déclaration concernant les nominations de Tony Urquhart et Kim Ondaatje, Prix du gouverneur général récompensant une contribution exceptionnelle aux arts visuels et médiatiques En tant que membres fondateurs du Front des artistes canadiens (CARFAC), Tony Urquhart et Kim Ondaatje ont apporté une contribution majeure à la sensibilisation du public aux droits des artistes, et ont fondamentalement transformé les relations entre les artistes et les organismes et individus qui présentent et diffusent leurs œuvres. Tout en édifiant leur carrière artistique, ces deux pionniers ont mis sur l’échiquier des questions telles que le paiement d’honoraires aux artistes, contribuant à un tournant de nature philosophique dans le domaine des arts. Ce tournant a mené à une nouvelle loi fédérale qui a fait école à l’échelle internationale. Les efforts continus de CARFAC durant quarante ans de lutte pour les droits des artistes n’ont pas seulement profité à des générations de membres de l’organisme, mais aux 15 000 artistes en arts visuels du Canada qui ont reçu des honoraires, sans oublier ceux d’autres pays que notre exemple a inspirés. Dès le début de leur lutte, Tony Urquhart, Kim Ondaatje et Jack Chambers, les trois fondateurs de CARFFAC, ont réfléchi à des politiques qui répondraient aux besoins socioéconomiques des artistes. Ils se sont retrouvés dans le feu de l’action en 1967, lorsque le Musée des beaux‐arts du Canada a communiqué par lettre avec les artistes canadiens au sujet d’une compilation de 2 000 diapositives destinée à l’exposition 300 ans d’art canadien. Cette lettre demandait aux artistes concernés de donner au Musée l’autorisation de reproduire leurs œuvres sous forme de diapositives sans leur verser de compensation, et indiquait également que l’absence de réponse serait considérée comme une autorisation. Tony Urquhart, Kim Ondaatje et Jack Chambers, qui pratiquaient leur art à London, en Ontario, reçurent cette lettre. Malgré le prestige associé à l’institution émettrice, non seulement ils ne donnèrent pas leur autorisation, mais ils réagirent en organisant une protestation collective. Avec l’appui de Tony Urquhart et de Kim Ondaatje, Jack Chambers rédigea une lettre dénonçant l’absurdité de ne pas payer les artistes pour l’utilisation et la reproduction de leur travail, soulignant que tout service rendu mérite paiement. Il rappelait que les musées réalisent des bénéfices grâce à la reproduction des œuvres en tant que supports éducatifs, et demandait que les artistes soient rémunérés pour leur reproduction. Cette réponse au directeur du service Éducatif du Musée des beaux‐arts fut également envoyée à 130 artistes canadiens participant à l’exposition, les encourageant à répondre individuellement au Musée des beaux‐arts. Grâce à la pression collective exercée par les artistes, le projet fut annulé. La reconnaissance de la puissance de l’action collective mena en 1968 à la fondation de CAR (qui deviendrait plus tard CARFAC), avec Jack Chambers comme président, Kim Ondaatje comme trésorier et Tony Urquhart comme secrétaire. D’autres artistes visuels canadiens établis se joignirent au groupe, dont l’influence s’étendit à d’autres régions du pays. Des branches de CAR furent créées à Winnipeg, Halifax, Toronto et Ottawa, entre autres. En 1968, Tony Urquhart et Jack Chambers publièrent dans Arts Canada l’article « Lettre ouverte de Urquhart et Chambers », dans lequel ils demandaient aux artistes d’exiger la reconnaissance de la juste valeur de leur travail. Citons leur paroles : « Personne n’est mieux placé pour parler au nom des artistes que les artistes eux‐mêmes… Nous n’avons pas besoin d’intermédiaires pour faire passer notre message, tant sur le plan créatif, qui touche notre travail, que sur le plan social, qui touche notre gagne‐pain ». Cette année‐là, Urquhart et Chambers établirent le premier barème de tarifs minimums du droit d’exposition de CAR. Ce fut Tony Urquhart qui insista sur le fait que le versement de redevances d’exposition toucherait un grand nombre d’artistes. Les deux fondateurs œuvrèrent avec diligence pour promouvoir la notion selon laquelle les artistes méritaient d’être payés à la fois pour la reproduction et pour l’exposition de leur travail, arguant que c’était eux qui donnaient aux musées leur raison d’être alors qu’ils étaient les seuls intervenants à ne pas être rémunérés. Le premier barème de tarifs fut envoyé à des institutions partout au Canada. Les réactions à ce barème initial allèrent de l’étonnement à l’hostilité. Beaucoup d’institutions ne considéraient pas que des honoraires devaient être versés aux artistes en vertu du droit d’auteur. Certains musées reconnurent sur‐le‐champ la validité du barème et se mirent à verser des redevances aux artistes ; par contre, beaucoup d’autres refusèrent de s’y plier. En juin 1968, Tony Urquhart a aida à organiser une rencontre à Ottawa entre les différents représentants de CAR du Canada et ceux de l’Association des marchands d’art du Canada, du Musée des beaux‐arts du Canada et de l’Organisation des directeurs des musées d’art du Canada (ODMAC). Il fallut du temps et maintes réunions pour finalement convaincre les musées de verser des honoraires aux artistes. Tony Urquhart se souvient : « La première fois que Kim et moi sommes allés à Montréal rencontrer les représentants de l’ODMAC… L’un après l’autre, tous les intervenants présents autour de la table ont pris la parole pour dire : “Nous sommes d’accord, c’est une excellente