Intoxication par l`eau de Javel
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Intoxication par l`eau de Javel
Intoxication par l'eau de Javel N. Rhalem, R. Soulaymani 1. Cas clinique Un enfant de 4 ans a ingéré de façon accidentelle, un demi verre d'eau de Javel vendu en ambulatoire. Il est amené une heure plutard aux urgences dans un tableau de pleurs, vomissements, douleurs abdominales et hypersialorrhées. A l'examen, l'enfant présente des brûlures superficielles au niveau de la muqueuse buccale. Le médecin de garde a contacté le Centre Anti Poison du Maroc à fin de connaître la composition du produit, ses conséquences sur la santé et la conduite à tenir. 2. Introduction: L'eau de javel représente l'une des causes d'intoxications par produits ménagers les plus fréquemment rencontrées. Il s'agit d'un agent de blanchissement et de désinfection composé d'eau, d'hypochlorite de sodium (NaO Cl), de chlorure de sodium et de soude (de façon inconstante). 3. Présentation: Les solutions sont commercialisées sous deux formes: • L'extrait d'eau de javel dont la concentration est comprise entre 36 et 48° Chlorométrique (Cl) sous forme de berlingot ou de comprimé. Rappelons que le degré Chlorométrique définit la quantité de chlore libérée en présence d'un acide pour un litre de solution. • L'eau de javel diluée, en flacon de 1 litre ou bidon de 5 litres à 12°Cl (actuellement à 9°Cl dans certains pays) 4. Utilisations: L'eau de javel est utilisée comme agent de blanchissement dans l'industrie de textile. Elle est utilisée également pour stériliser l'eau potable. En effet, l'eau de javel est un agent bactéricide, fongicide et virucide. Cette action est partiellement inhibée par les protéines et l'eau calcaire. La conservation de l'eau de Javel à 12°Cl se fait pendant 6 mois en l'absence de lumière et de chaleur. La solution diluée se conserve plus d'une semaine à température ambiante et sans présence de protéines. 5. Circonstances d'intoxication: L'intoxication à l'eau de Javel se produit le souvent de façon accidentelle et concerne particulièrement l'enfant de moins de 5 ans, ce qui dénote d'une négligence de la part des parents. Néanmoins, ce type d'intoxication peut survenir chez l'adulte, notamment en cas de déconditionnement du produit (mise dans une bouteille servant initialement à une boisson). Le mode volontaire en cas de tentative d'autolyse est de plus en plus fréquent surtout chez des sujets très jeunes. L'intoxication en milieu professionnel peut également se voir surtout dans les usines de fabrication en cas de manque de moyens de protection. 6. Tableau clinique: La toxicité de l'eau de javel est fonction de la concentration du produit, de la quantité absorbée et du temps de contact avec la muqueuse digestive. Elle est également liée à l'adjonction de soude caustique destinée à conserver la stabilité de l'eau de Javel. 1 6.1. Ingestion de l'eau de javel : L'ingestion de l'eau de javel diluée entraîne des conséquences qui dépendent de la quantité ingérée. En général, on observe une simple irritation qui se traduit par une sensation de brûlure buccale, rétrosternale et épigastrique, une dysphagie, une hypersialorrhée, des nausées et des vomissements. L'examen physique peut montrer des lésions oropharyngées. La fibroscopie, normalement inutile, montre de simples lésions érythémateuses. L'ingestion d'une solution concentrée donne le même tableau qu'auparavant, mais de façon exagérée. Le malade est souvent angoissé, agité, sa salive est sanguinolente ainsi que ses vomissements. L'examen de sa cavité buccale montre des brûlures sévères. Il est à noter qu'habituellement, il n'existe pas de parallélisme entre les lésions bucco pharyngées et l'atteinte oesogastrique. L'abdomen est sensible et parfois une défense épigastrique est notée. La radiographie pulmonaire recherchera une pneumopathie d'inhalation ou un pneumomédiastin, la radiographie de l'abdomen sans préparation (ASP) peut révéler l'existence d'un iléus paralytique. La fibroscopie oesogastroduodénal doit être pratiquée entre la 4ème et la 12ème heure suivant l'ingestion, elle apprécie la gravité et l'étendue de la lésion, ainsi que l'importance et la topographie des lésions et par conséquent permet de les classer en 4 grades: Grade I : Erythèmes + pétéchies Grade II A : Ulcération de la muqueuse de petit diamètre < 5mm et de nombre <5 Grade II B : Même que II A, intéressant toute la surface de la circonférence de l’œsophage Grade III : Nécrose localisée ou étendue. Le bilan biologique recherche une acidose métabolique, une augmentation des enzymes tissulaires et une hyperleucocytose de stress. Des complications peuvent se voir à type d'hémorragie digestive, de perforation oesogastrique et de sténose. 