idée, mais notre institution n’a pas le budget nécessaire”. Ils tentaient de susciter la compassion. Comme solution, Tony Urquhart a alors suggéré au directeur du Musée des beaux‐arts de n’organiser que 19 expositions annuelles au lieu de 20 et de consacrer aux honoraires des artistes le budget ainsi épargné. CAR a continué de publier son barème de tarifs minimums, mettant à jour et révisant régulièrement son contenu. Le principe a mis du temps à s’implanter. Parfois, lorsque les négociations et la persuasion ne suffisaient pas, CAR organisait des manifestations, du boycott, et des campagnes de dénonciation des institutions récalcitrantes, afin de protéger et promouvoir les droits des artistes au Canada. Dans un article du Canadian Forum de juillet 1974, le président de CAR, Jack Chambers, déclarait : « Mon but […] était de proposer que le Musée des beaux‐arts et toutes les autres institutions traitent les artistes équitablement en procédant à un échange équitable : un paiement contre un service ». En 1975, grâce à la poursuite du lobbying, le paiement des redevances du droit d’exposition est intégré parmi les exigences du Conseil des arts du Canada pour les candidats au financement dans le cadre du Programme d’aide aux musées et aux galeries d’art, programme fédéral fournissant un support essentiel aux musées. Cet état de fait a constitué un incitatif puissant pour que les musées subventionnés rémunèrent les artistes. Le Canada fut le premier pays à faire du paiement des droits d’exposition un critère d’admissibilité au financement public. La réussite du gouvernement canadien et de CARFAC quant à la mise en œuvre des honoraires d’artiste a incité des organismes d’autres pays à prendre des initiatives semblables. Ainsi, dès 1979, les artistes professionnels participant à des expositions organisées par le British Arts Council ou la Regional Arts associations ont bénéficié de ce nouveau droit. Aujourd’hui, de nombreux pays ont mis en œuvre des mesures semblables, tel le « seuil minimal » en matière d’honoraires adopté en Australie. En fondant CARFAC, Tony Urquhart et Kim Ondaatje ont rendu possibles ces réalisations, et ce travail a été poursuivi par ceux et celles qui ont repris le flambeau. Tous les artistes canadiens qui ont tenu une exposition au cours des quarante dernières années et reçu une compensation financière ont bénéficié du travail de ces artistes. C’est aussi grâce à eux que les artistes étrangers exposant leurs œuvres au Canada sont rémunérés. Le concept initial était si sensé et si équitable que dès que son application au Canada s’est avérée réussie, il a rapidement été mis en œuvre ailleurs dans le monde. Les actes de protestation de Tony Urquhart et Kim Ondaatje, le regroupement des artistes en un mouvement organisé et le développement de meilleures pratiques commerciales ont laissé un héritage important à touts les artistes pratiquant leur art au Canada. À partir d’un petit groupe d’artistes manifestant sa réprobation à London (Ontario), l’organisme qu’ils ont fondé, parmi les plus anciens de ce type, est devenu l’un des organismes les plus importants et des plus efficaces au service des arts actuellement en activité. En 1968, Tony Urquhart et Kim Ondaatje ont réussi à cerner les besoins des artistes, et, par leurs démarches bénévoles, ils ont mis sur pied un mécanisme organisationnel pour leur donner voix au chapitre dans la défense de leurs intérêts professionnels. Aujourd’hui, CARFAC rassemble près de 5 000 artistes professionnels en arts visuels. Le bureau national, situé à Ottawa, offre aux membres des services par l’intermédiaire de filiales régionales partout au pays. CARFAC, qui mène des activités régulières de défense des droits et de développement professionnel, aide également les artistes à réussir leur carrière. CARFAC demeure une entité riche et pertinente sur le pan culturel, qui perpétue l’héritage laissé par la vision fondatrice de Tony Urquhart et Kim Ondaatje. La contribution de Jack Chambers à la création de CARFAC a souvent été soulignée, étant donné qu’il fut le premier porte‐parole et qu’il lança l’appel à l’action initial. Néanmoins, les rôles de Tony Urquhart et de Kim Ondaatje durant ces premières années ne doit pas être négligé, car tous deux ont aussi été très engagés dès les débuts, et ont poursuivi la mission fondatrice après le décès de Jack Chambers, en 1978. La fondation de tout organisme crédible exige des efforts considérables et prolongés, et ces deux hommes se sont dévoués corps et âme à CARFAC dès sa naissance. Ils ont participé à un nombre incalculable de réunions au sein de la communauté muséale et œuvré inlassablement à la construction de l’organsime partout au pays ; pour cela, ils méritent notre reconnaissance. En effet, ni Tony Urquhart – qui a reçu la médaille de l’Ordre du Canada pour son œuvre artistique – ni Kim Ondaatje n’étaient administrateurs de métier. Ils ont effectué des heures de bénévolat en plus du temps consacré à leur pratique artistique. Faire progresser la cause des artistes n’était pas pour eux un travail, mais une mission animée par la conviction qu’ils avaient le droit d’être traités en professionnels. L’ampleur et la profondeur de la contribution de Tony Urquhart et de Kim Ondaatje au milieu des arts visuels et médiatiques canadien ne fait aucun doute. Leur accomplissements étaient exceptionnels il y a quarante ans et le restent aujourd’hui. Pour cela, ils méritent la forme la plus élevée de reconnaissance nationale.