6.2. Projections oculaire et cutanée: L'eau de javel diluée entraîne une hyperhémie conjonctivale et une douleur locale immédiate. Parfois peuvent se voir des ulcérations des muqueuses oculaires. Les projections oculaire et cutanée de l'eau de Javel concentrée sont responsables de lésions plus graves, nécessitant l'avis de spécialistes. 6.3. Inhalation de vapeurs produites par le mélange d'eau de Javel à un acide ou une base: Le mélange de l'eau de javel avec un acide fort ou avec de l'ammoniac provoque respectivement un dégagement de chlore et de chloramine, substances très toxiques, dont l'inhalation entraîne un œdème aigu du poumon et/ou un bronchospasme. 2 7. Traitement : 7.1. En cas d’ingestion : Ne pas faire de gestes intempestifs pouvant aggraver la situation : * Vomissements provoqués * Lavage gastrique * Neutralisation Si besoin, contacter le Centre Anti Poison. 7.1.1. En cas d'ingestion d'une quantité minime d'eau de javel diluée : (inférieure à 5 ml/kg) L’atteinte oesogastrique est improbable et la fibroscopie ne se justifie qu’en cas de douleur abdominale, en présence de brûlures significatives. La dilution: diluer immédiatement avec 120 à 240 ml d’eau, sans dépasser 120 ml chez l’enfant. Donner un pansement gastrique (3prises/jour pendant 3 jours). La neutralisation n’est pas indiquée. 7.1.2. En cas d'ingestion d'une quantité importante d'eau de javel diluée supérieure ou égale à 5 ml/kg : - Ne pas faire boire ; Ne pas donner de pansement gastrique ; fibroscopie oesogastroduodénale le plus rapidement possible ; → Si pas de lésion à la fibroscopie donner un pansement gastrique → Si lésion traiter comme si ingestion d'eau de Javel concentrée 7.1.3. En cas d'ingestion d'eau de javel concentrée : la prise en charge est la même qu'en cas d'ingestion de produits caustiques, à savoir: - Ne pas faire boire - Ne pas donner de pansement gastrique - Endoscopie digestive précoce L'ingestion de quantités massives nécessite une prise en charge en milieu de soins intensifs ; les lésions oesophagiennes ou gastriques importantes imposent une alimentation parentérale, un traitement anti-sécrétoire et une antibiothérapie anti-anaérobie, la sonde gastrique est contre indiquée. 7.2. En cas projections oculaires: - Ne pas neutraliser - Faire un lavage à l'eau tiède pendant 15 minutes, en évitant les jets directs sur l'œil. - Si persistance de douleurs oculaires ou si l'eau de javel est concentrée, une consultation ophtalmologique est nécessaire pour établir le bilan des lésions par un examen spécifique à la lampe à fente et le test à la fluoroceïne. 7.3. Projections cutanées: • Pas de neutralisation • Lavage à l'eau tiède pendant 15 minutes Eventuel avis médical, si l'eau de javel est concentrée pour faire le bilan des lésions. 3 7.4. Inhalation de vapeurs • • • Evacuer l'intoxiqué hors de l'atmosphère contaminée ; Oxygénothérapie ; Traitement symptomatique à base d'aérosol β mimétique et / ou de corticoïde. 8. Prévention : Etant donné la fréquence de ce type d’intoxication chez l’enfant de bas âge, la prévention passe inévitablement par l’éducation et la sensibilisation des parents. Certaines règles sont évidentes et doivent être conseillées aux parents, à savoir : Bien ranger les produits ménagers, loin de la portée des enfants. Ne pas transvaser les produits ménagers et notamment l’eau de javel dans des récipients alimentaires non étiquetés. Ne jamais mélanger ces produits avec d’autres substances chimiques (acide chlorhydrique, ammoniac) Ne rien faire avant de demander l’avis du Centre Anti Poison Références: 1. Bismuth C., Baud F., Censo F., Fréjaville J.P., Garnier R. Eau de Javel, Toxicologie clinique, 5ème édition, Médecine science- Flammarion (Paris), 2001, 452-453. 2. Descotes J., Testud F., Frantz P. Eau de Javel, les urgences en toxicologie, Maloine (Paris), 1992, 475-476. 3. Descotes J., Testud F., Frantz P. les caustiques, les urgences en toxicologie, Maloine (Paris), 1992, 457-463. 4. Ellenborn M.J., Barceloux D.G. Sodium hypochlorite, Medical toxicology, Elsevier ( New York, Amsterdam, Londres), 1988, p: 903 5. IPCS, Disinfectants and disinfectants by products, Environmental Health Criteria 216, World Health Organisation, Geneva, 2000 6. Robert R., Lauwerys RR. Toxicologie industrielle et intoxications professionnelles, 4ème édition, Masson, 1999. 7. Haddad Winchester. Acid corrosive, Clinical management of poisoning and drug overdose, 2ème edition, Saunders (Philadelphia), 1990, 1065-1068 4 5